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Les prix sont des indicateurs importants pour évaluer la réputation des membres de notre discipline. Celles et ceux qui en obtiennent bénéficient d’un levier pour leur progression professionnelle, qui repose en grande partie sur la reconnaissance par les pairs. Les prix peuvent être décernés par une université, une association professionnelle ou même par des institutions nationales, comme la Société royale du Canada. Dans cette contribution, nous analysons l’écart de genre dans l’attribution de prix à travers l’exemple de l’Association canadienne de science politique (ACSP).
Les associations professionnelles de science politique utilisent l’analyse différenciée selon le genre et certaines suivent d’autres indicateurs de diversité pour leurs activités (Abu-Laban, Sawer et St-Laurent 2018, 10 ; Atchison 2018, 280 ; Briscoe-Palmer et Mattocks 2020). L’analyse différenciée selon le genre menée par ces associations révèle une probable sous-représentation des femmes parmi les récipiendaires de prix relativement à leur présence dans la profession. Par exemple, le Karl Deutsch Award, une des distinctions les plus importantes de l’Association internationale de science politique, a été attribué pour la première fois à une femme seulement en 2014 (Abu-Laban, Sawer et St-Laurent 2018, 17, 24). De même, le Lifetime Achievement Award du Consortium européen de science politique et le Sir Isaiah Berlin Prize de la Political Studies Association n’ont été décernés à une femme qu’en 2017 et 2013, respectivement. Selon les données rapportées par les associations (Gethen et Sauer 2016, 2 ; Abu-Laban, Sawer et St-Laurent 2018, 23‑24), nous constatons une grande variation entre ces dernières et les prix, sans toutefois avoir une vue d’ensemble définitive de l’évolution de la représentation des femmes parmi les récipiendaires (Abu-Laban, Sawer et St-Laurent 2018, 10‑12).
En revanche, la recherche s’intéresse peu à l’écart de genre dans les activités professionnelles des associations en science politique (p. ex. : Goodman et Pepinsky 2019 ; Tatalovich et Frendreis 2019). Notre contribution s’intègre à un projet de recherche qui comble ce manque de données en mobilisant comme échantillon celles de six associations professionnelles de science politique[2], avec un total de 5821 récipiendaires entre les années 2000 et 2020. Nous examinons les récipiendaires de prix et les membres de jurys pour déterminer s’il y a une réduction de l’écart entre les femmes et les hommes au fil du temps ou si un écart important persiste pour certains prix et domaines de recherche. Nous présentons ici des résultats pour l’Association canadienne de science politique[3].
Reconnaissance professionnelle et écart de genre dans la discipline
Recevoir un prix est source de visibilité pour les chercheurs et leurs travaux. Cela signale à la communauté scientifique les travaux, les sujets, les approches et les méthodes les plus valorisés et méritant l’attention, ou même les parcours de carrière considérés comme excellents ou exceptionnels. Les prix font partie de la reconnaissance professionnelle qui nourrit les carrières scientifiques, lesquelles reposent sur trois « piliers de la reconnaissance académique : reconnaissance institutionnelle, savante et professionnelle[4] » (Engeli et Mügge 2020, 183 et suiv.). Les trois formes de reconnaissance s’influencent mutuellement et contribuent à expliquer les trajectoires de carrière. Les effets des prix varient considérablement selon le type de prix, l’avancement de carrière et les systèmes universitaires (Schröder, Lutter et Habicht 2021, 14). L’obtention d’un prix témoigne de la qualité et de l’importance du travail des chercheurs, accroît leur visibilité et attire plus de lecteurs, de citations, d’invitations pour des conférences, des projets de recherche ou des corédactions. En bref, l’obtention d’un prix crée de nouvelles perspectives de carrière pour les récipiendaires en raison de son impact sur les réseaux et la réputation, deux facteurs clés pour l’avancement universitaire (p. ex. : Tatalovich et Frendreis 2019 ; Heffernan 2021).
