Abstracts
Résumé
La majorité des enfants franchissent les différentes étapes du développement psychosexuel de façon saine. Toutefois, certains enfants dévient de cette trajectoire et manifestent des comportements sexuels problématiques (CSP). Cette recension systématique a pour objectif de déterminer quels sont les facteurs individuels, familiaux et sociaux qui distinguent les enfants de 12 ans et moins qui présentent des CSP de ceux qui n’en présentent pas. La méthode utilisée s’appuie sur celle proposée par le Centre for Reviews and Dissemination (CRD, 2008), reconnue comme étant une pratique exemplaire pour mener une recension systématique (Tacconelli, 2010). Une recherche d’identification des études primaires a permis de repérer 2585 références, dont 18 études portant sur les facteurs associés aux CSP qui ont été sélectionnées en fonction de critères préalablement définis. Malgré les nombreuses limites méthodologiques des études, les résultats indiquent que les enfants manifestant des CSP présentent systématiquement davantage de difficultés ou d’éléments d’adversité comparativement aux enfants ne manifestant pas ce type de comportement, et ce, dans plusieurs domaines de risque du modèle théorique proposé dans le cadre de cet article (caractéristiques individuelles prédisposant aux problèmes de comportement, stresseurs affectant les parents à fournir des soins optimaux, pratiques parentales coercitives, perturbation du développement psychosexuel et qualité de l’attachement). La prise en compte de ces domaines est primordiale pour éclairer l’évaluation et l’intervention auprès des enfants manifestant des CSP.
Mots-clés :
- comportements sexuels problématiques,
- enfants,
- facteurs associés,
- recension systématique
Abstract
The majority of children pass through the stages of psychosexual development in a healthy way. Some children, however, deviate from this path and exhibit sexual behavior problems (SBP). This systematic review identified the individual, family and social factors that distinguish children under 12 years of age who exhibit SBP from those who do not. Using the method proposed by the Centre for Reviews and Dissemination (CRD, 2008), recognized as a best practice to conduct a systematic review (Tacconelli, 2010), a search identified 2,585 primary studies. Of these, 18 studies on the factors associated with the development of SBP were selected according to predetermined criteria. Despite the many methodological limitations of the studies, the results indicate that children exhibiting SBP show systematically more adversity in several risk areas of the proposed theoretical model (individual characteristics predisposing to behavioral problems, stressors affecting parents to provide optimal care, coercive parenting practices, disturbance of psychosexual development and quality of attachment), compared to children not exhibiting SBP. The inclusion of these areas is crucial to inform the assessment and intervention with children exhibiting SBP.
Keywords:
- sexual behavior problems,
- children,
- associated factors,
- systematic review
Article body
Introduction
La sexualité représente une dimension fondamentale et importante de la vie de tout être humain. Pourtant, ce sujet demeure un tabou et provoque malaise et gêne chez plusieurs intervenants, surtout lorsqu’il s’agit de la sexualité des enfants (Hackett, Carpenter, Patsios et Szilassy, 2013; Sciaraffa et Randolph, 2011). Malgré le fait que peu d’écrits empiriques soient disponibles pour décrire les comportements sexuels manifestés par les enfants (Thigpen, 2009), les connaissances scientifiques permettent d’affirmer que la majorité d’entre eux s’engagent dans une variété de comportements sexuels avant le début de l’adolescence (Lightfoot et Evans, 2000; Ryan, 2000).
La majorité des enfants vivent les différentes étapes de leur développement psychosexuel de façon saine. Cependant, il arrive que certains dévient de cette trajectoire et manifestent des comportements sexuels qui se situent en dehors de ce qui est normalement attendu dans le cadre de leur développement et qui sont qualifiés de comportements sexuels problématiques (CSP) (Araji, 1997; Johnson, 1993). Il est toutefois difficile, autant pour les parents, les professionnels que les chercheurs, de distinguer clairement les comportements sexuels sains des comportements problématiques (Gagnon et Tourigny, 2011). Malgré cette difficulté, les experts du domaine s’entendent pour situer les comportements sexuels des enfants sur un continuum, allant des comportements sexuels sains et naturels jusqu’aux comportements sexuels hautement problématiques, en fonction de différents indicateurs dont l’intensité et la dangerosité du comportement sexuel manifesté.
Actuellement, aucune définition opérationnelle des CSP ne fait consensus dans la littérature scientifique, faisant en sorte que les éléments permettant de les définir diffèrent souvent d’un auteur à l’autre. Toutefois, un groupe de travail de l’Association for the Treatment of Sexual Abusers (ATSA) suggère que les CSP sont « des comportements impliquant des parties sexuelles du corps, adoptés par des enfants âgés de 12 ans et moins, qui sont inappropriés du point de vue du développement de ceux-ci ou qui sont potentiellement néfastes pour eux-mêmes ou pour les autres » (Chaffin et al., 2006; p. 3, traduction libre). Bien que l’attention des chercheurs ait davantage été portée sur les enfants manifestant des CSP impliquant une autre personne (Carpentier, Silovsky et Chaffin, 2006), des comportements sexuels dirigés vers soi (ex : masturbation excessive) peuvent également être considérés comme des CSP. Certains comportements sexuels spécifiques, soit les tentatives de relations sexuelles, les contacts oraux-génitaux et les comportements impliquant une pénétration, sont généralement jugés problématiques chez tous les enfants de 12 ans et moins qui les présentent (Friedrich, Fisher, Broughton, Houston et Shafran, 1998; Friedrich, Grambsch, Broughton, Kuiper et Beile, 1991; Heiman, Leiblum, Esquilin et Pallitto, 1998). Des comportements sexuels plus fréquemment observés chez les enfants (comme toucher ses parties génitales, l’exhibitionnisme ou le voyeurisme) peuvent aussi être jugés problématiques s’ils deviennent une préoccupation importante pour l’enfant en interférant avec son développement (p. ex. remplace des activités qui sont appropriées d’un point de vue développemental) ou s’ils persistent malgré les interventions d’un adulte (Araji, 1997; Johnson, 2000). Les experts s’entendent également pour affirmer que d’autres indicateurs peuvent aussi attester de la présence de CSP, dont l’usage de force, de coercition ou d’intimidation, la présence de blessures physiques ou d’une détresse émotionnelle chez les enfants et l’implication d’enfants de niveaux développementaux différents (Chaffin et al., 2006).
