Abstracts
Résumé
Cet article interroge les premières étapes de la constitution d’un réseau antimesures sanitaires québécois sur Twitter entre le 12 mars, date de l’annonce par le premier ministre du Québec des premières restrictions sanitaires, et le 31 mars 2020. Basé sur une approche sociotechnique, il se penche sur l’assemblage des discours antisanitaires et le rôle des différents acteurs, humains et technologiques, qui contribuent à en dessiner les contours et en fabriquer le contenu. Par l’analyse des quatre étapes qui ponctuent l’élaboration d’un réseau – la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation des alliés –, il montre comment se dessine au fil des échanges un populisme par le bas, alimenté par des théories du complot, qui contribuent à cristalliser une opposition entre les élites et le peuple. La stabilisation de l’identité de ce réseau ne se fonde ainsi par sur un substrat de faits partagés ou sur une grille de lecture commune de la crise sanitaire, mais sur une posture de dénonciation des élites politiques, économiques et scientifiques. Elle permet ainsi la convergence des « anti- », y compris les antivaccins, les antienvironnementalistes et les antipluralistes, mais surtout les antiélites et les antisystèmes, et participe très tôt dans la crise provoquée par la COVID‑19 à l’élargissement du réseau.
Mots-clés :
- réseau antimesures sanitaires,
- Twitter,
- approche sociotechnique,
- populisme,
- théories du complot
Abstract
This article examines the first stages of the constitution of a Quebec anti-sanitary measures network on Twitter between March 12, the date of the announcement by the Premier of Quebec of the first sanitary restrictions, and March 31, 2020. Based on a sociotechnical approach, it examines the assembly of anti-sanitary discourses and the role of the different actors, both human and technological, who contribute to shaping their contours and content. Through the analysis of the four stages that punctuate the elaboration of a network—problematization, interest, enrolment, and mobilization of allies—it demonstrates how a populism from below takes shape over the course of the exchanges, fuelled by conspiracy theories, which contribute to the crystallization of an opposition between the elites and the people. The stabilization of the identity of this network is thus not based on a substratum of shared facts, or on a common reading grid of the health crisis, but on a posture of denunciation of the political, economic, and scientific elites. It thus allows the convergence of the “anti-,” including the anti-vaccines, anti-environmentalists, and anti-pluralists, but above all the anti-elites and anti-systems, and participates very early in the crisis provoked by COVID‑19 in the enlargement of the network.
Keywords:
- anti-sanitary measures network,
- Twitter,
- sociotechnical approach,
- populism,
- conspiracy theories
Article body
La crise sanitaire mondiale provoquée par la pandémie de COVID‑19 a ouvert au printemps 2020 un moment d’incertitude fort, générant des réponses étatiques à géométrie variable pour tenter de juguler la progression de la maladie et de ses variants (confinements plus ou moins stricts ; mesures sanitaires changeantes ; fermeture des frontières ou circulation plus contraignante, etc.). Ces réactions ont suscité questionnements, scepticisme et opposition, qui se sont avant tout exprimés sur les médias sociaux, devenus plus que jamais des espaces de fabrication, de cristallisation et de circulation d’opinions radicales alternatives ou contestataires. Ce phénomène est loin d’être nouveau. Comme l’ont montré plusieurs auteurs qui ont analysé les crises sanitaires passées (p. ex. : Shallman 2018 ; Wood 2018), comme celles provoquées par les virus Zika ou le SARS‑1, ces événements sont propices à la diffusion à large échelle de fausses informations et théories du complot sur l’origine de la maladie et sur sa propagation, entre autres.
S’il est établi que pandémie et « infodémie » vont de pair (Cinelli et al. 2020 ; Tomes 2020), le rôle des médias sociaux est souvent appréhendé de manière instrumentale, soit comme un moyen de diffuser un discours. Or, et c’est l’argument principal de cet article, les médias sociaux ou plateformes numériques contribuent aussi à la fabrique de ces discours et à la circulation d’opinions alternatives, souvent considérés comme marginaux (fringe). Nous postulons en effet que la technologie et les médias sociaux ont des effets et des impacts sur les processus d’élaboration et de diffusion des discours. Cela renvoie aux principes de matérialité et de performativité des plateformes numériques, soit l’idée qu’un système ou un objet – ici un média social – doit être considéré à la fois dans sa structure ou son infrastructure (les règles techniques qui gouvernent son fonctionnement) (Suchman 2007) ainsi qu’à travers ses effets (ce qu’il fait) (Drucker 2013). Ainsi, les technologies, dont les plateformes numériques, constituent bien plus que des moyens de parvenir à des objectifs. Elles peuvent affecter ces mêmes objectifs. Dès lors, elles ne peuvent être réduites à l’action ou l’intention humaine. Si cette question commence à intéresser les chercheurs qui se penchent notamment sur l’ultra-droite et les théories du complot (dont Crosset, Tanner et Campana 2019 ; Siapera et Viejo-Otero 2021), de nombreuses questions demeurent pour mieux comprendre comment les interactions entre les plateformes numériques, leurs utilisateurs et les usagers façonnent les discours et leur circulation.
Basé sur une approche sociotechnique et plus particulièrement sur la théorie de l’acteur réseau (Akrich 1992 ; Latour 1994 ; 1996 ; 2005 ; Law et Hassard 1999), cet article entend combler en partie cet angle mort. Il se penche sur l’émergence et les premières phases de la structuration d’un réseau antimesures sanitaires sur Twitter. Il se concentre plus particulièrement sur les messages diffusés sur Twitter du 12 mars 2020, date de l’annonce de l’interdiction des rassemblements de plus de 250 personnes, au 31 mars, soit sept jours après l’instauration du premier confinement dans la province de Québec le 24 mars. Cette période se révèle charnière puisqu’elle voit émerger des individus qui agissent et sont reconnus comme des influenceurs, des références en matière de discours alternatifs et contestataires, que Paolo Gerbaudo (2012, 5) qualifie de « chorégraphes ». Ces influenceurs jouent sur des vérités et des contre-vérités et mobilisent principalement un registre émotionnel (ibid.). S’érigeant en porte-parole d’une cause définie de manière itérative, ils jouent ainsi un rôle central dans l’émergence de ce réseau. Le réseau n’est pas réductible, d’après l’approche sociotechnique que l’on privilégie, aux individus et aux collectifs qui le composent, pas plus qu’il ne s’appréhende qu’à travers les relations que ces acteurs tissent. Le concept de réseau inclut ici les éléments matériels – Twitter en l’occurrence – qui participent à l’action et plus particulièrement agissent « comme relais, comme amplificateurs » (Callon et Ferrary 2006) ou comme contraintes et obstacles.