L’obtention de distinctions ou de prix a un effet positif sur la carrière individuelle, mais aussi sur la constitution, l’identité, la compréhension et la légitimité tant de la discipline que des organisations professionnelles. Cela justifie une plus grande attention portée à la représentation des groupes traditionnellement marginalisés parmi les récipiendaires de prix. Comme l’ont précisé Sara Wallace Goodmann et Thomas B. Pepinsky (2019, 669) en ce qui concerne la participation des femmes aux conférences, on peut assumer que la sous-représentation de celles-ci comme récipiendaires de prix (Tatalovich et Frendreis 2019, 322-323) freine leur développement professionnel de façon disproportionnée en limitant leur accès à des réseaux qui ouvrent des possibilités de carrière. Il y a également un effet de distorsion dans la perception de ce qui constitue l’excellence en recherche et dans les publications.
La recherche sur l’écart de genre dans la discipline s’est intéressée à différents aspects de la carrière et du fonctionnement des associations professionnelles. Malgré une amélioration considérable lors de la dernière décennie, les femmes restent sous-représentées, tant comme membres ou gestionnaires d’associations que comme professeures dans notre discipline (Abu-Laban, Sawer et St-Laurent 2018, 7, 8, 21 ; Alter et al. 2020). En termes de carrière, le problème du « tuyau percé » est amplement documenté : le taux de femmes diminue à mesure que sont gravis les échelons universitaires (Kantola 2008 ; Hesli, Lee et McLaughlin Mitchell 2012 ; Abels et Woods 2015 ; Vickers 2015 ; Allen et Savigny 2016 ; Uppal et Hango 2022).
Une bonne partie de cette recherche émergente sur l’écart de genre en science politique s’intéresse aux publications puisqu’elles constituent un élément clé pour l’avancement de carrière. Peu importe le seuil de comparaison choisi – le taux de femmes professeures, de membres d’associations ou de professeures dans les universités –, le constat reste le même : les femmes sont sous-représentées dans les publications scientifiques (Breuning et Sanders 2007 ; Evans et Moulder 2011 ; McLaughlin Mitchell, Lange et Brus 2013 ; Teele et Thelen 2017, 434). Elles sont moins souvent auteures dans la plupart des revues, principalement en raison d’un plus faible taux de soumission d’articles, et non en raison de leur taux moindre de succès de publication (Brown et al. 2020, 120). Les femmes semblent aussi moins profiter que les hommes de la tendance vers des publications corédigées avec auteurs multiples (Teele et Thelen 2017 ; Djupe, Smith et Sokhey 2019). Bien entendu, il a des différences entre les revues et les domaines de recherche, selon les pratiques de soumissions, les préférences méthodologiques ou encore que les réseaux professionnels sont genrés ou non (Atchison 2018 ; Heffernan 2021). En ce qui concerne les citations, des études arrivent à des conclusions divergentes. Certaines constatent une moindre fréquence de citations pour les articles rédigés par des femmes (Maliniak, Powers et Walter 2013 ; Dion, Sumner et McLaughlin Mitchell 2018 ; Dion et McLaughlin Mitchell 2020). D’autres indiquent qu’il n’y a pas de différence ou encore de comportement genré dans les pratiques de citations (Williams et al. 2015 ; Atchison 2017 ; Esarey et Bryant 2018 ; Norris 2021). L’analyse de listes de lectures et de plans de cours permet d’étudier d’une autre manière l’impact des publications selon le genre des auteurs. Les travaux des femmes sont moins bien représentés dans les listes de lecture, notamment au niveau doctoral (Colgan 2017 ; Hardt et al. 2019). La prochaine section examine si ces écarts documentés dans d’autres activités professionnelles sont également observables pour les prix attribués par l’ACSP.