Les CSP perturbent tant les enfants qui les manifestent que leur environnement familial et social (Gagnon et Tourigny, 2011). Bien qu’un enfant de 12 ans et moins ne puisse être déclaré criminellement responsable d’une agression sexuelle commise (Gouvernement du Canada, 2014), près de 2 % des personnes présumées avoir commis une infraction sexuelle au Québec en 2013 sont des enfants de 11 ans et moins (Gouvernement du Québec, 2015). D’ailleurs, l’expérience de l’enfant victime d’agression sexuelle est perçue aussi négativement et aussi dommageable par celui-ci, peu importe que l’auteur de l’agression sexuelle soit un enfant, un adolescent ou un adulte (Allen, Tellez, Wevodau, Woods et Percosky, 2014; Sperry et Gilbert, 2005).
Étiologie des CSP
Jusqu’à présent, peu de modèles théoriques ont été proposés par les chercheurs pour expliquer le développement des CSP, outre certains modèles explicatifs des conséquences des agressions sexuelles vécues par les enfants. Or, ces modèles ne sont utiles que pour une certaine proportion d’enfants manifestant des CSP qui ont été victimes d’agression sexuelle. Face à cette limite, Friedrich (2007) a adapté le modèle théorique de Greenberg, Speltz et DeKlyen (1993), conçu pour décrire le développement de comportements perturbateurs, afin d’expliquer spécifiquement le développement des CSP. Cependant, le modèle de Friedrich présente certaines faiblesses, notamment celle de reléguer au second plan le rôle de l’attachement précoce, pourtant central dans le modèle de Greenberg et al. (1993). Ainsi, dans le cadre de cette recension, une adaptation plus fidèle du modèle générique de Greenberg et al. (1993) sera utilisée pour expliquer le développement des CSP chez les enfants, tout en s’appuyant sur le modèle spécifique de Friedrich (2007). Le modèle proposé conçoit le développement et le maintien des CSP par le biais des interactions entre cinq domaines de risque : 1) les facteurs individuels prédisposant aux problèmes de comportement, 2) les stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant, 3) les pratiques parentales coercitives, 4) la perturbation du développement psychosexuel de l’enfant, et 5) la qualité de l’attachement parent-enfant. Le modèle suggère qu’une accumulation de facteurs de risque augmente la probabilité de présenter des problèmes de comportement, dont les CSP font partie, et que ce sont les interactions entre les différents facteurs de risque qui conduisent aux difficultés. Au-delà des interactions entre les différents domaines, ce modèle tient également compte que les CSP des enfants puissent être une manifestation comportementale d’un développement psychosexuel perturbé à la suite d’une agression sexuelle ou d’une exposition inappropriée à la sexualité. Pour le moment, il est toutefois impossible d’établir spécifiquement l’importance relative de chaque domaine ou de se prononcer sur les combinaisons de domaines ayant le plus d’impact sur le développement des CSP.
De façon plus spécifique, le premier domaine concerne l’ensemble des facteurs individuels prédisposant l’enfant à présenter des problèmes de comportement. Certaines caractéristiques biologiques résultant de dysfonctions du lobe frontal gauche seraient impliquées dans le développement de problèmes de comportement chez les enfants (Greenberg et al., 1993). À ce sujet, Barkley (1997) ainsi que Pennington et Ozonoff (1996) ont répertorié un nombre important d’études montrant des performances plus faibles quant aux fonctions exécutives, en particulier celles impliquant l’inhibition, chez des enfants présentant des comportements perturbateurs. Des déficits au niveau cognitif et langagier pourraient être transmis génétiquement alors que d’autres pourraient résulter d’un trauma périnatal, d’une exposition à des toxines (plomb, alcoolisme foetal, drogues), d’un trauma physique (p. ex. trauma crânien à l’enfance) ou provenir de l’effet de privation sur la croissance neuroanatomique (Greenberg et al., 1993). Alors que Greenberg et al. (1993) s’attardent principalement aux caractéristiques biologiques, Friedrich (2007) élargit ce domaine à d’autres caractéristiques individuelles. Certains traits de tempérament (p. ex. inflexibilité) et le genre masculin ont notamment été invoqués comme ayant un impact sur le développement de problèmes de comportement (Lahey, Waldman et McBurnett, 1999).
Le deuxième domaine regroupe un éventail de stresseurs qui affectent la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant. Ainsi, les caractéristiques du parent (faible éducation, problème de santé mentale, problème de consommation, criminalité), le fonctionnement conjugal (présence de violence conjugale) et les caractéristiques de l’environnement de vie telles que la pauvreté ou la surpopulation de la maisonnée nuisent à la qualité des soins offerts par les parents aux enfants. Evans (2003) suggère que l’effet cumulatif des stress vécus est davantage lié aux difficultés de comportement chez l’enfant que chacun des stresseurs pris individuellement. Ce cumul de stress peut avoir un effet direct sur le développement de comportements perturbateurs chez l’enfant (Friedrich, 2007), de même qu’un effet indirect, en influençant négativement les pratiques parentales, qui se répercutent à leur tour sur les comportements des enfants (Greenberg et al., 1993).
Le troisième domaine réfère aux pratiques parentales coercitives qui constituent le facteur dont les liens avec les comportements perturbateurs sont les plus documentés. Ainsi, les pratiques parentales punitives ou inappropriées constituent de forts prédicteurs des comportements perturbateurs chez les enfants (Keenan, 2003; Sheehan et Watson, 2008). Toutefois, il semble qu’une relation bidirectionnelle puisse être observée, de sorte que les comportements perturbateurs peuvent engendrer à leur tour des pratiques parentales punitives ou inappropriées. Friedrich (2007) ajoute que l’enfant peut apprendre à entrer en contact avec les autres de façon coercitive par modelage des comportements du parent ou d’expériences de maltraitance. De plus, il semble que l’absence de comportements positifs de la part du parent à l’égard de son enfant a également un impact important dans l’étiologie des comportements perturbateurs (Greenberg et al., 1993). L’absence d’échanges sociaux positifs, d’intérêt accordé aux activités de l’enfant et d’expression affective de la part du parent rendent l’enfant davantage susceptible de présenter des comportements perturbateurs.
