Recensions

Trudeau : de Pierre à Justin. Portrait de famille de l’idéologie du Parti libéral du Canada, de Frédéric Boily, Presses de l’Université Laval, 2019, 243 p.[Record]

  • Francis Moreault

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Comment peut-on être Justin Trudeau ? C’est une question que l’on peut raisonnablement se poser à la suite de la lecture de l’ouvrage de Frédéric Boily qui porte sur l’histoire idéologique du Parti libéral du Canada (PLC) depuis l’élection de Pierre Elliot Trudeau en 1968. Divisé en cinq chapitres, le livre du professeur de science politique s’efforce, d’une part, de cerner les idées politiques qui guident ce parti politique depuis la fin des années 1960 et, d’autre part, de voir dans quelle mesure ces idées ont été ensuite reprises ou non par les différents gouvernements libéraux qui se sont succédé au cours du XXe siècle. Que le premier ministre du Canada, P.E. Trudeau père (1968-1979 et 1980-1984), constitue un véritable auteur libéral, nul n’en doute et nul ne le conteste. Cependant, cette pensée n’est pas univoque, elle a également été traversée par de « multiples visages du libéralisme » (p. 23) : on pense ici à la volonté de l’ancien chef de gouvernement de développer des politiques sociales, de lutter contre les discriminations – un des aspects trop souvent omis de la politique du multiculturalisme –, de nourrir un certain nationalisme canadien – le Programme national d’énergie – et, enfin, de combattre le séparatisme québécois (p. 30). Soucieux de préserver l’unité canadienne et de créer une société juste, Trudeau s’est, somme toute, placé au centre-gauche de l’échiquier politique canadien (p. 40). En cela, il épouse un des traits constitutifs des divers gouvernements libéraux depuis Mackenzie King. Après le règne du gouvernement conservateur de Brian Mulroney (1984-1993), les libéraux sont de nouveau de retour au pouvoir avec l’élection de Jean Chrétien en 1993. Issu du cénacle trudeauiste, Chrétien ne tenait pas tellement à se démarquer de son illustre prédécesseur. Ayant promis de rompre avec l’héritage du Parti conservateur (PC) en affirmant qu’il allait abolir la taxe sur les produits et services (TPS) et renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le premier ministre a cependant été rapidement happé par l’enjeu du déficit budgétaire. Voulant gouverner au centre-gauche, il a été toutefois confronté aux inquiétudes américaines suscitées par l’ampleur de la dette canadienne – le Canada est-il menacé de faire banqueroute ? s’interrogeait la presse américaine –, s’efforçant alors de reprendre des politiques de droite comme les coupures dans les transferts fédéraux ou encore la réduction du déficit (p. 67). Mais, on le sait, Chrétien n’est pas l’homme d’un seul mandat. Il a non seulement réussi à remporter un second mandat en 1997, mais aussi un troisième et dernier mandat en l’an 2000. Aux yeux de Boily, une des grandes forces du « petit gars de Shawinigan » et qui explique sans doute la longévité politique de ce dernier, est sa capacité à manipuler et à mettre en valeur cette fameuse dimension populiste dont de nombreux gouvernements ont fait l’expérience. Notion à la polysémie infinie, le populisme Chrétien s’incarne dans cette volonté de paraître comme un homme ordinaire, proche du peuple canadien qui s’exprime de manière simple afin d’être compris par l’ensemble de la population (p. 73). On doit certes les victoires de Chrétien au fait de la faiblesse de la droite canadienne, divisée à ce moment-là entre un PC moribond, legs de la débâcle de Mulroney lors des élections en 1993, et un Parti réformiste incapable de séduire les électeurs canadiens à l’est de l’Alberta, mais néanmoins ses habiletés politiques sont indéniables. Les victoires électorales de Chrétien représentent un moment crucial dans l’histoire politique de cette formation. Acquiesçant finalement aux injonctions incessantes du clan Paul Martin, l’ancien chef libéral cède les rênes du pouvoir à ce dernier. Il s’ensuit un long …