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Mon titre dessine un tracé partant de la déviance du fantasme pour aboutir au fantasme déviant, témoignant ainsi d’une perte sensible d’intelligibilité dans le registre de la pensée. Ce mouvement implique un saut épistémologique du corpus psychanalytique à celui des savoirs cognitivo-comportementaux tels qu’ils soutiennent certaines pratiques psychométriques et pléthysmographiques[2]. Je souhaiterais, à cet égard, confronter des épistémologies différentes du fantasme et tenter d’élucider, tant que faire se peut, les conceptions en jeu dans chaque registre convoqué. Cet exercice se fonde sur une réflexion épistémologique entendant différencier conceptuellement les notions de classe et de catégorie, souvent considérées comme simples synonymes. Au regard des doctrines philosophiques, depuis Aristote jusque Kant et les philosophes du langage, les vocables méritent d’être distingués tant le sens commun les mêle, engendrant de facto une confusion gênant le travail de la pensée. Je verrai, au reste, que la pensée elle-même est malmenée par la démarche classificatoire, menant à un réductionnisme qui traverse la scène psychiatrique actuelle. Cette réflexion épistémologique clinique s’inscrit dans une contribution à la critique des fondements du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux et de ce qu’on peut appeler, avec Hochmann, la « raison nosographique ». Une telle réflexion se veut ici résolument interdisciplinaire.

Cette réflexion épistémologique a également été croisée avec des données empiriques ethnographiques collectées lors d’un voyage scientifique au Canada en 2000 où il m’a été donné d’observer et de me mettre très concrètement à l’épreuve d’un dispositif de pléthysmographie[3] pénienne. Ce dernier consiste, selon Leclerc et Proulx, à « mesurer les réponses péniennes du client lors de la présentation de stimuli sexuels déviants (stimuli qui impliquent des enfants, des adolescents ou des adultes contraints à avoir des relations sexuelles) et non déviants (stimuli qui décrivent une relation sexuelle entre deux adultes consentants) » (Leclerc, Proulx, 2006, 137). Longtemps resté sous l’effet désagréable de cette expérience délicate et difficile, sauvé par un rire gêné, j’ai longtemps « oublié » ces données dans mes classeurs et tiroirs tout en gardant à l’esprit le projet de construire un jour une critique du dispositif, simplement parce qu’elle est peu exercée dans les pays francophones. Fort de cette expérience, et affaibli par elle, j’ai été maintes fois tenté de tomber dans le travers facile de la disqualification ou dans celui de la dénonciation éthico-morale dans la mesure où je ne peux faire miens les présupposés soutenant ce dispositif pléthysmographique. Je ne prétends d’ailleurs pas ici être neutre[4] mais, au contraire, comme Marcel Colin y invitait, subjectivement engagé. Je pense d’ailleurs m’être parfois laissé séduire par les sirènes de la critique radicale et vengeresse si j’en crois la première version du présent texte où les formules les plus sarcastiques abondaient[5]. En tant que clinicien, je fais le choix – et le recommande vivement aux étudiants que je contribue à (dé)former – de faire l’expérience et l’épreuve des dispositifs techniques que nous faisons subir à ceux qui sont nos patients. Il est vrai que l’objection suivante pourrait m’être adressée : huit années avant de témoigner d’une expérience, c’est trop long, accusant ainsi la possible validité de mes observations. La redécouverte des récents travaux de Leclerc et Proulx m’a conforté dans l’idée que les choses ne s’étaient pas modifiées de manière substantielle, du moins sur les points que je vais expliciter et qui, au fond, constituent le noyau dur et invariant de cette technique d’origine médicale dont la mutation historique est déjà intéressante.  Si on trouve des explicitations des techniques, toujours plus sophistiquées et améliorées, on reste démuni lorsqu’on tente de saisir les conceptions de l’homme qui leur sont sous-jacentes. L’explicitation – toujours nécessaire selon mes options théoriques – produit un jugement étonnant de la part de ceux qui précisément l’évitent : c’est le travail du philosophe – opposé au scientifique[6] – ou, de manière encore plus suspecte, de l’ « humaniste ». Usant d’une manoeuvre rhétorique faisant de la pensée philosophique un ersatz de la technologie savante, le clinicien-technicien-expert serait ainsi déchargé du devoir de répondre du modèle de l’humain qu’il diffuse secrètement ou discrètement. Récemment, j’ai pu lire ces formules réconfortantes chez Daval (2009) qui m’encouragent à rapatrier la pensée philosophique au coeur même de la pratique clinique, si experte et savante soit-elle : «ma thèse est que la pensée contemporaine, centrée sur l’approche seulement scientifique, s’est interdit, par le fait même, de les comprendre dans toutes leurs dimensions. La psychologie pathologique et la psychiatrie ont tout à gagner dans la confrontation avec la philosophie, tout comme celle-ci ne doit rien ignorer des progrès de celle-là » (Daval, 2009, 8).