L’écart de genre dans l’attribution de prix : l’exemple de l’ACSP
Pour tous les prix remis par l’ACSP entre 2000 et 2020, nous avons repéré les récipiendaires et avons déterminé leur genre (femmes, hommes, non-binaires). Il s’agit d’une attribution effectuée par les chercheurs sur la base de la présentation des gagnants sur leur site web (pronoms utilisés, photos)[5]. Nous avons procédé de la même manière pour analyser la composition des jurys. Ces analyses ont été réalisées grâce à la coopération de l’ACSP, qui nous a fourni les listes des membres de jurys et les données d’adhésion[6]. Nous utilisons principalement le taux de femmes membres rapporté par l’ACSP comme seuil de comparaison (voir Teele et Thelen 2017, 435-436)[7].
Entre 2000 et 2020, 125 prix ont été attribués à un total de 157 récipiendaires, y compris les coauteurs, pour les prix de publications et de présentation visuelle. L’ACSP a remis onze prix en 2020. Cinq sont attribués tous les deux ans et les six autres le sont annuellement. Parmi ces prix quatre ont été décernés tout au long de notre période d’observation alors que les autres ont été créés au cours des deux dernières décennies.
Tableau 1
Prix remis par l’ACSP de 2000 à 2020
* 1re année pendant notre période d’observation. Il faut noter que certains prix ont été remis deux fois dans la même année : le Smiley en 2010, 2011 et 2012 ; et le Lemieux en 2003. De même, certains prix n’ont pas été attribués chaque année : le prix francophone en 2016, ainsi que le prix de l’ACSP pour une présentation visuelle et le prix de l’ACSP dans le cadre de la compétition « Ma thèse en trois minutes » en 2020.
À première vue, l’écart entre les récipiendaires hommes et femmes de prix de l’ACSP sur deux décennies reste plutôt modeste avec 42 % des récipiendaires qui sont des femmes. Ce pourcentage est plus élevé que la moyenne du taux d’adhésion des femmes à l’ACSP pour la même période (34 %)[8]. Pour les prix de publications, les femmes sont aussi souvent récipiendaires comme auteure unique que les hommes. De plus, les femmes gagnent aussi souvent plus d’un prix que les hommes au cours de la période d’observation (21 hommes, 19 femmes).
Le graphique 1 montre que l’écart diminue avec le temps pour s’inverser au cours des dernières années en faveur d’une majorité de récipiendaires femmes. Notre période d’observation se terminant en 2020, nous avons examiné les récipiendaires pour 2021 et 2022 afin de voir si la tendance vers l’égalité se confirmait. Effectivement, l’écart de genre semble s’estomper, avec un taux de femmes récipiendaires tournant autour de la moitié des gagnants en 2021 et 2022 (2021 : 4 femmes sur 7 récipiendaires, 2022 : 4 femmes sur 9 récipiendaires). Nous observons une tendance dans le même sens, mais moins prononcée, pour l’ensemble de nos associations, avec une représentation de femmes dépassant les 40 % pour certaines années à partir de 2016 (2016 : 45 %, 2018 : 46 %, 2019 : 53 %[9] ; Engeli et Rothmayr Allison 2022).
À plusieurs occasions lors de la première décennie des années 2000, il n’y avait aucune femme parmi les gagnants de prix de l’ACSP. Pour cette période, peu de prix ont été décernés aux femmes même si elles représentaient déjà environ 30 % des membres de l’ACSP (voir graphique 2). Le taux de femmes membres a augmenté au cours de la décennie suivante pour atteindre 40 % en 2020. Le nombre de professeures se rapproche aussi de ce seuil, avec des variations régionales : 38 % des postes permanents ou menant à la permanence facultaire pour 2018-2019 sont occupés par des femmes (Taher et Labelle 2019). Si nous prenons le pourcentage de femmes membres comme seuil de comparaison[10], les femmes sont effectivement aussi bien, et parfois même mieux représentées parmi les gagnants que parmi les membres de l’Association de science politique entre 2016 et 2020. Cela est également vrai pour six autres années (2002, 2004, 2007, 2008, 2012, 2014).
