Introduction

Faire face à la contestation de la représentation politique : le rapport des élu.e.s à la démocratie[Record]

  • Guillaume Petit,
  • Camille Bedock,
  • Rémi Lefebvre and
  • Marion Paoletti

Ce numéro spécial propose de reposer la question du rapport des élu∙es à la démocratie dans un contexte de contestation grandissante de leur monopole des prétentions à représenter (Barrault-Stella & Talpin, 2021; Kuyper, 2016; Pilet et al., 2021; Saward, 2010a), ce constat prolonge des propositions théoriques qui dans les deux dernières décennies ont contribué à réinterroger la notion de représentation politique (Disch, Mathijs et Urbinati, 2019 ; Mansbridge, 2003, 2013 ; Saward, 2008, 2010a, 2010b). La conception traditionnelle considère que dans le cadre de la démocratie représentative, la légitimité à gouverner et à diriger se fonde à intervalles réguliers sur l’onction du suffrage universel qui légitime la distinction entre gouvernant∙es et gouverné∙es. Ce cadre suppose un monopole des professionnel∙les de la politique sur la prise de décision et plus généralement « sur la production des formes de perception et d’expression politiquement agissantes et légitimes » (Bourdieu, 1981). Or, le « gouvernement représentatif » (Manin, 1995) s’est fortement métamorphosé et recomposé depuis plusieurs décennies. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des institutions représentatives dans beaucoup de démocraties contemporaines (Armingeon et Guthmann, 2014 ; Dalton, 2004), d’émergence d’un impératif participatif et délibératif (Sintomer et Blondiaux, 2002), de mutations profondes de la démocratie intra-partisane (Cross & Katz, 2013), de réformes institutionnelles multiples (Cain, Dalton et Scarrow, 2003), mais aussi de renouvellement générationnel (Dalton, 2007 ; Tiberj, 2017), la question des rapports des gouvernant∙es à la démocratie en général et à la cause de la « démocratisation de la démocratie » en particulier se pose avec une acuité nouvelle. C’est la question qui traverse les articles réunis dans ce dossier thématique. En effet, les responsables politiques pouvaient auparavant sembler bénéficier d’un relatif consensus quant à leur monopole sur la décision politique dans le cadre d’un modèle politique basé sur la délégation et sur une représentation-distinction, dans lequel l’acte de vote, pas encore déserté (Braconnier et Dormagen, 2007 ; Haute et Tiberj, 2022), était quasiment l’unique moyen de participation politique instituée pour les citoyen∙nes ordinaires. Ce monopole semble désormais remis en question. Dans ce contexte, désormais bien documenté, le présent dossier propose d’inverser une perspective habituelle, centrée sur les attitudes et les représentations des citoyen∙nes, pour transposer ces questionnements du point de vue des représentant∙es politiques. En effet, alors même qu’il existe de nombreux travaux sur les représentations des citoyen∙nes ordinaires des systèmes politiques, sous la forme d’enquêtes quantitatives (pour une approche comparative, voir par exemple Ferrin & Kriesi, 2016; pour une synthèse des nombreux travaux parus ces dernières années, voir Hibbing et al., 2021), mixtes (Hibbing et Theiss-Morse, 2002) ou d’approches qualitatives (Clarke, Jennings, Moss et Stoker, 2018 ; García-Espín et Ganuza, 2017 ; Saunders et Klandermans, 2019), le rapport des élu·es à la démocratie n’a pas été assez systématiquement étudié et assez finement conceptualisé (Petit, 2020), quand bien même elles et ils sont par définition les acteurs centraux du réformisme démocratique (Bedock, 2017). L’étude sociographique, en forme de portrait sociologique des élu·es, est une étape indispensable de la recherche, mais elle n’épuise pas la question de leur rapport à la démocratie, même si « les biais de l’élection » (Prewitt et Eulau, 1971) et plus largement ce qu’ils sont socialement, façonnent ce qu’ils en pensent. Il s’agit ici d’aller au-delà pour centrer la focale sur le rapport des élu.e.s à la démocratie, et en quoi ces représentations influencent leurs pratiques de la représentation politique. On considère donc des élu·es qui « ont pleinement intériorisé la défiance dont ils font l’objet et la délégitimation même du principe représentatif » (Lefebvre, 2007, 207). Ce constat mérite d’être relu en tenant mieux compte de la diversité …

Appendices