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La fiscalité constitue un enjeu incontournable de l’action publique (Bezes et Siné, 2011 : 20). Ainsi, d’un côté, l’État prélève des impôts et des taxes qui sont les ressources indispensables à la mise en oeuvre des politiques publiques dans divers domaines. De l’autre côté, la fiscalité elle-même doit être considérée comme une modalité de politique publique. Sur cette question, Marc Leroy affirme que « la fiscalité se situe au coeur du politique tout en constituant une forme originale d’action publique sur la société » (2010 : 3). La fiscalité et la politique fiscale[2], à l’instar des autres types de politiques publiques, changent au fils du temps pour des raisons variées : politiques, économiques et internationales. À la lumière d’une étude de cas sur les changements de la fiscalité au Brésil, notre but sera ici de répondre à la question : comment peut-on expliquer les processus de changements de la politique fiscale au Brésil par des critères à la fois cognitifs et institutionnels ?

Au Brésil, le système fiscal a changé plusieurs fois au cours des dernières décennies. Pendant la période analysée (1988-2013), nous constatons que, d’abord, les aspects cognitifs du paradigme ont changé, ce qui a entraîné des changements sur le plan institutionnel (Lukic, 2014). Le premier changement de paradigme est apparu lors de la mise en oeuvre de la Constitution de 1988 et du processus de démocratisation : d’un paradigme fiscal centraliste vers un système plus décentralisé qui a donné davantage de pouvoir aux États et aux municipalités. Ensuite, pendant les années 1990, avec le processus d’ouverture économique et la mise en place du modèle néolibéral, le paradigme a incorporé des idées liées à la contrainte budgétaire et à la nécessité d’avoir un équilibre des comptes publics. À la fin de la période étudiée, nous avons constaté un dernier changement de paradigme, avec la notion de compétitivité internationale du pays qui a été mise en pratique par le biais des exemptions fiscales.

Toutefois, malgré ces changements par rapport au critère cognitif de la politique fiscale, le paradigme de cette dernière s’est développé d’une manière différente de ce que la théorie cognitive a prescrit : pas comme des changements radicaux, tel que proposé par Peter A. Hall (1993), mais plutôt d’une façon plus progressive et partielle. Ainsi, l’analyse du changement d’une politique publique basée uniquement sur les critères cognitifs a montré des limites et n’a pas permis d’expliquer le processus qui s’est produit dans le cas de la fiscalité au Brésil ces dernières années. Comment peut-on alors expliquer ces processus de changement de paradigme qui ne sont pas faits d’une manière complète et radicale, mais suivant des modifications partielles et progressives ?

Nous avons trouvé la réponse à cette question dans les approches de l’institutionnalisme historique. Ce cadre analytique propose une théorie beaucoup plus raffinée pour expliquer le changement de politiques publiques en présentant un modèle fondé sur des changements institutionnels graduels (Mahoney et Thelen, 2010). Ainsi, à partir de la théorie développée dans ces études, nous proposons ici d’appliquer le modèle de changement institutionnel graduel aussi aux processus cognitifs avec la notion de changement par « sédimentation cognitive » (cognitive layering). Il s’agit d’incorporer au modèle de changement de paradigmes de politiques publiques décrit par Hall (1993), un type de changement plus graduel et partiel, à la lumière de ce qui a été proposé dans les études de James Mahoney et Kathleen Thelen (2010) dans les cas de changements institutionnels. Nous croyons que la notion de sédimentation cognitive pourra expliquer les processus de changement de la fiscalité au Brésil, ainsi que les changements sur le plan cognitif d’autres politiques publiques.

Il faut aussi prendre en compte que si, d’un côté, les études basées sur le critère institutionnel expliquent le changement progressif et incrémentiel, de l’autre, leur modèle ne considère pas les critères cognitifs – le poids des idées et les discours – comme des variables centrales responsables aussi des changements des politiques publiques. Nous développons dans cet article une vision selon laquelle l’étude des changements de politiques publiques nécessite un lien entre l’analyse des idées et des institutions, par la combinaison de l’approche cognitive et des théories du néo-institutionnalisme. Dans cette démarche, il convient aussi d’établir le type de changement qui apparaît en premier dans une politique publique : les changements d’ordre cognitif entraînent-ils des changements dans le cadre institutionnel, ou est-ce le contraire ? L’étude de cas de la fiscalité au Brésil a montré que ce sont les changements cognitifs – en ce qui concerne les idées – qui apparaissent en premier lieu et qui entraînent des changements dans les institutions.

Dans une première partie, nous ferons une synthèse du modèle de changement des paradigmes proposé par Hall (1993) pour ensuite présenter les limites et les critiques de cette théorie ainsi que les propositions qui ont été faites pour dépasser ces limites. À la fin de cette partie, nous développerons la notion de changement par sédimentation cognitive à la lumière du modèle de changement institutionnel décrit par Mahoney et Thelen (2010).

Dans la deuxième partie, nous nous attarderons sur l’étude de cas concernant les changements du paradigme de la fiscalité au Brésil. Un premier changement est survenu lors de la Constitution de 1988, mais ce changement était incomplet, puisque quelques composantes du paradigme se sont maintenues, dans un processus de dépendance au sentier. Nous verrons que les changements du contexte économique ont apporté des changements à ce paradigme, en ajoutant des nouvelles idées et des buts à suivre. Un troisième changement, basé sur les idées de compétitivité internationale du pays, a été mis en place par le biais d’exemptions fiscales. Nous verrons que tous ces changements n’ont pas représenté des modifications complètes du paradigme, mais l’incorporation de nouvelles idées et de nouveaux instruments au paradigme existant, ce qui suggère un processus de sédimentation cognitive.

Analyser les changements de la fiscalité à partir des idées et des institutions

Nous développons ici notre objet d’analyse – les changements de la fiscalité brésilienne – à partir de deux dimensions prises en compte par les courants néo-institutionnalistes (Hall et Taylor, 1997) : les idées et les institutions. D’abord, poser le problème de la recherche en termes d’idées permet de « repérer les dimensions cognitives et normatives des processus étudiés » (Palier et Surel, 2005). Il s’agit d’analyser les transformations des paradigmes des politiques suivant des dimensions telles que : les diagnostics des problèmes faits par les acteurs, les valeurs et les objectifs des politiques publiques, les normes de l’action publique, les instruments et les images ou modèles qui sont à la base du paradigme. Nous constatons que l’approche cognitive en ce qui concerne le modèle d’explication des changements de paradigmes a été objet des plusieurs critiques en raison de ses limites. Dans l’étude de cas de la fiscalité brésilienne, cette théorie n’a pas expliqué les processus de changement graduel du paradigme.

Pour cette raison, nous proposons que l’objet d’analyse soit aussi envisagé sous l’angle des dynamiques institutionnelles. À partir de cette variable, nous pouvons voir comment les processus de changements institutionnels progressifs peuvent aussi être appliqués dans le cas des changements cognitifs. Ainsi, à la lumière de ces théories, nous proposons un nouveau type de changement : la « sédimentation cognitive » pour essayer d’expliquer les modifications apparues dans le paradigme de la fiscalité au Brésil.

