Abstracts
Résumé
Cet article explore l’impact des médias sociaux au regard de l’extrémisme et du conspirationnisme. La période récente a notamment montré que l’extrême droite représentait une menace de plus en plus concrète dans la sphère publique, en témoigne l’influence de mouvements comme QAnon ou l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021. En utilisant les résultats d’un projet de recherche sur les médias et l’extrémisme réalisé au Québec entre 2017 et 2021, cet article montre que l’extrême droite fait une utilisation particulière des médias sociaux, et que ceux-ci agissent certes comme des chambres d’écho, mais également comme des vecteurs d’une idéologie conspirationniste complexe et protéiforme. Des entretiens qualitatifs avec des individus radicalisés permettent notamment d’illustrer l’intégration idéologique des médiaux sociaux dans la stratégie culturelle et politique de l’extrême droite actuelle.
Mots-clés :
- extrême droite,
- complotisme,
- radicalisation,
- médias,
- extrémisme
Abstract
This article explores the impact of social media on extremism and conspiracism. In particular, the recent period has shown that the far right represents an increasingly concrete threat in the public sphere, as evidenced by the influence of movements such as QAnon or the Capitol assault of January 6, 2021. Using the results of a research project on media and extremism carried out in Quebec between 2017 and 2021, this article shows that the extreme right makes particular use of social media, and that these act certainly as echo chambers, but also as vectors of a complex and protean conspiracist ideology. Qualitative interviews with radicalized individuals illustrate the ideological integration of social media into the cultural and political strategy of today’s extreme right.
Keywords:
- extreme right,
- conspiracy,
- radicalization,
- media,
- extremism
Article body
Entre 2017 et l’automne 2019, certains projets se prolongeant même jusqu’en 2021, notre équipe a conduit une recherche multidisciplinaire portant sur les extrémismes violents et l’influence des médias, dans le cadre d’un programme d’Action concertée[1]. Il est important de noter que celle-ci envisageait plusieurs formes d’extrémismes, et non pas seulement l’islamisme violent, selon une perspective de prise en compte des différentes trajectoires de radicalisation présentant certains traits similaires, par-delà l’idéologie embrassée par les personnes ou les groupes (Gouvernement du Québec 2015). Le rapport final fait état d’une série de basculements dans la violence s’étant produits après 2016, au Canada, et qui illustrent cette diversité des profils[2] : attentat à la Mosquée de Québec (janvier 2017), attaque au camion-bélier au nom de l’Incel Rebellion, mouvement prônant en particulier la violence contre les femmes (avril 2018), vague d’actes de vandalisme contre des commerces par l’extrême gauche (Lefebvre et al. 2020, 4). Si le présent article s’attarde surtout à l’extrême droite, il fait allusion à d’autres formes d’extrémismes ayant permis de formuler les principaux résultats de la recherche.
Il s’agissait d’analyser l’influence des médias sur la radicalisation qui mène à la violence (dans la suite du texte RMV), concept consacré par la recherche internationale (Lefebvre et al. 2020). Ce projet visait à étudier les perceptions de la population québécoise à l’égard de ce phénomène, l’effet des médias sur ces dernières, de même que le rôle joué par les médias de masse et sociaux (par la suite MMS) dans les trajectoires de certains individus radicalisés. Plusieurs types d’approches méthodologiques, aussi bien quantitatives que qualitatives, ont été utilisés afin de répondre à ces larges objectifs, car il importait d’examiner une grande diversité d’extrémismes.
Cet article fait état de deux résultats principaux et expose certains aspects contextuels pour comprendre l’émergence de la question des théories du complot en tant que facteur de radicalisation. Or, la littérature portant sur l’islamisme violent, très développée dans les vingt dernières années, orientait vers plusieurs pistes, mais rarement en lien avec le complotisme (Alava, Najjar et Hussein 2017). Pourtant, une analyse attentive des médias fréquentés par les individus radicalisés, dans le cadre de cette recherche, a révélé que cet aspect s’avérait crucial. Jusque-là, aussi au sujet de l’extrême droite, on mentionnait les théories du complot, mais uniquement comme un simple facteur parmi d’autres (Knobel et Lankshear 2005 ; Crosset, Taner et Campana 2019)[3]. Certes, en France, l’observatoire Conspiracy Watch, fondé en 2007 dans le but de combattre l’antisémitisme et l’extrême droite alors que des membres de la communauté juive étaient depuis plusieurs siècles la cible de théories conspirationnistes, fait figure de précurseur (Conspiracy Watch 2018)[4]. Le deuxième résultat est le constat de l’importance accrue de l’extrême droite, alors que le contexte de l’appel de projets ayant mené à l’Action concertée avait été marqué par les vagues islamistes survenues autour de la guerre en Syrie, notamment au Québec, au début de la décennie 2010. Si, dès le début, il s’avérait que les mouvances de droite étaient nettement plus actives que les autres extrémismes en Amérique du Nord, cette enquête a toutefois été l’occasion d’en observer la montée fulgurante en visibilité (Kleinfeld 2021). Un article paru en 2022 (Colin, Lefebvre et Casoni 2022) fait état de plusieurs résultats émanant de la recherche sur l’extrême droite et l’alt-right, tout en exposant en détail la méthodologie employée, de même qu’une analyse du cas de l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande, survenu tout juste après la fin de la collecte des données pour le dernier sondage effectué dans le cadre de la recherche, le 15 mars 2019. Ce triste événement a donné lieu à une production importante de mèmes dont cet article offre une analyse détaillée. Il a exposé l’extrême violence générée par cette tendance, de même que plusieurs de ses stratégies médiatiques.
Si l’extrême droite était en effet déjà très présente, elle avait été en quelque sorte occultée par l’anxiété que suscitait le terrorisme islamiste. Bien que les actes violents de cette frange étaient commis en plus grand nombre en Amérique du Nord, l’attention publique se portait sur l’Islam radical, notamment autour des départs de jeunes de plusieurs pays vers la Syrie au début des années 2010.
La période 2019-2022 a quelque peu renversé la focalisation de l’attention publique sur les islamismes, alors que les attaques du Capitole, survenues le 6 janvier 2021, par des soutiens de Donald Trump ainsi que par divers groupes de droite et des groupes d’opposants aux mesures sanitaires, ont représenté une menace importante pour la démocratie, la santé et l’ordre public aux yeux de la population. Il existe donc à présent un intérêt très soutenu pour ce qui a trait au complotisme et à l’extrême droite, sujet encore marginal il y a quelques années. Dans le cadre de cet article, nous recourons plus souvent au concept d’alt-right (traduit parfois par ultra-droite) pour qualifier l’extrême droite, choix qui sera expliqué plus loin.
Cet article comporte trois parties. Dans les deux premières sont exposés des éléments de méthodologie et les résultats généraux de la recherche sur les divers types de radicalisation, alors que dans la troisième figurent les résultats détaillés de notre étude concernant l’extrême droite, auxquels s’ajoutent l’analyse des données recueillies en ligne jusqu’au mois de février 2020, ainsi que les résultats subséquents en guise de conclusion. Ces résultats sont interreliés, puisque nous avons interrogé la population au sujet de ses perceptions des phénomènes de radicalisation par le biais de divers types de sondages, tout en conduisant une analyse de données médiatiques massives et nous penchant sur le rôle des médias dans les trajectoires d’extrémistes.
Enquêtes quantitatives
Les résultats généraux exposés ici peuvent en partie expliquer la discrétion de l’extrême droite, pourtant active, notamment en Amérique du Nord. On verra, entre autres, que s’ils sont issus du groupe majoritaire, les individus ayant commis des actes extrémistes ne sont pas perçus comme des extrémistes, mais plutôt comme personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Nous avons utilisé des méthodologies mixtes pour ce projet, à la fois quantitatives et qualitatives, dans le but de mieux comprendre le rôle joué par les MMS sur les perceptions des Québécois ainsi que la dynamique de la RMV. Nous avons d’abord sélectionné une firme de sondage pour mener deux enquêtes, en collaboration avec le politicologue Frédérick Bastien (Université de Montréal). Deuxièmement, un recueil de données fut réalisé et l’analyse de deux corpus de données massives émanant des MMS, a été effectuée par l’Observatoire de la circulation de l’information, avec l’aide du spécialiste en communications Sylvain Rocheleau (Université de Sherbrooke). En troisième lieu, des recherches expérimentales ont été menées au Laboratoire de communication politique et d’opinion publique (LACPOP), sous la direction de la politicologue Allison Harell (Université du Québec à Montréal), afin d’étudier la perception et la réception de divers types de contenus et styles de médias. Quatrièmement, nous avons conduit et par la suite analysé un ensemble d’enquêtes qualitatives (Colin, Lefebvre et Casoni 2022).
Pour connaître les résultats de ces recherches, il est possible de consulter le rapport général (Lefebvre et al. 2020), mais attardons-nous ici sur quelques résultats pertinents pour cet article. Parmi ceux-ci, celui selon lequel la notion de radicalisation est peu comprise, aussi bien par le grand public que par les professionnels des médias (ibid., 3) ; c’est ce qui a amené l’équipe à utiliser surtout le concept d’« extrémisme violent », même si un débat continu traite des limites que présente tout concept (Borum 2011 ; Neumann 2013). Le Plan d’action du gouvernement du Québec (2015, 9) définissait la radicalisation de la manière suivante : « Le mot radicalisation peut renvoyer à un ensemble de gestes qualifiés d’“extrêmes” ou qui découlent d’une interprétation plus littérale des principes d’un système, qu’il soit politique, religieux, culturel ou économique. » Dans ce qui suit, notre article se référera surtout au concept d’extrémisme, mais aussi parfois au processus de radicalisation.