Notre objectif est de comprendre comment émerge et évolue la twittosphère antimesures sanitaires québécoise, en analysant l’assemblage des discours antisanitaires et le rôle des différents actants qui contribuent à en dessiner les contours et en fabriquer le contenu. Ce faisant, nous nous arrêtons tant sur les actants qui constituent ce réseau que sur les thématiques dominantes qui structurent les discours qui y circulent. Nous montrons la très forte instabilité de cette twittosphère à ses débuts et les dissonances qui émergent, discordances qui contribuent à mettre en lumière les difficultés que les influenceurs éprouvent à stabiliser les discours qui y sont véhiculés. Construit sur des amalgames qui fédèrent les « anti- », y compris les antivaccins, les antienvironnementalistes et les antipluralistes, mais surtout les antiélites et les antisystèmes, ce réseau se structure en partie, mais pas uniquement, autour de théories du complot qu’il contribue à populariser et/ou à transformer et qui convergent autour de l’idée que la crise serait construite par des élites corrompues. Dès lors, le réseau qui apparaît au début de la crise sanitaire est mû par la nécessité de faire surgir « la » vérité, sans que ni les contours de cette dernière ni son contenu ne fassent consensus.
Crise sanitaire 2.0 et théories du complot
Comme nous l’avons évoqué plus haut, pandémie et infodémie sont indissociables. L’omniprésence des médias sociaux dans nos vies quotidiennes contribue à la circulation d’une pluralité de discours sur la crise de la COVID‑19 dès son éclatement (Singh et Banga 2022).
Nous serions en effet entrés dans une ère de « post-vérité » (McIntyre 2018), caractérisée par un paysage médiatique de plus en plus morcelé, la multiplication des médias alternatifs et une « increasingly visible emotionality in political life » (Boler et Davis 2018). Dès lors, « la » vérité n’est plus basée sur des faits objectifs vérifiés, mais sur des émotions, des croyances et des préférences (McIntyre 2018). La mobilisation d’un registre émotionnel, souvent articulé autour de la peur, de la colère et du ressentiment, influence grandement la fabrique des opinions et accentue les clivages, voire la polarisation dans les sociétés touchées (Flintham et al. 2018).
Les médias sociaux jouent ici un rôle tout à fait central. Nous les définissons, à la suite de Kawaljeet Kaur Kapoor et ses collègues (2018, 536), comme « various user-driven platforms that facilitate diffusion of compelling content, dialogue creation, and communication to a broader audience. It is essentially a digital space created by the people and for the people and it provides an environment that is conducive for interactions and networking to occur at different levels (for instance personal, professional, business, marketing, political and societal). » Tout un chacun qui a accès à Internet et maîtrise minimalement les technologies numériques peut exprimer une opinion susceptible de percoler dans l’environnement virtuel. Dès lors, chacun peut, depuis son écran, contribuer à relayer des théories, les étoffer d’éléments nouveaux ou les contester vertement, permettant ainsi à des informations vérifiées, mais aussi à de fausses nouvelles ou des rumeurs (Alloing et Vanderbiest 2018), de circuler abondamment et rapidement. Les médias sociaux contribuent d’ailleurs très largement à la diffusion à très large échelle des théories du complot (Wilbur 2020), qui sont au fondement de ces fausses nouvelles, les structurent, et alimentent des stratégies de désinformation.
Les théories du complot peuvent être définies, à la suite de Thomas M. Konda (2019, 11), comme « a narrative centered on the idea that a malevolent group of people is conspiring to bring about some state of affairs to the detriment of the people in general ». Très diverses dans leur nature et leur contenu (Bergman 2018), elles véhiculent pour la plupart cette idée qu’un groupe de personnes, avec des intentions non déclarées, tenterait de berner les citoyens lambda afin d’établir une domination sans partage sur les affaires du monde. Elles proposent des schèmes d’interprétation, basés sur une lecture émotionnelle et moralisatrice de faits réagencés et de fictions ainsi que sur un style rhétorique particulier (Byford 2011, 5), mariant victimisation et dénonciation. Ce faisant, malgré un haut degré de complexité (Zwierlein 2013, 69), elles offrent des réponses simples, pour ne pas dire simplistes, marquées par un certain déterminisme social.
Elles ont tendance à résonner en premier lieu auprès de groupes qui évoluent en marge des sociétés et constituent de véritables catalyseurs pour les extrémismes (van Prooijen, Krouwel et Pollet 2015). Ainsi, tous les discours extrémistes intègrent, à des degrés divers, des théories du complot qu’ils contribuent à façonner, remanier et diffuser. Eirikur Bergman et Thomas M. Konda montrent toutefois la forte convergence entre montée de l’extrême-droite, du populisme de droite et la diffusion à grande échelle de théories du complot au contenu varié (Bergman 2018, 3 ; Konda 2019, 9). Cette interconnexion, facilitée par l’environnement informationnel qui redéfinit, sous les effets des possibilités offertes par les médias sociaux, « the societal architecture of visibility, access, and community » (Tufekci 2017, 6), se lit principalement par des attitudes et des discours similaires sur les « élites » (Sutton et Douglas 2014, 256).
Les élites sont représentées comme une catégorie homogène, au mieux incompétente, au pire, malveillante, et sont pointées du doigt pour leur immoralité. De nombreux débats persistent, sur le concept de populisme d’abord, qui reste un « quintessentially contested concept » (Mudde et Kaltwasser 2017, 2‑5). Au-delà de la grande diversité des partis et des mouvements qualifiés de populistes, Jeremy Webber (2023, 4) identifie deux « catégories d’éléments » qui interagissent : 1) les « core elements » que l’on retrouve dans tous ces partis et mouvements (incarnation de peuple ; antiélitisme ; prises de position binaires et moralisatrices ; défiance envers les procédures et les institutions) ; et 2) les « propensities and affinities » (définition exclusive du peuple ; rejet de l’immigration ; victimisation, etc.) qui caractérisent certains de ces mouvements ou partis et qui, dépendamment du contexte politique, juridique et normatif, peuvent être aussi importants que les « core elements ».
Les débats se portent aussi sur la nature des liens entre populisme et théories du complot. Plusieurs chercheurs soulignent que populisme et théories du complot ne peuvent être que difficilement distingués puisqu’ils partagent des postulats semblables et peuvent être expliqués par des facteurs similaires. Bruno Casthano Silva, Federico Vegetti et Levente Littvay (2017, 425) proposent ainsi de considérer le populisme comme une trame de fond et les théories du complot comme des variations musicales. Pour d’autres, dont Eric Oliver et Wendy Rahn (2016), les discours de partis populistes contribuent à la diffusion et l’appropriation de théories du complot. D’autres encore montrent que la relation entre populisme et croyances dans les théories du complot est bidirectionnelle. Autrement dit, populisme et théories du complot se nourrissent et se renforcent l’un l’autre (van Prooijen 2018, 92), une position que nous partageons.
Le deuxième élément contextuel peut paraître secondaire, mais il devient prégnant lors d’une crise sanitaire. Il renvoie à la production accélérée d’un savoir scientifique de plus en plus accessible. Le sentiment d’urgence généralisé a conduit les revues scientifiques à vocation médicale à modifier certaines de leurs pratiques. Plusieurs ont misé sur la prépublication ; d’autres ont compressé l’étape pourtant cruciale de l’évaluation par les pairs, quitte à retirer a posteriori des articles dont le cadre théorique, méthodologique ou les conclusions ont fini par soulever des préoccupations (Else 2020). Plusieurs revues ont aussi misé sur la publication de textes d’opinion, une pratique permettant une circulation rapide d’hypothèses scientifiques ou de résultats et donc un avancement des connaissances sur la maladie. Une telle pratique a toutefois provoqué en plusieurs occasions des confusions, augmentées par l’emballement médiatique et politique qu’elles ont pu susciter (Bagdasarian, Cross et Fisher 2020).
