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La mondialisation, soit l’ensemble des processus technologiques, politiques et économiques, a favorisé l’augmentation des échanges et l’accroissement de l’interdépendance entre les États. Avec le tournant néolibéral des années 1980 et les progrès des nouvelles technologies de l’information dans les années 1990, la mondialisation s’est accélérée à l’aube du XXIe siècle. Avec cette accélération, de plus en plus de critiques se sont fait entendre, poussant de plus en plus d’électeurs vers des partis populistes. Dans le livre La mondialisation : une maladie imaginaire, Stéphane Paquin s’adresse à ces critiques en analysant la façon dont la mondialisation, le libre-échange et l’autonomisation de l’État influent sur les programmes sociaux, l’emploi et la social-démocratie dans les pays développés. En utilisant les statistiques des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’auteur soutient qu’on a souvent tendance à amplifier non seulement la portée de la mondialisation, mais également ses effets. Cette déformation de la réalité serait influencée par des biais cognitifs qui influencent notre perception du monde : l’heuristique de disponibilité fait en sorte qu’un événement négatif (par exemple la délocalisation d’une entreprise) soit plus mémorable qu’un événement positif tel que l’augmentation progressive du taux d’emploi, et que plus un élément est mémorable, plus il semblerait probable.

L’auteur débute son argument en soutenant que la mondialisation n’a pas une portée aussi importante dans les pays développés qu’il n’y paraît. En utilisant les statistiques disponibles, il démontre qu’une majorité importante des activités se font à l’intérieur des frontières, et non à l’échelle planétaire. Par exemple, 93 % des appels se font toujours à l’intérieur des frontières nationales, 71 % du commerce s’effectue au sein des États, et la production des multinationales à l’extérieur de leur pays d’origine ne dépasse pas 9 %.

Paquin part ensuite de la supposition que, comme la portée de la mondialisation est exagérée, ses effets le sont probablement aussi. Il analyse donc ses effets sur 1) l’emploi et les inégalités, 2) l’État-providence et 3) la social-démocratie. L’analyse statistique débute en démontrant qu’il y a eu un taux de chômage beaucoup plus faible en 2019 dans les pays de l’OCDE que dans les dernières décennies, et que le taux d’emploi et la part d’emplois très qualifiés ont augmenté avec l’accélération de la mondialisation. Les pertes d’emplois ont plutôt eu lieu dans les secteurs moins concurrentiels nécessitant des emplois moyennement qualifiés et requérant des tâches répétitives, où les travailleurs peuvent être remplacés plus facilement par des technologies d’autonomisation. Par ailleurs, les technologies n’ont pas nécessairement abouti à une diminution du nombre d’emplois, mais plutôt à une réorganisation des emplois vers les secteurs des services. Paquin conclut ce chapitre en s’attaquant au mythe de l’inégalité, en soutenant que, comme les inégalités ne croissent pas de la même façon dans l’ensemble des pays, la mondialisation n’en serait pas la cause. La cause des inégalités trouverait plutôt sa source dans les réformes fiscales entreprises par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, où le pouvoir du capital a commencé à primer davantage sur celui des travailleurs.

L’auteur poursuit son analyse en s’attaquant aux critiques de la mondialisation portant sur l’État-providence. Il constate que la mondialisation n’a pas freiné les dépenses publiques. Au contraire, les pays de l’OCDE ont plutôt connu une très forte croissance des dépenses publiques entre 1960 et 2015. Celles-ci sont effectivement passées d’une moyenne de 10 % du produit intérieur brut (PIB) en 1960 pour les États de l’OCDE à 21 % de leur PIB en 2016. De plus, dans les États où le secteur privé contribue financièrement aux dépenses sociales, ces dépenses ont globalement augmenté, infirmant ainsi l’idée que les dépenses sociales diminuent avec l’accélération de la mondialisation.

Le dernier chapitre de l’ouvrage compare les performances économiques des pays sociaux-démocrates et libéraux face à la mondialisation. L’auteur s’attaque au mythe que les États libéraux sont plus adaptés à la mondialisation que les démocraties sociales. Les statistiques sont pourtant à l’avantage de ces derniers : le taux de syndicalisation, les dépenses publiques, le taux d’emploi et le PIB par habitant y sont plus élevés. En outre, alors que l’endettement des pays libéraux est nettement supérieur à celui des États sociaux-démocrates, ces derniers ont de meilleurs résultats concernant les indices d’inégalités de revenu et la place des femmes sur le marché du travail, démontrant la résilience des pays sociaux-démocrates face à la mondialisation.

La mondialisation : une maladie imaginaire est un ouvrage pertinent pour un lecteur non spécialiste qui s’intéresse aux effets de la mondialisation, ou pour de nouveaux étudiants qui souhaitent s’initier à ce sujet. Cet ouvrage concis permet une lecture « froide » des statistiques pour comprendre les incidences de la mondialisation sur les enjeux économiques des pays développés, et permet ainsi de déconstruire plusieurs mythes à propos de ce processus. En revanche, le livre s’avère plutôt élémentaire pour un lecteur plus avancé. En effet, l’analyse des conséquences de la mondialisation sur l’emploi, l’État-providence et la social-démocratie reste en surface et mériterait d’être développée davantage. Comme il appuie ses conclusions sur à peine une dizaine de sources, on pourrait reprocher à l’auteur de ne voir qu’un côté de la médaille des effets sur la mondialisation.

De plus, les phénomènes liés à la mondialisation sont analysés d’un point de vue « macro », c’est-à-dire que les effets de cette plus grande interdépendance sont donnés pour des indicateurs nationaux, tels que le PIB, le taux d’exportation, et le taux de chômage. Or, cette lecture ne permet pas d’expliquer de façon plus nuancée les effets de la mondialisation à l’intérieur des États. La mondialisation crée certainement des gagnants et des perdants au sein des États, mais l’ouvrage reste silencieux sur les groupes qui écopent et ceux qui bénéficient de ce phénomène.

En terminant, l’analyse de Stéphane Paquin permet certes de clarifier certaines déformations de la réalité qui sont parfois exprimées contre la mondialisation. Une critique importante de la mondialisation est qu’elle accroît l’inégalité entre les États dits développés et ceux en développement. Or, en s’attaquant uniquement aux effets sur les pays développés, l’analyse reste silencieuse sur les inégalités Nord-Sud pouvant résulter de la mondialisation. Bref, il s’agit d’un bon ouvrage introductif à la mondialisation, qui reste toutefois limité aux répercussions sur les pays de l’OCDE ainsi qu’aux conséquences économiques, et qui laisse de côté les effets culturels, environnementaux et sociaux de la mondialisation. En élargissant l’analyse à davantage d’enjeux et à une plus grande diversité d’États, on constaterait peut-être que la mondialisation n’est pas tout à fait une maladie imaginaire.