Afin d’appliquer le modèle de Greenberg et al. (1993) aux enfants manifestant des CSP, Friedrich (2007) a proposé l’inclusion d’un quatrième domaine lié à la perturbation du développement psychosexuel de l’enfant. Ainsi, il est proposé que les enfants manifestant des CSP apprennent à entrer en relation avec les autres de façon sexuellement intrusive ou à diriger l’intérêt sexuel vers eux-mêmes en raison de facteurs perturbant leur développement psychosexuel. Parmi ceux-ci se trouvent, entre autres facteurs, la victimisation sexuelle ou l’exposition inadéquate à la sexualité dans l’environnement familial (p. ex. un niveau élevé de comportements sexuels dans la famille, être témoin de comportements sexuels inappropriés entre adultes, être exposé à de la pornographie).
Finalement, la qualité de l’attachement précoce est susceptible d’influencer le développement des comportements perturbateurs (Greenberg et al., 1993). Le développement d’un attachement sécure en bas âge agit comme un facteur de protection en favorisant l’établissement de relations positives avec les parents ainsi qu’une régulation émotionnelle plus efficace dans les années subséquentes (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978; Richters et Waters, 1991). À l’inverse, un attachement insécure agit comme un facteur de risque aux difficultés relationnelles, à l’absence d’auto-contrôle et au développement de comportements perturbateurs, par la cristallisation des modèles de relations interpersonnelles caractérisées par la colère, l’absence de confiance et l’insécurité. Sans pour autant en diminuer l’impact, la relation d’attachement parent-enfant varie dans le temps en fonction des événements et des caractéristiques du milieu familial, soulevant le fait que l’attachement est en interaction constante avec les autres domaines du modèle (Greenberg et al., 1993).
Dans les dernières décennies, plusieurs recensions des écrits portant sur les facteurs associés aux CSP chez les enfants ont été publiées (Araji, 1997; Elkovitch, Latzman, Hansen et Flood, 2009; Gagnon et Tourigny, 2011; Kambouropoulos, 2005; Silovsky et Swisher, 2008; St-Amand, Saint-Jacques et Silovsky, 2011). Malgré l’intérêt indéniable de ces recensions, aucune ne peut être qualifiée de « recension systématique » puisque : 1) elles n’ont pas rendu explicite leur méthodologie de recension, en omettant de préciser les stratégies utilisées pour identifier les études (mots-clés utilisés, banques de données sondées, critères d’inclusion et d’exclusion des études), le nombre total d’études retenues ou la méthode utilisée pour extraire les résultats et les synthétiser, 2) elles ne précisent pas les efforts faits afin d’identifier l’ensemble des études existantes sur le sujet, et 3) elles n’ont généralement pas pris en compte la qualité des études dans la synthèse des résultats (Center for Reviews and Dissemination [CRD], 2008). Ces lacunes ont pour conséquence qu’il devient impossible de statuer sur l’exhaustivité des études recensées ainsi que sur la qualité de la synthèse présentée.
Souhaitant dépasser les différentes limites des recensions préalablement publiées au sujet des facteurs associés aux CSP manifestés par les enfants, la présente recension systématique des écrits a pour objectif de déterminer quels sont les facteurs individuels, familiaux et sociaux qui distinguent les enfants de 12 ans et moins qui présentent des CSP de ceux qui n’en présentent pas.
Méthode
La méthode de cette recension systématique s’appuie sur celle proposée par le Centre for Reviews and Dissemination de l’Université de York (2008). Cette méthode, utilisée internationalement et reconnue comme une pratique exemplaire (Tacconelli, 2010), adhère à un devis scientifique strict basé sur une méthode de recension explicite, transparente et reproductible. Ainsi, cette méthode guide l’élaboration du protocole de recension, l’identification et la sélection des études, l’évaluation de la qualité des études retenues, l’extraction des résultats, la synthèse des résultats ainsi que le transfert des connaissances. Chacune des étapes est soumise à des normes rigoureuses afin de garantir la qualité de la recension systématique. Dans la présente démarche, le protocole de recension a été élaboré et réalisé par un comité formé de trois auteurs de l’article. Une bibliothécaire formée à la recherche bibliographique a également été consultée afin de valider le protocole d’identification des études.
Élaboration du protocole de recension et identification des études
L’identification des études primaires a été menée en février 2014, sans limite quant à la date de publication, dans les banques de données électroniques relatives aux sciences humaines, à la psychologie ou à la médecine (PsychINFO, Academic Search Complete, CINAHL, Education Research Complete, ERIC, FRANCIS, MEDLINE, PsycARTICLES, Psychology and Behavioral SciencesCollection et SocINDEX) en utilisant des mots clés et un vocabulaire standard provenant des thésaurus. Les mots-clés sexual* behavi* problem* OR coercive sexual* behavi* OR inappropriate sexual* behavi* OR reactive sexual* behavi* OR problematic masturbatory behavi* OR sexually aggressive behavi* OR sexually abusive behavi* AND child* ont été utilisés. La même stratégie de recherche a été appliquée dans Proquest Dissertations and Thesis afin de repérer les thèses et les mémoires liés à l’objectif de recherche. Le moteur de recherche internet Google Scholar ainsi que la banque de données OAIster, spécialisée en littérature grise, ont été utilisés afin d’identifier toute autre étude, rapport, chapitre de livre ou résumé de conférence présentant des données empiriques portant sur les enfants manifestant des CSP. De plus, un examen des tables des matières des deux plus récents numéros de cinq périodiques clés a été réalisé. Finalement, des auteurs du domaine ont été sollicités afin d’identifier les études non publiées ou en cours. Un total de 2585 références a ainsi été repéré par l’auteure principale à partir de cette stratégie d’identification des études.
Sélection des études
Les titres et les résumés de tous les écrits identifiés ont été évalués indépendamment par deux personnes (la 1ère et la 4e auteure) en fonction des critères d’inclusion préalablement définis dans le protocole de recension, soit :
Étude comparant statistiquement au moins un groupe d’enfants manifestant des CSP avec au moins un groupe d’enfants ne manifestant pas de CSP;
Étude présentant de façon explicite les critères menant à l’identification du groupe d’enfants manifestant des CSP. Les études discutant d’une fréquence élevée de comportements sexuels normaux et problématiques sans présenter le seuil à partir duquel les auteurs considèrent cette fréquence élevée comme étant problématique ont été exclues;
Étude rapportant des résultats spécifiques aux enfants de 12 ans et moins ou dont l’âge moyen de l’échantillon est de 12 ans et moins;
Étude écrite en français ou en anglais.