Parallèlement à cette accélération, tant dans la production que dans la diffusion d’avancées scientifiques, deux phénomènes saillants ont ponctué la crise sanitaire liée à la COVID‑19. Le premier tient à la couverture offerte par des médias présentés comme alternatifs. Ces derniers ont très largement participé, par l’angle biaisé qu’ils adoptent, à la diffusion de fausses informations sur la maladie et les mesures prises pour enrayer sa propagation (Motta, Stecula et Farhart 2020). De fait, ils ont contribué à la diffusion d’une posture antiscience, une tendance déjà largement observable avant même mars 2020 (Douglas et al. 2019, 20). La parole de la plupart des experts est aussi régulièrement remise en cause par les tenants de discours populistes, qui tendent à inclure les scientifiques dans la catégorie fourre-tout des « élites » décriées, voire honnies (Merkley 2020, 28). Comme le rappelle Jan-Willem Van Prooijen (2018, 93), les mouvements populistes, au-delà de leur grande diversité, développent « an alternative perception of reality that is poorly grounded in reason or science ». Ils produisent parallèlement des interprétations alternatives de ces réalités, qui puisent entre autres dans les théories du complot (ibid.).
L’incertitude entourant la COVID‑19, la vivacité des débats scientifiques et certaines controverses dont se sont saisis les médias ont constitué autant d’occasions de tenter de décrédibiliser la parole scientifique dans son ensemble, de faire circuler de fausses informations à propos de la sévérité de la maladie ou des mesures à appliquer pour en diminuer les effets, tout en portant au firmament des médias sociaux des théories et des options thérapeutiques non validées, voire loufoques et dangereuses.
Alors que le gouvernement du Québec commence à communiquer sur la crise sanitaire qui débute, les médias sociaux voient apparaître des discours alternatifs posant des questions diverses sur la nature de la pandémie et les solutions décrétées par les gouvernements, dont celui de la province de Québec. Plusieurs influenceurs tentent alors d’agréger interrogations, doutes et remises en cause du discours officiel. Ces individus étaient déjà, pour la plupart, actifs sur les médias sociaux, particulièrement sur Twitter. Ils contribuent dès le début de la crise sanitaire au Québec à la construction d’un réseau que nous qualifions de twittosphère antimesures sanitaires, qui a largement bénéficié de l’environnement propice discuté plus haut pour élargir sa résonance.
Une perspective sociotechnique sur la Plandemic liée à la COVID-19
Le titre du documentaire Plandemic, créé par des militants antivaccins et diffusé le 4 mai 2020, renvoie à un terme qui a abondamment circulé dans les cercles complotistes actifs sur Twitter avant cette date. Ce terme contient l’idée que la pandémie de COVID‑19 a été fabriquée de toutes pièces, planifiée et scénarisée (Kearney, Chiang et Massey 2020). Il saisit bien le rôle central des médias sociaux, devenus l’unique source d’informations pour certains (boyd 2019). Or, plusieurs chercheurs ont bien montré que les plateformes numériques personnalisent l’information en fonction des préférences des consommateurs, qu’identifient les algorithmes qui structurent leur fonctionnement. Certaines informations, qui vont à l’encontre de ces préférences, sont tout bonnement exclues (Noble 2018). Les failles et les affordances de celles-ci sont parfois sciemment exploitées, attirant leurs usagers vers de la fausse information (Golbiewski et boyd 2019). Une telle pratique induite par les algorithmes de recommandation a le potentiel d’enfermer les individus qui y sont actifs dans un environnement informationnel presque étanche, qui ne possède aucun substrat dans la réalité (Hannah 2021). Les individus peuvent continuer à être soumis à des opinions contraires, mais, dans certains cas, les algorithmes de recommandation ou les algorithmes personnalisés peuvent contribuer à les enfermer dans des chambres d’écho.
Dès lors, la manière dont les usagers interagissent avec les plateformes numériques peut avoir une incidence sur la nature des informations auxquelles ils sont confrontés et sur l’opinion qu’ils se font d’un événement ou d’une crise.
Les médias sociaux ne sont pas des outils neutres. Ils contribuent à modeler un univers de sens qui tend à se rétrécir ou s’élargir en fonction de l’usage que les consommateurs en font et de leurs affordances. Dès lors, il nous faut tenir compte de leur matérialité pour comprendre la création d’une twittosphère antimesures sanitaires. Paul M. Leonardi (2010) constate que les plateformes numériques ont « some property […] that provides users with the capability to perform some action. Calling these properties out with the adjective “material” seems a ply to remind the reader that the software-[ici Twitter]-in-use does things that cannot be reduced to human intention or action. »
La théorie de l’acteur-réseau et l’approche sociotechnique qui la sous-tend fournissent une boîte à outils théoriques et méthodologiques pertinente pour saisir un réseau en constante évolution et ses deux corollaires : les discours-en-instance-continue-d’élaboration-et-de-transformation ; les interactions entre les individus qui participent à un fil de conversation Twitter, les plateformes numériques, leurs affordances techniques et l’auditoire. En d’autres termes, elles permettent de porter le regard sur les réseaux de relations contingentes entre individus, technologies et objets (Couldry 2008) et les « influences mutuelles simultanées » entre ces actants (Díaz Andrade et Urquhart 2010), sans présupposer que les individus qui participent à ce réseau adhèrent a priori à l’une ou l’autre des théories du complot qui peuvent y circuler. Le concept de réseau ne doit donc pas être envisagé comme « un ensemble de points interconnectés » (Latour 2007, 189), mais comme une série d’associations, d’actions dynamiques, qui impliquent à des niveaux, des degrés et des moments divers ou concomitants les différents actants qui y participent. Un réseau se matérialise donc d’abord et avant tout à travers des actions, des objectifs et des intentions.
Michel Callon (1986) montre que la constitution d’un réseau se fait en quatre étapes. La première, la problématisation, analyse quels sont les problèmes et les « sujets de préoccupation » identifiés par les individus (Latour 2005, 24), qui tentent de s’ériger en porte-parole, et quels objectifs ils se donnent. La définition et la caractérisation d’une situation découlent toujours d’une négociation. La problématisation relève en effet de processus compétitifs, qui visent entre autres à « intéresser » d’autres acteurs qui deviennent des alliés dans le contexte de la constitution d’un réseau. En pointant et en définissant un problème, les porte-parole ciblent un certain nombre d’acteurs, auprès desquels leur argumentaire pourrait trouver écho.
La seconde, l’intéressement, renvoie non seulement aux efforts de mobilisation de ces acteurs, mais aussi à des tentatives de stabiliser l’identité du réseau en émergence. Cette étape peut être ponctuée de négociations ardues, d’allers-retours et de conflits. L’approche sociotechnique postule que les processus qui sous-tendent la stabilisation d’une identité et des discours qui y sont attachés sont itératifs. Le sens donné à un fait ou à un événement évolue en fonction des interactions entre les différents actants ; il ne découle pas simplement d’un emboîtement d’idéologies, de théories ou de mythes, comme des Lego® qui s’encastreraient l’un dans l’autre, mais plutôt d’une association de ces différents éléments en un nouveau discours qui leur confère en retour des significations nouvelles (Law et Hassard 1999, 8). Les glissements de sens qui sous-tendent ces processus ne sont pas prévisibles en tant qu’ils reflètent l’intervention d’acteurs ou actants – individus comme technologie – qui constituent le réseau (Callon 1986).
