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L’évaluation psychoéducative constitue la première des cinq compétences spécifiques à la profession de psychoéducateur : « évaluer la situation de manière rigoureuse et en accord avec le mandat reçu » (OPPQ, 2003). Cette compétence concerne cinq des sept activités réservées du psychoéducateur à la suite de l’adoption du projet de loi n° 21 (PL 21) en septembre 2012 (OPQ, 2013). Conséquemment, l’Ordre des psychoéducateurs et des psychoéducatrices du Québec (OPPQ) a mis en place des lignes directrices permettant d’orienter la démarche d’évaluation (OPPQ, 2014). Malgré l’importance de cet acte professionnel et les récents changements apportés, peu de documentation sur le sujet existe à ce jour. Psychoéducateurs et professeurs d’expérience, Lyne Douville et Gilles Bergeron ont publié un ouvrage dans le but d’établir des liens entre les lignes directrices de l’évaluation psychoéducative, le PL 21 et la pratique. Cet ouvrage, destiné prioritairement aux étudiants inscrits à la maîtrise en psychoéducation, répond, selon les auteurs, au besoin de clarifier certains aspects du processus d’évaluation. On peut toutefois se demander si cet ouvrage est adapté aux besoins réels des étudiants à la maîtrise en psychoéducation.

Signalons d’entrée de jeu que les auteurs ont renoncé au jargon technique, ce qui favorise la compréhension des différents concepts spécifiques à l’évaluation psychoéducative. L’ouvrage comporte quatre sections dont les trois premières concernent les compétences à développer (savoir, savoir-faire, savoir-être), alors que la dernière propose des exemples du processus évaluatif basés sur des cas réels ainsi qu’un exemple de rapport d’évaluation.

Section I : les savoirs

Les auteurs abordent la question des savoirs par le biais du mandat, point de départ de toute évaluation, en expliquant plusieurs aspects importants dont la diversité des mandats, l’origine des demandes, les attitudes à adopter ainsi que l’essentiel consentement libre et éclairé. Un tableau résumant les différents contextes de demandes d’évaluation possible et les buts associés facilite la détermination du motif de référence.

Après avoir discuté de santé mentale et d’adaptation, les auteurs abordent les points importants de différentes approches d’intervention (cognitive-comportementale, humaniste, psychodynamique, écosystémique, etc.), ce qui couvre la moitié de l’ouvrage. Cependant, ces savoirs font l’objet de connaissances déjà acquises au baccalauréat, préalablement à l’apprentissage du processus d’évaluation et de la rédaction d’un rapport. Malgré leur importance, elles sont traitées trop en profondeur ici au détriment des compétences à acquérir en termes d’évaluation au niveau de la maîtrise. D’ailleurs, les tableaux récapitulatifs des perspectives théoriques (aux pages 68, 84 et 85) suffisent à mettre en relief les plus importantes notions ; les futurs psychoéducateurs et autres professionnels pourraient les consulter sans qu’il soit nécessaire de lire ces nombreux chapitres.

Notons également que certaines méthodes d’approches théoriques davantage élaborées dans le texte ne représentent pas les données et les publications les plus récentes. Par exemple, les informations fournies sur l’entretien motivationnel, méthode centrée sur le client, ne proviennent pas de la dernière édition du livre de Miller et Rollnick. Celle-ci comprend de nombreuses modifications touchant la pratique et l’esprit même de ce type d’entrevue. Néanmoins certaines notions sont pertinentes vu la diversité culturelle des milieux d’intervention dans lesquels les psychoéducateurs sont appelés à travailler. En effet, les quelques pages consacrées à l’intervention en contexte culturel rédigées par Estibaliz Jimenez, professeure au département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières, soulignent judicieusement l’importance de prendre en compte les particularités des diverses cultures.

Section II : le savoir-faire

La section sur le savoir-faire occupe un seul chapitre qui présente une méthode sous deux volets comprenant chacun trois étapes. Cette démarche correspond à une modélisation du processus évaluatif basée sur les lignes directrices de l’OPPQ (2014) ; elle vise à soutenir les étudiants dans l’apprentissage de l’évaluation psychoéducative. Le premier volet de la méthode décrit l’étape de la collecte des données en spécifiant quelques notions relatives aux entrevues et aux instruments de mesure tout en mentionnant au passage l’observation participante et systématique particulièrement significative dans le contexte psychoéducatif. La deuxième étape de ce volet met l’accent sur l’identification des facteurs de risque et de protection, alors que la troisième étape, facultative, consiste à cibler les facteurs proximaux et distaux.