L’approche cognitive et les changements des politiques publiques

Les changements de la fiscalité au Brésil sont ici abordés théoriquement d’abord à la lumière de l’approche cognitive des politiques publiques. Cette approche « s’efforce de saisir les politiques publiques comme des matrices cognitives et normatives constituant des systèmes d’interprétation du réel, au sein desquels les différents acteurs publics et privés pourront inscrire leur action » (Muller et Surel, 1998 : 47). L’un des courants principaux de l’approche est représenté par les travaux de Peter Hall (1993) et Yves Surel (1995 ; 1997) avec la notion de paradigmes de politiques publiques inspirée par les travaux épistémologiques de Thomas Kuhn (2008). Dans son étude classique sur la politique macroéconomique en Grande-Bretagne, Hall définit un paradigme de politique publique comme un « cadre des idées et des normes qui indique non seulement les buts de la politique publique et du type d’instruments qui peuvent être employés pour les atteindre, mais également la nature même des problèmes auxquels ils sont censés faire face » (1993 : 297). D’ailleurs, dans une réinterprétation du travail de Hall, Pierre-Marc Daigneault (2014 : 461) avance que les paradigmes de politiques publiques ont quatre dimensions fondamentales :

i) les valeurs, hypothèses et principes relatifs à la nature de la réalité, à la justice sociale et au rôle approprié de l’État ; ii) une conception du problème nécessitant une intervention publique ; iii) des idées sur les buts et objectifs politiques à poursuivre ; et iv) des idées sur les « moyens » politiques appropriés pour atteindre ces objectifs (principes de mise en oeuvre, type d’instruments et leur paramétrage).

L’approche basée sur les paradigmes prévoit une partie plus dynamique en termes d’évolution des composantes, de crise et de transformation des paradigmes et, par conséquent, des politiques publiques en soi. Ainsi, les composantes du paradigme évoluent selon trois phases : une période de prépolitique, suivie d’une période de politique publique normale et d’une période de crise. La première phase correspond à l’émergence des problèmes publics[3], avec l’inscription sur l’agenda, et durant laquelle les acteurs concernés sont en concurrence et présentent des définitions et des solutions aux problèmes incompatibles et opposées[4].

Le cas spécifique de l’émergence de la fiscalité en tant que problème public, et son entrée à l’agenda, paraît cependant singulier par rapport aux autres types de politiques publiques. D’abord, parce que la fiscalité est intrinsèque à l’État et fait toujours l’objet de décisions gouvernementales. Nous ne pouvons donc pas dire que son émergence en tant que problème public ait été effectuée par le passage au champ politique. La fiscalité est, par nature, une affaire politique. Nous pouvons plutôt constater un aller-retour de la question sur l’agenda politique, des périodes où la question est plus visible socialement et politiquement. Ainsi, plutôt que d’évoquer une « émergence de la fiscalité », nous devons parler de « retour de la question » dans les débats politiques.

Après l’analyse de l’émergence, suit une période de la « politique publique normale », caractérisée par une stabilité relative durant laquelle un paradigme s’impose et domine le champ de la politique publique. En d’autres termes, c’est une période « relativement calme de fonctionnement du champ social, où les rapports de force, les représentations et les modes opératoires sont partagés et légitimés » (Surel, 1995 : 142). Comme nous le verrons dans la partie suivante, malgré le fait qu’un changement de paradigme soit apparu, la fiscalité au Brésil n’a jamais vu une période de politique normale, puisque ses composantes ont toujours fait l’objet de disputes entre les acteurs concernés.

Enfin, arrive une phase de crise, avec l’épuisement du paradigme dominant, qui n’arrive plus à rendre compte et à expliquer le réel à travers ses composantes. Kuhn (2008 : 83) affirme qu’un changement de paradigme commence par « la conscience d’une anomalie, c’est-à-dire l’impression que la nature, d’une manière ou d’une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale ».

En ce qui concerne les politiques publiques, cette crise du paradigme peut avoir lieu pour diverses raisons, selon les cas, et peut être caractérisée comme un « problème en politique publique » (Surel, 1995 : 142). À ce propos, Hall (1993 : 279) écrit que tandis que les changements de premier et second degrés peuvent être vus comme des « processus qui ajustent la politique publique sans provoquer des limites globales d’un paradigme donné, le changement de troisième ordre, en revanche, est susceptible de refléter un processus très différent, marqué par des changements radicaux dans les termes récurrents du discours de la politique, ce qui est lié à un “décalage de paradigme” ».

Pierre Muller et Yves Surel (1998) définissent la « crise de politiques » comme la « phase de l’action publique au cours de laquelle les représentations dominantes ne parviennent plus à interpréter l’évolution d’un champ social de manière satisfaisante pour les acteurs concernés et, par là même, ne peuvent plus structurer et légitimer avec succès l’action de l’État ». Cette perception de crise et d’anomalie a toujours été présente dans le cas de la fiscalité au Brésil. Des tentatives de réformes fiscales ont été faites pendant toute la période, étant donné que le changement de paradigme n’a pas été complet.

Une des conséquences de cette crise de paradigme est la recherche de nouvelles définitions et de solutions aux problèmes. On revient donc aux mêmes caractéristiques que lors de la première phase, avec une dispute des acteurs autour du nouveau paradigme qui légitimera la structuration d’un secteur. Cette phase donne lieu à un changement dans la politique publique, à partir du moment où la perte des référents légitimes entraîne la formulation des paradigmes concurrents portés par les acteurs en conflit. Cette situation a pour conséquence la formation d’un accord entre eux autour du paradigme qui va finalement structurer la politique publique. Le paradigme passe, enfin, à une nouvelle période de stabilisation du champ cognitif et du système d’acteurs (Surel, 1995 : 143).

En résumé, le mouvement d’un paradigme à l’autre, comme le suggère Kuhn (2008), peut comporter une accumulation d’anomalies, suivie de l’expérimentation de nouvelles formes de résolution des problèmes qui, à leur tour, peuvent mener à l’échec, ou non. Ces échecs peuvent précipiter le changement de l’autorité gouvernante et amener au conflit entre les paradigmes de concurrence au-delà des frontières de l’État, dans une arène politique plus large. Cette concurrence s’amoindrira seulement lorsque les défenseurs d’un nouveau paradigme établiront leur position d’autorité à la tête de l’élaboration de la politique et pourront restructurer l’organisation et les procédures habituelles du processus de la politique afin d’institutionnaliser le nouveau paradigme (Hall, 1993 : 280-281).

Ainsi, le modèle proposé par la théorie cognitive propose un changement radical et définitif du paradigme des politiques publiques. Pour cette raison, cette approche a été au centre de plusieurs critiques, comme nous le démontrerons dans la suite de l’article. En ce qui concerne l’analyse empirique de cette théorie, nous allons voir qu’on ne peut pas percevoir les dynamiques de ce modèle dans le cas des changements de la fiscalité au Brésil mais, au contraire, des changements cognitifs plutôt ponctuels et cumulatifs. Ces constats – sur les plans théoriques et empiriques – renforcent l’idée de la nécessité de construire un nouveau cadre pour analyser les changements d’ordre cognitif.