Réussi, l’intéressement amène à la troisième étape, l’enrôlement, puis à une quatrième étape, la mobilisation des alliés, ici de l’auditoire (ibid. 1986). L’enrôlement consacre en quelque sorte le succès de l’étape précédente, l’intéressement (ibid., 186). Le travail collectif effectué au cours des deux premières étapes, bien que souvent invisible aux acteurs eux-mêmes, aboutit à la transformation de préoccupations quelquefois éparses en un ensemble de faits (Latour 2005). La mobilisation des alliés quant à elle vise à consolider le réseau qui a émergé et à confirmer le rôle du ou des porte-parole ou influenceurs. L’enrôlement et la mobilisation des alliés constituent des étapes de consolidation qui contribuent à renforcer les liens et les associations qui font le réseau.
Notre analyse est basée sur un échantillon de tweets publiés entre le 1er et le 29 mars 2020 par des militants antimesures sanitaires québécois. Nous avons « aspiré », pour cette seule période, 11 938 tweets. La première étape de notre stratégie de collecte de données a consisté en l’identification des mots-clics qui étaient alors populaires sur Twitter et qui reflétaient un mécontentement par rapport aux mesures sanitaires annoncées par le gouvernement québécois au début de ce qui sera un premier confinement. Parmi ces mots-clics, mentionnons #deepstatevirus, #QAnon, #CCPVirus, #Tousensemble, #vousallezpayer, Legaultdictatorship, qui nous permettent d’identifier les comptes les plus actifs. Ces derniers sont au nombre de douze ; nous les considérons comme un point d’entrée dans le réseau en train de se structurer. Ce faisant, nous avons inclus dans notre échantillon tous les comptes Twitter qui ont été retweetés au moins cinq fois par chacun de ces douze comptes entre le 1er et le 29 mars 2020.
Ce réseau est constitué, pour cette période de 29 jours, de 187 comptes. Les tweets qui en sont issus ont été « aspirés » automatiquement grâce à un programme d’extraction maison[1] et convertis au format Excel. Ils ont été par la suite importés dans NVivo, à partir duquel nous avons effectué une analyse thématique qualitative des 1000 premiers tweets de notre échantillon. Cette démarche inductive s’inscrit dans celle préconisée par Bruno Latour (2007, 19) qui précise qu’adopter la théorie de l’acteur-réseau nécessite de « suivre » les actants pas à pas. Chaque tweet constitue un instantané ou une traduction de l’état d’esprit de son auteur, des croyances ou des théories qu’il porte. Ils nous permettent donc de documenter les évolutions du discours des participants au fil de conversations Twitter et les contours du réseau qui se dessine petit à petit. Il ne s’agit pas ici de décrire le réseau, mais, en suivant les prescriptions de Latour (2005, 136-137), d’analyser comment les actants se déploient dans un réseau dynamique en constante recomposition.
L’analyse des données a fait ressortir onze thématiques principales abordées par les actants du réseau antimesures sanitaires québécois. Ces thèmes ont été numérotés pour faciliter leur référencement dans la suite de l’article, soit « COVID‑19 » (I), « la dénonciation » (II), « la recherche de réputation sur les médias sociaux » (III), « les valeurs » (IV), « Trump » (V), « la science » (VI ), « QAnon » (VII), « Poutine » (VIII), « lutter contre le complotisme » (IX), « les dissensions » (X), et « anti-immigration » (XI). Ils seront analysés au prisme des quatre étapes dans la constitution d’un réseau sur lesquelles nous concentrons notre attention.
Les actants en interaction
Le réseau antimesures sanitaires québécois représente un environnement dynamique et mouvant, un assemblage aux contours changeants, qui met en scène au moins quatre types d’actants. Les premiers représentent des individus, dont les discours peuvent être rattachés ou non à un courant idéologique ou à la sphère complotiste du fait de leurs interventions présentes ou passées et qui deviennent, à la faveur de leurs actions, des influenceurs interpellés, encensés ou critiqués par d’autres actants. Ils constituent autant de portes d’entrée dans le réseau antimesures sanitaires et s’imposent dans les échanges comme des références mobilisées par les autres participants au fil Twitter. Certains d’entre eux avaient déjà acquis ce statut avant même le déclenchement de la pandémie au sein d’autres réseaux, principalement orientés autour de questions liées au rejet de l’immigration, ou de positionnement antisystème. La crise sanitaire qui s’amorce leur permet d’investir de nouveaux registres et de se positionner en acteurs centraux du réseau qui émerge autour d’une opposition marquée à l’approche privilégiée dans le traitement de la pandémie par le gouvernement de la province de Québec.
Les seconds incarnent l’auditoire. Composé d’individus le plus souvent dissimulés derrière des pseudonymes prenant une part plus ou moins active aux discussions, ils contribuent à alimenter la conversation en retweetant une prise de position, en la commentant, en renchérissant, ou encore en faisant circuler des informations tirées de diverses sources. Leur participation varie en qualité et en quantité. Certains membres de cet auditoire n’interviennent a priori qu’à une ou deux reprises[2], alors que d’autres sont des commentateurs assidus qui, en retweetant certaines des interventions, peuvent participer à l’élargissement du réseau. De plus, par leurs interventions ponctuelles ou récurrentes, ils sanctionnent la position d’influenceurs des actants principaux ou au contraire tentent de l’invalider.
Le troisième actant est la plateforme numérique Twitter elle-même. Twitter comptait, avant que l’entreprise ne commence à fermer fin 2020, plusieurs milliers de comptes considérés comme conspirationnistes, un espace central de circulation de visions alternatives sur la pandémie. Aengus Bridgman et ses collègues (2020) estiment d’ailleurs que Twitter a certainement représenté l’espace dans lequel ces visions, alimentées par la désinformation et les fausses nouvelles, ont été très largement diffusées. Lieu de fabrication, d’échanges et de diffusion d’idées et d’opinions, ce média social devient un vivier de perspectives sur la crise sanitaire. Pour la plupart des participants au réseau antimesures sanitaires, il incarne la seule source fiable d’informations, puisque les médias dits traditionnels sont vus comme aussi corrompus que les gouvernements qu’ils serviraient.
Les priorités actuelles des médias :
#429_II[3]
défendre la propagande communiste à tout prix ;
utiliser cette propagande pour diviser la nation, en s’appuyant sur une politique identitaire ;
s’acharner sur Trump ;
défendre à tout prix les activistes des médias orientés à gauche ;
s’acharner sur Fox et al., sur tous ceux qui n’embarquent pas [sic] leurs efforts d’enfumage.