Le second volet, que les auteurs qualifient d’analytique, vise davantage à cibler les approches théoriques à préconiser qu’à analyser les informations précédemment recueillies. L’étape du jugement clinique dresse un tableau cartésien pratique servant à jauger le potentiel adaptatif du sujet en fonction de ses ressources personnelles et environnementales. La dernière étape, l’étape de la transmission de l’opinion professionnelle, comprend des suggestions élémentaires (ex. « passer le traitement de texte [sic] pour les corrections », p.98) sans toutefois fournir de guide propice à soutenir la rédaction d’un rapport complet et rigoureux, outre le tableau aide-mémoire des étapes proposées par l’OPPQ (2014).

Section III : le savoir-être

La dernière section, dite théorique, regroupe trois courts chapitres censés traiter du savoir-être et des compétences relationnelles nécessaires aux psychoéducateurs. Cependant, certains termes utilisés, comme la « neutralité bienveillante », relèvent de la psychanalyse et conviennent peu à la psychoédu-cation, alors que la notion de schèmes relationnels, pourtant indispensable, est pratiquement absente. Par ailleurs, on trouve dans cette section plusieurs aspects pratiques et objectifs de la relation entre l’intervenant et le sujet, qui concernent davantage le savoir-faire que le savoir-être. Toutefois, les auteurs indiquent quelques pistes de réflexion intéressantes sur la distance professionnelle, lesquelles peuvent servir aux étudiants comme aux professionnels en exercice pour évaluer leurs propres attitudes et leurs compétences relationnelles.

Section IV : des applications pratiques

Proposant trois cas cliniques, cette section illustre la méthode suggérée par les auteurs. Celle-ci se clôt sur un exemple de rapport d’évaluation du potentiel adaptatif de l’un des sujets. Toutefois, comme le texte ne fait pas état d’observations situationnelles ni comportementales, le processus d’évaluation manque de clarté et ne rend pas compte de la transition de la méthode suggérée vers la rédaction. En effet, peu d’importance est accordée à l’observation psychoéducative ainsi qu’à l’analyse des facteurs individuels et environnementaux, les auteurs se contentent de les identifier. De plus, les capacités et les difficultés adaptatives du sujet sont confondues avec les facteurs de risque et de protection plutôt que traitées en termes de forces ou des déficits susceptibles de favoriser ou entraver son adaptation. Bref, bien que cette méthode s’inspire des lignes directrices proposées par l’OPPQ (2014), elle apparaît insuffisante pour mieux guider les étudiants dans leur processus d’évaluation et dans la transmission de leur avis professionnel.

Conclusion

De façon générale, malgré l’utilisation d’un vocabulaire simple, la structure des phrases et une orthographe souvent incorrectes brouillent la compréhension du texte. Notamment, plusieurs coquilles se sont glissées dans le corps du texte (ex. CJM-IQ [sic], p.13) et dans les notes de bas de page (ex. « RPMHTFVVC [sic], 1994 », p.19) ; plusieurs phrases ne possèdent aucun sujet et/ou verbe, rendant la lecture ardue (ex. « Le lien relationnel vécu, mais aussi la compréhension que nous en avons. », p.111). Bref, une révision supplémentaire aurait été nécessaire pour en assurer la rigueur.

En plus des lacunes linguistiques, cet ouvrage comporte plus d’une trentaine de tableaux et de figures qui ne facilitent pas toujours la compréhension des concepts résumés. En effet, plusieurs sont des cartes conceptuelles qui ne mentionnent pas toujours les concepts dont traite le texte ou en ajoutent de nouveaux, faisant en sorte qu’il est difficile de s’y retrouver. Par ailleurs, certaines notions se chevauchant d’une section à l’autre et de nombreux retours en arrière ou des aperçus des chapitres affectent la compréhension du texte.

Dans l’ensemble, cet ouvrage renferme des informations sur différentes compétences plutôt acquises au niveau du baccalauréat en psychoéducation et porte des jugements négatifs sur les compétences des futurs psychoéducateurs (ex. « Trop souvent nous observons malheureusement une méconnaissance de ces enjeux [déontologiques et éthiques] chez les étudiants. », p.73) sans suggérer des solutions pour combler ces lacunes. Bien que visant particulièrement les étudiants de deuxième cycle universitaire, le livre de Douville et Bergeron ne clarifie pas les différents aspects du processus d’évaluation, objectif fixé par les auteurs. Bref, constituant un rappel des notions précédemment apprises, plusieurs questionnements sur le savoir-faire lié à l’évaluation psychoéducative restent en suspend à la suite de la lecture de cet ouvrage. En fait, ce sont les lignes directrices de l’OPPQ, révisées en 2014, qui en fournissent le meilleur éclairage. Somme toute, on peut se demander dans quelle mesure produire un tel ouvrage était nécessaire.