Notons d’emblée qu’une doctrine de référence, comme celle à laquelle renvoie la définition susmentionnée, ne réapparaît pas nécessairement dans tous les types d’extrémismes idéologiques. Une distinction aussi très utile et reprise fréquemment différencie les radicalisations idéologique et comportementale (Neumann 2013 ; Tanner et Campana 2014). Durant l’enquête, des informateurs ainsi que des interrogés de toutes les tendances sont revenus sur cette distinction, en suggérant parfois que ce n’étaient pas toujours des porteurs d’idées extrémistes qui allaient commettre des actes violents. Même si l’appel de projets du Fonds québécois de recherche insistait sur la diversité des extrémismes, il n’en demeure pas moins que le contexte d’élaboration du Plan d’action gouvernemental était celui de la guerre en Syrie, qui avait attiré des milliers de jeunes provenant de plusieurs pays, dont le Canada, sous l’influence de mouvances islamistes. La définition est certainement marquée par ces circonstances, en particulier lorsqu’elle évoque « l’interprétation littérale des principes d’un système ». Selon les résultats de nos analyses, les sources idéologiques de l’extrémisme vont bien au-delà de cette idée d’un système clair et élaboré, compris littéralement.
Les enquêtes quantitatives visaient à répondre aux questions de recherche suivantes : 1) Au sein de la population québécoise, quelles sont les perceptions à l’égard du phénomène de l’extrémisme violent (par la suite EV) ? Comment se distribuent ces perceptions selon le genre, le groupe d’âge et l’appartenance culturelle et religieuse ? Quelle influence ont ces caractéristiques sur la nature des perceptions ? Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer les différences dans les perceptions du phénomène ? 2) Quelle influence exercent les médias (de masse et sociaux) sur les perceptions des Québécois à l’égard du phénomène de l’EV ? Quels sont les messages véhiculés, les événements relatés et partagés qui façonnent ces perceptions ? Quels types de couverture médiatique ou modes de transmission influent sur la perception du phénomène de l’EV ?
Le sondage en deux étapes a révélé sur ces questions plusieurs tendances d’intérêt, mais cet article attire particulièrement l’attention sur certaines d’entre elles (Lavigne et Bastien 2019). Ce sondage, tout en s’appuyant sur le fait que les médias pourraient avoir un impact plus général sur les perceptions à l’égard de la radicalisation, qui va au-delà de la couverture des actes extrémistes en eux-mêmes et serait plutôt lié à la manière dont certains groupes sont présentés par différents médias, retenait aussi la problématique suivante : les divergences entre les entreprises de presse ne sont que rarement prises en considération dans les analyses empiriques des effets de la consommation médiatique. Il était donc important d’en tenir compte[5]. Après un prétest, la première étape a eu lieu au printemps 2018 (1740 participants) et la deuxième à l’hiver 2019 (1174 participants)[6]. L’analyse de la première étape du sondage a permis de répondre à la question de recherche concernant les perceptions de la population à l’égard des extrémismes[7] et leur distribution selon diverses franges de la population, et un peu à la question concernant les effets de la consommation médiatique sur les perceptions. Grâce aux résultats de la seconde étape, nous avons pu examiner les effets des médias de masse et sociaux sur l’évolution des perceptions sur une période donnée (du printemps 2018 à l’hiver 2019).
Ce sondage a révélé, entre autres, que la population estime que l’EV s’explique davantage par des facteurs individuels que sociaux et qu’elle associe avant tout l’EV aux actes violents liés à l’islam. Par ailleurs, la seconde étape de ce sondage a montré que le niveau d’inquiétude à l’égard de l’extrémisme islamiste a légèrement diminué entre 2018 et 2019, alors que celui concernant les extrémistes anti-immigrants a pour sa part légèrement augmenté, suivi par l’appréhension vis-à-vis de l’extrême droite. Outre le cours des événements rapportés dans les nouvelles, il s’avère que les caractéristiques sociodémographiques des répondants, tout comme l’influence des médias, ne paraissent expliquer qu’une très petite proportion de la variance, et ce sont finalement surtout les positions préconçues à l’égard des musulmans, de l’immigration, du capitalisme et de la protection de l’environnement qui ont un effet sur les perceptions. Il est aussi probable qu’il existe une influence de tendances politiques différentes véhiculées par diverses entreprises de presse[8]. Celles-ci tendraient à se positionner en alignant une partie de leur contenu sur les préférences politiques d’un certain segment de la population.
En rapport avec ce contexte dans lequel l’extrémisme islamiste dominait l’actualité et nourrissait les inquiétudes des Québécois, mais aussi de plus en plus l’extrême droite et la mouvance anti-immigrants, il importe de rapporter aussi les résultats des expériences menées en laboratoire (Harell et Duguay 2019). Les médias tendent à avoir trois types d’effets sur l’opinion publique : l’agenda-setting, l’amorçage et le cadrage. L’agenda-setting concerne la façon dont les médias couvrent davantage certains enjeux – ou la quantité de couverture –, ce qui a pour effet de rendre ces considérations plus importantes pour la personne, ou d’amorcer l’enjeu pour la population (Iyengar 1990). Le cadrage, en revanche, constitue l’angle de couverture (Chong et Druckman 2007). La méthode expérimentale, enfin, permet de mieux cibler la relation entre le cadrage, le mode ou le style de l’information et son impact sur les perceptions de la population, en évitant de s’en tenir à une compréhension étroite du cadrage (Smith 2014, 252). Contrairement au sondage traditionnel qui donne un aperçu de la distribution des perceptions dans la population et des facteurs qui y sont associés, l’analyse de contenu, qui permet d’étudier le rôle de l’agenda-setting et la distribution des cadres utilisés, la méthode expérimentale vise quant à elle de surcroît à comprendre l’effet causal des cadres ainsi que de la forme de l’information sur les perceptions en manipulant de façon aléatoire les caractéristiques de l’environnement médiatique auquel les citoyens sont exposés. Les expériences prévues visaient à répondre aux questions suivantes : [expérience 1] Comment le cadrage (cadres) des RMV influence-t-il l’opinion des citoyens ? [expérience 2] Quelle est l’influence des plateformes médiatiques (mode) sur l’acquisition de l’information au sujet de la RMV et la perception de celle-ci ?
L’expérience 1 visait à comprendre comment le contenu d’un article influence la perception du public de l’extrémisme (données collectées par Qualtrics, plateforme d’enquêtes en ligne, du 23 janvier au 4 février 2019, 1256 répondants). En rapport avec le cadrage, la recherche s’est appuyée sur certaines études se penchant sur le cadrage du terrorisme et d’actes extrémistes, de même que sur son impact sur les perceptions du public (Greenberg 2002 ; Davis et Silver 2004 ; Awan, Hoskins et O’Loughlin 2011 ; Woods 2011). En conformité avec la littérature d’appui, les expériences ont tenu compte de l’opposition entre un cadre évoquant le « terrorisme islamique » et un autre renvoyant au « loup solitaire ». L’appartenance ethnoculturelle qui pourrait agir comme un raccourci cognitif vers ces cadres a donc occupé une place centrale dans la constitution des manipulations. L’un des résultats quantitatifs concernait précisément l’influence de l’identité de l’attaquant dans les médias. Si on lui donnait le nom francophone d’Alexis, les personnes sondées associaient majoritairement son acte à la maladie mentale et estimaient qu’il avait agi seul, alors que s’il s’appelait Yasin, nom à consonance arabe, on rapportait spontanément son acte au terrorisme idéologique (Lefebvre et al. 2020, 5). L’expérience 2 montrait de son côté que la présence de commentaires sous une publication de nouvelle avait un effet important, la proportion de personnes se limitant à les lire plutôt qu’à ouvrir la nouvelle étant importante, et que l’extrémisme était ensuite évoqué surtout par les politiciens après que l’attentat soit resté quelques jours dans les nouvelles. Ces deux expériences menées en ligne, dont chacune exposait autour de 1300 répondants à des cadrages spécifiques d’articles traitant d’actes terroristes (Greenberg 2002 ; Davis et Silver 2004 ; Awan, Hoskins et O’Loughlin 2011 ; Woods 2011), ont montré que l’appartenance ethnoculturelle créait, en effet, un « raccourci cognitif » induisant une compréhension plutôt qu’une autre. Si la personne appartenait au groupe majoritaire, on l’associait moins au terrorisme. Ces résultats sont en congruence avec l’importance que revêtait l’extrémisme islamiste dans le sondage en deux étapes.
Études qualitatives
Les études qualitatives ont pu quant à elles aborder l’influence des médias sur les trajectoires des extrémistes. Nous en présentons les détails à la section suivante. Qu’en disent les recherches existantes ? Elles se fondent sur des explications différentes selon les études. Certaines décrivent un effet direct d’Internet et des médias sociaux sur le processus de radicalisation. Manuele Caiani et Linda Parenti (2010) notent l’existence d’un consensus dans la littérature selon lequel la présence en ligne faciliterait la tâche des groupes extrémistes en leur permettant de lever des fonds, de rejoindre les masses et de recruter de nouveaux membres. Robin L. Thompson (2011) rapporte qu’Internet et les médias sociaux sont des outils efficaces que les mouvements extrémistes utilisent pour mobiliser et radicaliser des individus. D’après l’étude de Daniel Koehler (2014), citée par Ghayda Hassan et ses collègues (2018), Internet a aussi constitué un facteur prédominant dans la radicalisation de huit anciens membres de l’extrême droite allemande, car ils ont pu, par ce biais, transmettre leurs messages radicaux et les transformer en activisme. L’enquête de Jerome Drevon (2016) révèle quant à elle que trois participants ont migré avec succès pour combattre en Syrie après avoir été exposés à des sites promulguant des idées salafistes radicales et pris part à des débats en ligne. Le fait de consommer des contenus radicaux sur la toile a été associé à de la violence politique auto-rapportée chez des étudiants du secondaire et de jeunes adultes en Belgique [extrême droite, Islam radical, gauche radicale] (Pauwels et Schils 2016). Lieven Pauwels et ses collègues (2014, 6) observent par ailleurs qu’Internet fournirait les conditions préalables à la radicalisation, grâce à l’accessibilité des discours encourageant la violence et aussi à la présence de liens sociaux et de réseaux. Dans leur étude du processus de radicalisation de Canadiens ayant participé à des activités terroristes depuis 2012, Mehmet F. Bastug, Aziz Douai et Davut Akca (2018, 12) affirment qu’au moins la moitié d’entre eux se sont radicalisés en ligne. Selon ces auteurs, les médias sociaux jouent en effet un rôle majeur dans la trajectoire de radicalisation (ibid., 14).
