Recensions

Mouvements ouvriers, partis politiques et luttes populaires aux États-Unis (1938-2018), de Serge Denis, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 1408 p.[Record]

  • Sarah M. Munoz

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Comment le mouvement ouvrier américain, parfois considéré comme apolitique à cause de l’absence de parti travailliste, s’est-il construit pour devenir un acteur politique central aux États-Unis ? L’ouvrage de Serge Denis retrace les fondements, les bouleversements et les idéologies de l’action politique syndicale depuis son émergence au XIXe siècle afin d’expliquer le caractère singulier et exceptionnel du syndicalisme américain. À partir d’une analyse chronologique du mouvement ouvrier et de son rapport au pouvoir au sein du système bipartisan, l’auteur propose un regard dense et fouillé de l’histoire politique travailliste aux États-Unis. Il cherche ainsi à en montrer l’évolution séquencée, criblée de bonds et d’agitations, afin de cerner l’implication syndicale dans le développement politique du pays et en parallèle des luttes sociales contemporaines. Pour ce faire, l’auteur situe l’action du mouvement ouvrier dans deux rapports politiques : avec l’État à travers les présidences successives au cours du siècle, et avec la composition des chambres du Congrès. Si l’action politique syndicale américaine s’est construite dans le refus de l’élaboration d’un parti distinct, elle a tout de même consolidé sa place comme force politique incontournable des développements politiques, électoraux et sociétaux depuis 1938. L’ouvrage débute par un questionnement sur l’exceptionnalisme américain relatif à l’absence de parti travailliste, permettant à l’auteur d’exposer les prémices de son interrogation sur les formes si particulières du mouvement ouvrier aux États-Unis. L’analyse se découpe ensuite en quatre grandes périodes historiques, chacune composée de trois chapitres, qui suivent les conjonctures politique et sociétale américaines qui ont simultanément façonné et été façonnées par le syndicalisme. La première partie retrace l’évolution et les actions politiques de ses acteurs du XIXe siècle jusqu’à 1948. La formation de l’American Federation of Labor (AFL) en 1886 marque le premier événement notable de cette histoire. Ce sont les traditions de cet organisme syndical qui détermineront le développement subséquent du mouvement ouvrier, qui demeure teinté de l’idéologie non partisane, économique et « volontariste » du fondateur de l’AFL et pionnier du syndicalisme américain Samuel Gompers (p. 6). Cet axe permettra au syndicalisme de se frayer une place à la table des négociations avec le patronat américain, mais entachera toute impulsion de création d’un parti travailliste et d’une transformation normative de la société. Les deuxième et troisième chapitres retracent l’évolution du syndicalisme industriel et des transformations sociales, du krach boursier de 1929 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils mettent en avant le rôle crucial joué par les travailleurs dans les avancements sociaux en parallèle de l’expansion du capitalisme américain et la droitisation de l’American Federation of Labor (p. 44). Néanmoins, malgré l’impulsion grandissante des organisations ouvrières de gauche, l’action politique exclut toujours la création d’un parti travailliste (p. 104) et encourage plutôt le développement de négociations en « privé » avec le patronat (p. 141). La seconde partie de l’ouvrage couvre la période des Trente Glorieuses aux États-Unis et se penche sur l’institutionnalisation et la bureaucratisation du syndicalisme américain. Rythmée par les élections présidentielles, cette section interroge les rapports de force entre État et syndicat, ainsi que l’influence de l’orientation partisane des institutions gouvernantes sur les actions politiques du mouvement ouvrier, notamment avec l’élection de Dwight D. Eisenhower en 1952 et celle de John F. Kennedy en 1961. L’engagement actif des travaillistes dans le cycle électoral et les campagnes présidentielles a consolidé l’importance de cet acteur dans les coulisses du système bipartisan. L’analyse des rapports entre organisations syndicales, Congrès et Maison-Blanche permet à Denis d’expliquer l’évolution de la position du mouvement ouvrier dans la société, conjointement avec les développements politiques de l’époque. On note par exemple l’influence de la menace communiste sur …