Le dispositif pléthysmographique est paradigmatique : il révèle sa philosophie sous-jacente, non dite, voire déniée, ainsi que la métaphysique de l’homme délinquant, voire de l’homme lui-même, dans ses rapports avec l’homme de science. Au surplus, il en dit long sur lui-même ainsi que sur les fantaisies et fantasmes de ceux qui en font usage.

Après avoir dégagé la figure du « sujet suspect » à partir d’une recherche de Lacombe (2008), figure qu’on peut voir à l’oeuvre en pléthysmographie pénienne, je rappellerai l’ancienne critique – restant d’une actualité fascinante – d’Hochmann (1968), figure marquante de l’Ecole de Lyon à la suite de Colin. J’examinerai ensuite l’opération prétendant séparer fantasmes déviants et fantasmes non déviants en prenant le temps de réinterroger la différence terminologique entre « fantasme » et « fantaisie »; enfin, je mettrai en question la prétendue neutralité du stimulus utilisé pour fonder la validité dudit dispositif.

1. Des praticiens obnubilés par le sexe face au « sujet suspect »

Peu de travaux ont investigué de manière critique et ethnographique le traitement cognitivo-comportemental des fantaisies déviantes. Très récemment, dans le célèbre British Journal of Criminology, Lacombe (2008) a publié un article très radical à partir d’une recherche empirique menée dans une institution en Colombie-Britannique qu’elle a appelée, non sans ironie, l’ « Ecole pour contrevenants sexuels ». L’auteur souligne que la rectification des « cognitions sexuelles déviantes » emprunte les voies « efficaces » de l’apprentissage et de la rééducation orthopédagogique. Caustique, le propos entend démontrer que les praticiens sont « obnubilés par le sexe » à tel point qu’ils induisent les fantaisies et « idées malsaines » dans le chef de leurs « clients », toujours suspectés d’une sexualité maladive ainsi que de vouloir la cacher à leurs interlocuteurs (comme si la montrer ostensiblement n’était plus problématique…). Qu’un thérapeute, quelle que soit son obédience d’ailleurs, induise certaines choses n’a rien d’étonnant pour un clinicien ; il me faut faire remarquer qu’un chercheur n’échappe jamais à ces effets de suggestion (ce fait n’est malheureusement pas discuté par Lacombe). Qu’un thérapeute soit guidé par une vigilance et une attention accrues pour la sexualité ne me paraît pas non plus nécessairement hors de propos. Si l’on peut aller au-delà de l’aspect parfois injustement dénonciateur de l’article, son apport est, selon moi, de faire apparaître un a priori qui se voit coulé – comme l’on coule du béton – dans un dispositif technique, a priori observable dans les cognitions des acteurs professionnels. Je le nommerai l’ « homme suspect », volontairement tricheur et manipulateur. Un homme peu digne de confiance dont il s’agit de se méfier, de manière éminemment défensive ; un homme « reconstruit » uniquement dans ses failles et sa propension à faire le mal ; a fortiori, non plus un homme mais un coupable.

Un pont peut ici être jeté vers le dispositif pléthysmographique. Ce que j’appelais « a priori » est un véritable fondement métaphysique réduisant considérablement le point de vue posé sur l’homme et les possibilités qu’il s’en défasse. Le problème tient d’ailleurs dans le fait de poser un point de vue sur lui, sûr de lui. Lors de mon expérience intime de la plétysmographie pénienne, j’ai été frappé par la façon dont on peut techniquement s’ingénier à contourner les manoeuvres du sujet voulant échapper à l’objectivation scientifique en utilisant des « distracteurs » cognitifs. Cela étant, je ne voudrais pas ici passer pour un clinicien ingénu qui ne ferait qu’idéaliser « ses » patients, bien que l’idéalisation du bon et du bien soit peut-être un moment nécessaire pour apprendre, non sans mal, à les aimer, condition d’une thérapeutique dans mon système de références théoriques enraciné dans les significations anciennes et sacrées du terme. Mon a priori se veut donc toujours inverse à celui de la pléthysmographie, même si je dois souvent lutter contre moi-même pour qu’il ne devienne pas identique car des manoeuvres de « manipulation », de « simulation » ou de « dissimulation », j’ai aussi tendance, « naturellement », à ne les voir que chez les autres.

