Recensions

Lutter pour ne pas chômer : le mouvement des diplômés chômeurs au Maroc, de Montserrat Emperador Badimon, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2020, 228 p.[Record]

  • Pierre-Luc Beauchesne

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Alors que près de trente années nous séparent des débuts du mouvement des diplômé·e·s chômeur·euse·s au Maroc, Montserrat Emperador Badimon propose dans cet ouvrage une description des pratiques et des acteur·rice·s de ces mobilisations exemplaires de la pérennisation d’une action collective dans un contexte politique défavorable. Construit sur un engagement ethnographique étalé sur dix années (dans la capitale Rabat et dans les petites villes d’Outat El Haj, Sidi Ifni et Bouarfa entre 2005 et 2015), Lutter pour ne pas chômer est le premier ouvrage universitaire consacré au mouvement des diplômé·e·s chômeur·euse·s marocain·e·s (depuis Soumis et rebelles de Mounia Bennani-Chraïbi [Éditions du CNRS, 1994] qui en décrivait les débuts à Salé) et il représente une contribution majeure à la compréhension des dynamiques des mouvements sociaux et de l’engagement militant en situation autoritaire. L’énigme à l’origine de l’enquête est la durabilité de ce mouvement pour l’intégration des chômeur·euse·s dans la fonction publique, dans un contexte, celui du Maroc, qui demeure hostile à la contestation politique. Emperador Badimon brosse un portrait complexe de la nébuleuse des mouvements de diplômé·e·s chômeur·euse·s en insistant sur la pluralité des ressorts individuels et organisationnels de cette pérennisation. La thèse de l’auteure est que cette inscription dans la durée s’explique par un ajustement entre les mouvements qui misent sur des modes d’action autolimités en cherchant un équilibre entre politisation du chômage et alignement avec les discours des autorités, et le « pouvoir » qui tolère les contestations mais utilise la « récompense-emploi » comme dispositif de contrôle des jeunes chômeur·euse·s. Dans le premier chapitre, après un rapide historique des enjeux de l’éducation, de l’emploi et du chômage depuis l’indépendance, le contexte spécifique de l’émergence du mouvement au début des années 1990 est décrit. Premièrement, sur le plan économique, depuis le milieu des années 1980, le Maroc est engagé dans un virage néolibéral qui influence les politiques d’emploi. Ce virage réduit la capacité d’intégration de la fonction publique alors même que la pression sur l’emploi s’accentuait en raison de la croissance démographique et d’une expansion scolaire rapide. Deuxièmement, la période de la fin du règne d’Hassan II dans les années 1990 et de l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI en 1999 est marquée par une progressive libéralisation politique. Cette dynamique n’a pas mené à un processus de « transition démocratique », mais a tout de même correspondu à l’abandon par le régime des formes les plus violentes, directes et massives de la répression des « années de plomb ». L’histoire de l’émergence du mouvement présentée dans le deuxième chapitre insiste sur son ancrage dans le syndicalisme étudiant et plus précisément l’Union nationale des étudiants marocains (UNEM). La relance de l’UNEM dans les années 1980 après la levée de son interdiction formelle par le régime a été marquée par des conflits parfois violents entre les groupes d’extrême gauche dits « de base » [al-qa’idiyine] et les courants islamistes dont l’influence s’accentue dans les facultés. La première organisation représentant les diplômé·e·s chômeur·euse·s sera l’Association nationale des diplômés chômeurs marocains (ANDCM), dont les précurseurs sont des hommes issus de la « gauche » qui ont connu la perte d’influence de ce courant sur les campus et l’emprisonnement comme militants à l’UNEM. À partir du milieu des années 1990, l’ANDCM est rejoint par des groupes d’étudiant·e·s des cycles supérieurs dont les membres ont des profils moins politisés. Dans le chapitre 3, on trouve une présentation des personnes actives dans ces mouvements qui s’éloigne du « portrait-robot » institutionnel homogénéisant du chômeur marocain comme jeune homme urbain (p. 85). Les militant·e·s ont des origines sociales variées qui ne se limitent pas …