Article body

Comme son titre l’indique, l’ouvrage collectif proposé, sous la direction du politologue Alain-G. Gagnon et de la juriste Johanne Poirier, rassemble des contributions qui s’intéressent au fédéralisme canadien sous l’angle de ses acteurs et de ses institutions. S’inscrivant comme troisième volume d’une série lancée par le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales, celui-ci tente de saisir la nature de l’expérience fédérale canadienne « à l’aune de sa capacité à promouvoir l’autonomie de différents groupes ainsi que du potentiel des institutions communes à concilier les intérêts divers » (p. 2-3).

Il n’est donc pas ici question d’une genèse historique du fédéralisme au Canada ou d’une simple revue des enjeux actuels entourant la notion. L’ouvrage aborde autant le passé du système fédéral canadien, ses tensions et défis contemporains, que les enjeux qui se profilent selon une visée prospective. Le pari est de réunir autant des politologues et des juristes que des historiens afin d’explorer la richesse normative et institutionnelle du fédéralisme en tant que modes d’organisation et de gouvernance des États démocratiques libéraux.

L’ouvrage propose une double grille d’analyse, soit l’influence d’une institution sur les « acteurs clés » de la fédération canadienne, notamment les entités fédérées, mais aussi les peuples autochtones, les nations minoritaires et les minorités linguistiques (p. 3-4). De surcroît, les différents auteurs ne font pas l’économie, en début de chaque thématique institutionnelle, d’apports comparatifs pertinents qui permettent de contribuer au dialogue international sur le potentiel des fédérations à structurer le débat entre différents groupes. Ainsi, les expériences australienne, belge, allemande et suisse jouissent chacune d’un chapitre rédigé par des experts propres à leur système.

La première partie s’intéresse au bicaméralisme. Prenant en exemple l’expérience australienne, Cheryl Saunders examine les différents rôles qui sont attribués à une seconde chambre au sein d’un corps législatif fédéral bicaméral (p. 30). Censées être de prime abord une tribune pour les différents groupes fédérés au sein du palier fédéral, les secondes chambres tendent davantage à devenir un organe de révision qui n’échappe pas à la politique partisane, quoique dans un degré moindre que la première chambre (p. 38 et 40). À la différence de la première chambre, le Sénat australien se prête davantage à la représentation des minorités et des plus petits partis politiques (p. 46).

Jörg Broschek explore quant à lui les mécanismes institutionnels servant à concilier les différends entre le palier fédéral et les paliers provinciaux. Il infère que des faiblesses structurelles inhérentes au moment de la formation de la fédération se répercutent au fil de son histoire. Le Sénat canadien échoue à sa mission de gouvernance conjointe (p. 72). Les provinces, au fil du temps, ont préféré miser sur le renforcement de leur autonomie en passant par des relations intergouvernementales moins formalisées que les institutions fédérales communes (p. 73). L’analyse de Broschek se termine par une revue des options futures pour l’évolution de la structure fédérale. Le politologue conclut que des réformes institutionnelles en profondeur sont peu susceptibles de se produire, auquel cas les relations intergouvernementales seront privilégiées.

Ian Peach arrive au même constat de la relative inefficacité du Sénat canadien comme vecteur de dialogue intra-institutionnel sur les mécanismes de partage des pouvoirs et la mise en commun des compétences. Il avance toutefois des solutions institutionnelles en guise de remplacement du Sénat (p. 94 et 98). Il plaide notamment pour la constitutionnalisation d’un Conseil de la Fédération fédéral/provincial/territorial qui ferait office d’organe de consultation et de coordination des politiques communes.

Linda Cardinal souligne pour sa part le rôle significatif que le Sénat canadien a joué dans la représentation des intérêts des minorités au sein de la fédération. Elle explore plus particulièrement la représentation des femmes, des peuples autochtones et des francophones au sein du Sénat et propose que cette représentation soit officiellement encadrée par voie législative (p. 131). Le Sénat pourra ainsi jouer un rôle plus inclusif à titre d’instance de révision du processus législatif fédéral.

Passant ensuite au pouvoir judiciaire, Marc Verdussen compare les expériences belge et canadienne tout en mettant l’accent sur les forces centrifuges qui déstabilisent l’équilibre fédéral. Outre les différences et les similitudes institutionnelles du pouvoir judiciaire propres à ces États fédéraux, l’auteur souligne leur bipolarisation (anglophones/francophones et Flamands/francophones) (p. 142). Toutefois, l’influence de la jurisprudence constitutionnelle sur l’équilibre fédéral tend à démontrer que le Canada est témoin d’une oscillation entre les tendances centralisatrices et décentralisatrices, tandis que la Belgique est marquée par un fédéralisme bipolaire qui « imprègne encore tous les aspects de la vie publique – y compris la jurisprudence constitutionnelle » (p. 173).