Lorsque les informations contenues dans le titre et le résumé de l’écrit ne permettaient pas de statuer sur l’éligibilité du texte dans la présente recension, les deux évaluatrices ont statué à partir de la lecture complète du texte. Avec un coefficient Kappa de Cohen s’élevant à 0,92, l’accord entre les deux évaluatrices est jugé excellent selon Shrout (1998). Les désaccords ont été résolus par consensus au sein du comité formé.
Des 2585 références identifiées au départ, 22 références ont été incluses dans cette recension (ces références sont marquées d’un astérisque dans la bibliographie), soit 15 articles scientifiques, cinq thèses ou mémoires et deux rapports de recherche. En regroupant les différents écrits réalisés à partir d’un même échantillon, la présente recension compte 18 études distinctes portant sur les facteurs associés à la présence des CSP. Un résumé de la démarche d’identification et de sélection des études est présenté à la Figure 1. Les stratégies de recherche utilisées, de même que la liste des références éligibles exclues et leur motif d’exclusion sont disponibles auprès de l’auteure principale.
Évaluation de la qualité méthodologique des études et extraction des résultats
Les limites méthodologiques des études primaires contenues dans une recension systématique représentent une des sources potentielles de biais lors de l’analyse et l’interprétation des résultats (Sanderson, Tatt et Higgins, 2007). Comme la qualité méthodologique s’avère un concept complexe et relativement subjectif qui varie d’un auteur à l’autre (Deeks, Dinnes, D’Amico, Sowden, Sakarovitch, Song et al., 2003), il est recommandé d’utiliser un petit nombre de critères spécifiques au devis et au sujet d’étude (Sanderson et al., 2007). Ainsi, quatre critères-clés ont été utilisés pour juger de la qualité méthodologique des 18 études retenues. Le premier critère renvoie à la méthode utilisée par les auteurs pour attester de la présence ou non de CSP. Ce critère revêt une importance capitale puisqu’il affecte directement la validité interne des études. Les différentes études ont donc été regroupées selon la méthode de catégorisation de l’échantillon, classée par ordre décroissant de validité, soit :
À partir d’un instrument de mesure validé servant à mesurer spécifiquement la présence/absence de CSP chez les enfants;
À partir du jugement clinique d’intervenants dans le domaine;
À partir du jugement du personnel de recherche;
À partir d’un seuil clinique issu d’un instrument de mesure qui n’est pas conçu spécifiquement pour mesurer la présence/absence de CSP chez les enfants, mais à partir duquel les auteurs ont eux-mêmes défini de façon théorique un seuil clinique.
Trois autres critères ont été évalués : 1) la capacité d’établir un lien prédictif entre les différentes variables à l’étude et la présence des CSP (devis longitudinal vs transversal), 2) la capacité des analyses statistiques à tenir compte des interactions entre les variables (analyses statistiques multivariées vs univariées), et 3) la puissance statistique suffisante pour pouvoir détecter une relation entre le facteur étudié et les CSP. Les quatre critères présentés ont servi à l’interprétation des résultats. Plus le nombre de critères atteints est élevé, plus la qualité méthodologique de l’étude est jugée élevée. La qualité méthodologique des 18 études sélectionnées a été évaluée par la 1ère et la 4e auteure, de façon indépendante (à l’exception du calcul de la puissance statistique qui a été effectué par la 1ère auteure et validé par la 4e auteure). L’accord entre les évaluatrices, mesuré par un coefficient Kappa de Cohen de 0,88, est jugé comme étant élevé par Shrout (1998). Les désaccords ont été réglés par consensus au sein du comité.
Finalement, les caractéristiques des études retenues, de même que leurs résultats, ont été résumés par l’auteure principale à l’aide d’une grille d’extraction systématique des données construite par l’auteure. Cette façon de faire permet une extraction constante des données, réduit les biais et améliore la fidélité de l’extraction. L’exactitude de l’entièreté des données extraites a été validée par la 4e auteure, ce qui est conforme avec la procédure proposée par le CRD (2008). Les désaccords ont été résolus par consensus entre les évaluatrices.
Résultats
Description des échantillons étudiés
Un résumé des caractéristiques des échantillons des 18 études portant sur les facteurs associés aux CSP est présenté au Tableau 1. Les études ont été réalisées en majorité auprès d’enfants provenant des États-Unis et du Canada. Les échantillons à l’étude sont généralement composés d’enfants provenant d’une population clinique, alors qu’ils sont référés pour une évaluation ou un traitement pour agression sexuelle ou pour CSP, référés aux services sociaux ou placés sous les soins de la protection de l’enfance. Peu d’études ont utilisé une modalité d’échantillonnage aléatoire, la plupart ayant opté pour une modalité d’échantillonnage de convenance. Les taux de participation à l’étude oscillent entre 41 % et 100 %.
Le nombre d’enfants participant varie considérablement (entre 40 et 5976); 28 % des études sont constituées d’un échantillon de 100 enfants et moins. Les enfants sont âgés de trois à 20 ans, la moyenne se situant entre 4,9 ans et 11,5 ans. Les échantillons sont mixtes, à l’exception de deux études qui comportent un échantillon exclusivement masculin. Finalement, en excluant les six études composées entièrement d’enfants agressés sexuellement, entre 12 % et 70 % des enfants étudiés ont été victimes d’agression sexuelle.
