Recensions

« Cameroun. L’État stationnaire », Politique africaine, no 150, sous la dir. de Fred Eboko et Patrick Awondo, Paris, Karthala, 2018, 200 p.[Record]

  • Calvin Minfegue

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  • Calvin Minfegue
    Université catholique d’Afrique centrale, Institut des politiques et initiatives sociales (IPIS), Université Grenoble-Alpes, Pacte
    calvin.minfegue-assouga@umrpacte.fr

Le Cameroun a servi au début des années 1980, aux côtés d’autres pays africains, au projet de renouvellement des analyses africanistes dont était porteuse la revue Politique africaine alors naissante. Après les numéros 22 et 62 respectivement dans les années 1980 et au milieu des années 1990, le 150e numéro de la revue est à nouveau consacré au Cameroun. Cette parution offre aux lecteurs une proposition originale visant à rendre intelligible la manière dont l’ordre politique et social camerounais fonctionne. « L’État stationnaire » résume cette ambition. Dès l’introduction, le socio-politiste Fred Eboko et l’anthropologue Patrick Awondo, coordonnateurs du dossier, fournissent des indications conceptuelles et historiques sur leur programme paradigmatique. « L’État stationnaire » apparaît ainsi à l’intersection de trois caractéristiques. C’est, d’abord, un produit historique issu d’un infléchissement du pouvoir de Yaoundé qui a dû faire face, entre 1980 et 1990, à des tentatives de putsch, à une crise économique et à la gestion de la libéralisation de la vie publique. C’est, ensuite, une organisation politique singulière qui génère ou produit « un système d’allégeances clientélistes » avec pour effet la « conservation » ou la « perpétuation » du pouvoir. En tant que tel, l’immobilisme est appréhendé et perçu à la fois comme fondement et effet du système. C’est, enfin, une mécanique qui conjugue une « inertie de l’action publique » et un « contrôle politique » dessinant les contours et le contenu d’une véritable « gouvernance de la neutralisation » (p. 22). Les six contributions qui constituent le dossier s’emploient ainsi à démontrer cette logique stationnaire qui caractérise le fait étatique et politique dans ce pays. Les trois premiers articles privilégient une entrée par les policies en s’intéressant justement aux actions initiées et/ou conduites par l’ordre gouvernant. Le travail de l’État et la mise au travail par celui-ci sont ainsi appréhendés comme étant, avant tout, au service de la stabilité d’un système et de ses acteurs. Les projets dits « structurants », qui doivent permettre au pays de rentrer dans la catégorie fantasmée des pays émergents, font l’objet de « rivalités politiques » et des guerres de positionnement impliquant des acteurs tant nationaux qu’internationaux. C’est le cas du projet de construction du port autonome de Kribi (Gérard Amougou et René Faustin Bobo Bobo, p. 29-51). Des programmes urbains à trame participative sont investis, quant à eux, par un « gouvernement de la suspicion » qui maintient les acteurs associatifs qui y interviennent sous la méfiance des populations tout en les assignant à un régime de surveillance et de contrôle de la part de l’État. Cet état de fait est observable dans la mise en oeuvre, à Yaoundé, du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (Patrick Dieudonné Belinga Ondoua, p. 53-74). Dans la même veine, les réformes publiques sont difficilement réalisées. Elles présentent davantage une consistance dans les discours et pas nécessairement dans une matérialité susceptible d’informer sur des avancées, comme le révèle l’analyse des réformes pénitentiaires (Marie Morelle, Patrick Awondo, Habmo Birwe et Georges Macaire Eyenga, p. 75-96). Les trois dernières contributions s’intéressent, pour leur part, à la politics telle qu’elle se donne à voir. À ce titre, l’accent est d’abord mis sur les technologies par lesquelles la « capture de la démocratisation » est actée au Cameroun depuis 1990. Cette capture est exercée par la capacité du système politique « à canaliser les formes institutionnelles, normatives, transactionnelles et rétributives, coercitives et contraignantes » (Mathias Éric Owona Nguini et Hélène-Laure Menthong, p. 99). Le regard se porte ensuite sur la manière dont le champ politique est clivé. D’une part, s’y déploient des logiques et des actions spécifiques …