Les limites de l’approche cognitive et les propositions de changement graduel des idées

Plusieurs critiques ont été adressées à la manière dont le changement des politiques publiques a été proposé par la théorie cognitive. D’abord, Patrick Hassenteufel (2008 : 228) a relevé un élément qui n’a pas été pris en compte dans les analyses de Hall. Il s’agit des règles (du jeu) institutionnelles, élément qui « concerne les règles régissant les interactions entre acteurs, elle [sic] a donc des effets sur les recours aux instruments de politiques publiques […], sur les acteurs […] et sur la formulation des objectifs ».

John Hogan et Michael Howlett (2015 : 11) ont pour leur part souligné que le paradigme est à la fois le modèle qui structure les solutions des problèmes et la définition de ces problèmes, ce qui fait qu’il influence la mise en place des politiques publiques, et vice versa. Pour cette raison, selon eux, il est important de savoir si le « changement et le développement paradigmatiques résultent d’une enquête technique ou objective sur les causes des échecs politiques et combien ils sont des résultats d’efforts moins précis de résolution de problèmes ». Dans la même optique, Martin Carstensen (2011) a qualifié ce phénomène de « bricolage de politiques publiques », c’est-à-dire, un processus discursif de construction de paradigmes caractérisé par des essais et des erreurs.

Une autre question que Hogan et Howlett (2015 : 11) ont soulevée touche la vitesse et le modèle de changement ; ils citent quelques auteurs, tels James Mahoney et Kathleen Thelen (2010) ou Wolfgang Streeck et Kathleen Thelen (2005), qui proposent des modèles de changement plus progressifs et graduels. Selon Hogan et Howlett (2015 : 11), « Au fil du temps, les petits changements aux objectifs et aux idées qui sous-tendent le paradigme peuvent s’accumuler et entraîner une transformation (un phénomène qui, lorsque précis, présente un modèle très différent de paradigmes et de changements paradigmatiques de ce qu’on trouve souvent dans la littérature sur le sujet). » La critique sur la façon dont les changements sont expliqués dans la théorie de Hall est aussi mentionnée par Mark M. Blyth (2013 : 19), qui s’est préoccupé du fait « que les changements de paradigmes sont des questions de “tout ou rien” – et que l’un échoue pendant qu’un autre entre après avoir attendu dans les coulisses ».

Une dernière critique, très importante pour notre étude de cas, porte sur l’(in)commensurabilité : selon les auteurs de la théorie cognitive, les idées, dans un paradigme donné, « devrai[en]t être incompatible[s] avec celles trouvées dans un autre paradigme » (Hogan et Howlett, 2015 : 12). Cela est important, puisque la notion d’incommensurabilité de ces théories exclut la possibilité de changement graduel, comme le remarquent Sebastiaan Princen et Paul ’t Hart (2014 : 471). Hogan et Howlett (2015 : 12) affirment ainsi que « Si les idées politiques ne sont pas incommensurables mais plutôt, par exemple, se complètent ou se renforcent mutuellement, alors les changements entre les idées peuvent être incrémentiels ou prendre une autre voie. »

Daigneault (2014 : 468) a aussi formulé des critiques et présenté des propositions pour améliorer la rigueur et la validité des études consacrées aux paradigmes politiques. D’abord, celui-ci a souligné le problème des « jumeaux siamois » selon lequel la caractérisation des paradigmes politiques faite par Hall semble très similaire à la composante des idées des politiques publiques. Pour cette raison, « le point auquel un paradigme prend fin et où une politique publique réelle commence est flou, empêchant une analyse crédible du rôle des idées dans la formation de la politique publique ». Un autre problème soulevé par Daigneault est que les études empiriques des changements de paradigme négligent souvent les idées normatives et cognitives des acteurs au profit de celles révélées dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

De la même manière que les études décrites ci-dessus, nous avons trouvé des limites dans l’approche de Hall en analysant le cas de la fiscalité au Brésil, parce que son modèle n’explique pas les changements graduels et partiels, qui, à la fin, entraînent eux aussi des changements dans le paradigme de la politique publique. Pour cette raison, nous avons pris en compte le modèle de changement par sédimentation présenté dans les théories institutionnalistes pour essayer d’expliquer ces processus de changements qui ne sont pas faits d’une manière ponctuelle et radicale, selon ce que nous verrons ci-dessus.

Notons toutefois que d’autres études ont déjà proposé que le processus de changement des idées des politiques publiques serait plutôt graduel. William D. Coleman, Grade D. Skogstad et Michael M. Atkinson (1996) ont proposé une alternative à la version de Hall pour expliquer ces changements. Selon eux, la transition de paradigme est beaucoup plus graduelle et il n’est pas nécessaire que des changements institutionnels significatifs précèdent un changement de politique. Ils croient qu’« au sein des institutions, une distribution de pouvoir permet aux acteurs de comprendre les conséquences des politiques publiques et de visualiser les paradigmes de politique alternatifs ». Ce phénomène conduit « à un ajustement et un changement de politique planifié qui constitue finalement un changement de paradigme » (Coleman et al., 1996 : 275). Les auteurs proposent donc un modèle plus délibéré de changement, selon une « trajectoire qui comporte une série de modifications mieux gérées, planifiées, voire anticipatrices, qui sont négociées entre les acteurs étatiques et les représentants des groupes autour d’un nouvel ensemble de principes de base » (ibid. : 297). Le changement proposé par ces auteurs est donc progressif et résulte des négociations menées au sein des réseaux dépolitisés des politiques publiques qui façonnent les règles décisionnelles ainsi que le style qui entraînent le changement de la politique.

Carstensen (2011 : 597) a aussi démontré les limites des théories institutionnalistes et idéationnelles qui « concentrent la plupart de leurs efforts sur l’effet stabilisateur des institutions et des idées, respectivement, et à leur tour négligent largement la tâche de développer des théories qui tiennent compte de changements progressifs mais transformatifs en période de stabilité générale ». Pour cet auteur, même si les idées sont importantes en période de crise, il faut aussi prendre en compte la possibilité de tels changements pendant les périodes de stabilité, bien qu’il soit plus difficile de le mesurer (ibid. : 599). Carstensen propose donc deux types de changement graduel au niveau des idées : « premièrement, une modification de la relation entre éléments existants d’une idée, ce qui signifie que ces éléments demeurent constants, mais leur importance relative change ; deuxièmement, un changement dans la composition des éléments d’une idée, où l’introduction d’un ou plusieurs nouveaux éléments de sens dans l’idée en modifie sensiblement le sens » (ibid. : 606).

Les théories qui proposent d’expliquer le changement d’un paradigme des politiques publiques d’une façon plus graduelle s’appuient sur des critères exclusivement cognitifs. Au contraire, notre proposition ici est fondée sur l’utilisation des théories institutionnelles qui expliquent les changements sur le plan institutionnel d’une façon graduelle. Autrement dit, nous proposons d’utiliser le cadre théorique des changements graduels des institutions au niveau des idées d’un paradigme de politique publique.

La nécessité de prendre en compte le modèle des théories institutionnelles pour expliquer les changements cognitifs

Pour étudier la question du changement du paradigme de la fiscalité et essayer de surmonter les limites qui découlent du cadre analytique des théories cognitives, les analyses menées à partir de la dimension des institutions sont importantes pour comprendre les processus de changement des politiques publiques. Analyser ces changements par le biais des analyses institutionnelles nous permet de compléter les parties manquantes des analyses cognitives et aussi de les développer, notamment en ce qui concerne l’étude des processus de changements des politiques publiques.

