Recensions

Droitisation et populisme. Canada, Québec, États-Unis, de Frédéric Boily, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2020, 203 p.[Record]

  • Djamila Mones

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Spécialiste de la politique canadienne et québécoise, auteur d’un nombre remarqué d’écrits traitant des droites et des conservatismes canadiens, Frédéric Boily a récemment publié Droitisation et populisme aux Presses de l’Université de Laval. Dans un contexte international d’affaiblissement de l’« esprit démocratique », l’ouvrage se propose d’éclairer les effets de recomposition qui agitent les droites contemporaines au Canada, au Québec et aux États-Unis. Cinq chapitres viendront brosser un panorama général des droites nord-américaines et de la tentation populiste – notamment – à laquelle elles font face. L’ouvrage intéressera donc autant les sociopolitistes qui espèrent un éclairage contemporain sur les droites canadiennes (sujet encore peu traité par la littérature universitaire, spécialement francophone) que ceux travaillant sur le temps long du populisme nord-américain. Les cinq chapitres de l’ouvrage distinguent la droitisation comme phénomène culturel et politique, et le populisme comme style. S’appuyant sur la définition de Cas Mudde et Cristóbal Rovira Kaltwasser, quasi hégémonique dans le champ, ainsi que sur les travaux de Pierre-André Taguieff et Benjamin Moffitt, Boily qualifie le populisme de style politique compatible avec toutes les idéologies. Façon d’être en politique ou position dans un espace politique donné, il est donc mobilisable de manière permanente ou occasionnelle, selon une dimension identitaire (peuple défendu pour ses qualités propres, ethnoculturelles), ou protestataire (dénonciation des élites d’en haut contre le peuple détenteur de « bon sens »). La droitisation, phénomène multidimensionnel, fait l’objet du premier chapitre – la nature et la définition du phénomène étant, de l’aveu de l’auteur, sujettes à débats (signification tantôt économique, culturelle ou religieuse). En s’appuyant sur une approche culturelle du phénomène, Boily peut déduire qu’il n’y a pas de droitisation au Canada (il y aurait plutôt libéralisation des moeurs). Politiquement, en revanche, l’auteur, distingue trois grandes vagues de droitisation dans les démocraties libérales : la première, entre 1980 et 2008, est marquée par l’anticommunisme (Ronald Reagan aux États-Unis), les politiques d’austérité (Brian Mulroney au Canada, Ralph Klein en Alberta) et une lutte sur le terrain des valeurs par une réappropriation de la pensée gramscienne (Nicolas Sarkozy en France et, indirectement, Stephen Harper au Canada). La seconde, de 2008 à 2020, serait marquée par le retour de l’État sur les plans économique et sécuritaire, les questions identitaires supplantant les questions de libéralisation économique. L’intégrisme religieux de nature chrétienne y occupe une place importante. Les caractéristiques de la droite politique auraient donc changé, même si Boily insiste sur la nature complexe de la droitisation – non linéaire et en perpétuelle négociation entre les droites. Dans le deuxième chapitre, l’auteur nous invite à une réflexion sur la nature du phénomène populiste historique. À partir des travaux de Richard Hofstadter (The Age of Reform), Boily nous en brosse un portrait critique, appuyé entre autres par les écrits de Charles Postel. Le populisme des fermiers en constitue la principale illustration : valorisation de l’idéal communautaire et coopératif, mythification du monde rural, moralisation d’un conflit entre les agriculteurs et les puissances prédatrices de Wall Street… Ce sont les multiples facettes du populisme historique américain qui sont dévoilées – tantôt progressiste, tantôt raciste ou religieux ; alors que le populisme d’après 1945 est davantage marqué par une dimension antidémocratique, un style paranoïaque et un rapport troublé à l’autorité. Phénomène persistant, le populisme serait une « manifestation diffuse » dans l’espace politique américain. On le retrouverait aujourd’hui chez Donald Trump, Elizabeth Warren ou Bernie Sanders – quoique le trumpisme soit parfois confondu dans l’extrême droite, et les partisans de Sanders dans ce que certains appellent le « connectivisme ». Boily inscrit ainsi les nouveaux visages du populisme dans les débats universitaires contemporains …