Sébastien Grammond analyse la pensée contractuelle dans l’interprétation de la Constitution canadienne. Il soumet l’hypothèse que la Constitution est le résultat d’un pacte et que cette image est perceptible dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, ne serait-ce qu’implicitement. La théorie du pacte entre peuples fondateurs constitue un acte de reconnaissance important. En plus, l’auteur avance que ce raisonnement contractuel dépasse les seuls intérêts des entités fédérées, pour intégrer les peuples autochtones et les minorités linguistiques au sein d’un dialogue entre les acteurs clés de la fédération. La flexibilité de la pensée contractuelle permet en ce sens de garder à l’esprit les intérêts des différents partenaires afin de se pencher sur les problèmes actuels (p. 201).

L’analyse de l’avenir du fédéralisme canadien passe aussi certainement par le système électoral et les partis politiques. Arthur Benz dresse une comparaison détaillée des exemples allemand et canadien en soulignant la difficulté de réconcilier le fédéralisme et la démocratie parlementaire. Il distingue le fédéralisme et le système partisan généralement intégré de l’Allemagne et le dualisme intergouvernemental du Canada. Dans ce dernier cas, les acteurs clés de la fédération négocient en marge de la structure constitutionnelle traditionnelle pour privilégier les ententes souples. La logique de concurrence entre les acteurs se combine ainsi avec une volonté de coopération. C’est donc une manière novatrice de répondre au conflit structurel entre le fédéralisme et la démocratie parlementaire.

Brian Tanguay propose une recontextualisation actuelle des conclusions d’Alan C. Cairns selon lesquelles le mode de scrutin uninominal à un tour accentue les tensions régionales et linguistiques du Canada. Il ne correspond pas vraiment à l’image typique tel qu’il est normalement décrit, car il maintient un système partisan multipartite. L’auteur soutient qu’un système proportionnel mixte serait bénéfique pour le Canada, notamment en raison d’une plus grande diversité des points de vue et d’une meilleure représentation de la diversité parmi les élus (p. 257).

Enfin, concernant les relations intergouvernementales, Eva Maria Belser compare les expériences suisse et canadienne. Elle détaille l’accentuation de la coopération intercantonale suisse nécessaire pour contrebalancer la centralisation fédérale accrue. Cette coopération tend en revanche à concentrer les pouvoirs décisionnels entre les mains des exécutifs cantonaux au détriment des Parlements, ce qui soulève la question du déficit démocratique.

Noura Karazivan explore elle aussi dans son chapitre la tension entre la nature plus coopérative du fédéralisme canadien et la démocratie parlementaire. Compte tenu de la souveraineté parlementaire reconnue par les tribunaux, les ententes intergouvernementales négociées peuvent être révoquées par les législatures. L’auteure soumet l’hypothèse que la consolidation et l’interprétation des régimes d’ententes entre gouvernements devraient échoir aux acteurs législatifs et gouvernementaux plutôt qu’aux tribunaux, afin de respecter au mieux la séparation des pouvoirs et le souci constant d’imputabilité démocratique.

Jean-Philippe Gauvin et Martin Papillon décrivent au chapitre suivant les critiques découlant du fédéralisme exécutif. Ce dernier contribue à limiter la participation des citoyens dans les affaires publiques, de même qu’il réduit l’imputabilité des exécutifs face aux législatures et au public. Le manque de transparence des ententes intergouvernementales est aussi décrié. Les auteurs nuancent cependant ces critiques en départageant les ententes politiques des ententes administratives. Ils évoquent aussi les bienfaits des ententes comme outils de coopération et de coordination horizontale entre les entités fédérées et les peuples autochtones.

Le dernier chapitre, écrit par Yasmeen Abu-Laban, met en lumière la distinction entre les deux Canadas, soit l’un d’ouverture aux autres et l’autre de repli sur soi. L’auteure plaide pour un fédéralisme pluraliste qui permet la participation de l’ensemble des acteurs clés de la fédération. Ce fédéralisme est le souhait d’une conception plus inclusive et multinationale du fédéralisme canadien.

***

La principale force de l’ouvrage réside dans l’idéal proposé tout au long des différents chapitres, soit le dialogue incessant entre les différences de points de vue, les disciplines universitaires, le passé et l’avenir, sans oublier les acteurs clés de la fédération. Le lecteur est loin de s’y perdre tant l’accessibilité des sujets se concilie bien avec la profondeur du cadre analytique transversal.

L’avenir du fédéralisme canadien sied, par la multitude des perspectives adoptées, autant à la communauté étudiante s’intéressant de près ou de loin aux questions de pluralisme national qu’à la communauté de recherche qui étudie en profondeur le renouvellement institutionnel des structures fédérales. Plus de 150 ans après la création de l’État canadien et outrepassant les frontières disciplinaires parfois perméables, il est très certainement une contribution riche et nécessaire à la littérature sur le fédéralisme et permet de le représenter dans toute sa complexité. Seul l’avenir pourra maintenant nous renseigner sur son évolution et son expression au sein des démocraties libérales et dans quelle mesure il s’opère.