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Pourquoi les gens votent-ils ? Ce n’est pas une nouvelle question, car une riche littérature se penche sur celle-ci. Bien qu’elle soit largement débattue en science politique, André Blais et Jean-François Daoust répondent d’une manière innovante à la question « Pourquoi vote-t-on? », avec de nouvelles analyses.

L’ouvrage commence avec la question susmentionnée ou, plus précisément, les auteurs cherchent à répondre à la question suivante : « Pourquoi les gens prennent-ils la décision de voter ou ne pas le faire ? » Ils avancent un modèle de processus de décision basé sur quatre considérations (p. 6) : 1) L’électeur aime-t-il la politique ? 2) L’électeur considère-t-il que voter est un devoir ? 3) L’électeur se sent-il concerné par les résultats électoraux ? 4) L’électeur considère-t-il que voter est facile ? Les auteurs postulent que ces quatre considérations constituent un modèle qui peut expliquer en grande partie la décision d’un électeur de voter ou non lors des élections (p. 13).

Pour évaluer leur hypothèse, Blais et Daoust utilisent les données de sondages du projet Making Electoral Democracy Work (MEDW) de 2011 à 2015, banque de données qui comprend des variables sur les attitudes politiques et le comportement électoral d’électeurs de cinq pays lors de vingt-quatre élections. Après un chapitre d’introduction, les auteurs examinent l’effet de l’âge et du niveau d’éducation sur la participation politique pour les contrôler avant d’examiner leurs considérations.

Pour évaluer le rôle des quatre considérations qu’ils jugent essentielles pour expliquer la propension d’un électeur à voter ou non, les auteurs commencent leur étude du rôle des différents facteurs par les considérations qui concernent les attitudes générales avant d’examiner les considérations qui sont plus spécifiques aux élections (p. 20). Cette approche guide l’ordre des quatre chapitres qui offrent des analyses spécifiques pour tester chacune des quatre considérations principales. Ils évaluent donc dans un premier temps les liens entre le fait d’aimer la politique et celui de voter, avant de passer aux autres considérations.

Les résultats sont intéressants mais peu surprenants. Blais et Daoust trouvent que les deux considérations attitudinales (aimer la politique et sentir que voter est un devoir) sont plus importantes pour expliquer la participation électorale que les considérations spécifiques à un contexte électoral particulier (l’importance des résultats pour les électeurs et la facilité perçue de ces derniers à voter lors du scrutin). Ils trouvent également que l’intérêt pour la politique d’un électeur a un effet plus fort sur sa propension à aller voter que son devoir civique. De plus, Blais et Daoust démontrent que les quatre variables séparément ont un effet sur la propension d’un individu à voter. Leurs analyses révèlent également que les attitudes politiques des électeurs se forment tôt dans leur vie et qu’elles sont presque inchangeables une fois qu’elles sont développées. Ces résultats dirigent les lecteurs vers le septième chapitre.

Dans ce chapitre sept, Blais et Daoust se demandent si le fait de voter (ou non) est une habitude chez les électeurs. Ils font l’argument que si le vote est une habitude, les quatre considérations importantes (amour de la politique, devoir de vote, souci pour le résultat, facilité de vote) doivent être moins importantes pour expliquer pourquoi les citoyens plus âgés – et donc probablement plus habitués à voter – prennent la décision de voter ou non. Leurs analyses des données du MEDW révèlent que ce n’est pas le cas pour les quatre considérations qu’ils évaluent, ils trouvent même que l’effet est plus fort chez les citoyens plus âgés pour leurs considérations du devoir de vote, du souci pour le résultat et de la facilité de vote (p. 82). Les auteurs ont vérifié la robustesse de leurs résultats avec une analyse des données du Comparative Study of Electoral Systems (CSES) et obtenu des résultats très similaires. Ils concluent donc que leurs analyses mettent en doute la théorie du vote comme habitude acquise.

Les auteurs terminent avec un chapitre sur le pouvoir explicatif des variables individuelles. Ils trouvent qu’un électeur qui obtient un score élevé sur leurs quatre considérations a une probabilité de voter plus élevée qu’un électeur dont les valeurs en lien avec les quatre considérations sont faibles. Ils en déduisent que leur modèle peut expliquer une grande partie de la variation dans la décision d’un électeur de voter ou pas et offrent quelques pistes de réflexion sur les déterminants de la participation électorale.

