Recensions

Feminist City: Claiming Space in a Man-made World de Leslie Kern, Londres, Verso, 2020, 205 p.[Record]

  • Mieko Tarrius

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Concentrant plus de la moitié de l’humanité, les villes contemporaines sont le théâtre d’intenses luttes de pouvoir. Se distinguant par leur architecture verticale et leurs gratte-ciel, elles concrétisent matériellement et symboliquement un système capitalistique sexiste, comme l’explique Leslie Kern, géographe féministe et professeure associée à l’Université Mount Allison, dans son ouvrage Feminist City: Claiming Space in a Man-made World paru en 2020. Selon elle, les villes sont pétries de contradictions puisqu’elles participent autant à l’émancipation des femmes qu’à leur oppression. Face à ce paradoxe, la géographie féministe offre de précieux outils pour appréhender et déconstruire les relations que les agent·es sociaux·ales entretiennent avec leur environnement, bâti particulièrement : « Une perspective géographique du genre offre les moyens de comprendre comment le sexisme fonctionne sur le terrain. » (p. 13) Situant la corporalité comme point de départ d’une analyse féministe de la ville, Kern souligne que les espaces urbains et périurbains n’ont pas été pensés pour les femmes, constamment limitées dans leur liberté de mouvement. D’une part, la banlieue – créée par et pour les ménages fortement dotés en capital économique, social et racial – impulse l’isolement spatial et interactionnel des femmes, restreignant leurs capacités d’organisation et d’action. D’autre part, la ville néolibérale – marquée par une gentrification galopante qui promeut une conception classiste, validiste et raciste de la « femme active » – participe à l’oppression des femmes racisées, embauchées pour effectuer le travail domestique de leurs homologues (blanches) aisées. La ville contemporaine comme sa banlieue perpétuent ainsi respectivement la division raciale et genrée du travail. Pour l’autrice, la réalisation d’une ville non sexiste et égalitaire repose dès lors sur notre capacité collective à dépasser la ville patriarcale en désacralisant le modèle de la famille hétéronormée, d’une part, et en déconstruisant le sujet urbain « par défaut » à la fois masculin, blanc, valide et cisgenre, d’autre part : « La ville féministe est une ville où les barrières – sociales et physiques – sont abattues, une ville centrée sur le soin et le soutien d’autrui, découlant du pouvoir inhérent des villes à rassembler. » (p. 54) Ainsi, la ville est un espace créateur de lien social et de solidarités. « Pratiques de création du monde » (p. 57), les amitiés féminines – pourtant peu considérées par l’urbanisme féministe – constituent une force féconde pour repenser la ville. Avec le déclin du modèle hétéropatriarcal du foyer, ces amitiés – véritables « outils de survie urbaine » (p. 56) pour les opprimées – offrent un nouveau champ des possibles pour réinventer la ville et nos interactions en son sein. Selon la chercheure, il est désormais impératif de déconstruire – socialement et spatialement – la centralité de la famille hétéronormée en élaborant un urbanisme « par le bas », à l’initiative des « marges » (p. 54), qui prenne le contre-pied de la planification urbaine, historiquement chasse gardée des hommes blancs, cisgenres et hétérosexuels : « Imaginer une ville centrée sur les amitiés où les femmes dédieraient plus de leur amour, de leur temps, de leur travail émotionnel à leurs amitiés, remet en cause le fondement même de la famille et de l’État. » (p. 85) Notre capacité à paisiblement nous mouvoir seul·es dans la ville traduit un rapport privilégié à l’espace. À cet égard, Kern rappelle que la flânerie est toujours réservée à une minorité masculine, blanche et valide ; minorité souvent incapable de penser les femmes comme des êtres libres d’exister par et pour elles-mêmes dans l’espace public. Or cette habilité des femmes à se déplacer seules et en sécurité dans la ville est d’autant plus cruciale qu’elles sont régulièrement …

Appendices