Pour reprendre le propos de Lacombe, non seulement les discussions entre praticiens et patients tournent autour du sexe mais sont aussi chargées de préjugés normatifs – à la lecture des données présentées dans l’article, elles apparaissent d’une naïveté presque incroyable. Le plus intéressant est d’observer en quoi les « bonnes » réponses des patients aux questions des thérapeutes sont attendues comme des « bons points », ce qui, selon moi, ne fait qu’accentuer l’artificialité de ce qui se dit. Ces attentes implicites[7] fabriquent les énoncés des patients se voyant ainsi privés de s’aventurer dans la parole hors des chemins tracés par ces registres normatifs latents. Ces énoncés sont pris dans leur littéralité sans être reliés aux énonciations, autrement dit aux systèmes de places et de positions occupés par les protagonistes dans l’échange interlocutoire. C’est à ce moment que, selon moi, on risque de devenir dupes…

Comme l’évoquait magistralement Balier (2006) que je paraphraserai tout en gardant l’esprit de sa démarche clinique : s’intéresser à la perversion des autres passe d’abord par un intéressement – inconfortable – pour la sienne. Je me garderai bien ici d’assimiler perversion et fantaisies ou cognitions déviantes pour ne retenir de l’enseignement que la manoeuvre de retournement en ce qu’elle peut transformer le manipulé en manipulateur. La proposition de Balier est justement perverse, dans le sens noble et vite oublié du terme : elle retourne l’argument.

2. La critique de la raison nosographique par Hochmann (1968)

Issu de l’école de Lyon et fidèle aux enseignements féconds de Marcel Colin – lesquels demeurent à redécouvrir pour leur puissance d’interrogation des tendances actuelles dans le domaine psychiatrique –, Hochmann énonce une critique intéressante de ce qu’il appelle la « raison nosographique », soit la logique scientifique rationnelle du diagnostic psychiatrique disséquant l’homme en espèces et sous-espèces de maladies. Selon lui, « tout homme de science traduit dans sa recherche (…) une philosophie implicite. Le plus objectif des programmes scientifiques exprime à l’origine une valorisation de certains buts et de certains moyens, un choix éminemment subjectif. Dans une large mesure inconscient, ce choix n’est que rarement formulé par le chercheur » (Hochmann, 1968, 168). Je partage assurément ce point de vue.

Dans les recherches de pointe, ces références à l’axiologie sont muettes alors qu’elles me paraissent, comme le pense Hochmann, au coeur même de la démarche scientifique. Cette référence à l’axiologie est d’autant plus capitale lorsqu’on mobilise la notion de déviance dans la mesure où elle renvoie déjà en elle-même au champ axiologique. On peut aller plus loin encore en affirmant toujours avec l’auteur que : « laisser cette philosophie implicite, latente, inconsciente, c’est faire peser sur la recherche tout le poids de facteurs non contrôlés » (Hochmann, 1968, 169). Par conséquent, le manque de subjectivation constitue une menace à l’objectivité, voire à la validité de toute entreprise savante. Dans sa critique des nosographies et des typologies, séparant les espèces de maladies les unes des autres, à l’instar du découpage déviant/non déviant observé dans le traitement scientifique de la fantaisie, l’auteur se défend d’un malentendu possible. Il reconnaît que ces découpages sont empiriquement fondés, qu’ils ne sont pas seulement le fruit des « défenses arbitraires » du clinicien mais sont dangereux car ils maintiennent des cloisons dans un langage qui n’est plus guère utilisable dans la pratique clinique. En quoi cette pratique discriminante est-elle dangereuse ? La raison nosographique assure une fonction d’écran : « elle maintient le clinicien dans un statut de classificateur objectivant » (ibid., 192), ce qui a des répercussions décisives dans la mesure où, dit-il, l’on « perd toute efficacité thérapeutique mais encore toute possibilité de connaissance d’autrui » (ibid.). En outre, le diagnostic est un « faux diagnostic » parce que le clinicien « cerne un objet qu’il a en partie fabriqué » (ibid.). Pour appuyer cette thèse, Hochmann se réfère à certains travaux béhavioristes montrant que le psychiatre conditionne inconsciemment le patient à persister dans sa maladie. Ce sont les intérêts du clinicien qui produisent les réponses adaptées, comme l’a montré Lacombe dans son propre champ d’observation ; citons à nouveau Hochmann : « Le médecin récompense par son intérêt (scientifique et thérapeutique) tous les signes cliniques classiques et par sa négligence décourage tous les éléments normaux du patient. Si le schizophrène parle de son délire ou apporte un matériel onirique suggestif ou encore dévoile d’horribles pensées incestueuses, s’il manifeste ses signes primaires et secondaires avec une grande fidélité à la description de Bleuler, il voit aussitôt l’oeil du psychiatre s’illuminer » (Hochmann, 1968, 192-193).

Enfin, l’auteur souligne en quoi pareille rationalité s’avère ruineuse et tragique dans ses conséquences : « La raison nosographique fait plus que séparer le clinicien de son client, ou les clients entre eux, elle morcelle le client lui-même entre de multiples instances avec lesquelles il n’entre jamais vraiment en relation, elle l’aliène une fois de plus, elle le précipite ou le maintient dans la déviance » (ibid., 194).

