Comptes rendus

Patricia Galloway, Practicing Ethnohistory. Mining Archives, Hearing Testimony, Constructing Narrative, Lincoln et London, University of Nebraska Press, 2006, 454 pages.[Record]

  • Sigfrid Tremblay

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  • Sigfrid Tremblay
    Chaire de recherche du Canada sur la question territoriale autochtone
    Université du Québec à Montréal

Traditionnellement, l’ethnohistoire se définit à la fois par sa problématique spécifique et par une approche méthodologique multidisciplinaire. Elle réfère, dans le premier cas, à l’étude des causes et modalités de transformation des sociétés autochtones au contact des entités coloniales européennes. Dans le second, elle implique l’utilisation croisée de la source traditionnelle de la discipline historique (le document écrit) et de l’ensemble des techniques d’investigation de l’anthropologie. C’est probablement cet aspect multidisciplinaire qui prédomine aujourd’hui lorsqu’on fait référence à l’ethnohistoire. Un de ses représentants les plus emblématiques, Bruce G. Trigger, préférait par exemple « réserver » l’expression pour désigner « l’ensemble des techniques qui servent à étudier l’histoire des Autochtones » (Trigger 1990 : 233). Quant à savoir si l’ethnohistoire constitue un champ de recherche à part entière dans le grand ensemble de la discipline historique, la question demeure toujours ouverte et propice aux polémiques (Trigger 1990 : 232 ; voir aussi Viau 1999 et Trigger 1982). Avec Practicing Ethnohistory, Patricia Galloway préconise implicitement une ethnohistoire bien distincte qu’elle s’efforce de démarquer d’une discipline historique traditionnelle. L’ouvrage, qui regroupe différents articles publiés par l’auteure entre 1981 et 2003, retrace le parcours intellectuel de cette littéraire de formation convertie à l’ethnohistoire par le biais de l’édition de sources historiques, un parcours présenté en introduction comme une « autobiographie intellectuelle » (p.∈1). Précisons d’emblée que la grande majorité des textes regroupés ici concerne l’histoire des populations du Sud-Est américain – surtout les Choctaws, accessoirement les Chickasaws et les Natchez – de la Protohistoire jusqu’à la fin du xviiie siècle. En fait, les quatre divisions de l’ouvrage gravitent d’une façon ou d’une autre autour de problèmes relatifs à l’histoire des Choctaws. La première partie (« Historiography: Deconstructing the Text ») s’attarde aux problèmes que pose l’interprétation de la source historique « traditionnelle ». À partir de critiques de sources et d’exemples historiques précis, Galloway soulève des questions méthodologiques et épistémologiques quant à la nature et à l’interprétation du document « archivé ». Sa réflexion s’articule autour de deux points : d’une part, la source d’archives demeure une trace institutionnalisée, c’est-à-dire que sa préservation est assujettie à des critères de conservation plus ou moins arbitraires qui dépendent des priorités et des contraintes, variables selon les époques, des instances archivistiques. Concernant l’étude de populations autochtones longtemps négligées par les institutions, il existe donc un problème de représentativité du document d’archives. D’autre part, les sources étant toujours des comptes rendus culturellement et idéologiquement orientés, se pose la question de la crédibilité historique. Ce problème est particulièrement approfondi dans le quatrième essai (« The Unexamined Habitus », p. 55-77) qui, autour d’une discussion sur les problèmes d’une approche historique directe en archéologie, présente sans doute la réflexion la plus originale sur la critique des sources. À partir du concept d’habitus du sociologue Pierre Bourdieu et des recherches récentes en sciences cognitives, Galloway cherche à rendre compte des implications des expériences nouvelles en situation de contact. L’objectif est ici de démonter la mécanique du processus d’assimilation d’un nouvel environnement culturel pour mettre à jour les distorsions cognitives inconscientes dans la narration du récit de voyage. Curieusement, toutefois, la méthode ethnohistorique n’apporte que peu de substance révisionniste aux exemples concrets de critiques de sources, fondées presque exclusivement sur un exercice de corroboration à partir des documents d’archives. Si l’objectif était de démontrer les insuffisances du document écrit dans une démarche d’interprétation historique, l’exercice est plutôt équivoque ici, puisque la source écrite suffit en elle-même à assurer sa propre critique interne dans la plupart des cas discutés. Bref, le projet ethnohistorique demeure plutôt discret et sous-entendu dans cette première …

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