Description méthodologique des études recensées
Le premier critère d’évaluation de la qualité méthodologique (Tableau 2) renvoie à la méthode utilisée par les auteurs pour attester de la présence ou non de CSP. D’abord, aucune étude n’a utilisé un instrument de mesure validé servant à mesurer spécifiquement la présence ou l’absence des CSP chez les enfants. Dix des 18 études ont distingué les enfants manifestant des CSP et ceux n’en présentant pas à partir du jugement clinique d’un intervenant. De ce nombre, cinq études sont composées d’enfants qui sont en voie de participer ou qui participent à un programme d’intervention pour enfants présentant des CSP ou ayant vécu une agression sexuelle. Les autres études sont constituées d’enfants référés ou pris en charge par les services de protection de l’enfance ou référés à une clinique de santé mentale et ont pour but de comparer les enfants présentant des CSP à d’autres populations cliniques d’enfants. Ces dix études, qui utilisent le jugement clinique des intervenants, possèdent la plus haute validité écologique puisque cette évaluation se produit dans un contexte clinique et a pour but de déterminer si l’enfant doit recevoir une intervention spécifique pour enfants agressés sexuellement ou qui manifestent des CSP. Ce jugement est émis par un professionnel oeuvrant spécifiquement auprès d’enfants présentant des difficultés comportementales, augmentant ainsi la validité écologique de cette méthode de classification. Ces études se caractérisent également par le fait que les informations relatives aux comportements sexuels des enfants ont été documentées de façon prospective, généralement par le biais d’une entrevue clinique réalisée auprès du parent. Ce faisant, l’intervenant a la possibilité de prendre en compte plusieurs sources d’informations, en questionnant les parents, l’enfant lui-même, les autres enfants impliqués, les intervenants de l’enfant, et ainsi trianguler les informations, augmentant par le fait même la validité de son jugement. Pour presque toutes les études utilisant le jugement clinique, les comportements sexuels jugés problématiques étaient de nature interpersonnelle, c’est-à-dire que les CSP impliquaient un autre enfant, alors que seulement deux études ont également considéré les CSP dirigés vers soi. Toutefois, outre la nature des comportements, les critères opérationnels sur lesquels se sont appuyés les intervenants pour statuer de la présence ou non de CSP chez l’enfant ne sont pas spécifiés, faisant en sorte que nous n’avons pas une idée précise des critères distinguant les enfants présentant des CSP de ceux présentant des comportements sexuels normaux. Malgré cette limite, il demeure que, pour l’ensemble des raisons mentionnées ci-haut, ces études sont considérées avoir la meilleure qualité méthodologique concernant la mesure des CSP.
Par ailleurs, sept études ont utilisé un questionnaire standardisé auprès des parents afin de classer les enfants en fonction de la présence ou de l’absence de CSP, dont le Child Sexual Behavior Inventory (Friedrich, 1997), le Child Behavior Checklist (Achenbach, 1991) et l’Assessment Checklist for Children (Tarren-Sweeney, 2007). Cependant, aucun de ces questionnaires n’a été construit pour identifier la présence de CSP chez un enfant, ce qui contribue au fait que ces études présentent une validité écologique réduite. Au sein de ces études, la variable dépendante (groupes d’enfants avec et sans CSP) a été définie de manière rétrospective à des fins de recherche; les enfants de ces études n’ont donc pas été identifiés avec des CSP pour des besoins d’intervention. Parmi ces sept études, une majorité a intégré à la fois des comportements sexuels impliquant une autre personne et des comportements sexuels dirigés vers soi dans la définition des CSP. Certaines études proposent une sélection d’items afin de déterminer ceux qui sont problématiques parmi l’ensemble des comportements sexuels qui composent l’instrument de mesure. Toutefois, outre la nature et la fréquence des comportements sexuels, les items ne tiennent pas compte de certains éléments pourtant indispensables pour distinguer un comportement sexuel sain d’un CSP, notamment la prise en compte du contexte dans lequel surviennent les comportements ainsi que leur persistance. Par exemple, l’item « touche les parties sexuelles d’un adulte » ne devrait pas être considéré comme un comportement problématique s’il est effectué de façon accidentelle ou par un jeune enfant. D’ailleurs, les items ou les seuils utilisés pour statuer sur la présence des CSP chez les enfants varient d’une étude à l’autre pour un même questionnaire, indiquant que cette méthode d’identification conduit à évaluer des facteurs associés à un construit particulièrement variable. De plus, cette méthode de classification ne permet de tenir compte que d’une seule source d’information concernant les comportements sexuels des enfants, généralement le parent. Ainsi, ces études présentent différentes limites venant affecter directement la validité écologique et la validité de construit.
À l’exception de l’étude de Hershkowitz (2014), la totalité des études a utilisé un devis de recherche transversal. Contrairement au devis longitudinal, ce type de devis ne permet pas de savoir si le facteur étudié est un facteur de risque, une conséquence ou un facteur de maintien des CSP. Ainsi, l’étiologie des CSP manifestés par les enfants reste, à ce jour, largement inexplorée.
Le troisième critère servant à statuer de la qualité méthodologique des études renvoie à la stratégie d’analyses statistiques utilisée. Près d’une étude sur deux (44 %) a eu recours exclusivement à une stratégie d’analyse statistique de type univarié pour examiner la relation entre un facteur associé donné et la présence de CSP chez les enfants, limitant la validité interne des études en ne tenant pas compte de l’influence d’autres variables (Onwuegbuzie et Daniel, 2003).
Finalement, la puissance statistique de chacune des analyses statistiques a été calculée à partir du logiciel G*Power (Faul, Erdfelder, Lang et Buchner, 2007), par le truchement de trois déterminants : le seuil de signification, la taille de l’échantillon et la taille de la différence à détecter. La puissance statistique est un indice qui informe sur la capacité d’une analyse à détecter une différence significative entre deux groupes lorsque cette différence existe réellement (voir Yergeau, 2009, pour une explication complète du concept). Il s’avère pertinent d’estimer la puissance statistique selon la taille des différences à détecter entre deux groupes, ce qui renvoie à des effets de petite, moyenne ou de grande taille, tel que proposé par Cohen (1988). Il devient alors possible de calculer la capacité d’un devis à détecter un effet de petite, moyenne ou grande taille. Les études qui présentent une faible puissance statistique, c’est-à-dire en deçà de 0,80 (Cohen, 1988), ont peu de probabilité de détecter une différence significative entre deux groupes alors que cette différence existe réellement. Les résultats indiquent qu’aucune étude recensée n’atteint le seuil optimal de 0,80 pour détecter un effet de petite taille. Près de la moitié des études (40 %) n’atteignent pas le seuil optimal pour être en mesure de détecter un effet de moyenne taille. Toutefois, la totalité des études sont en mesure de détecter un effet de grande taille.
Facteurs associés à la présence des CSP
Les résultats des 18 études recensées portant sur les facteurs associés à la présence des CSP chez les enfants sont présentés en fonction des cinq domaines du modèle théorique proposé (Tableau 3).