D’autres chercheurs mettent en doute la prépondérance d’Internet et des médias sociaux en arguant que leurs effets directs sur l’extrémisme n’ont jamais été démontrés par des études empiriques. Cristina Archetti (2015) croit, pour sa part, qu’il est nécessaire de relativiser l’influence d’Internet qui est susceptible de jouer un rôle sans que pour autant son effet soit plus important que celui, par exemple, des affiches de recrutement utilisées auparavant. Benjamin Ducol (2017) rappelle, quant à lui, qu’aucune étude ne démontre le poids précis d’Internet dans les parcours. La plupart des chercheurs considèrent qu’il existe une articulation entre les facteurs personnels, les activités hors ligne et la consultation médiatique (Awan 2007a ; 2007b ; Al-Lami 2009 ; Edwards et Gribbon 2013 ; von Behr et al.. 2013 ; Pauwels et al. 2014 ; Pauwels et Schils 2014 ; Böckler et al. 2018 ; Hassan et al. 2018 ; Ayanian et al. 2019 ; Shapiro et Maras 2019). Telle est aussi notre conclusion. Il importe d’avoir accès à l’histoire de la vie des extrémistes pour se faire une idée juste de la complexité du processus dans lequel se combinent éléments biographiques, faits familiaux, profils psychologiques, nouvelles internationales, audition de nouvelles, influence de proches ou de leaders et médias sociaux.
Une indignation amplifiée par le complotisme
Les questions de la recherche concernant l’influence des médias sur les trajectoires vers l’extrémisme se déclinaient comme suit : Quelle est leur influence sur le basculement vers l’extrémisme violent ? Quelles sont les caractéristiques de l’amplification de celui-ci ? Quel est le rôle des médias de masse et sociaux dans la formation de noyaux extrémistes ? Afin de répondre à ces questions, les stratégies suivantes ont été utilisées : entretiens biographiques et semi-directifs et questionnaires en ligne ou sur papier (extrémistes ou ex-extrémistes, entourage, intervenants), analyses des contenus médiatiques consultés par les personnes extrémistes, observations participantes. Pour les entretiens, le recrutement a été réalisé selon la méthode « boule de neige », avec une garantie très poussée d’anonymat (plus de 70 participants) auprès de personnes d’extrême droite, d’extrême gauche et de tendance islamiste violente[9]. Les thèmes d’analyse retenus dans les entretiens étaient les suivants : médias de masse et sociaux durant l’enfance, éducation, famille, amis, réseaux d’influence, croyances/idéologie, utilisation des médias sociaux, événements importants et moments déclencheurs.
Au départ du projet, on nous avait prévenus que le Québec comptait un nombre réduit de personnes radicalisées. La préservation de l’anonymat était donc vitale. Sur le plan méthodologique, c’est la prise en compte des contenus en ligne consultés par les radicalisés qui s’est avérée décisive. Les entretiens eux-mêmes, bien qu’approfondis, ne livrent toutefois qu’une interprétation personnelle, voire filtrée, de ces contenus. Il a été plus difficile de recruter des membres de l’extrême gauche.
Une idée s’est avérée capitale dans cette recherche. Plusieurs études signalent que des expériences d’injustice et de discrimination subies par les extrémistes ont représenté une cause déterminante. Selon Nil Böckler, Vincenz Leuschner, Andreas Zick et Herbert Scheithauer (2018, 18), l’un des facteurs les plus importants qui ont favorisé le passage à l’acte serait un outrage par rapport à une attaque perpétrée sur le groupe d’appartenance de la personne radicalisée : « [W]e must consider events in the social setting that radicalized perpetrators perceive as legitimization of their ideological beliefs and attack planning. These can include events experienced as a massive attack on the in-group and its ideology, such as acts of violence, vilification, and abuse from the out-group ». Lieven Pauwels et ses collègues. (2014, 27‑28) estiment qu’un inconfort moral est l’élément central du processus de radicalisation, qui se cristalliserait à travers les expériences de discrimination. Lieven Pauwels et Nele Schils (2014, 9) soulignent l’importance du sentiment d’injustice et de la méfiance envers l’autorité chez les personnes radicalisées (voir aussi : Schils et Verhage 2017). Tamar Mitts (2018, 173) observe que c’est le climat occidental d’hostilité à l’égard de la communauté musulmane qui peut conduire certains de ses membres à s’intéresser aux idées radicales présentées par des extrémistes étrangers. Chez certains musulmans, le sentiment d’injustice et de persécution peut en effet surgir lorsque leurs congénères se trouvent éprouvés ailleurs dans le monde (Shapiro et Maras 2019, 17). À titre d’exemple, on rappellera que le tueur de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, au sujet duquel nous reviendrons plus avant, évoque dans son manifeste[10] la mort d’une enfant blanche, Ebba Åkerlund, onze ans, décédée lors de l’attaque terroriste du 7 avril 2017 à Stockholm, pour justifier son geste.
Il est vrai que dans les données de recherche, les extrémistes évoquent de telles expériences douloureuses qui les révoltent et justifient leurs actes. Deux jeunes ayant nourri des idées extrémistes de sources islamistes ont parlé des reportages télévisés où l’on faisait état de l’oppression subie par certaines populations musulmanes, notamment des enfants ou des minorités. Ils ont aussi rapporté des expériences humiliantes de discrimination vécues sous leurs yeux par leurs parents, insultés par des inconnus sur la place publique. Du côté de l’extrême droite, les vastes mouvements migratoires modifiant actuellement le visage démographique de plusieurs pays, dont le Canada, suscitent chez les radicalisés une douleur identitaire et sont vus comme une agression contre leur espace national. Du côté de l’extrême gauche, la révolte est alimentée par divers types d’injustices économiques ou sociales. Durant tout le projet, c’est donc cette hypothèse dominante qui paraissait devoir faire partie des conclusions et des pistes de solutions offertes par la recherche. Or, elle s’est modifiée en cours de route, à la faveur d’une analyse fine des médias fréquentés par les radicalisés.
Les personnes interrogées au sein de l’islamisme radicalisé et de l’extrême droite ont insisté sur l’étendue de leur culture, leurs capacités d’analyse, le fait qu’elles s’informent « énormément », sont friandes de nouvelles, et ont fait largement état des souffrances et des discriminations dont elles, ou leur groupe, font l’objet. Elles n’ont pas abordé les contenus médiatiques fréquentés de manière critique, mais en ont endossé la véracité et la pertinence. Quant aux personnes radicalisées par le passé, il leur est arrivé de parler de ces médias comme d’une forme de propagande. Sur le plan méthodologique, c’est en fait l’analyse des médias fréquentés par ces radicalisés qui révèle autre chose, à savoir le complotisme qui figure dans leurs contenus, si bien que le sentiment d’injustice se trouve exacerbé par celui-ci, et surtout la colère et l’indignation qui s’ensuivent avant le passage à l’acte.
Avant d’entamer la section suivante qui constitue une analyse détaillée en ce qui concerne l’extrême droite, résumons brièvement les dynamiques complotistes à l’oeuvre dans les trois tendances étudiées. L’extrême droite comporte une grande diversité idéologique, mais le rejet de l’immigration directement engendré par la crainte d’un génocide des personnes à la peau blanche est une théorie qui rassemble. L’extrême gauche affiche, quant à elle, une position dogmatique au sujet du capitalisme et des inégalités, selon l’anticapitalisme marxiste classique, et tient le système de production actuel pour responsable de tous les maux et iniquités. S’y greffent d’autres types de luttes sociales. Quant au djihadisme violent, un complot contre l’islam serait élaboré par les médias, qui sont perçus comme étant contrôlés par les « Juifs », compris comme une ethnie. Sur le plan religieux, il existe indéniablement une domination de l’idéologie salafiste dans les courants extrémistes qui insère ses adeptes dans une vision dichotomique du monde (les bons musulmans et les autres).
Dans le contexte de recrudescence des attentats associés à l’extrême droite, qui met en évidence les stratégies numériques et les idéologies de ce mouvement, nous avons fait le choix de développer ici davantage l’extrémisme de droite, ses formes idéologiques ainsi que l’influence des médias sur cette forme de radicalisation. Ce qui suit expose donc des théories du complot chez des répondants d’extrême droite et dans les médias qu’ils fréquentent, pour revenir ensuite aux conclusions concernant l’influence des médias sur les trajectoires menant à l’extrémisme. Il est toutefois important d’insister sur le fait que le complotisme a déjà traversé diverses tendances extrémistes, tout en étant plus ou moins sous le radar des chercheurs. Nous ne saurions par conséquent limiter les théories du complot aux tendances anti-vaccinales, pas plus qu’à l’extrême droite et ses mouvances actuelles.
Théories du complot chez nos répondants d’extrême droite
Parmi les dizaines de personnes interrogées, trois répondants de la mouvance d’extrême droite, liés à des groupes ou des réseaux que nous désignons par des pseudonymes, nous ont envoyé presque quotidiennement, pendant plusieurs mois, divers liens qui ont permis d’étudier la question de la production culturelle de l’extrême droite et de noter l’importance des théories du complot dans leur idéologie. Nous avons étalement utilisé la méthode d’entretiens semi-dirigés et par récits d’expérience.