Comme le montrent bien Camille Alloing et Nicolas Vanderbiest (2018, 110-111), le traitement de l’information qu’opèrent les affordances de Twitter lui confère une « fonction représentationnelle » centrale. Dans la présente étude, cette fonction fait référence à la dénonciation répétée des dangers que poseraient les mesures sanitaires, comme des atteintes répétées à la liberté individuelle et aux tentatives de subjugation et d’asservissement que cacheraient les politiques gouvernementales de lutte contre la COVID‑19. Elle se lit pareillement dans les signes et les indices inscrits dans la plateforme numérique, tels que les avatars ou les mots-clics, qui servent à créer du lien avec d’autres tweets qui expriment une même idée, produisant un répertoire d’informations (ibid.). Celui-ci permet d’associer un message à un contexte plus global qui cadre – et ainsi affecte – le sens du message. Les mots-clics agissent dès lors comme des cris de ralliement, à l’image des exemples suivants : « #FakeScience » (#416_II) ; « #MensongedEtat” (#53_XI) ; « FuckTheIlluminati » (#8_VII).
Par ailleurs, les hyperliens, émoticônes, images ou autres liens menant à des vidéos constituent à la fois des éléments de cadrage et d’interprétation du message. Enfin, et pour donner davantage de visibilité à leur contenu, les activistes relaient ou « taguent » des comptes plus populaires, locaux ou internationaux, pour ainsi donner plus de force à leur propre contenu. Ces comptes représentent la quatrième catégorie d’actants. Ils agissent comme des cautions ou des repoussoirs et participent, par les retweets dont ils font l’objet, à élargir l’auditoire potentiel et donc le réseau.
Les sections suivantes retracent les quatre étapes sanctionnant la création et la stabilisation du réseau antimesures sanitaires québécois. Elles se penchent particulièrement sur les tensions que génère toute tentative de stabilisation du discours, puis sur les aléas liés aux trois étapes qui suivent une problématisation hautement compétitive.
Une problématisation sous tension
En premier lieu, nous constatons que les acteurs qui émergent dans les quinze premiers jours du confinement décrété le 24 mars 2020 par le gouvernement de la province de Québec comme des influenceurs étaient déjà actifs sur Twitter. Les conversations auxquelles ils prennent part ou qu’ils initient traitent de sujets concernant l’actualité québécoise et canadienne. Leurs prises de position laissent voir une méfiance, voire une défiance contre les gouvernements et, pour certains, les institutions en place. Le réseau antimesures sanitaires n’est donc pas construit à partir de rien. Puisqu’il découle des interactions et des actions des différents actants, il commence à se structurer quand différents individus font de la COVID‑19 et de la réaction des gouvernements québécois et canadien l’objet central – mais pas unique – de leurs interventions sur Twitter.
Des allusions à la « grippe chinoise » apparaissent ainsi, au détour de certains tweets, à compter du 1er mars. Ce n’est qu’à partir du 9 mars, alors que les différents médias multiplient les reportages sur le coronavirus et que les premières mesures sanitaires sont imposées dans plusieurs pays européens et aux États-Unis (notamment la suspension des vols en provenance d’Europe), que la COVID‑19 devient un sujet central. Rédigés sur un ton qui oscille entre cynisme et humour, les tweets ne font pas l’objet de nombreux retweets, ce qui laisse supposer que le sujet attire encore peu l’attention.
—J’espère que notre Premier Sinistre est conscient que c’est criminel de rassurer les gens si le danger est réel. La suite au prochain numéro.
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—Dans Astérix, le coronavirus existait déjà et avançait masqué.
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La conférence de presse tenue le 12 mars par le premier ministre du Québec François Legault, au cours de laquelle il annonce l’imposition de restrictions sanitaires au Québec (Bordeleau 2020), représente le moment à partir duquel les autres sujets autrefois d’intérêt pour ces commentateurs autoproclamés très présents sur les médias sociaux laissent une place quasi exclusive à la crise de la COVID‑19 et à l’interprétation que l’on doit, selon eux, lui donner. La temporalité de l’action est ici fortement influencée par des considérations politiques purement locales, et ce, même si les médias perçus comme traditionnels couvrent la maladie liée au coronavirus et ses évolutions depuis plusieurs semaines.
L’étape de la problématisation débute donc véritablement le 12 mars 2022. Toutefois, si l’intérêt des influenceurs se cristallise à compter de cette date, la définition du problème est marquée par une grande volatilité. Les questionnements et les prises de position fusent, tant sur la nature de la maladie que sur les réponses gouvernementales (Tanner et Campana 2022). Deux types de tensions principales marquent le processus de problématisation. Premièrement, si la réalité même de la COVID‑19 est remise en question, les commentateurs discutent de son importance et de sa létalité, lui conférant ainsi une existence concrète. La COVID‑19 est vue tantôt comme « une supercherie » (#15_I), tantôt comme une grippe : « T’as pas compris que tout ça c’est de la bouleshite [sic] (le PM et le chef de l’oppo [sic] infecté [sic] en même – yeah sure!). Des dizaines de médecins ont dit que c’est comme une grippe ordinaire, juste un peu plus virulente pour les vieux. WAKE. THE FUCK. UP! » (#55_I) Plusieurs tweets soulignent la différence de gestion entre cette pandémie et celles qui ont précédé. Cette absence perçue de cohérence entretient un sentiment de méfiance : « effectivement qu’il y a techniquement une pandémie, mais pourquoi aucune, aucune, de ces mesures n’a été prise pour le SRAS et le H1N1 qui ont fait respectivement 44 et 428 morts au Canada ? Et même ces chiffres ne justifient pas des mesures de guerre. » (#20_II) D’autres font cependant preuve de plus de nuances et de prudence, contrebalançant ainsi la position de la majorité : « On a tous pensé ça en Europe, je peux vous dire qu’on fait moins les malins maintenant ! Prévenez, certains n’en guériront pas ! » (#20_I)
De manière plus générale, alors que les effets de la COVID-19 sur la santé sont minimisés, les commentateurs les plus actifs au sein du réseau en train d’être constitué s’étonnent de la lenteur de la réaction des gouvernements québécois et canadien, laissant ainsi sous-entendre que le coronavirus mériterait une réponse plus appropriée. Cette seconde tension traduit l’influence des discours antigouvernementaux sur les perceptions dominantes qui circulent au sein du réseau. La méfiance à l’endroit des gouvernements et des institutions internationales conduit à des prises de position quelquefois contradictoires. D’un côté, il y a une forte tendance à remettre en question le potentiel de contagiosité de la COVID‑19, le plus souvent sous forme d’une question simple visant à instiller le doute dans l’auditoire – « Combien de cas au Canada sur un pays de 35 millions de personnes ? » (#54_I) – ou d’affirmation appuyée sur des données non vérifiées – « Probablement parce qu’il n’y a qu’un seul mort au Canada sur 35 millions de personnes et seulement 31 morts sur 350 millions aux États-Unis. » (#34_I) Le renvoi, sans autre forme de commentaire, à des vidéos postées sur YouTube ou à des liens qui mènent à des informations circulant dans d’autres réseaux participe d’une même dynamique. Les fonctionnalités de Twitter permettent donc d’alimenter indirectement la discussion en faisant appel à des sources souvent anonymes qui deviennent au prisme de leur circulation des références faisant autorité, puisque mobilisées dans des retweets.