3. Séparer fantasme déviant et non déviant

Cette critique générale de la raison nosographique peut être plus spécifiquement portée sur l’opération – qui relève de ce que j’appellerais pour ma part la « raison nosologique »[8] – consistant à séparer deux espèces de fantasme. Ladite opération produit une opposition dichotomique entre deux classes mutuellement exclusives, les entités étant ainsi détachées l’une de l’autre, selon le principe partes extra partes bien connu en science botanique. Cette mutualité exclusive renvoie d’ailleurs très directement à l’acception des termes « classe » et « classer ».

L’analyse lexicologique ainsi que l’étude des doctrines philosophiques – dont je ne pourrai ici livrer toute la teneur – me permettent d’opposer le terme classe à celui de catégorie en opposant la relation à l’exclusion, découvrant ainsi deux principes d’intelligibilité différents. Cette prétention à séparer le bon grain (fantasme non déviant) de l’ivraie (fantasme déviant) réclame que l’on se réfère plus amplement, non seulement au corpus de la philosophie, mais également aux enseignements de criminologie clinique. Cette prétention fonctionne comme un automatisme évident que l’analyse doit nous amener à reconsidérer. L’activité de séparation tire son origine du paradigme de l’histoire naturelle et plus particulièrement du projet botanique de Linné (Foucault, 1966 ; Schotte, 1990) classant le vivant et le disséquant en espèces et sous-espèces. Ainsi, il existerait deux espèces de fantasmes séparables l’une de l’autre[9], faisant ainsi écho au programme naturaliste[10].

Une telle séparation devient décisive à l’endroit du langage (et du langage psychopathologique) lui-même dans la mesure où un signifiant n’acquiert sa substance – ou plus exactement son contenant – qu’en opposition à tous les autres. Par conséquent, la possibilité de distinguer réclame dialectiquement la possibilité de séparer – mais jamais définitivement sinon il n’est plus de langage possible – comme le fait de distinguer n’est pas assimilable au fait d’exclure. Le couple dialectique distinguer/exclure me permet de reconnaître, par exemple, qu’une chaise n’est pas une table, ou, dans un autre domaine, qu’un pervers n’est pas un schizophrène ou encore qu’un fantasme déviant n’est pas un fantasme non déviant. Dans le registre des catégories, un schizophrène saisi comme unité détachable de tout le reste (par opposition) n’a pas de sens alors qu’il a une utilité dans le registre des classes : il y forme une entité morbide isolée techniquement et épistémologiquement des autres. Je remarque souvent qu’on assimile diagnostic différentiel (distinguer) et diagnostic exclusif (exclure), l’exclusion n’étant pour moi qu’une mise en forme hypertrophiée de la différence ou un absolu de la distinction. Si l’on choisit de ne pas exclure, on peut opter pour une conception euphémique en affirmant que tout le monde est un « peu » schizophrène, un peu pervers, un peu névrosé… Ces expressions seraient tronquées : la schizophrénie, la perversion, la névrose sont des maladies-formes d’existence[11], pleines et entières, liées intimement les unes aux autres, et comprises comme potentialités, possibilités et passibilités en l’homme lui-même, et non en « tout l’homme » qu’on pourrait autrement reconstituer en additionnant un peu de biologique, de social, de psychologique… Ce principe est aussi observable lorsqu’on parle de co-morbidité au sens où ce ne sont pas des « maladies qui dialoguent » mais elles se voient associées mathématiquement, ne nous apprenant jamais comment elles s’influencent l’une l’autre autrement que par le calcul. En quelque sorte, dans la logique des catégories, il y a toujours co-morbidité puisqu’elles tiennent ensemble et font système, et si d’aventure je voulais récuser le terme, je dirais qu’il existe toujours une « morbidité partagée ».

Dans le registre des processus identificatoires humains, l’individuation suppose une opposition disjonctive entre moi et non-moi comme condition d’une possible relation avec soi-même, le monde et les autres. Il ne s’agit donc pas ici de nier la potentialité positive de la classification disjonctive en ce qu’elle est une des conditions de la relation elle-même ; néanmoins, le passage de la logique des classes à celle des catégories suppose un saut épistémologique psychiquement très coûteux et en même temps très profitable pour la pensée. L’individuation humaine met en forme le problème de l’unité – être unique à nul autre pareil – différent de celui de l’identité impliquant des activités autrement complexes. Ces digressions indiquent qu’il n’existe pas de découpage possible sans en référer au problème de la signification, autrement dit, il n’existe pas de repérage possible du signifiant (unité) sans signifié (identité), et inversement. Par conséquent, au nom de quelle(s) conception(s) des normes et du « normal » procède-t-on à une cette séparation discriminante[12] de la déviance et de la non-déviance ?