Malgré des profils variés, notre équipe a pu identifier plusieurs grands thèmes communs après une analyse thématique des verbatim des répondants. Ceux-ci ont été plus nombreux que dans le cas des autres mouvances à accepter de répondre à nos chercheurs, car ils étaient moins soumis à des contraintes sécuritaires entre 2016 et 2019. Nous pouvons même dire qu’ils se trouvaient dans une période d’affirmation et voyaient d’un bon oeil le fait de participer à l’étude. Dianne Casoni (2005), fine psychologue et rompue aux études sur la violence et le terrorisme, responsable de ce volet qualitatif, a su s’intégrer discrètement et efficacement à un réseau actif qui lui a fait confiance jusqu’à un certain point ; ce qui suit situe les données au regard de la littérature sur l’alt-right. Nous analysons tout d’abord des entrevues de répondants afin de démontrer que l’indignation et la dialectique in-group/out-group, soulignée plus tôt par Böckler et ses collègues (2018), s’avèrent capitales pour comprendre la construction idéologique de la droite radicale, au coeur de sa rhétorique conspirationniste. Cette dernière est ici entendue comme « l’idée que certains individus ou groupes sociaux se concertent pour organiser la marche du monde alors que leurs agissements sont gardés secrets » (Rebillard 2017, 284). La suite montre que cette pensée conspirationniste se déploie dans un écosystème médiatique propre à l’extrême droite et sous des formes numériques à même de faciliter la diffusion de ces idéologies et leur intégration.
Conspirationnisme et idéologie
Qu’en est-il des trois questions de recherche posées plus haut (influence des médias sur le basculement dans l’extrémisme, amplification de celui-ci et rôle des médias de masse et sociaux dans la formation de noyaux extrémistes) ? Il est important de mentionner que les trois individus dont nous présentons des extraits de verbatim n’avaient pas commis d’actes de violence mais paraissaient très impliqués en termes de radicalisation idéologique (Newman 2013 ; Tanner et Campana 2014), qui n’est pas forcément comportementale. Les trois extrémistes idéologiques témoignaient d’un véritable engagement passionnel dans lequel les médias ont une importance prépondérante, ce qui se traduisait en une consommation médiatique excessive de contenus extrémistes (plusieurs heures voire des dizaines d’heures par jour) (Colin, Lefebvre et Casoni 2022). En outre, tous se caractérisaient comme des « prosumers », c’est-à-dire à la fois des consommateurs et des producteurs de contenu, caractéristique importante de la culture participative de l’extrême droite (ibid.).
La dynamique d’amplification se remarquait notamment par le nombre de courriels envoyés aux chercheurs de l’équipe au quotidien, contenant un grand nombre de liens, textes, vidéos, images, accès à des forums, etc., partagés par les réseaux d’extrême droite. La substance la plus significative à l’étude dans le présent article provient donc majoritairement de ces courriels. Les réseaux sociaux et alternatifs étaient systématiquement préférés aux médias de masse, ces derniers étant perçus comme instrumentalisés par le pouvoir et l’élite, mensongers, et par conséquent indignes de confiance. Enfin, malgré des profils individuels variés, que ce soit en termes d’études, d’âge ou de trajectoire, et faisant tous démonstration d’une radicalisation ayant subi l’influence d’Internet, le basculement dans l’extrémisme était indissociable d’événements personnels tels que des revers et des conflits avec des individus à gauche du spectre politique, des traumatismes et des peurs liés à l’islamisme, une profonde aversion pour d’autres idéologies et groupes de personnes. Enfin, quant à la formation de noyaux de radicalisation, quelques observations de terrain ont démontré que les réseaux d’extrême droite au Québec se fréquentent, organisant lancements d’écrits, réunions, rassemblements amicaux, et nouant des amitiés transcendant parfois les frontières de groupes. Des membres d’une même famille s’y joignent, partageant plus ou moins les points de vue les plus extrêmes. Le père d’un jeune homme fortement engagé dans ces réseaux idéologiques a dit, lors d’un tel rassemblement : « Je trouve que mon fils exagère un peu… ».
Nous procédons, dans cette partie de l’article, à l’analyse des principales matrices idéologiques de l’extrême droite perçues chez nos répondants ; comme on le verra, l’antisémitisme, la théorie du « grand remplacement », ainsi que l’opposition au libéralisme constituent des thèmes prépondérants. Un schéma pyramidal, inspiré de notre analyse des données recueillies et fournies par nos répondants et divisé par ces trois catégories, peut ainsi être déterminé pour comprendre les mécanismes idéologiques sous-jacents à la pensée alt-right qui, comme le rappelle George Hawley (2019), se caractérise, malgré son caractère informel, par des orientations communes comme l’ethnonationalisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Selon nos données, l’antisémitisme se situe au sommet de la pyramide car les Juifs sont considérés comme les dirigeants de la cabale libérale qui chercherait à subvertir l’Occident en dictant des politiques multiculturelles qui mènent à la dégénérescence et au métissage des populations blanches. Ils sont également tenus pour responsables de la dérégulation des flux migratoires et constitueraient la figure centrale de l’élite culturelle corrompue à travers des personnalités récurrentes comme le milliardaire George Soros, à propos duquel on entretient le doute en évoquant ses supposés liens douteux avec des cercles pédophiles dans les plus hautes sphères des gouvernements (Cosentino 2020, 75). L’antisémitisme est très présent dans les propos de nos interrogés, comme dans les exemples qui suivent :
Puis j’ai lu… beaucoup de choses historiques sur l’Union soviétique, pourquoi les premiers bolcheviks étaient si anti-Russes, parce que 40 % d’entre eux étaient Juifs, et après il y a eu Staline qui a juste euh… dé-juifié la Russie. Pourquoi Rosenberg a donné la bombe à Staline ? Parce qu’un an plus tard, l’Union soviétique, pour une raison non apparente, a reconnu Israël. Tout à coup, tu te dis « Wow ! OK, d’accord, ça a du sens. Puis tu commences à lire un article d’un… Churchill, Sionisme contre bolchevisme, Lutte pour l’âme du peuple juif, et tu commences à penser « ouais c’est vrai les bolcheviks sont tous Juifs » et genre, les quatre premiers chefs du Goulag sont tous Juifs, et genre… Oh mon Dieu ! Tu sais. Et puis tu sais, après deux cents ans, tu sais que les Juifs sont motivés par la haine du blanc. Et tu commences à y repenser, tu sais comme, oh ouais ! Ça prend tout son sens. Soudain, j’en suis venu à prendre conscience de tout ça, j’étais juste euh… je commençais à lire plus et euh… par exemple : sur les sept plus riches Australiens, cinq sont Juifs, et à comprendre des petites choses comme ça, dans l’école de Francfort, Franz Boas et vous commencez à entrer dans le jeu. Vous développez votre propre culture de la critique mais quand vous repensez à tout ce scénario juif, tout commence à se mêler et à prendre sens : l’holocauste, le révisionnisme et… comme par exemple à propos de l’holocauste, c’est comme… des choses incroyables, c’est la chose la plus documentée, comment peux-tu en douter ? Tu dois être mal intentionné si tu commences à le remettre en question, dira-t-on alors.
Julien, homme entre 35 et 45 ans[11]
Personnellement, je n’ai aucune haine particulière envers les Juifs, mais… je veux dire, s’ils sont au Canada et qu’ils contribuent à la dégradation du pays et… vous savez, je dois en quelque sorte réfléchir à cela, et savoir pourquoi ils sont des éléments hostiles dans ce pays. Si vous interprétez la migration de masse comme un acte hostile, certains n’ont évidemment pas la même vision. Alors ils ont juste l’impression que vous êtes un grand antisémite. Mais il semble qu’il y ait eu, tout au long de l’histoire, de nombreux cas d’antisémitisme et c’est toujours une sorte de pathologie qui n’est jamais la faute d’une stratégie de groupe juif mais plutôt d’un défaut de la société qui s’est déchaînée pour une raison inexplicable.
Dean, homme entre 30 et 40 ans
L’idée d’un complot juif et un antisémitisme marqué constituent les premiers niveaux de lecture des théories du complot chez nos répondants. La conviction qu’une élite globaliste juive s’active pour assurer l’extinction de la population blanche, sous la forme d’un « génocide blanc » (dont nous reparlerons dans la partie suivante) a généré des attaques terroristes comme celle de John Earnest, 19 ans, à la synagogue de Poway en Californie, en juin 2020, celui-ci ayant déclaré par exemple que « every Jew is responsible for the meticulously planned genocide of the European race » (cité dans Ehsan et Stott 2020, 9). La survivance de l’idée d’un complot juif, exacerbée depuis la fin du XIXe siècle à travers la diffusion fulgurante d’écrits de propagande antisémite comme le Protocole des Sages de Sion (Nahon 2022), et sa transformation sous la forme de théories connaissant un grand succès contemporain comme celle du Grand Remplacement est, selon Nicholas Goodrick-Clarke (2002, 3), la marque distinctive d’une pensée presque religieuse de l’extrême droite actuelle : « Anti-Semitism acts as a manichean dualist heresy dividing the world into forces for good and evil. Millenarian racial cleansing and the demonology of a Jewish world conspiracy are the defining moments of such Neo-Nazi religiosity. » L’attentat survenu à Buffalo, le 16 mai 2022, renvoyait à cette idéologie, comme cela a été très vite observé après que cet acte a été commis (Feola 2022).