D’un autre côté, les gouvernements provincial et fédéral sont pointés du doigt pour leurs réactions jugées trop lentes et mal calibrées. La question qui suscite le plus de discussions concerne la décision du gouvernement Trudeau de ne pas fermer les frontières du Canada, alors que d’autres pays, dont les États-Unis, ont commencé à suspendre les vols en provenance de pays lourdement frappés par la propagation de la pandémie. « Si le #coronavirus est si dangereux, pourquoi est-ce que le Canada ne ferme pas sa frontière, surtout aux pays compromis ? Pas besoin d’être un expert en épidémies. Trump l’a fait en janvier. » (#5_X)
Nous supposons que ces deux tensions tiennent principalement aux différentes sources mobilisées par les participants au fil Twitter qui se font le relais de thèses et théories véhiculées dans d’autres réseaux ou élaborent leur propre interprétation à partir des lectures qu’ils font de la presse dite traditionnelle. La mobilisation de références médicales ou d’articles scientifiques est pour ainsi dire inexistante, sauf pour relayer les études du professeur français Didier Raoult, dont les conclusions scientifiques tout comme les sorties médiatiques ont donné lieu à de nombreux débats et controverses : « Je demande la Légion d’Honneur et le prix Nobel pour le Professeur #Raoult pour son travail formidable depuis tant d’années ! Il va sauver le monde à faible [sic] frais sans que les groupe [sic] pharmaceutiques se fassent des milliards avec des vaccins coûteux ! » (#452_II)
Les deux tensions principales qui ponctuent l’étape de la problématisation n’enraient pas la constitution du réseau qui très rapidement se trouve articulé autour non pas d’un substrat de faits partagés ou d’une même lecture d’une crise en train de se faire, mais d’une posture de dénonciation. C’est autour de cette dimension centrale que se jouent les deux étapes subséquentes, l’intéressement et l’enrôlement.
L’intéressement et l’enrôlement des actants
Le climat d’incertitudes qui marque les débuts de la crise sanitaire au Québec rend complexe toute tentative de stabiliser le discours autour de la COVID‑19 et de ses effets, tant les théories et les hypothèses abondent et s’entrechoquent. Les fonctionnalités et les affordances de Twitter participent de ce phénomène. En effet, nous observons que l’apparition d’une information nouvelle dans le fil de la conversation peut aboutir, via les algorithmes de recommandation et l’action de bots, à un élargissement ponctuel ou plus durable du réseau. Ses porte-parole doivent alors composer avec ces contingences. Ils n’interviennent que très peu pour tenter de cadrer le discours autour d’une seule et même interprétation des faits. Une telle posture s’explique en grande partie par la place prise dès les premiers moments de l’apparition du réseau par l’expression d’une rhétorique antiélitiste, qui permet en apparence de fédérer les points de vue sans que des recadrages ne soient visiblement nécessaires.
Ainsi, l’étape de l’intéressement et celle de l’enrôlement ne se basent pas sur un schéma explicatif partagé au sujet de la COVID‑19, mais sur une remise en cause individuelle et collective des élites politiques, économiques et culturelles québécoises et canadiennes. Cette étape est traversée de tensions et de conflits. Si l’antiélitisme devient structurant et permet de consolider le réseau en création, plusieurs perspectives se conjuguent. Nous remarquons ainsi une gradation dans l’antiélitisme exprimé, qui tient en grande partie aux références mobilisées et à l’insertion dans les prises de position des actants humains de théories du complot partagées ou mises en concurrence. Les renvois à « l’État profond » ou aux « mondialistes » structurent les prises de position, illustrant la forte pénétration de tout ou partie(s) de certaines de ces théories qui voient dans les décisions prises par les élites nationales l’action d’individus qui agissent en secret pour servir leurs propres intérêts ou ceux de leur clique (Bergman 2018, 34‑35).
L’idée dominante insiste sur le fait que la crise sanitaire serait un instrument habilement manié par les élites locales ou nationales pour assouvir des objectifs cachés. Elle est exprimée/illustrée de manière différente pour les différents actants humains. Pour certains, les élites politiques et économiques s’efforceraient de provoquer l’effondrement de l’économie afin de permettre aux mieux nantis d’accaparer de nouvelles richesses : « Le #coronavirus, un transfert de richesse incroyable. Emprunt de 80 milliards (quel % sera détourné ?) que les payeurs de taxes devront rembourser. Les petits épargnants forcés de vendre leurs actions à rabais au profit des milliardaires qui feront la passe. #HowConvenient. » (#417_II) Pour d’autres, le but ultime serait d’empêcher la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis : « L’État PROFOND qui serait à l’origine du #coronavirus ! Les DÉMOCRATES peuvent se permettre de tuer bien du monde pour chercher à réussir de battre Trump. Ces Démocrates n’ont pas réussi avec la DESTITUTION. » (#223_II) Pour d’autres encore, les élites politiques et économiques ne chercheraient qu’à asservir les populations pour mieux les contrôler : « C’est tu moi [sic] ou si les gouvernements font beaucoup plus d’efforts pour casser la population que le #coronavirus ? » (#633_II)
L’intention qui se dégage est clairement de décrédibiliser et de délégitimer les élites politiques et économiques, démontrant ainsi le très fort localisme des arguments déployés, même si les tweets fustigent aussi les organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation des Nations Unies. Les moyens pour ce faire diffèrent d’un actant à l’autre. Plusieurs s’attachent à pointer la collusion qui existerait entre les élites politiques ; certains préfèrent souligner leur incompétence, alors que d’autres participants voient dans les politiques antimesures sanitaires mises en place l’expression d’une forme d’autoritarisme. Le premier ministre canadien Justin Trudeau et les membres de son cabinet sont tout particulièrement ciblés.
Priorités…
MONDE : pandémie, bulle financière, krach boursier, bouleversements Économiques massifs.
TRUDEAU : changements climatiques, égalité des genres, discrimination, diversité, LGBTQ, siège au Conseil de sécurité de l’ONU, licornes.
#12_IV
La mise en réseau permise par les affordances de Twitter (amplification des messages par l’association à des comptes plus populaires ; « # » comme outil d’émergence et de mise en visibilité de thèmes, problèmes, dans l’espace public ; capacité de réseautage par les mentions et les retweets ; etc.) permet une circulation accélérée de certaines théories du complot. Cela n’empêche toutefois pas l’apparition de dissonances entre actants humains, qui se reflètent dans leurs postures antiélitistes. Ces discordances se cristallisent à plusieurs moments autour du rôle de Trump, dont la figure est utilisée pour démontrer l’incurie du gouvernement Trudeau. Le président américain alors encore en poste est présenté comme l’homme de la situation, le seul à prendre les bonnes décisions aux bons moments : « Pendant que Justin Trudeau et Valérie Plante vous divise [sic] avec un “racisme” qu’eux seul semble [sic] voir, Trump lui rassure et s’impose en rassembleur. » (#22_XI) L’insistance avec laquelle plusieurs influenceurs soulignent le sens des priorités qui animerait Trump sert avant tout à appuyer les arguments avancés pour dénoncer les élites politiques canadiennes. Il apparaît qu’aucun politicien canadien ne trouve grâce aux yeux des participants à la conversation, exception faite de Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, dont certains messages sont retweetés. Toutefois, il est frappant de constater que cette personnalité politique, qui incarne dès les débuts de la crise sanitaire une opposition aux mesures prises par les différents paliers de gouvernement, n’est pas érigée en référence par les membres du réseau. Tout juste ses prises de position sur Twitter, souvent relayées par les affordances de la plateforme numérique, servent-elles à relancer de manière indirecte la conversation ou à démontrer l’incapacité de Justin Trudeau à réagir à la situation créée par la propagation de la COVID‑19.