Graphique 1
Récipiendaires femmes et hommes de 2000 à 2020 (coauteurs inclus*)
Derrière ces statistiques encourageantes se cachent des variations importantes en fonction des prix et des domaines, comme la contribution considérable du prix Jill-Vickers – qui récompense la meilleure communication en genre et politique de l’année précédente – à la représentation des femmes parmi les gagnants (graphique 2). Avec 23 femmes sur 27 récipiendaires, le prix Jill-Vickers reflète le caractère genré du domaine de genre et politique. Si nous laissons ce prix de côté, le taux de femmes récipiendaires chute à 33 %. De plus, si ce prix n’était pas compté, il n’y aurait aucune femme récipiendaire en 2006, et donc une quatrième année sans aucune femme récipiendaire dans la première décennie. Cela dit, la tendance vers une représentation plus égalitaire ces dernières années s’observe également si l’on ne tient pas compte du prix Jill-Vickers.
Concernant les prix de publications, nous notons un écart important car moins d’un tiers des récipiendaires sont des femmes (29 % : 67 hommes, 27 femmes). La grande majorité des récipiendaires du prix en politique comparée sont des femmes (6 sur 7). Pour les autres prix de publications, les statistiques restent pour le moins modestes : il n’y a que 4 femmes sur les 34 récipiendaires du prix Donald-Smiley en politique canadienne, 3 femmes sur 11 récipiendaires du prix C.B.-Macpherson en théorie politique, et 2 femmes sur 7 récipiendaires pour le prix en relations internationales. Même pour le prix John-McMenemy attribué au meilleur article dans la Revue canadienne de science politique (RCSP) et qui est donc un prix généraliste, le taux de femmes récipiendaires reste en dessous d’un tiers, avec 10 femmes sur 32 auteurs récipiendaires.
Graphique 2
Récipiendaires femmes avec et sans le prix Jill-Vickers (à partir de 2004) en comparaison avec le taux de membres femmes de l’ACSP
Pour les autres prix de publications, en ajoutant les remises de 2021 et de 2022 et en analysant les six dernières remises, nous constatons une amélioration pour certains prix seulement :
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Pour le prix Donald-Smiley, il y a amélioration lors des six dernières remises (2017 à 2022), avec 2 femmes (2017 et 2021) sur 6 récipiendaires. Cependant, en tenant compte de l’augmentation du taux d’adhésion des femmes à l’ACSP[11], nous constatons que leur sous-représentation persiste pour ce prix.
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Le prix en relations internationales existe depuis 2009 et sur les six dernières remises depuis 2011, nous comptons 4 hommes et 2 femmes (2017 et 2019). Il reste à déterminer si l’écart commencera à s’estomper lors des prochaines remises.
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Le même constat peut être fait pour le prix John-McMenemy. Sur l’ensemble de la période, les femmes sont sous-représentées par rapport à leur adhésion à l’ACSP. Cependant, pour ce prix, il est plus utile de regarder les indicateurs d’auteurs publiés dans les rapports des équipes éditoriales de la RCSP (les données de 2013 à 2019 sont disponibles). Pendant cette période le taux de femmes auteures a considérablement varié de 17,9 à 51 %, avec une moyenne de 31,7 % sur 7 ans. Si nous considérons ce seuil, les femmes ne semblent pas être sous-représentées par rapport à leur présence parmi les auteurs d’articles. L’enjeu semble plutôt être le taux limité de femmes publiant dans cette revue, l’écart de genre dans les auteurs étant un phénomène constaté pour plusieurs revues de la discipline[12].
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Pour le prix en idées politiques, en prenant en compte les six dernières remises, nous constatons une amélioration avec une distribution à peu près égale entre hommes et femmes[13]. Le prix en politique comparée reste dominé par des récipiendaires femmes : 6 femmes et 1 homme depuis 2012.
