Recensions

La nation pluraliste. Repenser la diversité religieuse au Québec, de Michel Seymour et Jérôme Gosselin-Tapp, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2018, 296 p.[Record]

  • Félix Mathieu

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Dans La nation pluraliste. Repenser la diversité religieuse au Québec, Michel Seymour et Jérôme Gosselin-Tapp s’engagent sur le terrain de la philosophie politique appliquée dans l’objectif de « penser un modèle d’aménagement de la diversité qui convien[ne] véritablement au Québec » (p. 279). Ils proposent une interprétation particulière des travaux du philosophe John Rawls afin de développer un « libéralisme républicain ». Cette théorie politique appliquée se veut une voie médiane entre les perspectives « libérale individualiste » et « républicaine jacobine », soit les principaux pôles idéologiques à partir desquels on interpréta les débats sur la diversité au Québec. Avec ce livre, Seymour et Gosselin-Tapp contribuent à la littérature de plusieurs manières. D’abord, les trois premiers chapitres offrent une analyse aussi minutieuse qu’audacieuse des travaux de Rawls. Mettant l’accent sur le contenu de Libéralisme politique (1993) et de Paix et démocratie (1993), Seymour et Gosselin-Tapp n’empruntent aucun raccourci et montrent habilement comment Rawls ne s’appuie pas simplement sur « une morale strictement individualiste » (p. 20). Ils défendent l’interprétation selon laquelle la finalité de la démarche rawlsienne vise la recherche de la « stabilité “pour les bonnes raisons” » (p. 70). Ainsi, pour Rawls, il importe d’instaurer « un système de droits et libertés égaux pour tous » (p. 70). Autrement dit, le philosophe américain propose un équilibre entre liberté des Anciens et liberté des Modernes, entre les conceptions positive et négative de la liberté. Bien que cette thèse ait déjà été défendue ailleurs (notamment par Catherine Audart, dans John Rawls, 2007, McGill-Queen’s University Press), cette interprétation des travaux d’un des philosophes libéraux les plus importants du XXe siècle ne fait pas consensus. Néanmoins, la thèse de Seymour et Gosselin-Tapp est suffisamment bien appuyée et fouillée pour être jugée légitime et cohérente, et ce, même par leurs plus féroces adversaires dans ce conflit d’exégèse. Le chapitre 4 s’éloigne du terrain proprement philosophique et s’ouvre sur une contribution considérable dans l’interprétation des trajectoires sociohistoriques française, canadienne, et surtout québécoise en matière de laïcité et de gestion de la diversité. Proposant en quelque sorte une mise à jour de la cartographie qu’avait offerte Guillaume Lamy dans Laïcité et valeurs québécoises (2015, Québec Amérique), on retrouve cette même minutie et cette rigueur analytique lorsque les auteurs présentent les trajectoires de ces trois sociétés pour mieux comprendre leurs singularités et identifier les récits collectifs qui en émanent. Leur analyse tant jurisprudentielle, sociologique que politique est présentée dans un langage beaucoup moins complexe que dans les chapitres précédents, et figure parmi les brefs exposés les plus nuancés en la matière. Ensuite, et c’est ici la principale contribution de l’ouvrage, Seymour et Gosselin-Tapp exposent leur édifice théorique d’inspiration rawlsienne : le libéralisme républicain. Fortement appuyé sur le libéralisme politique de Rawls, ce modèle leur permet d’éviter tant les écueils de la théorie libérale individualiste que ceux de la vision républicaine jacobine, tout en profitant de leurs vertus respectives. Mais avant de dévoiler leur propre proposition théorique, les auteurs procèdent à une interprétation généreuse mais sans complaisance des courants libéral et républicain. Tout comme Rawls, Seymour et Gosselin-Tapp sont d’avis que la stabilité politique est à concrétiser en premier lieu – et non pas l’autonomie individuelle. Il demeure que « le meilleur moyen d’atteindre la stabilité politique est d’assurer la défense des droits fondamentaux, parmi lesquels figurent les droits et libertés individuels, mais également les droits collectifs des peuples […] Une quête de stabilité politique ainsi motivée est une stabilité recherchée pour de bonnes raisons. » (p. 214) Par ailleurs, on comprend qu’il est fondamental pour les auteurs de tenir compte des trajectoires …