Facteurs individuels prédisposant aux problèmes de comportement. Les enfants manifestant des CSP sont plus susceptibles de présenter une variété de difficultés comportementales comparativement aux enfants ne manifestant pas de CSP. En effet, les études concluent généralement que les enfants manifestant des CSP démontrent davantage de comportements extériorisés (7 des 11 études qui ont testé cette variable arrivent à cette conclusion), une fréquence de comportements sexuels (qui inclut des comportements normaux et problématiques) plus élevée (7/8) et plus de comportements délinquants ou agressifs (6/6). Les enfants manifestant des CSP se distinguent également au regard d’une présence plus grande de comportements intériorisés (anxiété, dépression) (7/12). Il faut toutefois noter que l’association significative entre les comportements intériorisés et les CSP se trouve principalement dans les études ayant classé les enfants avec ou sans CSP par le biais d’un questionnaire, alors que cette association ne se trouve généralement pas dans les études ayant utilisé le jugement clinique. Finalement, les enfants manifestant des CSP sont plus à risque de présenter des symptômes de stress post-traumatique que les autres enfants (4/6).
Une vaste gamme de comportements traduisant des déficits sur le plan des compétences sociales sont davantage présents chez les enfants manifestant des CSP. Cinq des sept études ayant évalué des variables liées aux compétences sociales et présentant une bonne qualité méthodologique concluent que les enfants manifestant des CSP présentent des déficits quant aux compétences sociales (p. ex. empathie, perception négative d’autrui, intensité et modulation de la colère, évitement de l’affect).
En ce qui concerne les caractéristiques biologiques, le genre représente le facteur le plus souvent étudié, soit dans 12 études. De façon générale, les études possédant une meilleure qualité méthodologique indiquent que les garçons sont plus à risque de manifester des CSP que les filles, ceci étant particulièrement vrai pour les études ayant utilisé le jugement clinique. L’âge des enfants a également été étudié dans neuf études. Quatre d’entre elles indiquent que les enfants plus jeunes sont plus prédisposés à manifester des CSP que les enfants plus vieux, alors que les autres indiquent des différences non significatives. Enfin, trois des cinq études qui se sont intéressées à l’origine ethnique concluent que celle-ci ne joue pas un rôle significatif dans la présence de CSP chez les enfants, dont deux avaient la puissance statistique nécessaire pour détecter une différence significative.
D’autres caractéristiques individuelles, notamment l’utilisation moindre du soutien d’un adulte ou d’un ami (1/1) ou la présence de certains traits de tempérament (p. ex. insensibilité, persistance, humeur) (3/3), ont été associées à la manifestation de CSP chez les enfants. Enfin, les enfants manifestant des CSP ne semblent pas se distinguer des autres enfants en ce qui a trait à l’intelligence (3/3) et aux difficultés d’apprentissage/de lecture (3/3).
Stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux leur enfant. Les résultats portant sur les stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant sont mitigés, en raison du nombre restreint d’études qui se sont intéressées à des facteurs similaires. Néanmoins, une plus forte proportion d’enfants avec CSP vivent dans une famille monoparentale ou dont les parents sont divorcés (3/4), comparativement aux enfants sans CSP. Les enfants qui présentent des CSP sont également plus nombreux que les enfants sans CSP à avoir vécu différents évènements stressants, comme la mort d’un membre de la famille immédiate ou la perte permanente du père (2/2) ou le retrait du domicile familial (2/4). Enfin, certaines études possédant une bonne qualité méthodologique concluent que les enfants manifestant des CSP sont plus susceptibles de vivre dans une famille à faible statut socioéconomique (2/5). Les différents stresseurs qui affectent la capacité du parent à fournir des soins optimaux à leur enfant, dont la détresse psychologique (1/2) et le niveau de stress vécu (1/2), devraient toutefois faire l’objet d’études supplémentaires pour mieux se positionner sur leur lien avec les CSP.
Finalement, les résultats indiquent que les parents d’enfants manifestant des CSP ne se distinguent pas des autres parents quant à la présence de problèmes de santé mentale ou de symptômes de stress post-traumatiques (5/5).
Pratiques parentales coercitives. Peu de liens significatifs ont été établis entre la présence de CSP chez les enfants et les pratiques parentales coercitives. Des dix études ayant examiné le lien entre abus physique et CSP, quatre concluent à la présence d’un lien significatif. Hall, Mathews et Pearce (1998) rapportent, à l’aide d’une analyse multivariée, que les enfants manifestant des CSP sont 11 fois plus susceptibles d’avoir été victimes d’abus physique que les enfants n’en manifestant pas. Les études avec une qualité méthodologique élevée (p. ex. Bonner, Walker et Berliner, 1999; Buchta, 2009) n’observent toutefois pas un tel lien entre l’abus physique et les CSP. De plus, les résultats indiquent une tendance selon laquelle l’abus émotionnel, l’abus verbal et la négligence ne seraient pas liés aux CSP (6/8). Cependant, la majorité des études indiquant un lien non significatif manquent de puissance statistique pour déceler un tel lien. Quelques études (3/6) ont établi un lien entre le fait d’être témoin de violence (témoin de violence conjugale, témoin d’activités criminelles, témoin de violence dans la communauté, témoin de violence à l’école) et la présence de CSP. Finalement, les parents d’enfants manifestant des CSP semblent percevoir davantage négativement leur enfant que les parents d’enfants qui ne présentent pas de CSP (2/2).
Perturbation du développement psychosexuel de l’enfant. La victimisation sexuelle des enfants demeure la forme de maltraitance vécue la plus étudié (12 études). Les études concluent dans une forte proportion (7/8) que les enfants manifestant des CSP sont davantage à risque d’avoir été victimes d’agression sexuelle que les enfants ne manifestant pas de CSP. De plus, parmi les six études composées exclusivement d’enfants ayant été victimes d’agression sexuelle, certaines caractéristiques des agressions sexuelles vécues indiquant une sévérité plus élevée (p. ex. agressions impliquant une pénétration, fréquence élevée des agressions) sont liées à la présence de CSP chez les enfants. Finalement, les enfants manifestant des CSP sont davantage susceptibles d’avoir été exposés à des gestes sexuels explicites dans le milieu familial ou exposés à la nudité (de façon directe ou par le biais de la pornographie) que les enfants ne manifestant pas de tels comportements, comme l’indiquent les deux études s’étant penchées sur ce lien.
Qualité de l’attachement parent-enfant. Malgré que certains des facteurs présentés précédemment puissent représenter un indicateur de relation d’attachement parent-enfant détériorée (p. ex. mauvais traitements envers l’enfant, perception négative du parent envers l’enfant, placement de l’enfant), aucune étude n’a exploré directement le rôle de l’attachement comme facteur associé aux enfants manifestant des CSP.
