Recensions

Nightmarch : Among India’s Revolutionary Guerrillas, d’Alpa Shah, Chicago, University of Chicago Press, 2019, 320 p.[Record]

  • Emanuel Guay and
  • Felix Fuchs

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Le Jharkhand, qui signifie « terre des forêts », est un État créé en novembre 2000 qui couvre un plateau regorgeant de bauxite de fer et de charbon à l’est du sous-continent indien. Le Jharkhand abrite également l’un des plus importants foyers d’opération du mouvement naxalite, qui vise depuis son émergence en 1967 au Bengale-Occidental à faire avancer la cause communiste en Inde. Bien que les tactiques employées par les différentes branches au sein du mouvement varient considérablement (participation électorale, défense des droits des femmes, lutte armée, etc.), ces factions sont toutes soumises à une répression brutale par l’État indien (p. 20-22). L’anthropologue Alpa Shah a mené un terrain de 18 mois entre 2008 et 2010 au Jharkhand, au cours duquel elle s’est familiarisée avec les communautés autochtones Adivasis qui vivent dans cette région et en a appris davantage sur les rapports qui les unissent aux révolutionnaires naxalites. Shah a en outre entrepris, vers la fin de son terrain, une traversée de 250 kilomètres en sept jours avec des soldats naxalites, ce qui lui a permis de mieux comprendre les motivations qui incitent de nombreuses personnes à s’engager dans cette guérilla. L’anthropologue cherche, plus largement, à saisir comment une rébellion armée maoïste peut persister depuis plusieurs décennies au coeur d’un pays qui est souvent présenté comme la plus grande démocratie du monde (p. xvii) et pourquoi tant d’Adivasis se joignent à ce mouvement, au Jharkhand comme dans d’autres États du sous-continent. Nightmarch offre ainsi un récit où le parcours personnel de Shah auprès des Adivasis et des révolutionnaires naxalites s’insère dans une longue histoire de répression étatique et d’exploitation capitaliste. À ce récit ethnographique s’ajoutent des « notes de terrain sur la création de nouveaux futurs » et une excellente synthèse des travaux sur le mouvement naxalite. Shah propose au début de l’ouvrage un portrait des mobilisations naxalites depuis la fin des années 1960, en insistant sur les alliances que les militant·e·s naxalites sont parvenu·e·s à établir avec les communautés Dalits (p. 23-24) et les communautés Adivasis (p. 34), qui sont lourdement discriminées et marginalisées au sein de la société indienne. Le Jharkhand, pour sa part, est caractérisé à la fois par un des taux de pauvreté les plus élevés en Inde et par la présence de ressources minières convoitées par plusieurs entreprises multinationales, mais dont l’acquisition et l’exploitation sont rendues difficiles en raison des droits d’utilisation des terres dont les communautés autochtones Adivasis disposent (p. 43-44). C’est dans ce contexte social tendu que les révolutionnaires naxalites ont gagné la confiance des communautés locales, en offrant une organisation dans laquelle les Adivasis peuvent participer à des luttes collectives et apprendre à lire ou à parler des langues telles que le hindi ou l’anglais, parmi d’autres exemples (p. 55-56). Shah affirme en outre que pour plusieurs personnes, et en particulier les jeunes, le mouvement naxalite représente une « maison à l’extérieur de la maison », un espace où il·elle·s se sentent accueilli·e·s et peuvent découvrir d’autres mondes sociaux (p. 131-132). L’implication au sein du mouvement constitue aussi une manière d’éviter les conditions de travail affligeantes réservées aux communautés les plus démunies en Inde, dans des secteurs comme la construction (p. 134). Un autre facteur important est que les convictions égalitaristes des révolutionnaires naxalites les mènent à traiter les Adivasis avec dignité malgré leur statut social inférieur au sein de la société indienne, ce qui aide à expliquer l’attrait du mouvement (p. 142-143). Le temps passé par plusieurs Adivasis parmi les troupes naxalites a également contribué au développement de réseaux familiaux liés à cet engagement, ce qui renforce considérablement l’enracinement du mouvement …