Pour cette démarche, il est important de mentionner d’abord les analyses de Paul Pierson (2000 : 252), qui a développé le concept de path dependence (dépendance au sentier) à partir de l’étude des « processus de retours croissants » (increasing returns process) définis comme des processus d’autorenforcement ou de rétroaction positive (positive feedback process). Autrement dit, cette notion correspond à un « processus d’autorenforcement d’un choix initial dont l’irréversibilité croît avec le temps » et permet « d’expliquer le caractère contraint des choix présents », puisque le domaine du possible est déterminé par l’existant (Hassenteufel, 2008 : 242)[5].

Toutefois, bien que les travaux théoriques centrés sur le concept de dépendance au sentier aient apporté une plus grande précision aux formulations en termes de « point de bifurcation » (critical junctures) et de « trajectoires historiques et des effets de rétroaction », ils ont tendance à produire une séparation plutôt stricte des questions qui ont trait à l’innovation et à la reproduction institutionnelles. C’est-à-dire que lorsque ces théories, telle l’approche proposée par Hall (1993), centrent leur analyse sur le modèle d’équilibre ponctué et l’ouverture de « fenêtres » où des innovations donnent lieu à des périodes de stagnation institutionnelle ou de verrouillage, le résultat est de croire qu’« une fois créées, les institutions soit persistent, soit s’effondrent quand surviennent certains chocs exogènes » (Thelen, 2003). Autrement dit, face à des chocs exogènes, l’idée de la littérature sur la dépendance au sentier semble être que « les institutions perdurent et deviennent de plus en plus enracinées ou alors elles sont abandonnées » (ibid.).

Devant ces limites, qui sont les mêmes qu’on peut soulever quant à l’approche cognitive de Hall (1993), Thelen (2003) suggère une analyse de la persistance institutionnelle au-delà des effets de rendements croissants, pour prendre en compte la logique de l’évolution et du changement institutionnels, à savoir : une étude plus profonde de « l’effet cumulatif de changements continus mais subtils des arrangements institutionnels qui persistent pendant des périodes étendues ». Selon Thelen (2003 : 213), en fait, « de nombreuses institutions politiques sont intéressantes à étudier, précisément parce qu’en les observant aujourd’hui on est frappé de voir comment elles ont peu évolué dans le temps, mais en même temps beaucoup ». C’est cette survie combinée à des éléments de transformation institutionnelle qui fait en sorte que l’institution reste compatible avec les conditions économiques, politiques et sociales changeantes. Ainsi, Thelen complète les analyses de dépendance au sentier et les modèles d’équilibre ponctué avec d’autres outils conceptuels prenant en compte la logique de l’évolution et du changement institutionnels : des phénomènes de sédimentation et de conversion. Ces outils incorporent les éléments de la dépendance au sentier dans une analyse de la contestation politique des effets des institutions et permettent de comprendre « les processus à travers lesquels les arrangements institutionnels sont renégociés périodiquement d’une façon qui altère leur forme et leurs fonctions » (ibid. : 213)[6].

Le point central de l’approche de Thelen est que la continuité institutionnelle ne dépend pas seulement d’un effet de rétroaction positive, mais aussi des processus de transformation institutionnelle avec l’intégration de nouveaux acteurs et l’adaptation à un contexte économique et politique changeant.

Dans un autre ouvrage, Mahoney et Thelen (2010) développent avec plus de profondeur l’idée selon laquelle « les institutions changent souvent de façon subtile et progressive au fil du temps ». Ces changements apportent, comme dans les cas des transformations brusques et profondes, des conséquences pour la détermination du comportement humain et des résultats politiques importants. Selon ces auteurs, tandis que la majeure partie de la littérature sur les changements institutionnels met l’accent sur les chocs exogènes qui engendrent des reconfigurations institutionnelles radicales, il est vraiment important d’analyser les changements en raison des développements endogènes qui souvent se déroulent de façon incrémentielle (ibid.).

À partir de ces considérations, Mahoney et Thelen (2010) proposent un nouveau cadre pour identifier et expliquer les types de changement institutionnel basé sur les caractéristiques de l’institution en question et le contexte politique. En partant du schéma développé par Thelen (2003) et Streeck et Thelen (2005), ils présentent quatre types de changement : déplacement (displacement), sédimentation (layering), dérive (drift) et conversion (conversion). Les deux premiers types sont les plus importants pour l’analyse développée ici. Le premier cas de figure, le « déplacement », est présent lorsque les règles existantes sont remplacées par de nouvelles. Ce type de changement est souvent brusque et radical, mais ce peut être également un processus lent. « Cela peut se produire lorsque de nouvelles institutions sont introduites et font concurrence directement à un ensemble d’institutions anciennes (plutôt que de les compléter). Les nouvelles institutions sont souvent introduites par des acteurs qui étaient les “perdants” sous l’ancien régime » (ibid.). Si nous faisons une comparaison, ce type de changement est similaire au cadre théorique proposé dans la théorie cognitive : un changement radical et abrupt des composantes du paradigme.

Dans le deuxième type de changement, la « sédimentation institutionnelle », il s’agit de renégocier partiellement quelques éléments d’une institution donnée en laissant tous les autres inchangés. Il y a sédimentation institutionnelle lorsque des éléments de verrouillage et d’innovation sont combinés : les institutions sont maintenues, mais elles subissent des modifications dans quelques-unes de leurs composantes, afin de s’adapter au nouveau contexte économique ou politique ou encore en raison d’une nouvelle distribution de pouvoir entre les acteurs (Thelen, 2003). Au contraire du « déplacement », ce cas « n’introduit pas complètement de nouvelles institutions ou règles, mais consiste plutôt en des modifications, des révisions ou des ajouts à celles qui existent déjà » (Mahoney et Thelen, 2010). Ce processus a souvent lieu quand les acteurs en jeu n’ont pas la capacité de modifier les règles d’origine ou de mettre en place un nouveau système pour remplacer celui en vigueur. Au lieu de cela, ces acteurs « travaillent au sein du système existant en ajoutant de nouvelles règles en bas ou à côté des “anciennes” » (ibid.). Si les défenseurs du statu quo arrivent à préserver le système en place, ils ne sont pas capables toutefois d’empêcher l’introduction de ces modifications qui, même mineures, peuvent s’accumuler et mener à un grand changement à long terme (ibid.)[7].

C’est ce deuxième type de changement que nous proposons d’intégrer aussi dans le cas des changements sur le plan cognitif dans une démarche de sédimentation cognitive. C’est dire que, comme dans les changements institutionnels, sur le plan cognitif on peut aussi avoir des modifications graduelles et partielles, qui peuvent à leur tour aussi être considérées comme des changements dans les paradigmes. Autrement dit, pour que le paradigme change, nul besoin que cela se fasse exclusivement par le biais d’un changement radical et abrupt, tel que proposé jusqu’à maintenant par la théorie cognitive de Hall. À partir de l’étude de cas que nous allons décrire ci-dessous, nous démontrerons que les changements des idées sur lesquelles le paradigme est basé peuvent apporter des modifications partielles et graduelles dans la politique publique sans que cela signifie un processus de remplacement d’un paradigme par un autre.

