Recensions

Théorie du super soldat, de Jean-François Caron, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, 154 p.[Record]

  • Sylvain Munger

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Dans son essai Théorie du super soldat, Jean-François Caron explore les enjeux éthiques qui accompagnent l’émergence des technologies d’augmentation et de dépassement de la condition humaine (l’endurance, la force, la cognition, les amplifications sensorielles, la tolérance à la douleur et au stress) (p. 1) rattachés à la construction d’un « super soldat ». L’essai s’ouvre sur quatre prémisses morales défilant dans l’ouvrage pour en constituer en quelque sorte les piliers : 1) les Forces armées ont l’obligation de protéger la vie de leurs soldats en les exposant à un minimum de risques ; 2) elles doivent traiter humainement leurs membres, ne pouvant les utiliser comme des moyens ou des choses jetables ou modifiées impunément à des fins de recherche ; 3) les innovations techniques du super soldat se doivent de respecter les principes de la guerre juste ; 4) elles ne peuvent briser le principe d’égalité entre les êtres humains (p. 7). Le premier chapitre se livre à un exercice de clarification concernant les technologies ayant pour but de restaurer progressivement les fonctions organiques et corporelles, soit après une blessure, soit suivant une maladie ou un traumatisme psychologique, en opposition aux technologies d’augmentation qui cherchent plutôt à développer et à propager de nouvelles techniques. Plus les militaires sont présentés comme de simples humains, partageant avec eux les mêmes atteintes à leur santé, les mêmes fragilités et des vulnérabilités semblables, plus cela indique qu’ils n’ont plus rien d’extraordinaire qui pourrait les différencier du citoyen ordinaire ; l’exception guerrière disparaît alors. En revanche, stimuler artificiellement la force musculaire, l’endurance et l’énergie du soldat revient à « transposer sur le champ de bataille les mêmes types de capacités que la nature a données à certains animaux » (p. 16). Le super soldat imaginé peut exécuter une course fulgurante. Il escalade les parois à l’image de Spiderman. Les projectiles pleuvent sur lui, mais une quantité de capteurs intégrés à son casque lui permettent de percevoir des signaux visuels ou sonores imperceptibles en temps normal. Il les esquive avec une force et une endurance physiques décuplées, bénéficiant en quelque sorte de molécules chimiques qui évacuent douleurs et stress. À chaque fois, il s’agit de rehausser le corps par des moyens techniques, par des organes technologiques surpuissants qui, au fond, ne sont autres que les prolongements extériorisés des organes biologiques. Cependant, dit Caron, ces avantages n’abolissent aucunement l’éventualité pour le super soldat de devoir affronter la mort, voire de subir des blessures, même « si la menace qu’il présente à la vie de l’ennemi dépassera largement la menace que l’ennemi présente pour sa vie » (p. 27). C’est ce qui conduit l’auteur à formuler sans doute la thèse la plus étonnante de son ouvrage : l’asymétrie militaire créée par l’émergence des super soldats n’est pas moralement questionnable, simplement du fait qu’ils ne seraient jamais vraiment complètement invulnérables. Les trois chapitres suivants examinent les manières d’encadrer la recherche militaire en conciliant, premièrement (chap. 2), l’obligation qui est faite aux armées nationales de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la sécurité de leurs personnels ainsi que celle d’améliorer leurs chances de survie. Les blessures physiques et les chocs psychologiques empêchent souvent les soldats de renouer avec une vie normale après leur retour à la vie civile. Ainsi, ce qui serait immoral pour l’armée serait dans ce cas « de ne pas agir pour limiter ou prévenir une telle situation, alors qu’elle en a les moyens, [cela] équivaudrait à une forme de négligence de la part de l’institution militaire et un manque de respect pour les soldats comme êtres humains ayant le droit de …