Donald Trump et ses politiques sont toutefois loin de faire l’unanimité. Si plusieurs optent pour la dérision pour dénoncer le président américain – « Toujours pas de vaccin contre le Trump Derangement Syndrome. #TDSisREAL » (#16_V) –, d’autres pointent du doigt l’homme et le « culte » dont il fait l’objet dans certains cercles, complotistes entre autres : « Mine de rien, QAnon pousse des Québécois à vénérer Trump comme s’il était une sorte de figure sainte. Alors qu’il n’a absolument rien à voir avec le Québec et n’a aucun pouvoir ici. » (#2_II) Figure d’autorité pour certains, Trump agit comme un repoussoir pour d’autres, porteurs d’un discours nationaliste à peine voilé.
Les dissonances que l’on peut observer dans les positions contre les élites politiques canadiennes ne se retrouvent pas dans la dénonciation du travail des médias dits traditionnels. Considérés comme des agents de désinformation, complices des élites politiques, voire de l’État profond, ils sont l’objet d’attaques répétées. Le ton oscille entre cynisme – « Je suggère d’interdire la publication des journaux… Tout le monde pognasse [sic] les journaux dans les présentoirs sans les acheter… Propagation du virus. Avec une pandémie (70 % de la population sera touchée nous dit le gouvernement Trudeau) on prend pas [sic] de chance. » (#50_II) – et agressivité relative – « La grippe qui tue 600 000 personnes annuellement, si les médias, disons mieux, si les JOURNALISTES étaient aussi dramatiques avec la grippe. VRAIMENT, il faudrait aller se cacher pour mourir chacun dans son coin. LES ABUS proviennent de nos médias qui n’ont rien d’autre. » (#12_I)
De manière intéressante, cette position de rejet vis-à-vis des médias traditionnels et des informations qu’ils colportent contribue à cimenter le réseau en constitution et à enrôler un auditoire de plus en plus large. La mobilisation des alliés se dessine alors autour du scepticisme qui se dégage des discours portés par les actants participant à ce réseau.
La mobilisation des alliés ou l’émergence d’une communauté de sceptiques
Comme le montrent les tensions qui ponctuent les trois étapes initiales de la constitution d’un réseau antimesures sanitaires, le partage d’une grille de lecture qui permettrait d’interpréter sous un prisme convergent la crise sanitaire importe peu en fin de compte. Si l’antiélitisme a permis au réseau de se stabiliser et de voir émerger les contours d’une identité sociale articulée d’un rejet plus ou moins affirmé des politiques mises en place par les gouvernements provincial et fédéral et, dans certains cas, des élites qui les portent, la mobilisation des alliés prend forme autour d’une participation de plus en plus appuyée des « anti ».
Les échanges au sujet de la COVID‑19 et des mesures gouvernementales sont aussi traversés par des prises de positions antipluralistes et anti-immigration. Ces dernières s’expriment surtout autour de deux enjeux principaux : l’origine géographique de la souche du virus qui a atteint le Québec et l’absence de fermeture des frontières du Canada alors que d’autres États ont, dès les prémices de la crise, adopté cette mesure protectionniste. Toutefois, d’une menace venue de l’extérieur via soit la Chine, la Corée du Sud ou l’Iran, en fonction des interprétations qui en sont proposées (#43_I ; #45_I ; #46_I ; #47_I ; #48_I ; #49_I), la COVID‑19 devient une menace hybride. La responsabilité de la propagation de la maladie est imputée aux gouvernements québécois et canadien, qui auraient d’autres priorités cachées : « quelle est la priorité du gouvernement […] maintenant ? D’augmenter l’immigration de masse » (#187_II), ici entendue comme une immigration clandestine.
L’influence de théories du complot mettant en accusation les « mondialistes », ces élites globales malveillantes qui tireraient en secret les ficelles des affaires politiques, économiques et culturelles du monde (Bergman 2018, 47) est palpable dans les discours qui circulent au sein de ce réseau. « La #chloroquine mise en avant par #Raoult au coeur d’une guerre avec l’État Profond des mondialistes contre les peuples, le #COVID19 #coronavirus #COVID‑19 est une de leurs armes. » (#543_II) De la même manière, la COVID‑19 serait, pour « l’État profond » ou encore les Illuminati et autres acteurs qui incarneraient « un nouvel Ordre mondial » (#632_II), un instrument parmi d’autres, mais particulièrement puissant pour manipuler le ou les peuples et pousser un agenda caché. La pandémie est aussi une occasion de mettre au jour les conséquences tantôt du libéralisme[5], tantôt du socialisme :
—1/2 Hey les jeunes ! Vous aimez Che Guevara et vous militez pour le socialisme ? Bonne nouvelle, voici un avant-goût de ce qui vous attend ! Au début le gouvernement emprunte et donne du cash à tout le monde et ensuite vous allez tous travailler pour pas de salaire…
#534_II
—2/2 et vous aurez le plaisir d’avoir perdu vos droits fondamentaux comme la liberté de rassemblement, votre liberté de circuler, votre liberté de penser/expression, de posséder des choses… et quand le gouvernement aura éliminer [sic] l’argent papier, il saura TOUT sur vous.
#535_II
Ce prisme antiélite sert donc à miner la confiance et à instiller le doute au sein du réseau, brèche dans laquelle s’engouffrent entre autres les tenants antiavortement, les antivaccins ou encore ceux qui nient les changements climatiques :
—L’avortement comme « projet de societe » [sic] De toutes facons [sic], ca [sic] rime avec l’eco-fin-du-mondisme.
#1_X Valeur
—La COVID-19 – Un autre échec massif de la « science » onusienne. Comme les foutaises climatiques, ce n’est pas de la science mais de l’idéologie mondialiste.
#242_II
Toutefois certains soulignent l’ironie de la situation puisque certaines des mesures mises en place permettraient de mettre fin à des politiques présentées comme insensées et non fondées : « Les transports en commun sont probablement la cause de centaines de milliers – si ce n’est de millions – d’infections par années. Vivement les transports individuels au XXIe siècle. #CoronaVirus #EnergieLibre. » (#250_II)
Dans un contexte dans lequel les actions des gouvernements illustreraient soit leur manque de réactivité, l’absence de jugement de celles et ceux qui nous gouvernent, leur incompétence ou encore leur participation à un vaste complot mondial, le scepticisme devient de mise. Il permet de faire converger sans toujours les agréger des points de vue mobilisant diverses théories ou empruntant à plusieurs registres idéologiques. Si cette diversité constitue un élément de fragilité du réseau, elle lui confère aussi sa force en ce qu’elle lui permet de faire résonance auprès de divers auditoires, qui se reconnaissent dans certaines des prises de position, sans qu’il soit nécessaire qu’ils soient en mesure de lire les codes sous-tendus par certains Tweets, comme ceux faisant référence à QAnon ou encore ceux comportant des mots-clics renvoyant à des composantes de la théorie de l’« Ordre nouveau ».