Pour toute la période d’observation, les femmes ont été sous-représentées pour le prix Vincent-Lemieux qui récompense la meilleure thèse, avec seulement 4 gagnantes sur 11 au total. Cela correspond à peu près à la moyenne des membres femmes pour les deux décennies (33 %). Heureusement, sur les six dernières remises (2011 à 2021 tous les deux ans), le bilan de récipiendaires est égalitaire, avec une moitié de femmes et d’hommes.
L’engagement plus important des femmes dans les tâches de services est un autre phénomène souvent discuté dans la littérature que nous observons (Mitchell et Hesli 2013 ; Shalaby, Allam et Buttorff 2021). Le nombre de jurys sans aucune femme reste minime, avec 7 % sur la durée de notre observation de 2000 à 2020 (N=404 membres de jurys). Environ la moitié des jurys sont égalitaires ou majoritairement féminins. Les femmes sont mieux représentées en tant que membres de jury qu’en tant que récipiendaires de prix, un phénomène que nous observons pour l’ensemble de nos associations. Comme le montre le graphique 3, le taux de femmes sur les jurys tourne autour de la parité ces dernières années, même si l’on exclut le jury du prix Jill-Vickers en genre et politique. Ce graphique établit aussi que les femmes sont mieux représentées sur les jurys que parmi les membres de l’ACSP. Pour plusieurs prix, les femmes sont aussi mieux représentées sur les jurys que parmi les récipiendaires : 39 % de membres de jury pour le prix Donald-Smiley versus 12 % de gagnantes ; 39 % des membres du jury pour le prix Vincent-Lemieux et 26 % de gagnantes ; 45 % des membres du jury John-McMenemy et 31 % de gagnantes ; 96 % des membres du jury Jill-Vickers et 81 % de gagnantes. À l’inverse, il y a aussi des prix avec plus de gagnantes que de proportions de femmes sur les jurys (30 % des membres du jury C.B.-Macpherson et 31 % de gagnantes, 45 % des membres du jury politique comparée et 86 % de gagnantes).
Graphique 3
Pourcentage de membres femmes de l’ACSP et de membres de jurys, de 2000 à 2022
En bref, dans la majorité des cas, les femmes sont bien représentées sur les jurys. Cela se traduit par une surreprésentation par rapport aux taux d’adhésion des membres et par rapport aux taux de femmes lauréates de ces prix.
Conclusion
Il y a eu un développement positif ces dernières années, avec un resserrement de l’écart et une représentation plus égale entre hommes et femmes récipiendaires de prix. La création de prix spécifiques pour le domaine de genre et politique a eu un effet important sur la représentation des femmes lauréates. Cependant, ce développement encourageant ne s’observe pas pour tous les prix et, dans certains cas, les femmes restent sous-représentées, même pour les six dernières remises de prix depuis 2022.
Selon la littérature existante sur l’écart de genre dans les publications, il est possible que cela s’explique par un taux de soumissions et de nominations moins élevé pour les auteures femmes, ce qui peut être lié à un taux de publications moins élevé que le taux d’adhésion des femmes à leur association ou le taux de professeures. Cela semble être le cas pour le prix John-McMenemy ; pour d’autres prix, cette piste d’explication reste à explorer.
La ségrégation genrée selon les domaines est aussi un enjeu à considérer. Est-ce qu’il y a plus de livres publiés par des femmes que des hommes en politique comparée, et est-ce que le taux de succès reflète une ségrégation dans les sujets de recherche au Canada ? À l’inverse, on peut se demander si les femmes sont sous-représentées dans les publications en théorie politique ou si elles sont sous-représentées dans ce sous-champ par rapport à l’ensemble des membres. D’autres facteurs peuvent aussi jouer, tels que la définition du champ ou encore les réseaux et les succès passés (plus de gagnantes de prix attirent plus de soumissions de publications par des auteures). Il y a peu d’analyses concernant le choix genré dans les agendas de recherche. La recherche indique qu’il y a effectivement des choix genrés par rapport aux sujets et aux méthodes (Breunig and Sanders 2007 ; Breunig et Lu 2010 ; Maliniak, Powers et Walter 2013 ; Shames et Wise 2017) et que les sujets privilégiés par les femmes sont moins présents dans les meilleures revues américaines (Key et Sumner 2019 : 666). Des données sur l’adhésion à des sections organisées à l’Association américaine de science politique révèlent aussi une variation considérable dans le taux de femmes selon la section[14]. Il n’y a pas de données similaires pour l’ACSP qui n’offre pas d’adhésion à des sections. En bref, nous n’avons pas les données qui permettraient de répondre à ces questions, et il est fort probable que plusieurs mécanismes soient en jeu simultanément.