Les processus de changements du paradigme de la fiscalité au Brésil

Les grilles proposées par les approches cognitives et institutionnelles nous permettront d’analyser les changements apparus dans la fiscalité pendant la période 1988-2010. D’abord, nous avons observé des changements sur le plan cognitif, à travers une série de modifications de l’orientation de la politique publique : avec la Constitution de 1988, par la décentralisation du pouvoir fiscal ; à partir des années 1990, avec l’impératif de stabilisation économique et d’ajustement des finances publiques ; et à partir du deuxième mandat du président Luiz Inácio Lula da Silva, lorsque la politique fiscale était censée répondre aux nécessités de développement du pays (Lukic, 2014). Ces modifications sur le plan cognitif ne sont pas complètes – elles ne reflètent pas un processus de changement radical du paradigme ni n’entraînent par la suite une période de politique normale –, mais représentent surtout des processus de changements plus graduels. Il est important de noter que les changements en matière de politique fiscale peuvent parfois accompagner les mouvements de centralisation et de décentralisation associés au fédéralisme, tel que démontré durant la première période, et aussi les changements dans le paradigme économique général, comme dans les périodes subséquentes. Toutefois, cela ne signifie pas trois niveaux d’analyse différents et séparés. L’articulation entre ces différents champs (fédéralisme et politique économique) s’explique dans la mesure où ils influencent et déterminent les changements dans la politique fiscale du pays.

Ces changements dans les niveaux cognitifs du paradigme entraînent la mise en place de changements au niveau des institutions et des instruments : augmentation des compétences et des recettes fiscales vers les États et les municipalités en 1988 ; Loi Kandir et Loi de responsabilité budgétaire ensuite ; mise en oeuvre des exemptions fiscales à partir de 2006. Ainsi, par rapport à l’objet de cette recherche, plusieurs questions générales ont guidé notre réflexion. Quels ont été les enjeux des processus de changement des paradigmes de la fiscalité ? Comment les paradigmes sont-ils nés et quels ont été les enjeux de leur mise en oeuvre ? Comment ces changements de paradigmes ont-ils entraîné des changements d’ordre institutionnel ? Quel type de processus ces changements ont-ils suivi ?

Du paradigme centraliste vers une décentralisation de la fiscalité

Un premier changement dans le paradigme de la fiscalité au Brésil est apparu lors de la Constitution de 1988. Avant cette modification, le pays avait connu une première cristallisation des normes fiscales dans les années 1960, autour de l’idée de centralisation du pouvoir. Il s’agit du paradigme « centraliste » construit dans le contexte du régime autoritaire et basé sur la centralisation des compétences et des recettes aux mains du pouvoir central.

La matrice cognitive et normative (Muller et Surel, 1998) du paradigme de 1965 était formée par des principes généraux et abstraits liés au contexte politique autoritaire de l’époque : centralisation du pouvoir aux mains de l’Union, par la limitation du pouvoir politique et les ressources des unités fédérales. La nécessité de promouvoir le développement du pays a aussi constitué un principe général du gouvernement autoritaire. Ces principes ont été mise en place suivant celui spécifique de la centralisation du pouvoir fiscal, et par des instruments tels que la centralisation des compétences pour créer et prélever les impôts, ainsi que la centralisation des recettes fiscales.

Cette première conception cohérente de la fiscalité a été remplacée en 1988 par le processus de l’Assemblée constituante, dans le contexte du retour à la démocratie. Ce nouveau paradigme « décentraliste », né à partir des défaillances du paradigme antérieur, prônait une décentralisation envers les États et les municipalités. La fiscalité est devenue particulièrement importante à partir de la chute de la dictature, période marquée par une reconfiguration complète de l’État, de ses fonctions sociales, de son rôle dans l’économie. Avec le retour à la démocratie, l’État a gagné des nouvelles attributions et d’autres acteurs de la Fédération – les municipalités et les États – ont commencé à demander une participation accrue à toutes les échelles de pouvoir, parmi lesquelles la fiscalité. Si la préoccupation des gouvernements concernait jusque-là la concentration du pouvoir, le développement et la croissance économique rapides (voire le miracle économique mené pendant les années 1970), avec l’essor de la démocratie, les soucis principaux sont alors la décentralisation du pouvoir ainsi que le développement social du pays. Dans ce contexte, des changements relatifs à la fiscalité se sont avérés nécessaires afin de répondre aux besoins de ce nouvel État. Si la fiscalité était jusque-là un des piliers de l’État autoritaire privilégiant la centralisation et le développement économique, il fallait dorénavant adapter la fiscalité à l’esprit de cet État renouvelé.

Des mesures de décentralisation ont été prises avant même 1988 par la modification des instruments institutionnels (Abrúcio, 1994) (augmentation des pourcentages des transferts vers les États et les municipalités par l’amendement Passos Porto) et peuvent être considérées à la fois comme des « changements de premier ordre » (Hall, 1993) et des processus de « sédimentation institutionnelle » (Mahoney et Thelen, 2010). Ces mesures ont introduit de nouvelles règles dans le paradigme, sans modifier complètement celles qui prévalaient jusque-là. Toutefois, c’est dans le contexte des discussions de la nouvelle Constitution que le problème a émergé, a été ajouté à l’agenda, et où la demande des changements par les acteurs est devenue plus forte et plus visible.

À ce moment, donc, des acteurs sont apparus sur la scène fiscale pour demander des changements dans le paradigme. Les acteurs les plus visibles dans le débat ont été les unités de la Fédération qui se sont regroupées autour des coalitions. Les discussions autour des municipalités étaient centrées, d’une part, sur la nécessité d’augmenter leur pouvoir fiscal étant donné leur proximité avec les citoyens et, d’autre part, sur des questions liées à leur capacité administrative de prélever les impôts. Le groupe des États, à son tour, était divisé entre les intérêts et les revendications des États du nord, du nord-est et du centre, les plus pauvres du Brésil, et ceux du sud et du sud-est, les plus riches et les plus développés. Ainsi, les questions les plus visibles tournaient autour de l’autonomie financière et de l’inégalité entre les régions. Ces problèmes renvoient aux intérêts liés à la « capacité de l’État » et à la réussite politique (Geddes, 1994), puisqu’il s’agit des revendications pour obtenir davantage de ressources qui permettraient de mettre en oeuvre les responsabilités de chaque acteur.

Divers projets ont ensuite été à la base de la construction des normes concernant la fiscalité pendant le débat autour de la nouvelle Constitution. L’esquisse du projet final s’est établie dans les premières phases de discussion au sein de la Constituante (Sous-commission et Commission des affaires fiscales). Il est important de souligner que pendant ces étapes, l’Union n’était pas présente dans les débats, ce qui a contribué à créer un contexte où son pouvoir de véto était faible et s’est soldé par une diminution sensible tant de son pouvoir que de ses recettes. Ainsi, grâce à l’alliance forgée entre les coalitions des États et des municipalités, la décentralisation du pouvoir fiscal vers ces acteurs a été possible. L’accord reposait surtout sur le refus de créer un impôt sur la valeur ajoutée (IVA) et sur les pourcentages de distribution des recettes vers les fonds de participation. Ainsi, pendant le processus de discussion au sein de la Constituante, la nécessité de négociation et de consensus entre les coalitions des États autour des changements suggère une dynamique de « consensus ambigu », tel que défini par Bruno Palier (2003). Autrement dit, un consensus large a dû s’établir pour l’adoption et l’approbation des changements souhaitables. Le bricolage d’intérêts contradictoires présents dans les dispositions de la nouvelle Constitution montre la polysémie nécessaire pour mettre en oeuvre les changements dans le paradigme de la fiscalité.