Le deuxième degré de la pyramide, et donc le second niveau de lecture des théories du complot émanant de ce mouvement, vise les populations non blanches qui paraissent, aux yeux des membres de l’extrême droite, se déverser à grands flots en Europe et dont le taux de natalité qui semble dépasser celui des populations blanches menacerait l’existence même. L’attention portée aux immigrants musulmans des vingt dernières années fait souvent d’eux les boucs émissaires de cette hantise. Le manifeste du terroriste ayant commis les attentats à Christchurch contre ce groupe, en mars 2019, s’ouvre d’ailleurs sur ces propos : « It’s the birthrates, it’s the birthrates, it’s the birthrates. » La défense de l’identité nationale passe donc par un rejet profond de ces vagues migratoires ainsi que par un ethnonationalisme marqué qui voit dans ces flux une menace sans précédent pour la supposée pureté de la race (François 2019, 185 ; Goodrick-Clarke 2002, 5), mais également un danger de nature culturelle, puisque selon la hiérarchisation culturelle et technologique matérialisée dans la pensée de l’extrême droite, la race blanche trônerait au sommet :
Physiquement, je ne suis pas supérieur à beaucoup de gens et même à moi-même en tant qu’individu, il y a des millions de personnes foncées qui sont beaucoup plus intelligentes que moi et plus ambitieuses ou autre. Je ne fais pas l’erreur de penser que j’ai une couleur de peau qui me rend supérieur à quelqu’un. Mais collectivement, nos réalisations dans le passé sont définitivement… elles en disent long. Vous savez, notre créativité, nos philosophies, notre humanisme, c’est lié à l’environnement dans lequel nous avons évolué, du moins par rapport à notre propre environnement.
Dean, homme entre 30 et 40 ans
On est en train de [négrifier] notre pays. C’est juste une autre façon de le dire, je veux dire. On fait venir les barbares du tiers-monde. Barbares, ce n’est pas nécessairement une insulte, c’est juste une qualification, vous voyez. Comme les Allemands qui étaient des barbares. Maintenant, l’Allemagne est l’un des plus grands pays du monde. Barbares est pour moi une… sorte de… comme une description prénaturelle des gens…
Julien, homme entre 35 et 45 ans
Cette pensée se double généralement d’une vision pessimiste (que l’on analysera comme « accélérationniste » dans la deuxième partie) qui estime que l’inévitable choc des cultures et des ethnies aboutira à une guerre civile ou à des conflits interethniques (Obaidi et al. 2021, 5). On y appréhende une fin de l’histoire dont on peut dire qu’elle est de type eschatologique et millénariste, qui anticipe une guerre sanglante et inévitable entre les ethnies et les races, provoquée par les flux migratoires massifs et qui vise particulièrement les Noirs d’Afrique et les musulmans (ibid., 29) :
Et vous en êtes au point où je pense qu’il y a quelque chose comme 10 ou 11 bureaux dans la plus grande ville du Royaume-Uni qui sont dirigés par un musulman. Et il y a des Shura[12] partout, je veux dire que c’est documenté, vous pouvez voir que ce n’est pas… les gens ici disent toujours que c’est alarmiste et que ça ne le sera pas. Mais vous savez… c’est un… les musulmans jouent un jeu à long terme, ils ne pensent pas seulement à deux, trois ans dans le futur. Ils pensent à des centaines de milliers d’années.
Julien, homme entre 35 et 45 ans
Et l’alt-right l’affirme, il y a beaucoup de vidéos là-dessus. Par exemple, en Allemagne, un migrant qui se moque d’un Allemand en disant : « Tu n’as pas d’enfants, tu as quoi, un enfant et un chien ? », j’ai quatre femmes, j’ai six enfants, j’ai vingt enfants, dans deux générations, il n’y aura plus d’Allemands, je suis l’Allemand. » Vous savez ils sont très… directs. Mais c’est une bonne chose, j’ai trouvé que l’une des choses qui m’a aidé à radicaliser mon parcours de pensée c’est le… le… peu importe comment vous voulez les appeler, les gauchistes et leur soutien à cette idéologie. La façon dont je le vois, c’est que nous sommes au bord d’une falaise. Et on va y être acculé par nous-mêmes et on est peut-être à quelques centaines de mètres du précipice, nous dirigeant joyeusement vers notre propre perte, et ces conards enthousiastes commencent à nous pousser par derrière, scellant le sort d’une génération au lieu de nous laisser régler le problème nous-mêmes.
Dean, homme entre 30 et 40 ans
Oui t’as compris exactement, y a une météorite qui est en train d’arriver pour le mieux. Ce que j’aimerais c’est qu’il n’y en ait pas. Qu’on la fasse décâlisser [disparaître]… Mais si la météorite est pour tomber pis que j’ai le choix, entre sur moi ou les autres, ça va être sur les autres. C’est juste ça, c’est juste ça mon principe.
Sébastien, homme entre 30 et 40 ans
Une guerre ethnique intertribale. C’est vers ça que nous nous dirigeons, je veux dire qu’il est impossible de… le système que nous avons aujourd’hui va s’effondrer très bientôt et nous deviendrons un système totalitaire, soit de gauche, soit de droite, ou quelque chose d’autre devra être fait, mais nous ne pouvons pas continuer comme ça, c’est tout simplement impossible.
Julien, homme entre 35 et 45 ans
Milan Obaidi, Jonas R. Kunst, Simon Ozer et Sasha Kimel (2021, 30-31) font également remarquer que la grande circulation des discours extrêmes faisant état du choc des civilisations et d’attaques des valeurs « judéo-chrétiennes » a pour effet de renforcer l’hostilité et la possibilité que des actions violentes soient perpétrées à l’égard des immigrés, en notant également que le FBI, après des attaques comme celles de John Earnest et Patrick Crusius, en 2019 (Mezzofiore et O’Sullivan 2019), craint une multiplication des attentats de droite à l’avenir, d’autant plus que le terrorisme d’extrême droite aurait augmenté de 320 % depuis 2016 dans le monde occidental (Obaidi et al. 2021, 29 ; Steinbuch 2019 ; et Institute for Economics & Peace 2019, cités dans Obaidi et al. 2021, 30).
Enfin, la troisième et dernière catégorie située à la base de la pyramide idéologique de l’extrême droite, associée à un troisième niveau de lecture de théories du complot, concerne les libéraux, qualifiés de « normies », c’est-à-dire les individus vivant dans l’illusion créée par les élites et n’ayant pas été « redpilled[13] », car ils n’ont pas reçu la révélation nécessaire qui leur aurait permis de se libérer de ce mensonge, ainsi que l’extrême gauche. Dans le cas des deux premières catégories, à savoir des libéraux et des normies, on les perçoit comme des individus qui non seulement causent le grand remplacement en apportant leur soutien aux valeurs du multiculturalisme, mais surtout accélèrent le processus de décadence et de dégénérescence des valeurs occidentales en soutenant les flux migratoires et les valeurs de ces immigrés non occidentaux. Sont particulièrement visés les féministes et les mouvements LGBT ainsi que les milieux intellectuels ou universitaires :
Ils se disent d’extrême gauche et déblatèrent des choses comme « le patriotisme c’est affreux, le monde occidental est horrible », et wow… l’Occident est génial, nous avons inventé les droits des homosexuels et les droits des femmes. La façon dont vous le voyez est la pire des choses, regardez ce qui arrive à l’Allemagne qui accueille des masses de musulmans qui s’installent dans le pays ! Il y a une vidéo sur YouTube, c’est à Berlin, avec des féministes radicales, tu sais là, avec des cheveux colorés, des bottes, des piercings et qui discutent tranquillement du fait que le monde occidental est horrible en disant presque « Allah Akbar » [Dieu est grand]. J’étais comme… les femmes sont-elles si stupides ? C’est insensé ! Tu es une féministe et tu veux plus de la chose contre laquelle tu te déchaînes, à savoir de domination ? J’étais presque confus, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Julien, homme entre 35 et 45 ans
Beaucoup de musulmans pensent que l’aide sociale qu’ils reçoivent de ces différents pays qu’ils colonisent leur est due, parce qu’ils travaillent ici. Et ces chèques d’aide sociale ne sont en fait que les taxes qu’ils imposent aux non-croyants. Donc je veux dire, on est une grosse blague […] Et je pense que ça les encourage, j’ai lu ce rapport qui montre des Somaliens qui débarquent en Suède disant que l’Islam en Suède est plus radical qu’en Somalie qu’ils ont quittée. Parce que les gens qui débarquent en Somalie, après une génération ou plus, pensent que la décadence et la perversité, quelle que soit l’interprétation qu’ils en font, sont si présentes en Suède, avec toute la question transgenre et tout ça, qu’ils deviennent réactionnaires et qu’ils radicalisent facilement la deuxième génération de Somaliens et tout ça. C’est comme si quelqu’un le faisait exprès. Créer des conditions où il y aura le chaos, ce sera amusant.
Dean, homme entre 30 et 40 ans
Ouais l’extrême gauche dans le fond tout le milieu académique pis pas juste l’extrême gauche c’est carrément on a grandi là-dedans avec les médias qui blâment tout le temps les Blancs pour tout pis les Noirs, y peuvent pas montrer, tsé sont jamais responsables de leurs actes.
Sébastien, homme entre 30 et 40 ans
L’impuissance, ou la complicité des libéraux dans la destruction programmée des valeurs européennes se mêle ensuite à une dénonciation des agissements de l’extrême gauche qui comploterait pour prendre le pouvoir et dont la violence serait bien supérieure, par sa misanthropie et sa gratuité, à celle prônée par l’extrême droite, qui est avant tout considérée comme de la légitime défense. Cette lecture s’appuie généralement sur une comparaison entre les différents systèmes coercitifs du nazisme et du communisme :
Honnêtement, je préférerais vivre dans un pays fasciste, un pur pays fasciste. Parce que j’ai vu ce que ce genre de fascisme de gauche fait et c’est terrible. Est-ce que je préférerais aller dans un Goulag ? Ou dans un camp de concentration nazi allemand ? Les camps de concentration nazis étaient dans l’ensemble certainement mieux que le Goulag. J’en suis absolument sûr.