L’examen de la littérature et des données de Lacombe ne nous permet pas de répondre à ces questions. Au-delà, les registres normatifs sont certes identifiables mais demeurent implicites, il revient au lecteur de les dégager des eaux troubles du non-dit ou du « dit entre les lignes ». Il apparaît que la déviance – confondue avec la délinquance malgré les progrès de la sociologie ayant participé à leur différenciation – ne renvoie qu’à un seul registre normatif : la norme légale pénale, cependant non objectivée. Or, les conceptions normatives apparaissent multiples mais ne semblent pas identifiées dans le dispositif technique visé.

Il ne faut pas se laisser abuser par les conséquences des exigences techniques et méthodologiques dans la mesure où l’observation est fondée sur la disjonction de la déviance et de la non-déviance. C’est la technique statistique qui commande cette séparation exclusive. Dans le domaine de la criminologie clinique, deux orientations ont été soulignées (Debuyst, Digneffe, Pires, 2008) : d’une part, les recherches comparatives délinquants/non-délinquants creusant l’écart entre ces deux groupes construits notamment par la méthode elle-même ; d’autre part, les recherches compréhensives essentiellement inspirées de la phénoménologie, reliant délinquance et non-délinquance au sein de processus concernant tout homme. Les premières reposent sur la mise en évidence d’une personnalité délinquante ou dangereuse radicalement séparable d’une personnalité non délinquante et saine… Les qualités de ces séparations varient dans des couples d’opposition bien connus, par exemple, maladie/non-maladie. Cela étant, la logique reste la même : on sépare l’un de l’autre sans jamais expliciter quel registre normatif est convoqué. Or cette logique de séparation – qui pourrait tout aussi bien devenir une antilogique – s’avère ruineuse pour la pensée et l’entendement, l’exclusion définitive empêchant de créer du lien puisque déviance et non-déviance apparaissent comme des termes étrangers l’un à l’autre. Il s’agit bien effectivement de préciser que seule l’exclusion mutuelle et réciproque, définitive et définitoire, apparaît menacer le travail de la pensée, et peut-être surtout celui de la compréhension au sens où l’étymologie du terme s’avère révélatrice : « prendre avec », donc relier. Cela étant, on doit aussi pouvoir considérer la séparation comme un des soubassements de la dialectique relationnelle, certes, celle-ci ne pouvant se suffire à elle-même. Ainsi, distinguer n’est pas exclure même si la distinction suppose un travail préalable de détachement.

Séparer définitivement, c’est donc s’exposer au risque de ne plus pouvoir penser. L’argument n’est pas seulement théorique, il a des effets pratiques immédiats dans la mesure où ce même travail est exigé dans le chef du prétendu « déviant ». Le clinicien se doit alors de pouvoir penser ce qui ne peut l’être par et pour l’autre, comme s’il prêtait son psychisme comme matrice des conditions du possible alors qu’elles font défaut chez l’autre ; Balier (1988) a écrit de belles pages sur ce point. A cet égard, il est remarquable que la « fantaisie déviante » ne soit jamais considérée dans sa fonctionnalité défensive, tout se passe comme si ladite fantaisie ouvrait nécessairement la porte au passage à l’acte au sens où elle annonce le pire en se chargeant de la valeur d’un acte de langage performatif : imaginer c’est (mal) faire, voire faire mal... Cette conception laisse croire que les agresseurs sexuels ont « concrétisé leurs fantaisies » (McKibben, 1993). Pour nous, le problème serait bien plus inquiétant si le sujet ne parvenait plus à rêver, même de manière diurne…

Cette séparation s’éclaire encore d’une tout autre lumière lorsqu’on mobilise la conception psychanalytique du fantasme, bien différente de celle des fantaisies déviantes ou non, même si ces dernières, telles qu’elles sont définies du moins, semblent témoigner d’une certaine filiation avec le corpus psychanalytique.

4. Fantasmes et fantaisies

A notre connaissance, McKibben est l’un des rares auteurs à s’être essayé à une définition de la fantaisie sexuelle – c’est comme si le terme ne devait plus faire l’objet d’une conceptualisation parce qu’il était devenu consensuel : ce sont, écrit-il, des « rêveries diurnes qui comportent une composante érotique et sont sexuellement stimulantes pour l’individu. Il s’agit donc d’images mentales organisées selon un scénario plus ou moins précis et qui, ainsi réunies, sont excitantes pour l’individu » (McKibben, 1993, 89). Il est intéressant de relever que cette définition renvoie presque terme à terme à la signification du terme allemand Phantasie désignant l’imagination, non dans le sens d’une faculté philosophique – le terme approprié ici étant Einbildungskraft – mais dans le sens d’un monde imaginaire comme ensemble de contenus. Dans Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis (1967) notent que Lagache a proposé de reprendre le vocable en son sens ancien parce qu’il offrait l’avantage de désigner à la fois une activité créatrice et des productions. Cependant, le mot était trop marqué par les idées de caprice, d’absence de sérieux, etc. En fait, la rêverie diurne n’est qu’une des formes possibles du fantasme conçu en psychanalyse comme « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir, et, en dernier ressort, d’un désir inconscient » (Laplanche et Pontalis, 1967). La notion de fantaisie semble également chargée de ce que Lagache déplorait lui-même dans l’usage référé à la conscience linguistique de son temps. Il apparaît que la conception d’un « sujet suspect » pourrait également rejoindre de telles acceptions puisque le terme signifie aussi celui qui n’est pas sérieux. Dès lors, la logique clinique se montre fortement dépendante du langage juridique pénal puisque dans un certain sens elle reconduit la suspicion au coeur de son dispositif. Dans le propos de McKibben, un glissement apparaît malgré la rigueur de l’auteur, dans la mesure où il passe insensiblement de la notion de « fantaisie déviante » à celle d’ « activité fantasmatique déviante », ce qui est d’ailleurs encouragé par la proximité sémantique des deux termes. Or, fantaisie et fantasme sont des termes qui méritent d’être distingués, le second pris comme concept étant plus large que le premier.