En ce qui concerne le cadre institutionnel, le système qui a été établi par la Constitution de 1988 a apporté à la fois des changements importants et la continuité des quelques composantes du paradigme centraliste précédent. Au chapitre des changements, la Constitution a promu une redistribution du pouvoir fiscal entre les parties de la Fédération, par une décentralisation des compétences et des recettes fiscales. Au sujet de ces règles, nous pouvons dire qu’il s’agit d’un changement de type « déplacement », selon le modèle de Mahoney et Thelen (2010), dans la mesure où de nouvelles règles ont remplacé les anciennes.

Toutefois, il est important de souligner que le paradigme centraliste n’a pas été complètement changé puisque quelques composantes ont été maintenues dans la Constitution de 1988. Cette continuité concerne en particulier la continuation du système de prélèvement de l’impôt sur la circulation des marchandises (ICMS) au détriment de l’adoption d’un système d’impôt sur la consommation basé sur le modèle de l’impôt sur la valeur ajoutée (IVA), tel que défendu dans certaines propositions. Ainsi, le refus de changements plus importants à propos de l’ICMS par les deux coalitions des États indique un processus de dépendance au sentier selon le concept de Pierson (2000), à savoir la préférence pour des petits changements liés à l’expérience passée. Puisque l’adoption de l’IVA aurait beaucoup changé le système en place, et que les résultats n’étaient guère prévisibles, les acteurs ont préféré procéder à des ajustements ponctuels.

Par rapport au premier changement du paradigme de la fiscalité, la conclusion est que le changement de paradigme qui a eu lieu en 1988 n’a jamais été complet tel que le proposent les approches cognitives. Les caractéristiques centrales du nouveau paradigme sont la décentralisation des compétences et des recettes fiscales et, d’une façon plus faible, une préoccupation pour les limites du pouvoir fiscal et les garanties des contribuables. Toutefois, des mesures importantes – notamment l’adoption de l’IVA et le prélèvement à la destination – suggérées par certains acteurs n’ont pas été retenues dans le nouveau paradigme, en raison du conflit qui s’est installé entre les différentes coalitions. Ces mesures n’ont pas été supprimées de l’agenda politique et ont continué d’être au coeur des revendications de réforme qui sont apparues, juste après le début de la mise en oeuvre du modèle de 1988. Autrement dit, la fiscalité au Brésil n’est pas entrée dans une période de « politique normale » avec la sédimentation des composantes, parce que, d’une part, des questions qui sont toujours au centre des discussions, tel l’ICMS, n’ont jusqu’à maintenant pas été résolues et, d’autre part, de nouveaux problèmes ont émergé juste après son entrée en vigueur. En outre, nous allons voir que par la suite de nouvelles idées ont émergé et se sont ajoutées au paradigme de la fiscalité, ce qui a résulté en la nécessité de faire des ajustements institutionnels. Ce processus peut être décrit comme un changement du type sédimentation cognitif.

Les changements du contexte économique et les nouvelles idées autour de la fiscalité

La mise en oeuvre du paradigme de la fiscalité de 1988 a entraîné un deuxième changement d’ordre cognitif et a été marquée, dans les années 1990, par un mouvement de libéralisation de l’économie dans lequel les organismes internationaux ont occupé une place centrale. À la suite de la « décennie perdue » (années 1980) marquée par une profonde crise économique, des ensembles de réformes ont été recommandés par les organismes internationaux (Fonds monétaire international et Banque mondiale) aux États latino-américains surendettés. Ces mesures préconisaient presque toutes une stricte discipline budgétaire pour résoudre la crise de la dette accompagnée de récession et d’hyperinflation. Ainsi, l’intervention fiscale, par la proposition de réformes fiscales, constitue l’une des mesures phares de la relance.

Au Brésil, l’ouverture de l’économie, les privatisations, l’adoption d’une nouvelle monnaie et les accords avec le Fonds monétaire en contexte de crise mondiale ont influencé la mise en oeuvre du paradigme de la fiscalité, dans le sens de la nécessité de réduire les dépenses et d’augmenter les recettes fiscales pour réaliser des excédents budgétaires. Si, en 1988, les buts du nouveau paradigme étaient la décentralisation des pouvoirs et des recettes, maintenant la fiscalité est entièrement tournée vers la stabilisation économique et l’ajustement des comptes publics. Ces nouvelles idées ont été mises en place par un processus qu’on appelle de « sédimentation cognitive », c’est-à-dire l’émergence de nouvelles idées qui s’ajoutent aux anciennes et deviennent la base du paradigme de la fiscalité. Ces nouvelles idées ont entraîné le besoin de faire des ajustements d’ordre institutionnel (dans un processus de sédimentation institutionnel) afin que la fiscalité s’ajuste aux changements cognitifs.

Ainsi, au cours de la mise en oeuvre du paradigme de 1988, une conjonction de facteurs est apparue et a déterminé : 1) la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles qui a eu des conséquences notamment pour l’Union fédérale (étant donné l’augmentation des dépenses publiques et la diminution des recettes à son égard) ; 2) le contexte économique du Brésil à partir des années 1990, avec la nécessité accrue de stabiliser l’économie et d’ajuster les comptes publics pour maintenir les excédents budgétaires. La conjonction de ces éléments a eu pour effet, d’une part, la recentralisation du pouvoir fiscal entre les mains de l’Union et, d’autre part, l’augmentation croissante de la charge fiscale depuis le début des années 1990 – par le biais de nouveaux impôts et « contributions », d’où un alourdissement des charges pour les contribuables et les entreprises.

En outre, pour atteindre les objectifs de cette nouvelle phase, des changements institutionnels ont été effectués. Par exemple l’adoption de la Loi Kandir – qui a limité le pouvoir fiscal des États concernant leurs impôts en vue de faciliter la mise en oeuvre de l’ouverture économique du pays – et de la Loi de responsabilité budgétaire – qui a imposé des limites aux entités de la Fédération pour un meilleur contrôle budgétaire. Mais la nécessité d’ajuster les politiques publiques a empêché aussi des changements plus importants dans le domaine, telle la réforme fiscale proposée sous le gouvernement de Fernande Henrique Cardoso, puisque l’approbation de cette réforme aurait pu avoir des conséquences sur les finances publiques.

Tout comme pendant l’Assemblée constituante, les propositions de création d’un IVA et de nouveaux critères de répartition des recettes par les fonds occupent, à nouveau, le centre des discussions. Autrement dit, ces propositions – qui n’ont pas été adoptées au moment de la Constitution – ont été reprises juste après, dans le but alors de faire face aux problèmes liés à l’ouverture du marché et aux désajustements des finances publiques.