Il est aussi positif de constater que les femmes sont désormais mieux représentées sur les jurys de prix. Cependant, leur présence y est plus importante qu’en tant que membres de l’association ou récipiendaires pour la majorité des prix, ce qui soulève le dilemme entre une meilleure représentation dans les structures et les résultats effectifs de cette représentation. Les effets de cet engagement des femmes dans les jurys se font également attendre pour certains prix.
Nous ne pouvons pas tenir pour acquis que l’écart de genre disparaît pour toutes les catégories de prix parce que les femmes sont mieux représentées dans la discipline. Le type et la structure de prix d’une association sont en effet déterminants. Certaines catégories de prix vont reproduire des écarts observés dans d’autres tâches de la profession, par exemple dans les publications et la ségrégation de spécialisation. Cela peut être souhaitable dans certains cas, par exemple les prix en genre et politique [15], afin de valoriser un champ de recherche où il y a une plus grande représentation de femmes, mais pas dans d’autres. Étant donné les répercussions sur la réputation, les réseaux et ultimement la carrière universitaire des femmes, il est primordial d’avoir une meilleure représentation de celles-ci parmi les récipiendaires de tous les prix. Lors de l’évaluation des CV, il est également important de se rappeler que de 2000 à 2020, les femmes étaient largement sous-représentées parmi les récipiendaires de prix. Elles ont donc moins bénéficié des possibilités que les prix peuvent offrir pour leur carrière.
Pour conclure, nous souhaitons mentionner deux enjeux qui devront faire l’objet de recherches plus poussées. Il faudrait évaluer si les femmes récipiendaires de prix profitent autant que les hommes de cette reconnaissance pour leur carrière. Une recherche qualitative complémentaire permettrait aussi de voir s’il y a un type de recherche qui est susceptible d’être primé plus régulièrement à l’ACSP.
Appendices
Notes biographiques
Christine Rothmayr Allison est professeure de science politique à l’Université de Montréal. Ses principaux domaines d’intérêt sont les politiques publiques comparées, le droit et la politique, et l’évaluation des politiques en Europe et en Amérique du Nord. Ses recherches actuelles portent sur la politisation des tribunaux en Europe et l’impact des décisions judiciaires sur le changement de politique. Elle détient un doctorat de l’Université de Zurich et a travaillé pendant plusieurs années à l’Université de Genève.
Isabelle Engeli est professeure de politique publique à l’Université d’Exeter. Ses recherches portent sur le rôle de la concurrence entre les partis politiques dans les politiques d’égalité de genre et dans l’émergence de l’agenda « anti-genre ». Elle travaille également sur la mise en oeuvre des politiques d’égalité de genre dans le milieu professionnel, notamment en ce qui concerne les conseils d’administration et l’égalité salariale. Ses travaux sont publiés dans les revues suivantes : European Journal of Political Research, European Journal of Public Policy, Regulation & Governance, West European Politics, Comparative European Politics, Journal of Comparative Policy Analysis et Revue française de science politique.
Notes
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[1]
Nous remercions Alexie Labelle, Kary-Anne Poirier, Ahmed Hamila, Saaz Taher et Semih Cakir de leur travail sur la collecte et l’analyse des données, ainsi que Simon St-Georges, Alexie Labelle, Laurie Beaudonnet et les directrices de la revue Laurence Bherer et Sule Tomkinson pour leurs commentaires sur des versions du texte.