La recherche lexicologique nous apprend que les deux vocables ont un noyau sémantique commun : le verbe phainein signifiant « apparaître ». Dans le cas de la fantaisie et du fantasme, les contenus apparaissent effectivement, ils se donnent à connaître. Cela étant, cette même activité varie substantiellement selon le vocable considéré. Fantaisie renvoie par métonymie à l’objet que forme l’imagination, il est donc compréhensible qu’elle s’impose objectivement. En revanche, fantasme emprunté au latin phantasma « fantôme, spectre » et signifiant « représentation par l’imaginaire » traduit une réalité plus énigmatique.

La conception psychanalytique du fantasme rend caduque la distinction entre fantasme déviant et non déviant et ce, parce que tout fantasme peut être considéré comme déviant. Le fantasme ne peut être définitivement séparé de l’interdit qui lui donne sens, à savoir celui d’une opposition vis-à-vis de la réalité. Le fantasme est une déviation au sens d’un autre chemin que celui de la réalité objective. La référence à la psychanalyse nous oblige, en outre, à considérer un nouveau niveau d’interprétation : le rapport du « fantasmeur » à son propre fantasme, selon ses propres normes subjectives et la conscience qu’il peut avoir de et dans ses transgressions. A cet égard, à la suite des indications de McKibben, il s’agirait également de se méfier de ce qu’on peut appeler une « franchise pathologique » à reconnaître immédiatement et presque de manière inconditionnelle ses fantaisies déviantes. Ici l’inadéquation d’une fantaisie comme énoncé renvoie sur un autre plan à son adéquation au regard du cadre, adéquation repérable dans une énonciation du sujet – soit un rapport à la parole elle-même – qui tient parfaitement compte de la place de l’interlocuteur, possiblement « obnubilé » par la fantaisie déviante pour reprendre la formule de Lacombe, dont le sujet aurait perçu que ledit interlocuteur a partie liée avec le système pénal. Les auteurs font remarquer la tendance au travestissement de la réalité dans le champ cognitivo-comportemental car, comme l’affirment Leclerc et Proulx (2006), on ne peut se fier à un agresseur évaluant ses propres intérêts sexuels ; par contre, il apparaît qu’on doive bien se fier à ceux qui prétendent l’évaluer à sa place sous couvert de l’objectivité de la technique. Tout se passe comme si la déviance était déjà inscrite dans le sujet comme présupposé naturel. A ce titre, les raisons justifiant l’usage de la technique pléthysmographique apparaissent surtout – même peut-être exclusivement – tournées vers les intérêts des cliniciens eux-mêmes dans l’appui qu’ils peuvent représenter à l’égard des attentes du système pénal. En effet, la technique évalue objectivement, augmente la probabilité que le sujet passe aux aveux et, enfin, mesure le progrès dans le traitement (Leclerc, Proulx, 2006). Même si ces raisons peuvent sans doute indirectement bénéficier au sujet, c’est davantage le clinicien qui est mis au centre des préoccupations, en tant qu’il sert le système pénal lui-même.

5. La neutralité du stimulus sonore

Abordons maintenant le problème par sa périphérie à partir d’un questionnement pouvant a priori sembler anecdotique. A bien des égards, on pourrait à bon droit m’objecter que mes critiques sont adressées d’un point de vue polémique. Je pense qu’il ne faudrait pas négliger ces critiques sous le prétexte, intellectuellement confortable, qu’elles sont étrangères au dispositif examiné, établies en référence à une axiologie qui tente, au reste, l’aventure délicate de l’explicitation.

Si mon propos se fait ici ironique, voire sarcastique, ce n’est qu’une manière de reconstruire l’épreuve vécue pour la rendre acceptable (pour moi également), pensable et communicable. Il y aurait tant de choses à dire de mon expérience concrète du dispositif ayant entraîné nombre de mauvais souvenirs aujourd’hui dépassés grâce à un rire nerveux aux couleurs jaunâtres. Je laisserai ici de côté la réflexion déontologique et ne parlerai pas davantage du fait d’avoir été « intronisé » au dispositif par un criminologue qui n’était pas médecin alors qu’il s’agit, du moins au départ, d’une technique médicale[13]. Je serai donc ici peu suspect d’une incapacité d’intégration des codes locaux de l’expérience.