Toutefois, même sans l’approbation de la réforme fiscale et devant la nécessité de mettre en place des mesures pour garantir cette stabilité budgétaire, le gouvernement fédéral a procédé à des changements ponctuels de certains instruments, dans une logique de « sédimentation institutionnelle » du système en vue de l’adapter à ses intérêts et aux nouvelles idées touchant la fiscalité (Mahoney et Thelen, 2010). Ces changements concernaient des mesures pour garantir le niveau de recettes fiscales, telles que le maintien de la contribution provisoire sur les transactions financières (CPMF), la création d’une nouvelle contribution sociale sur les carburants et la mini réforme fiscale concernant les contributions PIS/Cofins. Nous pouvons donc constater deux processus simultanés. Le premier est un processus de dépendance au sentier, puisque la proposition de réforme présentée à cette époque n’a pas été approuvée du fait que certains États ne voulaient pas de modifications du statu quo de 1988 et aussi que l’Union – en raison des incertitudes de la réforme et du contexte de crise – ne pouvait pas mettre la stabilité budgétaire en péril. Le deuxième processus est la mise en place par l’Union des changements concernant les instruments, dans une logique de sédimentation institutionnelle, afin de faire les modifications nécessaires pour garantir la stabilité et adapter le système aux changements sur le plan cognitif (les nouvelles idées à la base du paradigme).

Avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Lula, la même logique a perduré, au moins dans un premier temps. Eu égard au contexte économique et aux engagements pris auprès des organismes internationaux, Lula a poursuivi la politique fiscale précédente et a garanti le respect des accords avec les organisations internationales conclus par le président Cardoso. Ainsi, le début de son gouvernement a fortement été marqué par un processus de dépendance au sentier, à savoir : continuation de la politique fiscale en vue de maintenir et d’approfondir les processus de stabilisation et l’ajustement des finances publiques. Pour garantir ces conquêtes, il a pris des mesures visant à augmenter les recettes fiscales : par exemple, hausse ou création de certaines contributions. Ces petits changements peuvent eux aussi être vus comme des modifications graduelles et des changements d’instruments selon la logique de sédimentation (Mahoney et Thelen, 2010) afin de préserver le degré de stabilisation conquis.

Outre ces mesures, et dans la ligne de ses promesses électorales, pour satisfaire aux demandes des acteurs tout en maintenant la stabilité des finances publiques, le président Lula a présenté une proposition de réforme fiscale (PEC no 41/03 ; Brasil, 2003), timide au regard des discussions précédentes. Le projet ne proposait pas un changement profond du système (comme la création d’un IVA), mais plutôt des mesures à court terme pour répondre aux impératifs de stabilisation et d’ajustement. Ainsi, nous pouvons conclure que la nécessité de poursuivre les politiques menées jusqu’alors a limité l’ampleur de la réforme proposée par le gouvernement. Une telle stratégie s’explique, d’abord, par le fait qu’une réforme plus ambitieuse aurait suscité un conflit plus important et, par conséquent, une probable paralysie des décisions ; ensuite, par la nécessité d’approuver des mesures à court terme afin de régler des problèmes immédiats.

Le premier mandat de Lula semble donc avoir suivi un processus d’apprentissage du gouvernement concernant la prise de décision. Les conflits que le sujet soulevait à chaque fois qu’il était discuté ont eu pour effet de limiter le projet de réforme fiscale et de s’assurer que les questions soient analysées d’une façon ponctuelle. Devant l’impossibilité de regrouper tous les intérêts dans un consensus, même « ambigu », la stratégie a consisté à retirer les points les plus polémiques du projet pour que les questions plus urgentes puissent être approuvées. Cette stratégie, en diminuant le pouvoir de véto, a permis l’approbation des changements, même ponctuels, proposés.

Nous pouvons observer de cette manière que le paradigme de la fiscalité s’est modifié durant cette période par des processus de sédimentation à la fois cognitive et institutionnelle, vers une recentralisation autour du gouvernement fédéral et basée sur un impératif de stabilisation économique et budgétaire. Ainsi, nous n’avons pas constaté un changement radical et un remplacement complet d’un paradigme par un autre, mais plutôt un changement graduel des idées – un processus de sédimentation cognitive. Par ailleurs, face au dilemme du contexte de l’époque, le système de 1988 a commencé à montrer ses limites dès le début des années 1990. Puisque la fiscalité était encore perçue comme un problème public et était encore à l’agenda, nous pouvons conclure – au contraire du schéma de Hall (1993) – que cette politique n’est même pas entrée dans une période « normale » et que les modifications institutionnelles apparues en 1998 ont fait émerger de nouveaux conflits.

La compétitivité internationale : nouveau paradigme de la fiscalité au Brésil ?

Après la période où la stabilisation et l’ajustement budgétaire ont déterminé des changements à la fois cognitifs et institutionnels dans le paradigme de 1988, un nouveau tournant dans les objectifs de la politique publique en matière de fiscalité s’est amorcé. Avec la deuxième élection de Lula et après que la stabilisation économique et budgétaire ait été achevée, le souci de se doter d’un système efficace et d’avoir une compétitivité internationale est devenu l’objectif principal dans la mise en oeuvre de la politique fiscale. Le Brésil est alors passé à un modèle de politique fiscale « développementaliste[8] » (Barbosa et al., 2010).

Ces nouvelles idées par rapport au modèle économique apportent des changements aussi dans la fiscalité au Brésil. Ainsi, à partir du deuxième mandat du président Lula, un nouveau tournant dans la politique fiscale a été amorcé en vue d’augmenter la croissance économique et la compétitivité internationale, ce qui a insufflé de nouveaux changements à la fois dans l’orientation et les instruments du paradigme – par un processus de sédimentation cognitive –, mais aussi des modifications institutionnelles.

L’épuisement du paradigme néolibéral, caractérisé par les excédents primaires réalisés notamment par l’augmentation des impôts, a contribué à l’émergence d’un paradigme « développementaliste » de la politique économique à la fin de l’année 2005. Selon ce paradigme, il fallait adopter des mesures de relance fiscale et monétaire pour accélérer la croissance et augmenter le potentiel de production de l’économie – tout en veillant à diminuer les inégalités sociales et à développer les investissements publics.

Sur le plan institutionnel de la fiscalité, ce nouveau paradigme prévoyait la mise en oeuvre des réductions et de l’exonération d’impôts pour stimuler l’investissement privé ainsi que la consommation. Ce processus marque un changement des principes généraux et de l’orientation de l’action publique (Hassenteufel, 2008) : si, depuis les années 1990, l’austérité budgétaire était au centre de la politique fiscale, à la fin de 2005, le gouvernement brésilien voulait la croissance économique. Toutefois, ces changements, encore une fois, n’ont pas été réalisés par des modifications abruptes et ponctuelles, mais se sont caractérisés par l’incorporation graduelle de ces nouvelles idées au paradigme en place, par un processus de sédimentation cognitive.