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[2]
Le projet porte sur six associations professionnelles de science politique, l’Association canadienne de science politique (ACSP), l’Association américaine de science politique (APSA), l’Association internationale de science politique (AISP/IPSA), Le Consortium européen de science politique (CESP/ECPR), l’Association d’études internationales (ISA) et l’Association d’études politiques (PSA, Grande-Bretagne). La SQSP ne fait pas partie de notre échantillon.
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[3]
La collecte des données est presque achevée. Il nous manque des données sur l’évolution de l’adhésion des femmes et leur appartenance à des sous-champs pour certaines associations. La comparaison entre les associations n’est pas encore effectuée et s’avère complexe tant à cause des structures d’adhésion que de prix très variables d’une association à l’autre.
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[4]
Traduction par les auteures.
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[5]
Nous reconnaissons les limites de cette façon de procéder pour identifier les personnes non binaires, mais nous jugions important d’intégrer cette catégorie dans l’analyse. Aucune personne non binaire n’a été codée comme récipiendaire d’un prix de l’ACSP. Pour d’autres associations nous avons codé des récipiendaires comme se déclarant non binaires.
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[6]
Nous remercions Silvina Danesi et Sean Hart pour cette collaboration.
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[7]
Cette catégorie répertorie depuis 2013 l’autoidentification comme femme, homme ou personne non binaire.
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[8]
Si nous tenons compte seulement des premiers auteurs, le pourcentage de femmes récipiendaires reste presque le même avec 41 % (74 hommes et 51 femmes).
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[9]
Pour l’ensemble de notre échantillon de six associations, les données pour 2020 sont incomplètes en raison de l’annulation des conférences pendant la pandémie.
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[10]
À noter qu’il ne faut pas être membre de l’ACSP pour les prix Vincent-Lemieux et John-McMenemy. Pour les autres prix de publications, il faut être membre de l’association l’année où le livre est pris en considération. Pour le prix Jill-Vickers, le prix de la meilleure présentation visuelle, et le prix « Ma thèse en trois minutes », il faut être membre au cours de l’année de la participation à la conférence.
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[11]
Nous ne disposons pas de statistiques de référence pour les livres publiés, soumis ou encore nommés pour les prix de publications, ce qui nous prive de seuils de comparaison autres que la présence des femmes dans la profession.
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[12]
Les statistiques se basent sur les rapports de l’équipe éditoriale anglophone, le nombre d’articles publiés en français étant petit.
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[13]
Le prix Vincent-Lemieux est gagné par des femmes en 2011, 2017, 2021 et par des hommes en 2013, 2015, 2019.
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[14]
Voir : https://www.apsanet.org/RESOURCES/Data-on-the-Profession/Dashboard/Membership/Organized-Sections. Consulté le 30 septembre 2024.
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[15]
Un nouveau prix s’ajoute à partir de 2023 : prix de l’ACSP pour le meilleur article de la RCSP sur le genre et la politique.
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List of figures
Graphique 1
Récipiendaires femmes et hommes de 2000 à 2020 (coauteurs inclus*)
Graphique 2
Récipiendaires femmes avec et sans le prix Jill-Vickers (à partir de 2004) en comparaison avec le taux de membres femmes de l’ACSP
Graphique 3
Pourcentage de membres femmes de l’ACSP et de membres de jurys, de 2000 à 2022
List of tables
Tableau 1
Prix remis par l’ACSP de 2000 à 2020
* 1re année pendant notre période d’observation. Il faut noter que certains prix ont été remis deux fois dans la même année : le Smiley en 2010, 2011 et 2012 ; et le Lemieux en 2003. De même, certains prix n’ont pas été attribués chaque année : le prix francophone en 2016, ainsi que le prix de l’ACSP pour une présentation visuelle et le prix de l’ACSP dans le cadre de la compétition « Ma thèse en trois minutes » en 2020.