Dans leur chapitre d’ouvrage présentant de manière synthétisée les principaux aspects de la pléthysmographie, Leclerc et Proulx (2006) indiquent les avantages et inconvénients des différents types de stimuli suscitant la « réponse pénienne » (nom savant de l’érection au sens expérimental), tout en marquant leur préférence pour les bandes sonores permettant l’approche du scénario délictuel. A ce sujet, ils donnent des précisions sur le contenu des stimuli déviants et évoquent l’exposition à un stimulus neutre, utile pour valider les réponses péniennes. Ils font alors l’hypothèse selon laquelle l’ « évalué » obtenant des réponses péniennes plus faibles aux stimuli déviants qu’au stimulus neutre, pourrait indiquer – les auteurs restent prudents – qu’il tente de contrôler volontairement son érection. L’hypothèse est évoquée très discrètement dans une note de bas de page[14], infra-texte que j’ai l’habitude de prendre très au sérieux : ce sont effectivement les « parties basses » du texte que le lecteur pressé manque. On retrouve ici l’ «homme suspect » dont j’ai déjà parlé dans la métaphysique latente dévoilée par l’analyse des présupposés du dispositif. Alors que les auteurs prennent le soin d’écrire minutieusement les séquences de la bande sonore, sans doute pour répondre à l’impératif expérimental de reproductibilité de l’expérience, ils ne disent rien du contenu de ce stimulus neutre mais soulignent son importance en matière de validité.

Dans le dispositif que j’ai observé de près (il ne s’agit peut-être pas du même que celui auquel les auteurs font référence), jusqu’à écouter attentivement ces différents extraits sonores, j’ai pu prendre connaissance de ce qui m’a toujours intrigué : qu’est ce donc qu’un stimulus neutre ? Il est vrai que je suspectais d’emblée la neutralité dudit stimulus dans la mesure où je présageais qu’elle était toujours fabriquée et qu’elle découlait d’une manoeuvre de rhétorique scientifique. Il m’arrive aussi, je dois bien le reconnaître, de suspecter les scientifiques – dont je suis – souvent plus que les patients – dont je suis aussi. En fait, il faut bien comprendre que neutre signifie ici non-sexualisé au sens d’un contenu explicite évoquant le viol ou le contact inapproprié, définition opérationnelle et restrictive du registre sexuel. Le stimulus neutre que j’ai pu écouter consiste en un récit par une femme d’une journée de travail, dans une voix monocorde et une scansion plutôt lente qu’on pourrait assurément qualifier de « neutre » dans le sens commun mais pas du tout, selon moi, dans un sens scientifique. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que la journée de travail d’une femme pouvait constituer un stimulus neutre ! On pourra ici penser que si la neutralité n’est pas sexuelle, elle est bel et bien sexiste… Imaginons, faisons donc ici appel à nos propres fantaisies, que l’auditeur évalué fantasme sur la valeur travail qu’il tient pour supérieure et sublime : la réponse pénienne est-elle l’effet de son axiomatique subjective et/ou de sa volonté de contrôler l’érection ? L’anamnèse si approfondie soit-elle permettrait-elle de trancher entre ces deux niveaux dont la collusion ou la confusion affaiblissent la validité du dispositif ? Certes la démonstration se ferait ici par l’absurde. On peut encore argumenter autrement et de manière plus sérieuse dans le sens de la déconstruction : le contenu du stimulus est considéré comme un scénario construit avec une progression logique privilégiant le sens de ce qui se passe. Ainsi le matériau sonore ne produit des effets d’excitation possibles qu’à travers la trame narrative indépendamment ici de la voix comme matériau sonore pur. Qu’est-ce qui donc permet de faire la part entre la voix et l’histoire racontée comme source d’excitation dans le spectre sonore ? Certes la voix des scénarii était constante, occupant des fréquences plutôt basses – ce qui ne veut bien entendu pas dire « neutre » – au sens où la locutrice ne faisait pas varier la tonalité en fonction de l’escalade violente ou érotique de la situation évoquée : pas de cri mais un récit plutôt maîtrisé dans une langue objectivante, froide et grave. Cela étant, la voix nous a semblé prosodique – à l’instar d’une voix dépressive. Tout se passe comme si la voix elle-même ne pouvait être excitante indépendamment du sens de ce qui est dit. Convoquons ici le romancier McCauley qui fait dire à l’un de ses personnages qu’il en a assez que le bulletin météo soit toujours présenté pour ceux qui aiment le beau temps et attendent incessamment les rayons du soleil (McCauley, 1997). Notre héros mélancolique aime la pluie et ne se reconnaît pas dans les prévisions optimistes – pessimistes à ses yeux – dont il n’a que faire. En cela, il rejoint peut-être aussi, sans le savoir, le malheureux cultivateur déprimé par les tragiques conséquences de la sécheresse sur ses moissons. Avec un certain génie, le romancier nous montre en quoi les dispositifs sont construits pour le plus grand nombre, voire pour le citoyen moyen qu’une chaîne de télévision à la fois s’imagine et fabrique ; les normes sont ainsi constituées par ceux qui les décrètent. Dans le cas du dispositif sous examen, qu’est-ce qui autorise à imputer l’effet d’excitation au sens du scénario, à son crescendo violent plutôt qu’à la froideur et la lente scansion de la voix de cette femme ? Rien, car il eût fallu introduire et faire varier d’autres stimuli « neutres ». Au surplus, l’effet de contraste entre la froideur du récit et le contenu tragique ne peut-il pas également constituer à lui seul une source d’excitation ? Les questions pourraient défiler infiniment tant, en dernière instance, les raisons pour lesquelles l’excitation s’opère nous sont inconnues et le sont aussi du sujet. L’angoisse d’avoir une érection pourrait très bien aussi la produire…