Julien, homme entre 35 et 45 ans
Ouais, le communisme est vraiment cruel. Quand on y regarde, c’est comme… les choses les plus inhumaines que j’ai lues. En dehors de ce que j’ai lu sur le nazisme et tout ça évidemment. Il y a beaucoup de choses à dire, il y a des cruautés inhumaines mais, tu sais. C’est la guerre, et tu dois considérer toutes ces choses-là.
Dean, homme entre 30 et 40 ans
Ça dépend, j’ai quand même peur parce que qu’est-ce qui va arriver je veux dire, dans le sens que, y a une partie de moi intellectuelle qui aurait envie genre de mourir dans un combat pour sauver du monde des communistes qui veulent tuer du monde, OK genre en fucking héros. Pis y a une autre partie de moi qui dit : « ça doit faire mal mourir pis de se faire torturer par un communiste ». Si jamais y a l’état d’urgence pis que je me fais, je me fais arrêter par fucking GRC là qui est rendu fou qu’y a du monde crevé autour de qui je me fais arracher les doigts un par un. Ça doit pas être cool. Ces shits là ça arrive à peu près partout.
Sébastien, homme entre 30 et 40 ans
Convaincus de faire face à cette menace idéologique de la gauche qui serait très présente chez les normies et les libéraux, et dans le but d’empêcher le grand remplacement que ceux-ci favorisent, ou de ralentir sa progression, il leur paraît impératif de chercher à radicaliser le plus grand nombre d’entre eux, par le biais de la diffusion de matériaux culturels et de théories, dont Internet constitue la plateforme essentielle. Si l’alt-right est, en effet, essentiellement un mouvement informel, c’est sur Internet qu’il se déploie et que sa rhétorique s’adapte à l’environnement techno-sémiotique dans des productions culturelles bien spécifiques, dont le contenu conspirationniste examiné précédemment constitue le coeur.
Théories du complot et réseaux
Chacun de nos répondants partage également un rapport particulier avec les médias numériques, qui consiste en une utilisation fréquente, sinon obsessionnelle, d’Internet et des médias sociaux, consommation quotidienne décrite comme « très importante, à savoir plusieurs heures par jour » dans les verbatim de nos interrogés et centrée sur l’idéologie qu’ils embrassent et sa diffusion. Les médias traditionnels sont perçus comme des organes de propagande à la solde des élites et du pouvoir qui, comme nous l’avons vu, oeuvreraient pour le remplacement de la race blanche : « Quand chu [je suis] revenu je regardais les médias pis j’étais juste enragé parce que je me disais, c’est tout, tout est faux. Ma vie est un mensonge. Tout ce qu’ils disent, c’est juste faux, ça n’a aucun sens. » (Sébastien, homme entre 30 et 40 ans)
Cette méfiance, voire cette détestation des médias traditionnels pousse ainsi les membres de l’extrême droite à se diriger vers des réseaux alternatifs : 4chan, 8kun, Gab, Telegram, pour ne citer que les plus connus, ainsi que de nombreux forums, dont certains sont actuellement désactivés (à l’instar d’Iron March). Ces réseaux alternatifs offrent plusieurs avantages (Colin, Lefebvre et Casoni 2022). Premièrement, ils y trouvent une approbation directe de leurs pairs, puisque les activistes de droite se montreraient plus sensibles à l’effet de leurs dires ou de leurs actions sur leurs semblables qu’à ce qui peut être dit d’eux dans les médias de masse (Wahlström et Törnberg 2019, 5). Deuxièmement, ils constituent des réseaux affinitaires tirant profit de la circulation rapide de l’idéologie qui n’est pas construite, de prime abord, de façon complexe, mais présentée de manière à être intégrée rapidement et facilement, pour ainsi stimuler les échanges et le recrutement (Koehler 2014 ; Taylor 2015, 104). Troisièmement, la nature même des réseaux sociaux est participative et permet également une expression presque illimitée, ainsi que le partage de contenus violents qui n’est inquiété par aucune forme de censure (Milner 2012). Enfin, la circulation d’un matériel violent et haineux est facilitée par les outils offerts sur les plateformes numériques, ce qui engendre notamment une radicalisation en raison du phénomène de « chambre d’écho » et par un effet de conformité (Sunstein 2019) et une « désinhibition en ligne » (Suler 2004 ; Taylor 2015) pouvant potentiellement servir de propédeutique à un passage à l’acte (Quayle et al. 2014).
Cet écosystème ainsi constitué permet le développement de communautés d’individus, mais surtout la circulation virale des théories du complot sous diverses formes propices à leur diffusion, leur réplication, leur appropriation et leur développement, et ce, notamment, grâce à leur dimension mémétique (Colin, Lefebvre et Casoni 2022). Originellement issu des théories biologiques de Richard Dawkins (1976), un « mème » est le pendant culturel du gène, pensé comme une unité d’information pouvant être répliquée, multipliée et modifiée. Le concept de mème a progressivement évolué et ce que l’on nomme de la sorte en désignant des objets graphotextuels sur Internet est fort éloigné de la théorie originelle de Dawkins, puisque les mèmes sont ici sciemment modifiés par les utilisateurs à des fins diverses – ce qui illustre la nature participative des réseaux sociaux – et consistent dans le détournement d’une image ou d’un texte emblématique (Wiggins et Bowers 2015 ; Dynel 2016 ; Colin, Lefebvre et Casoni 2022). En outre, ces mèmes sont partagés par des communautés qui ont les mêmes références et se caractérisent par leur nature intrinsèquement polysémique et sérielle, enrichissant alors le tissu des récits interreliés d’un groupe, ce qu’Albin Wagener (2020, 157) appelle « l’hypernarrativité ». Les mèmes peuvent de la sorte être instrumentalisés de façon à devenir de véritables chevaux de Troie idéologiques qui facilitent une pénétration rapide de l’idéologie et des diverses théories du complot sur Internet dans des groupes extrémistes, mais également sur des réseaux plus populaires dans un but de radicalisation des normies :
L’affaire c’est qu’y a plusieurs stratégies, OK tu peux essayer des… traitements-chocs, c’est-à-dire… comme souvent les mèmes c’est ça, OK. Le principe d’un mème OK ça j’ai fait des exposés là-dessus, mais en gros, c’est, c’est, j’exploite le processus de catégorisation du cerveau des gens OK… la raison pourquoi un mème c’est aussi efficace, un mème Internet c’est que t’obliges les gens à catégoriser sans savoir. C’est que le jeu quand tu vois un mème c’est : « ah t’essaies de savoir c’est quoi la joke, c’est quoi l’affaire ». Mais si t’arrives à faire décliquer quelque chose et à faire catégoriser les gens, quelque chose qui a un bon think OK.
Sébastien, homme entre 30 et 40 ans
Un mème est une sorte de propagande, on peut le dire. Avant nous avions des affiches de propagande, maintenant nous avons nos mèmes, c’est la même chose, des images drôles, des idées drôles, des blagues. Nous diffusons nos mèmes dans la culture et c’est très efficace. Surtout sur les jeunes.
Julien, homme entre 35 et 45 ans
En tant qu’éléments essentiels de l’hypernarrativité de l’extrême droite, les théories du complot deviennent une architecture heuristique caractéristique du mouvement. En outre, la nature même d’Internet facilite la diffusion de théories complotistes en multipliant les canaux et le contrôle des individus sur leur contenu, mais surtout en leur fournissant la possibilité d’étayer leurs thèses par un assemblage disparate de documents et de pseudo-preuves (Rebillard 2017, 276) qui ne font que renforcer le tissu de récits auxquels participe l’ensemble des autres individus : « Le discours conspirationniste trouve donc avec l’Internet non seulement un “contre-espace public subalterne” (Fraser, 1992) à investir, mais aussi un environnement technosémiotique qui sied aux caractéristiques de sa “mécanique narrative complotiste” (Taïeb, 2010) : disponibilité d’une multitude de documents à disséquer, en particulier d’images, documents aisément reliables pour faire éclater au grand jour des vérités cachées » (Rebillard 2017, 285). La possibilité de détacher des énoncés et de les recomposer à l’infini sur Internet (Biardzka et Komur-Thilloy 2017) permet de nourrir les théories complotistes, mais également de les rendre attractives, de telle sorte que les individus aient la sensation de participer collectivement à la reconstruction d’une vérité volontairement occultée, dérobée et dissimulée par le pouvoir.
Cette dimension de jeu (Cosentino 2020) s’avère capitale pour comprendre les mécanismes complotistes, que l’on retrouvera entre autres chez QAnon. La mobilisation des individus se fait donc par le biais de leur implication directe dans ces théories, par la valorisation de leur agentivité et de leur contre-pouvoir en tant que collectif. Nicholas Goodrick-Clarke (2002, 289) rappelle que les théories du complot prolifèrent à la faveur d’une sensation d’exclusion des processus politiques, tandis qu’Éric Sadin (2020, 226) précise que de telles théories sont « la forme de défiance ultime envers l’État », un État perçu comme inapte à créer du sens, mais également comme ayant dérobé le pouvoir aux individus par des trahisons d’ordre politique, social ou culturel.