Discussion
La présente recension systématique avait pour objectif de déterminer les facteurs associés aux CSP manifestés par les enfants de 12 ans et moins. L’analyse des résultats indique en premier lieu que plusieurs domaines du modèle théorique proposé pourraient contribuer à expliquer, du moins en partie, la présence de CSP chez les enfants. Alors que le domaine des caractéristiques individuelles prédisposant aux problèmes de comportement a été largement étudié, les autres domaines du modèle, soit les stresseurs affectant les parents à fournir des soins optimaux, les pratiques parentales coercitives, la perturbation du développement psychosexuel et particulièrement la qualité de l’attachement parent-enfant, ont reçu moins d’attention de la part des chercheurs. Toutefois, les résultats laissent croire que les CSP se développent en fonction de trajectoires complexes et variées et non selon une trajectoire unique (Chaffin et al., 2006; Friedrich, 2007) et soulèvent l’importance d’explorer et de tenir compte des interactions entre les différents domaines d’influence dans la dynamique des CSP.
Un second constat est que les enfants manifestant des CSP présentent davantage de difficultés ou éléments d’adversité comparativement aux enfants ne manifestant pas ce type de comportement, et ce, dans plusieurs domaines de risque du modèle proposé. Les résultats les plus appuyés empiriquement rapportent que les enfants manifestant des CSP sont davantage susceptibles de présenter une variété de difficultés comportementales et d’avoir été victimes d’agression sexuelle, ce qui a également été confirmé par les recensions antérieures (Araji, 1997; Chaffin et al., 2006; Friedrich, 2007; Gagnon et Tourigny, 2011). Alors que le lien entre l’agression sexuelle et les CSP a été davantage documenté, peu d’études ont cherché à approfondir spécifiquement le lien entre les CSP et les comportements extériorisés. Certains auteurs argumentent en faveur de l’inclusion des CSP dans un construit plus large de comportements extériorisés (Silovsky, Niec, Bard et Hecht, 2007), tandis que d’autres suggèrent que les CSP diffèrent des comportements extériorisés, en regard des facteurs associés et des conséquences (Lévesque, Bigras et Pauzé, 2010; Vizard, 2006). Les mécanismes communs et spécifiques impliqués dans le développement des CSP et des comportements extériorisés mériteraient d’être mis en lumière dans les études futures.
Un troisième constat concerne le fait que les études recensées concluent de façon inconsistante au sujet de l’impact des autres formes de maltraitance, soit l’abus physique, l’abus émotionnel et le fait d’être témoin de violence conjugale. Ces événements de vie sont pourtant présentés dans d’autres modèles théoriques comme jouant un rôle central dans le développement des CSP. À cet effet, les modèles théoriques axés sur le trauma (p. ex. le Trauma Outcome Process Approach; Rasmussen, 1999) soutiennent qu’un trauma précoce est susceptible de provoquer des sentiments négatifs (colère, isolement, etc.) et des cognitions erronées chez les enfants qui en sont victimes, favorisant ainsi l’apparition de symptômes comportementaux, dont les CSP font partie (Cunningham et MacFarlane, 1996). Bien que ces modèles axés sur le trauma semblent validés par la présence d’un taux élevé de victimes de maltraitance parmi les enfants présentant des CSP, les résultats indiquent cependant que ce ne sont pas tous les enfants manifestant des CSP qui ont été victimes de maltraitance. Les limites méthodologiques des études recensées (p. ex. manque de puissance statistique) et la composition des échantillons, qui sont majoritairement de nature clinique, pourraient expliquer cette difficulté à identifier un lien significatif entre les différentes formes de maltraitance vécue (à l’exception de l’agression sexuelle) et la présence de CSP chez les enfants. Étant donné que la plupart des études sont composées d’enfants recevant des services ou référés aux services de protection de l’enfance, il est davantage difficile de déceler des différences significatives puisque l’ensemble des jeunes à l’étude présente un profil détérioré.
Finalement, les connaissances empiriques issues des études portant sur les facteurs associés aux CSP manifestés par les enfants sont affectées par un nombre important de limites méthodologiques. L’absence d’une définition opérationnelle et commune des CSP, l’utilisation de devis transversal et de stratégies d’analyses statistiques univariées, de même qu’une faible puissance statistique caractérisent généralement les études recensées, nuisant considérablement à la compréhension du phénomène.
Forces et limites
Cette recension portant sur les facteurs associés aux CSP chez les enfants est la première à être réalisée de façon systématique. Elle présente également l’avantage de porter un regard critique sur la qualité méthodologique des études recensées. Toutefois, certaines limites méritent d’être soulevées. Premièrement, un biais de langue affecte l’exhaustivité des études sélectionnées (p. ex. des études turques et allemandes ont été exclues). Deuxièmement, bien que des stratégies de recherche documentaire aient été mises en place afin de minimiser les biais de publications, il est possible que certaines études non publiées en raison de résultats non significatifs aient été omises. Malgré ces limites, plusieurs implications cliniques et pistes pour les recherches futures émergent de cette recension.
Implications cliniques
En l’absence de critères mesurables, observables et consensuels, distinguer un enfant présentant des comportements sexuels se situant à l’intérieur du développement psychosexuel normal d’un enfant manifestant des CSP représente tout un défi pour les intervenants. Au-delà de la définition générale des CSP fournie par l’ATSA, six éléments sont fournis par Chaffin et al. (2006) pour qualifier les comportements sexuels jugés problématiques, soit qu’ils: 1) surviennent à une fréquence ou une intensité élevée, 2) interfèrent avec le développement social ou cognitif de l’enfant, 3) intègrent la force, la coercition ou l’intimidation, 4) sont associés à des blessures physiques ou à une détresse émotionnelle chez les enfants impliqués, 5) surviennent entre des enfants de stade développemental, de grandeur ou de statut différent, ou 6) persistent malgré les interventions d’un adulte (Chaffin et al., 2006). Ces indicateurs, qui tiennent compte du contexte dans lequel les CSP se produisent, gagneraient à être documentés par les intervenants lors de l’évaluation. À cet effet, le questionnaire Child Sexual Behavior Checklist (CSBCL – 2e édition; Johnson et Friend, 1995), qui permet de documenter la présence de 150 comportements sexuels sains et problématiques chez les enfants de 12 ans et moins, s’avère utile puisqu’il permet également la prise en considération des différents éléments liés au contexte de survenue des comportements sexuels. L’établissement d’une définition opérationnelle des CSP serait non seulement utile pour les intervenants évaluant ce type de difficultés comportementales, mais permettrait également aux enfants de recevoir une intervention modulée en fonction de la sévérité des comportements présentés.