J’aimerais jouer un dernier rôle en occupant une place de chercheur étranger ayant affaire à une langue autre que la mienne, à savoir le québécois de Montréal. Si le sens ne m’a pas posé trop de problème, celui-ci étant suffisamment explicite, il n’en a pas été de même pour l’accent. Sauf à rêver de la plastique de Céline Dion, à imaginer sa voix supplantant celle de la locutrice pendant l’audition, l’accent me fut fort peu stimulant... Aussi me suis-je interrogé sur ce qui pouvait expliquer l’excitation de ceux qui parlent une « même » langue sans nécessairement partager le même accent. Le belge était incapable de saisir les nuances d’accents et pourtant elles doivent bien exister ! Tout cela pour réaffirmer que l’excitation sexuelle peut être éveillée par la seule matérialité sonore du stimulus et point son sens. Rappelons que la poésie avant d’être écrite était chantée, les mots étaient d’abord matières sonores avant de se charger de significations. Dans sa création poétique, Verlaine privilégiait les nasales car il pensait qu’elles étaient particulièrement stimulantes… Telles sont les vertus érotiques d’une langue comme système sonore où le scénario n’existe jamais que sur fond de rythme et de tonalité. A tout prendre, l’excitation la plus grande nous vient certainement de ce que nous ne comprenons pas. Que deviendraient par exemple les chansons anglophones que nous fredonnons si elles étaient traduites dans notre langue française ? Garderaient-elles les mêmes charmes selon celui ou celle qui les chante ?

Terminons par une interrogation angoissée que je tiens d’une réflexion de Georges Devereux (1980) et que j’adapterai pour la circonstance. Ce dernier mettait en cause la validité de certaines mesures réalisées dans un dispositif expérimental où, dans un labyrinthe, des rats choisissent préférentiellement une voie plutôt qu’une autre, donnant lieu à une interprétation de la part des chercheurs ne tenant aucunement compte du fait que les rongeurs laissent derrière eux une odeur pouvant expliquer ce qui les amenait à s’engager dans les mêmes couloirs que leurs prédécesseurs. Les chercheurs confirmaient hâtivement une autre hypothèse bien plus sophistiquée et séduisante que celle renvoyant à l’odeur des rats, ignorant foncièrement la physiologie de leurs cobayes. L’indépendance statistique des observations n’était donc pas assurée puisque les congénères s’influencent mutuellement via le système olfactif. Pour réagir à la critique, les chercheurs avaient procédé à l’ablation de l’organe olfactif des rats. Et si mes divagations savantes étaient susceptibles d’améliorer le dispositif de pléthysmographie pénienne dans le sens de la cruauté ? Qu’aurais-je fait si ce n’est concrétiser ma perversion à l’instar de ceux qui sont censés concrétiser leurs fantaisies ?

Mes références peuvent-elles, à elles seules, faire contrepoids lorsque certains chercheurs en fin d’article proposent noms et adresses de fabricants de pléthysmographes péniens ? Chercheurs dont nous pouvons bien entendu supposer la foi en ce qu’ils font. Ce geste témoigne sans doute d’un souci de diffuser une technique à laquelle ils « croient » et qu’ils « savent » efficace. Mais cet élan altruiste ne se paie-t-il pas du prix d’une fabrication de l’exclusion mutuelle entre fantaisies déviantes et non-déviantes puisque c’est au nom de cette division que la technique fonctionne ? Le déviant serait ainsi toujours l’autre mesuré par un savant sain et non-déviant, ce qui constitue sans doute une fiction puissante que nous nous devons de relativiser en considérant la perversion de nos dispositifs et celles de nos fantasmes et fantaisies scientifiques.