Dans le cas de l’extrême droite, Goodrick-Clarke (2002, 288) mentionne que la prolifération et le succès des théories du complot émanant de l’extrême droite sont attribuables non seulement à la survivance de thèses popularisées jadis par le nazisme comme celle du complot juif et de faux documents comme Le protocole des Sages de Sion (1903), dont le succès est toujours notable dans plusieurs mouvements de la droite radicale, mais également à des mutations politiques de grande ampleur comme la chute de l’URSS, au début des années 1990, et la proclamation d’un « nouvel ordre mondial », le traité de Maastricht en 1993, ou encore la volonté du gouvernement américain d’assurer un plus grand contrôle de questions telles que celle du port d’armes (Goodrick-Clarke 2002, 279-280). Les théories les plus populaires au sein de l’extrême droite actuelle constituent des mises à jour de ces héritages ou enjeux et ressurgissent sous différentes formes, particulièrement popularisées grâce à Internet. On en trouve aussi de nouvelles, au premier plan desquelles figure la théorie du « Grand Remplacement », popularisée par l’écrivain français Renaud Camus, en 2011, et invoquée pour justifier des actes extrêmes et des attentats dans le but d’« accélérer » le processus de déclin de la civilisation occidentale en précipitant la survenue de l’inéluctable guerre raciale. Selon Camus, les élites de Davos organisent sciemment le remplacement des populations blanches par celles d’Afrique et du Moyen-Orient (Cosentino 2020, 74‑75), théorie si populaire au sein de l’extrême droite que le terroriste de Christchurch intitulera lui aussi The Great Replacement son manifeste, dans lequel il ira jusqu’à justifier le meurtre des plus jeunes par la métaphore suivante : « When you discover a nest of vipers in your yard, do you spare the adolescents? Do you allow them to grow freely, openly, to one day bite your children as they play in their own yard? No. You burn the nest and kill the vipers, no matter their age. »
Ainsi que le rappelle encore Cosentino (2020, 75), une autre des théories les plus populaires est connexe, celle du « Génocide Blanc », rendue célèbre par le néonazi David Lane en 1995, et qui consiste en l’annihilation programmée de la population blanche américaine par le biais du métissage. Elle marque également la relecture actuelle de ces théories. Là encore, les auteurs des récents attentats de Christchurch en mars 2019, Poway en avril 2019, Pittsburgh en juin 2015, El Paso en août 2019 et Buffalo en mai 2022, font systématiquement référence à au moins l’une de ces théories, si ce n’est aux deux.
Nos analyses révèlent que ces terroristes ont diffusé des manifestes démontrant clairement leur maîtrise des codes culturels de l’extrême droite sur l’Internet (stratégies de trolling ou basées sur des mèmes, etc.) tout en justifiant leurs actes comme étant une réponse à la destruction annoncée de leur groupe ethnique par le biais d’un plan délibéré et orchestré par des élites ; ou due au laissez-faire démographique occidental et à l’impuissance des gouvernements en place (Colin, Lefebvre et Casoni 2022). Leurs attaques ont ensuite été médiatisées et diffusées dans les écosystèmes extrémistes, et ont même donné lieu à des compétitions d’ordre ludique établies entre les différents terroristes par leur public virtuel :
Among far-right activists and imageboards trolls, a kind of contest aimed at surpassing the body count of previous attacks started to become popular. The game-like quality of on-line conspiracy theory such as QAnon and the Great Replacement, and their violent escalation in real life, seems to be a common thread in the subcultural milieu of imageboards, where ironic layers, playful attitudes and radical political intentions are often intermixed.
Cosentino 2020, 80
Ces deux théories ont ainsi profité de la dynamique des réseaux pour se diffuser auprès d’un large public, sous des formes implicites sur des réseaux populaires comme Facebook, YouTube ou Twitter[14] ; ou de manière plus explicite sur des réseaux alternatifs tels que Gab, Odysee ou encore 8kun, le successeur du forum 8chan, fermé après que sa responsabilité dans la diffusion de plusieurs manifestes de certains des terroristes cités ci-dessus a été confirmée par les autorités. L’enjeu médiatique est donc le suivant : si les raisons menant au passage à l’acte ne sont pas clairement établies par la littérature et dépendent de variables individuelles (Mølmen et Ravndal 2023), il est indéniable que l’accélération et la facilitation du processus de radicalisation, ainsi que la création de chambres d’écho, bénéficient des dynamiques en ligne et du contenu diffusé sur certains réseaux (Bastug, Douai et Akca. 2018 ; Mølmen et Ravndal 2023). Toutefois, comme le démontrent plusieurs recherches, il ne faut pas occulter la dimension de réseaux hors ligne dans la trajectoire de la radicalisation (Edwards et Gribon 2013 ; Pauwels et al. 2014). Il ne faut pas nier que les médias facilitent certainement l’accès à du matériel haineux, mais nous avons aussi pu constater que nos répondants ont tous été en contact hors ligne avec des groupes et leurs membres :
C’est encourageant au niveau où je suis de me rendre compte que je peux avoir une idée hilarante avec quatre personnes dans un chalet dans le bois, qu’on déconne à décrire le plus possible sur une feuille, pis après ça se rend compte qu’y a 10 000 personnes, un mois après, qui ont décidé d’intégrer notre plan, pis qui sont devenus des soldats pour nous là, pis que les médias en parlent, c’est vraiment hilarant.
Sébastien, homme entre 30 et 40 ans
En outre, il faut prendre en considération des facteurs biographiques personnels qui pèsent dans le processus de radicalisation et qui amènent, notamment dans une phase d’isolement (Mølmen et Ravndal 2023), à fréquenter certains réseaux en ligne, puis à rencontrer des individus hors ligne. La question médiatique demeure toutefois un enjeu majeur pour comprendre le processus de radicalisation de la droite.
Conclusion : théories du complot et influence des médias
Cette recherche, dont des résultats spécifiques ont été présentés sur l’extrême droite, permet de comprendre comment les médias, au prisme des théories du complot, façonnent la trajectoire de radicalisation idéologique dans une dialectique entre en ligne et hors ligne. Au terme de la démonstration, il est possible de conclure que bien que les facteurs hors ligne soient importants dans le basculement vers l’extrémisme idéologique, l’influence des médias s’avère centrale dans le processus de radicalisation d’extrême droite, occupant une large place dans la vie quotidienne, de jour comme de nuit, des participants à la recherche : d’une part, les médias de masse les exacerbent, étant considérés comme des repoussoirs et des contre-modèles prouvant la dégénérescence du système ; d’autre part, les médias sociaux sont utilisés à des fins d’inspiration, de recrutement, de diffusion de l’idéologie et d’espaces privilégiés, sous forme de chambre d’écho. Dans ces dernières, les théories du complot circulent sous des formes facilement assimilables et malléables entre « prosumers », participant donc au processus d’amplification de l’extrémisme par la création de récits alternatifs mettant en exergue la violence et la distinction entre in-group et out-group. Ces noyaux extrémistes accentuent la dynamique narrative propre aux théories du complot et agissent comme des accélérateurs mais aussi des facilitateurs pour la mise en contact et le recrutement d’individus, dont une partie basculera peut-être dans la violence réelle. À ce titre, l’attentat de Christchurch en mars 2019, survenu en fin de rédaction du rapport, est un exemple éloquent qui illustre la dynamique de radicalisation présentée dans cet article. On trouve dans la biographie du tueur ces éléments : trauma circonstanciel et événements personnels, radicalisation en ligne par l’acceptation de théories comme celle du « Grand Remplacement », maîtrise poussée des codes culturels de l’extrême droite, rencontres et contacts hors ligne avec des groupes extrémistes, puis, dans ce cas, basculement vers une violence inouïe et mise en scène.
Notre recherche s’inscrit donc dans le grand courant des études portant sur les extrémismes et les médias. Elle démontre la nécessité de prendre en compte les médias consultés ou produits par les extrémistes, et d’en effectuer une analyse approfondie, en plus de mener des entretiens avec les extrémistes. Par une analyse de contenu, elle révèle que l’hypernarrativité idéologique de l’extrême droite se matérialise sous la forme d’une hiérarchisation pyramidale en trois catégories, à son sommet l’antisémitisme et la haine des élites mondiales qui orchestreraient le remplacement des populations blanches par le biais de l’immigration africaine – la deuxième partie de la pyramide –, remplacement permis et appuyé, à la base de ce schéma, par une population docile et complice des politiques multiculturelles et globalistes. En cela, nos répondants illustrent les tendances idéologiques majeures de l’alt-right. Les entretiens montrent de surcroît que les stratégies numériques de nos répondants prennent en compte le processus de « gamification » de la diffusion de l’information dans les écosystèmes propres à la droite radicale, et que cette forme de diffusion puise dans les mèmes et la culture populaire pour répandre des idéologies antisémites, suprématistes et xénophobes. Nos répondants montrent de la sorte qu’ils possèdent une profonde connaissance des mécaniques technosémiotiques propres aux écosystèmes extrémistes.
Dans le contexte plus large des dynamiques migratoires actuelles, on peut sans doute prévoir que les théories de type raciste continueront à se répandre dans les esprits et sur la toile. L’exemple de la fusillade de Buffalo, en mai 2022, est révélateur à ce sujet. Une analyse sommaire de la couverture médiatique de l’événement démontre qu’il se situe dans la lignée idéologique et esthétique de celle de Christchurch, trois ans après cette dernière, et démontre la permanence du danger de l’extrémisme de droite associé à la circulation virale de théories du complot. La question du contrôle de cette propagation, ou tout du moins de l’importance de la prévention et de l’éducation à ce sujet, se pose alors de façon à assainir le débat public sur ces thèmes, dont l’ampleur médiatique, accélérée dans le contexte pandémique, constitue un enjeu majeur de sécurité.