En somme, ce qui cimente ce réseau et permet la mobilisation des alliés, c’est une forme de populisme par le bas, qui met face à face de manière plus ou moins explicite les élites décriées au(x) peuple(s) malmené(s). Le populisme, comme phénomène politique, est le plus souvent saisi à travers ses expressions institutionnalisées (partis politiques, élites politiques, mouvements sociaux). Notre analyse permet de déplacer le regard vers un niveau plus micro : des discours et des attitudes qui cristallisent un antiélitisme moralisateur, servi par une défiance exprimée à l’endroit de celles et ceux qui incarnent une forme d’autorité (politique, normative, scientifique, économique, etc.). L’objectif poursuivi par les participants au réseau et le réseau lui-même n’est pas tant de chercher à défaire un gouvernement en place à l’image de ce que proposent plusieurs partis populistes (Webber 2023, 10), que de donner à tout un chacun intéressé par cette crise une occasion d’exprimer son désaccord et de dénoncer la situation. Le réseau contribue donc à agréger les sceptiques et les mécontents, sans toutefois véhiculer un agenda politique clair ou s’en faire le porte-parole. Le populisme par le bas possède donc des contours flous, qui n’en alimentent pas moins la crise de confiance envers la démocratie et les gouvernements en place. Les théories du complot, entièrement ou en partie mobilisées, distordues ou transformées, donnent ici plus de résonnance et de relief à cette opposition entre élites et peuple(s), illustrant à une autre échelle les relations ténues entre populisme et conspirationnisme. Dans cette perspective, les dénonciations dans lesquelles s’engagent ou auxquelles participent les porte-parole et les influenceurs de ce réseau servent à alerter sur ce qui est en train de se jouer, mais surtout à redonner la parole au peuple, tout en rétablissant « la vérité » : « Très bon web journal ! C’est fou à quel point cette [sic] homme vise dans le mile [sic] avec ses analyses. Il réussit à divulguer l’information tout en passant sous le radar des censeurs. Bravo […], merci. » (#39_III)
Conclusion
Le réseau antimesures sanitaires qui émerge avant même le premier confinement au Québec représente un écosystème au sein duquel se nouent et se défont des relations entre les influenceurs porte-parole, les auditoires et la plateforme numérique. Ces interactions contribuent à façonner les contours d’un discours qui, au-delà des tensions qui le caractérisent et des contradictions qui le traversent, s’appuie sur l’idée que les mesures sanitaires déployées par les autorités en vue de limiter et de freiner le développement de l’épidémie de COVID‑19 sont inefficaces et disproportionnées, liberticides, ou le résultat d’actions posées par des acteurs invisibles mais omniprésents. L’approche sociotechnique que nous avons mobilisée nous permet de revenir sur les différentes étapes qui marquent la constitution d’un réseau par définition mouvant. Notre analyse ne porte que sur un corpus que nous avons volontairement restreint aux 1000 premiers tweets publiés entre le 12 et le 31 mars 2020. Elle se veut donc préliminaire et nous aura permis d’affiner notre grille d’analyse. Elle démontre malgré tout le potentiel analytique de la théorie de l’acteur-réseau appliquée à l’analyse des réseaux virtuels constitués sur les plateformes numériques. Elle permet en effet d’ouvrir une fenêtre sur l’élaboration itérative des contenus antimesures sanitaires qui circulent en ligne et de voir à quel point ceux-ci constituent le produit d’une traduction et d’un effet de composition qui, par l’entremise d’une médiation technique permise par Twitter, transforme des individus en soft leaders et porte-parole d’un discours dont la visibilité croissante dans l’espace public affecte une partie de l’opinion publique. En cela, nos conclusions font écho à des travaux récents sur le rôle des médias sociaux en lien avec la production et la diffusion du discours de QAnon (Hannah 2021), ou encore sur le caractère « context-dependent » des croyances conspirationnistes liées à la COVID‑19 (Van Mulukom et al. 2022). Par ailleurs, Twitter, à travers son architecture et ses affordances (retweets, mentions, mots-clics, etc.), permet une remédiation de contenus éparpillés dans le temps et dans l’espace en un récit qui, s’il manque de cohérence, contribue à alimenter un antiélitisme, montrant à quel point ces différents actants sont interconnectés et s’alimentent mutuellement. Le recours à des théories du complot en partie réagencées cristallise ainsi le scepticisme et le rejet exprimés. La prochaine étape de l’analyse consistera à voir si nous observons un élargissement du réseau, en particulier à travers un mécanisme d’auto-alimentation, dans un contexte où le premier confinement au Québec s’enracine dans la durée. Nous pouvons ainsi supposer que ce discours touche de plus en plus de gens qui en retour le légitiment et/ou finissent par y adhérer.
Appendices
Notes biographiques
Aurélie Campana est professeure titulaire au Département de science politique de l’Université Laval. Ses recherches portent sur différentes formes d’extrémisme et de violences politiques. Elle s’est ainsi intéressée au cours des dernières années à l’engagement dans la violence, que ce soit en contexte de guerre civile ou en contexte pacifié. Ses travaux ont été publiés, entre autres, dans Civil Wars, Studies in Conflict and Terrorism, Terrorism and Political Violence, International Studies Review, News Media and Society, Global Crime, Criminologie.
Samuel Tanner est professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur l’extrémisme violent et en particulier l’impact du numérique sur l’activisme. Plus récemment, ses recherches, pour lesquelles il a obtenu du financement du Fonds de recherche du Québec, portent sur la désinformation. Ses travaux ont notamment été publiés dans le British Journal of Criminology, Security Dialogue, Global Crime ou encore Criminologie.
Notes
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[1]
Ce programme a été élaboré par un programmateur, que nous remercions, du Centre international de criminologie comparée. Il permet de stocker les tweets au fur et à mesure des extractions de comptes identifiés, tel que décrit ci-dessus, archivant ainsi des tweets de comptes qui, depuis, ont été supprimés par Twitter.
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[2]
Nous ne pouvons exclure qu’un même individu utilise plusieurs pseudonymes.
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[3]
Ces indications qui suivent les citations font référence au système de codification suivant : I, II, III, etc. renvoient aux onze thématiques que nous avons repérées, soit : I = COVID‑19 ; II = la dénonciation ; III = à la recherche d’influence/réputation sur les médias sociaux ; etc. Le symbole # indique le numéro du tweet : ainsi #1_I renvoie au premier tweet de la catégorie COVID‑19. Les tweets ont légèrement été modifiés de manière à ce qu’ils ne puissent être retracés avec des moteurs de recherche et ainsi que l’anonymat de leurs auteurs soit préservé. Ceux qui ont été publiés en anglais ont été traduits par nos soins.
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[4]
Le 0 fait ici référence à la période qui précède le 12 mars 2020, date à partir de laquelle nous avons fait porter notre analyse, alors que 2700 désigne la ligne du fichier Excel de nos données brutes.
-
[5]
De telles prises de position renvoient en partie à la théorie du complot « Great Reset », qui postule que la crise sanitaire liée à la COVID‑19 serait instrumentalisée par les élites politiques nationales pour mettre fin au capitalisme et insuffler un changement social radical qui aurait des effets délétères sur les libertés individuelles.
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