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Depuis quelques années, les formes de production et de diffusion des connaissances scientifiques se multiplient. La recherche en partenariat a connu un essor significatif ; la méthode expérimentale fait désormais partie de la boîte à outils des politologues dans plusieurs sous-champs. La politique se décline désormais sur le Web et les médias sociaux, marquant la popularisation du big data et de la « netnographie » dans le cadre de la recherche. Cet éclatement amène de nouveaux défis en matière d’éthique de la recherche, défis qui à leur tour encouragent un renouvellement de la réflexion et des pratiques des chercheur·es. Les comités d’éthique de la recherche (CER), les associations professionnelles et les agences de financement gouvernementales sont également des acteurs importants ; il suffit de penser aux questionnements sur la transparence et l’accessibilité des données suscités par les nouvelles règles entourant le financement de la recherche et des revues scientifiques et la nouvelle Politique de gestion de données de recherche, entre autres.

L’étude des « traces numériques » se développe rapidement, et avec elle de nouvelles pratiques dont la dimension éthique n’est pas encore bien circonscrite. Si un terrain de recherche en ligne peut faciliter l’obtention du consentement éclairé de la part des participant·es, la quantité de données et la fluidité des interactions en ligne ne permettent pas toujours d’informer systématiquement tous les participant·es que ce qu’ils et elles mettent ou font en ligne est observé. Dans un monde de plus en plus interconnecté, les notions de privé/public sont remises en question ; la portée du principe d’autonomie individuelle est limitée alors que des données concernant une personne fournissent pratiquement toujours de l’information sur d’autres. Comment assurer l’éthique de la recherche et protéger tous les participant·es ? Comment inclure dans la recherche les participant·es qui sont sous-représenté·es en ligne et sur les plateformes socionumériques ? Les balises éthiques actuelles et leur mise en oeuvre sont-elles adaptées à la complexité des données ?

Les trois contributions de cette section abordent des préoccupations éthiques soulevées par la recherche en ligne et avec des données socionumériques à partir d’angles différents. L’article de Guillaume Latzko-Toth et Madeleine Pastinelli pose la difficulté de (re)définir et d’appliquer en ligne des notions initialement pensées hors ligne, alors même que la frontière entre le Web et le monde « physique » peut être poreuse. Fella Hadj Kaddour et Elena Waldispuehl expliquent comment elles ont relevé le défi que représente l’obtention du consentement quand les membres des communautés en ligne sont partagés sur ce que les chercheur·es devraient pouvoir observer. La sensibilité des données est aussi au coeur de la réflexion, car la sécurité des participant·es et des chercheur·es peut être en jeu. Enfin, un entretien avec Yannick Dufresne met en avant la nécessaire collaboration et le dialogue entre les chercheur·es et les CER. Le développement et l’accès uniforme à des outils permettant aux politologues de canaliser la richesse des données socionumériques dans le respect des principes éthique apparaît comme un enjeu clé alors que la nouvelle Politique de gestion des données de recherche canadienne pourrait se déployer de manière variable d’une institution à l’autre. Ces trois contributions mettent en lumière la richesse de ces nouveaux terrains, terrains néanmoins minés par endroits et pour lesquels elles fournissent quelques repères pour mieux les appréhender sur le plan éthique.