Ce qui a progressé en parallèle pendant le projet de recherche, et qui continue à le faire, est le débat éthique au sujet de la régulation des médias sociaux. Si ceux-ci s’avèrent être d’importants vecteurs de radicalisation, ils demeurent aussi un apport puissant à la liberté d’expression, d’où la prudence manifestée par les gouvernements démocratiques. Toutefois, il est certain que les médias jouent un rôle dans les processus de radicalisation car ils facilitent la prise de contact avec d’autres extrémistes ; génèrent des chambres d’écho ; permettent une diffusion accrue de manifestes terroristes et de théories complotistes comme celle du « Grand Remplacement », parfois sous des formes conçues pour passer outre la modération de plateformes populaires afin de viser un public jeune et plus large ; et ils intensifient ainsi le sentiment d’urgence et le besoin d’action, qui débouchent parfois sur des actes de terrorisme, comme à Christchurch. Dans le cas de l’extrême droite, la dimension intrinsèquement protéiforme de son idéologie génère ainsi une multitude de formes en ligne, dont la plus récente, le mouvement QAnon, a mis en évidence son potentiel de déstabilisation démocratique avec le rôle qu’il a joué dans l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021. Si l’aspect en ligne ne suffit pas à expliquer le passage à l’acte, l’extrémisme violent doit être compris dans une perspective post-numérique, mêlant hors ligne et en ligne dans un processus graduel. Cet article a ainsi souligné la dimension multifactorielle de la radicalisation, qui passe également par des rencontres hors ligne mais qui dépend en outre de facteurs biographiques personnels, dont il importe de tenir compte dans l’analyse.
Comme notre recherche et bien d’autres l’ont noté par ailleurs, les extrémistes croient qu’il est justifié de passer à l’acte lorsque leur groupe se trouve menacé ou attaqué. Si des théories de la persécution et du complot investissent cette souffrance pour la manipuler, il faut se garder d’en gommer les sources factuelles. On ne saurait notamment ignorer que certaines thèses de l’extrême droite reposent sur des faits, en particulier sur la métamorphose démographique que subissent les projets nationaux fondés sur l’ethnie et la langue depuis le XIXe siècle. L’élection de gouvernements populistes et d’extrême droite en Europe indique l’existence d’une forte anxiété sociale à cet égard. Le gouvernement actuel du Québec, la Coalition Avenir Québec dirigée par le premier ministre François Legault, porte indéniablement cette empreinte populiste, alors que s’accroît sa popularité lorsqu’il tient des discours alarmistes sur l’immigration, de pair avec une affirmation ethnonationale.
Un mot en particulier émerge lorsqu’il s’agit d’analyser l’extrême droite, celui d’« élite », utilisé à plusieurs reprises dans cet article. L’augmentation de son usage au pluriel serait notable depuis 2010, alors que des médias tentent d’analyser la rage que suscitent les « élites » au sein de la population. Ce phénomène est notamment examiné dans le magazine The Economist (2016). On y trouve à présent non seulement les habituels adjectifs qualifiant les élites, tels que « gouvernantes », « riches » et « friquées » (ruling, wealthy et monied), mais s’y sont ajoutés les suivants : « séculières », « culturelles », « éduquées », « métropolitaines » et « bureaucratiques ». Surtout, comme le note The Economist, l’élite ne désigne plus seulement une minorité privilégiée, mais surtout un groupe de personnes occupant une position qu’il ne mérite aucunement. Il importe tout autant de comprendre les sources de cette colère que de débusquer les fausses promesses faites par les populistes qui instrumentalisent cette haine envers les élites.
Appendices
Notes biographiques
Solange Lefebvre est titulaire de la Chaire en gestion de la diversité culturelle et religieuse et directrice du Centre de recherche sur les religions et les spiritualités de l’Université de Montréal. Elle a dirigé l’Action concertée initiée par le gouvernement du Québec dans le cadre du grand plan de prévention de la radicalisation (de 2015 à 2018). Elle travaille depuis une vingtaine d’années sur la religion dans la sphère publique, les jeunes et la spiritualité. Elle est membre de la Société royale du Canada.
Mathieu Colin est professionnel de recherche à l’Institut d’études religieuses et postdoctorant à la Chaire UNESCO-PREV (prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents). Titulaire d’un doctorat en sciences des religions de l’Université de Montréal, il se concentre sur les idéologies d’extrême droite dans leurs formes les plus radicales : accélérationnisme, complotisme, néonazisme. Il analyse également les influences culturelles et religieuses de ces mouvements, de l’étude des mèmes à celle de l’ésotérisme. Il est par ailleurs spécialiste des liens entre sécularisme, politique et religion, notamment aux États-Unis, et du satanisme contemporain.
Notes
-
[1]
Cette Action concertée dirigée par Solange Lefebvre a été financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) en collaboration avec le ministère de l’Immigration, de l’Inclusion et de la Diversité, selon la désignation de ce ministère avant l’élection de la Coalition Avenir Québec, dans le cadre du vaste plan provincial de prévention de la radicalisation (Gouvernement du Québec 2015). Outre le rapport, il est possible de consulter la vidéo de présentation de ce dernier sur Internet : https://frq.gouv.qc.ca/histoire-et-rapport/peur-de-quoi-lextremisme-violent-au-quebec-et-le-paysage-mediatique/ (consulté le 21 juin 2022).
-
[2]
C’est aussi l’approche adoptée par le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. Voir : https://info-radical.org/fr/definition/ (consulté le 12 avril 2024).
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[3]
La présidence de Donald Trump suscitait déjà un grand intérêt sur ce thème. Voir, par exemple, Atkinson, DeWitt et Uscinski (2017).
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[4]
La pandémie de coronavirus (COVID‑19) allait ensuite mener à l’explosion des théories du complot et d’affirmations publiques de plus en plus assurées émanant de diverses mouvances de droite. Ce qui paraissait jusque-là dissimulé par d’autres hypothèses dominantes au sujet des radicalisations apparaissait au grand jour, venant ainsi confirmer l’hypothèse centrale de la recherche.
-
[5]
En français, nous avons retenu les quatre entreprises de presse les plus souvent consultées par les répondants francophones à une enquête menée en 2017 par le Centre d’études sur les médias et le Reuters Institute, à savoir TVA Nouvelles/LCN, Radio-Canada/RDI, le Journal de Montréal / Journal de Québec et La Presse. Cette même enquête a montré que CTV News, Global News et CBC News étaient les trois sources les plus consultées par les Canadiens de langue anglaise, ainsi que leur journal local – nous avons donc ajouté The Montreal Gazette.
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[6]
Nous avons retenu la firme de sondage SOM, surtout parce qu’elle offrait une collecte mixte, tout à la fois téléphonique et par Internet, et proposait un panel d’internautes exclusivement recrutés de façon aléatoire (par opposition à un panel qui permet les inscriptions spontanées). Nous avons tenu compte des méthodologies de quelques sondages déjà effectués.
-
[7]
Quelques catégories de groupes qui ont de fortes chances d’être connus du grand public ont été retenues, tout en permettant aux répondants d’indiquer d’autres groupes. Les catégories de réponses, présentées dans un ordre aléatoire, étaient : les extrémistes anti-immigrants, les groupes d’extrême droite, les extrémistes musulmans, les groupes d’extrême gauche, les extrémistes environnementaux, un autre groupe et aucun de ces groupes. Il importe de noter qu’à la suite de l’attentat commis à Toronto, en 2018, associé à un mouvement extrémiste prônant le recours à la violence, surtout à l’encontre des femmes, les recherches expérimentales ont inclus l’extrémisme antiféministe.
-
[8]
« Il apparaît que le niveau d’inquiétude à l’égard des extrémistes musulmans a eu significativement plus tendance à diminuer chez ceux exposés régulièrement à Radio-Canada ou à La Presse, alors que la diminution était beaucoup moins marquée chez ceux fréquemment exposés au Journal de Montréal ou au Journal de Québec. L’évolution des perceptions à l’égard des extrémistes anti-immigrants a également pris des tangentes opposées en fonction de l’exposition à Radio-Canada (augmentation plus forte) ou au Journal de Montréal/Québec (augmentation plus faible). Finalement, l’exposition à Radio-Canada est liée à une plus forte augmentation des inquiétudes à l’égard de l’extrême droite et, dans certains cas, une plus forte diminution des inquiétudes envers l’extrême gauche. Inversement, la propension à s’inquiéter de l’extrême gauche a eu davantage tendance à augmenter chez ceux fréquemment exposés au Journal de Montréal ou au Journal de Québec. » (Lavigne et Bastien 2019, 30)
-
[9]
Extrême droite : 15 entrevues individuelles ; 33 en groupe (total de 48 personnes) ; près de 30 heures d’observation ; plus de 200 heures de consultation des médias. Extrémisme islamiste : 4 entrevues individuelles au Québec ; 4 entrevues au Maroc ; 10 entrevues de membres de l’entourage ; 21 questionnaires en ligne de profils radicalisés (dont 6 du Maroc) et 7 de l’entourage ; plus de 50 heures de consultation des médias. Extrême gauche : 5 entrevues ; une trentaine d’heures d’observation d’événements et en ligne. Intervenants auprès de personnes radicalisées : 6 entrevues.
-
[10]
Le manifeste étant désormais illégal, nous le citons, mais n’en donnons pas les références dans la bibliographie.
-
[11]
À des fins de confidentialité, nous avons anonymisé toutes les personnes interrogées.
-
[12]
Conseil ou concile musulman.
-
[13]
Référence à la saga The Matrix, dans laquelle la pilule rouge est synonyme de sortie de l’illusion.
-
[14]
Il convient de remarquer ici qu’au début de notre enquête, un certain nombre de comptes et de chaînes affiliés à l’alt-right étaient très populaires sur ces réseaux et cumulaient parfois jusqu’à plusieurs dizaines de millions de vues en diffusant une version « aseptisée » des idéologies d’extrême droite, parfois appelées « alt-lite ». Ces comptes ont été supprimés ou bannis par les plateformes à partir de fin 2019 en raison de leur nouvelle politique de diffusion de contenus, notamment après l’attentat de Christchurch en mars 2019 et la diffusion en simultané de la vidéo du terroriste sur Facebook.
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