Les résultats indiquent que plusieurs domaines du modèle théorique proposé pourraient jouer un rôle dans le développement des CSP. Ceci suggère que les intervenants accordent une importance particulière aux caractéristiques de l’enfant et de son environnement familial lors de l’évaluation et de l’intervention auprès d’enfants présentant des CSP. D’ailleurs, les lignes directrices en matière d’évaluation d’enfants présentant des CSP recommandent que l’évaluation s’appuie non seulement les caractéristiques psychologiques et comportementales de l’enfant, mais également plusieurs caractéristiques de l’environnement familial, dont la capacité du parent à superviser l’enfant, les pratiques disciplinaires et la relation parent-enfant. Cette prise en compte de tous les domaines permettra d’orienter l’intervenant vers la formulation d’objectifs d’intervention adaptés à chacun des enfants et leurs parents (Chaffin et al., 2006, Friedrich, 2007).
Les résultats de cette recension révèlent également qu’un nombre important de problèmes de nature non sexuelle sont présents chez les enfants manifestant des CSP dans différents domaines du modèle proposé. Par conséquent, les programmes de traitement leur étant destinés devraient couvrir l’ensemble de ces cibles d’intervention, en s’attardant particulièrement à la présence de difficultés comportementales de nature non sexuelle ainsi qu’à la victimisation sexuelle antérieure, facteurs les plus fortement associés aux CSP. Actuellement, les experts recommandent de privilégier un traitement de nature cognitive-comportementale, combinée à la participation active du parent afin de réduire les CSP (Chaffin et al., 2006). Dans l’ensemble, les programmes de traitement destinés aux enfants manifestant des CSP dont l’efficacité a été démontrée abordent l’expression des émotions, la reconnaissance des CSP, l’enseignement des habiletés de contrôle et l’éducation à la sexualité. Les parents sont, pour leur part, invités à développer des habiletés de gestion des comportements. Alors que la participation des parents est considérée comme le principal agent de changement des CSP des enfants (St-Amand, Bard et Silovsky, 2008), les dynamiques d’attachement et les relations familiales ont été traditionnellement ignorées dans les différents traitements disponibles, même s’il appert que ces éléments pourraient contribuer au problème (Gil et Shaw, 2014). Ainsi, l’établissement de relations saines devrait faire partie des objectifs centraux des traitements destinés aux enfants manifestant des CSP (Friedrich, 2007).
De plus, pour une grande proportion d’enfants, les CSP sont liés à un ensemble plus large de problèmes de comportement et ne se manifestent généralement pas comme une difficulté isolée (Friedrich, 2007). Par conséquent, les CSP peuvent représenter une cible d’intervention parmi un ensemble de difficultés vécues par l’enfant et sa famille. L’utilisation de programmes d’intervention visant à réduire efficacement les problèmes de comportement de nature non sexuelle pourrait s’avérer un choix judicieux pour les enfants dont la cible d’intervention prioritaire n’est pas les CSP mais un autre problème comportemental (Chaffin et al., 2006). De la même manière, les enfants présentant des CSP ayant été victimes d’agression sexuelle pourraient bénéficier de la thérapie cognitivo-comportementale axée sur le trauma (Cohen, Mannarino et Deblinger, 2006; Deblinger et Helfin, 1996), considérée comme une pratique exemplaire pour intervenir auprès des victimes d’agression sexuelle (Silverman, Ortiz, Viswesvaran, Burns, Kolko, Putnam et Amaya-Jackson, 2008). L’inclusion de certaines interventions spécifiques liées aux CSP (p. ex. réduction de l’exposition à la sexualité dans le milieu familial, gestion adéquate des comportements sexuels de l’enfant, éducation à la sexualité) à des programmes d’intervention généraux probants pourrait être bénéfique, spécialement pour les enfants dont les CSP est une cible secondaire d’intervention.
Pistes pour les recherches futures
Des limites importantes liées à l’étude des CSP manifestés par les enfants sont mises en lumière dans cette recension. Ainsi, les recherches futures devraient 1) s’attarder à la création d’un outil d’évaluation spécifique aux CSP qui tiendrait compte des six éléments identifiés par Chaffin et al. (2006) (p. ex. le contexte dans lequel surviennent les comportements sexuels, leur intensité et leur persistance, leur interférence avec le développement, etc.), 2) utiliser des devis longitudinaux pour distinguer les facteurs de risque et les facteurs de maintien des CSP et pour tenir compte de la trajectoire évolutive des CSP, basée sur le principe de continuité ou de discontinuité des problèmes comportementaux (de nature sexuelle ou non), 3) privilégier les analyses statistiques multivariées afin de mieux saisir le rôle de chacun des facteurs dans le développement et le maintien des CSP, et 4) s’assurer d’avoir la puissance statistique nécessaire pour détecter les relations significatives. Les études à venir devraient également veiller à inclure un groupe de comparaison populationnel afin d’assurer une plus grande variance au sein de l’échantillon et ainsi mieux saisir l’impact des facteurs étudiés sur la présence de CSP chez les enfants. De plus, des études supplémentaires sont nécessaires pour identifier les différences et les similitudes entre les enfants manifestant des CSP victimes ou non d’agression sexuelle ou d’autres formes de maltraitance, de même qu’entre les enfants manifestant des comportements extériorisés, ce qui permettrait d’offrir des services adaptés aux besoins des enfants manifestant des CSP en fonction de leur profil spécifique.
Par ailleurs, le rôle de la qualité de l’attachement dans le développement des CSP chez les enfants représente une avenue particulièrement intéressante à documenter puisque l’impact de ce facteur sur l’apparition de différents problèmes de comportement chez les enfants a largement été démontré (Schuengel, Oosterman et Sterkenburg, 2009). Le domaine de la perturbation du développement psychosexuel, qui s’est intéressé presque exclusivement au rôle de l’agression sexuelle dans le développement des CSP, mériterait également d’être davantage investi pour mieux saisir l’impact des transformations sociétales en regard de la sexualité (p. ex. l’hypersexualisation des jeunes filles, une plus grande accessibilité à la pornographie) ainsi que de l’exposition à la sexualité dans le milieu familial sur les enfants.
Appendices
Remerciements
Cet article s’inscrit dans le cadre de la thèse de doctorat de la première auteure. L’auteure principale aimerait remercier le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, pour leur soutien financier.
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