À la base, ce livre présente un argumentaire simple et convaincant pour expliquer pourquoi les citoyens votent ou non. Il est plutôt bien organisé, les auteurs décrivent et évaluent leurs considérations en fonction des principaux effets rapportés dans la littérature sur la participation électorale avant de procéder à une analyse détaillée de l’hypothèse selon laquelle le vote serait une habitude chez les électeurs. Bien que le livre soit court, les auteurs couvrent beaucoup de matériel et présentent un grand nombre d’analyses. Le texte est bien écrit et facile à comprendre, mais cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un livre de niveau d’entrée. Une certaine familiarité avec la littérature sur la participation politique aide la compréhension et fait que le livre est mieux adapté pour les étudiants ou les décideurs publics avec peu de connaissances dans ce champ de la science politique.

Un crédit particulier doit être accordé au chapitre sept, « Is Voting a Habit? », où les auteurs s’interrogent sur cette question et testent cette hypothèse. La critique du modèle de l’habitude de voter est non seulement engageante, mais aussi juste. Les auteurs examinent la littérature sur l’habitude de voter et expliquent de façon précise pourquoi ils contestent l’idée que la participation électorale serait un comportement habituel chez les électeurs. Les analyses de Blais et Daoust montrent clairement que les considérations de vote expliquent pourquoi les électeurs votent ou pas, et ce, même chez les électeurs pour qui voter pourrait être une habitude (c’est-à-dire les citoyens les plus âgés). Ces résultats mettent en doute une théorie qui semble partagée par plusieurs chercheurs mais qui n’a – jusqu’à présent – pas vraiment été testée de façon convaincante.

Bien que cet ouvrage soit intéressant, il y a quelques critiques qui peuvent lui être faites. Celles-ci restent mineures et les auteurs en reconnaissent eux-mêmes plusieurs. Une des critiques importantes que l’on puisse formuler est que leur conceptualisation des quatre considérations est un peu décousue. La quatrième, la perception des électeurs de la facilité de voter, n’est pas une motivation pour voter en soi, mais reflète plutôt un calcul par les électeurs des coûts-avantages du fait de voter. Les auteurs admettent que cette considération soit un cas particulier, mais ils l’incluent tout de même dans leur modèle pour que ce soit plus complet (p. 13). Cette inclusion est effectivement nécessaire, mais crée une confusion quant aux considérations les plus importantes dans un ouvrage qui se penche sur la motivation des électeurs à voter.

La plus grande critique concerne les données qui sont utilisées pour leur recherche. Les données du MEDW sont transversales et, comme les auteurs le reconnaissent, des données longitudinales seraient plus appropriées pour tester et valider le modèle qu’ils proposent (p. 22). Il est toutefois difficile de les critiquer sur cet aspect, car de telles données ne sont pas disponibles de la même manière que celles du MEDW, qui sont très appropriées pour des études comparées. Les limites inhérentes aux données font en sorte qu’on a l’impression que plus d’études sur le sujet seront nécessaires à l’avenir, quand des données longitudinales et une littérature plus élaborée sur leurs considérations seront disponibles. C’est particulièrement le cas pour le devoir de voter, car les auteurs notent qu’il n’y a pas beaucoup d’écrits ni de données disponibles sur ce sujet pour le moment. Donc, même si le modèle qu’André Blais et Jean-François Daoust proposent est fort convaincant, il est évident que plus de travail sera nécessaire à l’avenir pour valider les résultats avec des données encore plus riches.

The Motivation to Vote est un livre intéressant, utile et représente certainement une contribution importante dans le champ de la participation électorale. Mais, en même temps, il semble que l’ouvrage soit le début d’un questionnement plutôt que la fin de la réflexion sur ce sujet. L’ouvrage génère assez d’avenues pour des recherches futures et il pourra inspirer d’autres chercheurs qui désirent se pencher sur cette question. C’est une lecture hautement recommandée pour les étudiants ou les chercheurs qui examinent les raisons pour lesquelles les citoyens votent.