Le paradigme développementaliste a préconisé une hausse des investissements publics, notamment dans les infrastructures, dans le but d’accélérer la croissance et de développer la production économique. Pour suivre ce nouveau principe, le gouvernement a proposé en 2007 le Plan d’accélération de la croissance (PAC) qui contenait un train de mesures visant à « assurer une croissance durable »[9] (IPEA, 2007). Pour faire face à ses dépenses, le gouvernement s’est appuyé sur la croissance économique et le maintien (voire l’augmentation) de la pression fiscale. En outre, les investissements proposés ne pouvaient pas gêner la stabilité sociale et fiscale du pays, ce qui confirme le caractère de sédimentation de ces nouvelles idées qui se sont ajoutées aux idées (stabilisation et équilibre budgétaire) qui étaient à la base de la période précédente.

En ce qui concerne les mesures fiscales, le PAC a prévu des réductions d’impôts pour stimuler l’investissement privé et augmenter la consommation. De plus, les exonérations prévues par le PAC ont été multipliées en 2008, lors du lancement de la Politique de développement de la production (PDP). Ces deux plans ont prévu l’exonération d’impôts en particulier pour les industries du bâtiment, les infrastructures lourdes et le secteur des hautes technologies (production d’ordinateurs, de semi-conducteurs, d’équipements pour la télévision numérique). À cela s’ajoute un changement dans les barèmes de l’impôt sur le revenu, qui a bénéficié à la classe moyenne. Les plans ont aussi prévu des exonérations de contributions pour la sécurité sociale, mais cette initiative n’a pas été retenue : une des raisons avancées était la diminution des recettes fiscales après l’extinction de la CPMF, qui a réduit la marge de manoeuvre du budget.

À partir du second mandat de Lula, l’orientation de la politique fiscale du pays est ainsi passée d’un instrument visant à atteindre les excédents primaires prévus dans les accords internationaux à un moyen pour stimuler la croissance et le développement du pays. Autrement dit, le changement au sein de la politique fiscale a consisté, au fond, en une inversion des principes généraux qu’elle devait suivre : si jusque-là l’idée était de considérer l’austérité budgétaire comme condition nécessaire à la croissance et au développement, l’opinion commençait à penser que la croissance économique entraînerait l’équilibre fiscal (Loureiro et al., 2011)[10].

Dans ce contexte, Lula présente en 2008 une deuxième tentative de réforme fiscale qui va être marquée par l’ouverture du débat à tous les acteurs intéressés. Pour faciliter le processus de vote, le président tente d’obtenir l’appui de toutes les coalitions, notamment par rapport à l’IVA. Un des points qui a reçu les plus vives oppositions de la part des mouvements sociaux et des syndicats était la diminution de la cotisation pour la sécurité sociale, ce qui a entraîné l’émergence de nouveaux acteurs aux discussions. Ainsi, au contraire du premier projet de Lula, le second pourrait être considéré comme une tentative de « réforme audacieuse », selon les termes de Merilee Grindle (2000). En outre, vu l’ampleur des propositions, le projet était plutôt centré sur la préoccupation de satisfaire « tous » les intérêts et de former un consensus ambigu (Palier, 2003).

Malgré la volonté de consensus de la part du gouvernement et l’appui de la coalition du secteur des affaires et d’une partie des États, la proposition a suscité des oppositions concernant l’ICMS, venant notamment des États plus riches comme São Paulo. La défaite de la réforme est liée aussi aux intérêts de la carrière politique du gouverneur de l’État de São Paulo, José Serra, puisqu’il était l’un des adversaires les plus importants de Lula. La difficulté pour le gouvernement de faire approuver la réforme montre qu’à ce moment-là le degré d’autonomie de l’Union était limité par les États les plus riches qui, de fait, ont empêché la mise en oeuvre des modifications proposées.

Nous pouvons donc conclure que malgré la modification des orientations sur le plan cognitif de la politique fiscale à partir du deuxième mandat de Lula, les conflits autour de la réforme fiscale étaient toujours présents. Si le gouvernement a fait des efforts pour parvenir à un consensus, les États plus riches, eux, voulaient maintenir le statu quo. En conclusion, du fait que des intérêts puissants de certains acteurs n’ont pas été satisfaits, la réforme fiscale n’a pas été approuvée par le gouvernement Lula. C’est pour cette raison d’ailleurs que Dilma Rousseff, élue présidente en 2010, choisira de ne pas présenter un projet de réforme fiscale, mais de procéder à des modifications ponctuelles pour ajuster la fiscalité aux nouveaux impératifs du paradigme.

Pour ce qui est des mesures fiscales prises pour encourager les secteurs économiques, la présidente Roussef a suivi la politique « développementaliste » de Lula et a mis en oeuvre le « Plan Brésil majeur » en avril 2012. Il s’agit de mesures visant à soutenir l’industrie, le secteur technologique et le commerce international. L’objectif principal du plan consiste à soutenir la croissance économique dans le contexte de la crise internationale et sa mise en oeuvre passe par des mesures fiscales, notamment l’exonération des investissements et des exportations. Plus précisément, le plan prévoit la réduction de l’impôt sur les produits industrialisés (IPI), sur les biens d’équipement, les matériaux de construction, les camions et véhicules, les crédits d’impôts aux exportateurs, le changement dans le prélèvement de la contribution pour la sécurité sociale dans divers autres secteurs, ainsi que la création d’un nouveau système fiscal pour l’industrie automobile. En avril 2012, le gouvernement a relancé le plan et augmenté le nombre de secteurs qui en bénéficient. Il n’est pas encore possible d’analyser l’impact de ces mesures sur l’économie.

Nous pouvons conclure que dans cette troisième période, les idées autour de la fiscalité ont changé, entraînant des changements par rapport au paradigme et aux institutions de la politique publique : d’un paradigme basé sur l’équilibre fiscal et budgétaire vers un paradigme dans lequel la compétitivité internationale du pays était la priorité. Toutefois, ce changement encore une fois a été fait suivant un processus graduel et partiel, où les nouvelles idées et les règles institutionnelles se sont ajoutées aux anciennes dans un processus de sédimentation à la fois cognitive et institutionnelle.

Conclusion

L’étude du cas des changements de la fiscalité au Brésil a fait ressortir que face aux limites concernant le modèle de changement de paradigme proposé par les théories cognitives, ce cadre peut être complémenté à la lumière du modèle de changement institutionnel suggéré dans les théories de l’institutionnalisme historique. Pour cela nous avons proposé que, à l’instar des modifications au niveau des institutions, les changements du paradigme d’une politique publique peuvent se faire par le biais de modifications graduelles et partielles des idées à la base de ce paradigme. Nous avons ainsi exposé que de nouvelles idées s’ajoutent aux anciennes dans un processus de sédimentation cognitive, ce qui apporte, à la fin, un changement dans le paradigme originel.

Le cas de la fiscalité au Brésil a aussi démontré que les changements à l’échelle institutionnelle – des règles et des instruments liés à la politique publique – sont normalement faits en réponse à un changement sur le plan cognitif des idées liées au paradigme. Autrement dit, nous pouvons conclure que ce sont les changements d’ordre cognitif qui entraînent la nécessité de faire des changements à l’échelle institutionnelle pour que le paradigme s’ajuste pertinemment aux nouvelles idées.

Nous croyons que ces propositions pourront rendre les analyses des changements des politiques publiques plus précises. En outre, la combinaison des théories cognitives et institutionnelles entraîne de nouveaux défis aux études de cas empiriques des changements de politiques publiques qui pourront, à leur tour, apporter de nouvelles pistes et de nouveaux critères associés à ces théories.