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Le véritable objectif des écoles établies [par les missionnaires] était de produire de bons petits chrétiens, filles et garçons… Puisqu’on s’attendait à ce qu’un Indien vive en marge de la société, il semblait évident qu’en matière d’éducation il lui suffirait d’avoir quelques notions de lecture, d’écriture, de chiffres et aussi d’hygiène… En d’autres mots, le système d’éducation était médiocre. Le programme était pourri, les enseignants n’étaient que des marginaux et des gens de seconde classe.

Cardinal 1969 : 53-54

Ce jugement sévère sur le système scolaire, au sein duquel se pratiquait une ségrégation envers son peuple, a été émis par Harold Cardinal, un dirigeant autochtone radical. Un jugement qui sonne encore juste plus de quarante ans plus tard. L’opinion de Cardinal constitue un bon point de départ pour nous, puisque lui-même reçut son éducation, dès son jeune âge, à l’école résidentielle St. Bruno’s, à Joussard, en Alberta. Il s’agissait d’une institution d’enseignement typique, tenue par les pères Oblats et les soeurs de la Providence, qui agissaient comme mandataires du ministère des Affaires indiennes du gouvernement fédéral. L’ouvrage de Cardinal, intitulé The Unjust Society, a créé une polémique tout à fait pertinente à l’époque où il parut. Le discours acerbe de l’auteur doit être compris dans le contexte d’une campagne qu’il menait pour rallier l’opinion publique contre les politiques mal avisées du gouvernement Trudeau (Miller 1989 : 230-231). Depuis lors, les écoles qu’il condamnait, surtout les écoles résidentielles, ont fait l’objet de multiples recherches (Miller 1996 ; Milloy 1999), et les expériences d’un grand nombre d’élèves de cette époque ont été rapportées dans des mémoires et des enquêtes officielles (Knockwood 1992). Devant de tels témoignages, il devient difficile de réfuter son affirmation sur la « médiocrité » du système.

Dans cet article, nous examinerons les politiques et les pratiques en éducation des autochtones qui, au dire de Cardinal, étaient différentes de celles offertes aux autres Canadiens. Nous mettrons l’emphase sur l'Ouest canadien, parce que c'était là que se trouvait la majorité des écoles pour autochtones. En outre, les fonds fédéraux par personne qui leur étaient consacrés y étaient vraiment plus importants qu'ailleurs au Canada (Titley 2009 : 210).

Il est pertinent de faire commencer cette enquête en 1870, puisque cette date marque l’extension de la juridiction canadienne dans l’Ouest, d’abord dans la Terre de Rupert, puis en Colombie-Britannique, régions où la population resta majoritairement autochtone au moins jusqu’en 1885. La section 91:24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 conférait au gouvernement fédéral la responsabilité de s’occuper des « Indiens », dont celle de leur éducation. L’expansion vers l’ouest augmentait sensiblement l’étendue de ces responsabilités, d’autant plus que nombre d’autres engagements avaient été pris dans les traités numérotés des années 1870. La branche indienne du gouvernement fédéral, devenue le ministère des Affaires indiennes en 1880, était mal équipée pour remplir ses obligations. Personne n’y avait d’expertise en matière d’éducation et personne ne songeait à en acquérir. Pour gérer les écoles, l’État créa plutôt une alliance avec les principales églises chrétiennes, partenariat qui perdura jusqu’à tout récemment. Cet arrangement faisait l’affaire de l’État puisque le clergé possédait une certaine expérience dans l’éducation des jeunes autochtones et il permettait de minimiser les coûts d’opération. Les Églises y trouvèrent aussi leur compte, car d’énormes subventions gouvernementales allaient alimenter leurs missions (Titley 1986 : 75-76).

Dès les années 1870, les Églises anglicanes, méthodistes et catholiques avaient établi certains types d’école dans les plus anciennes provinces. Ces écoles allaient servir de modèle à celles qui seraient éventuellement créées en collaboration avec le gouvernement. C’est ainsi qu’il y eut des écoles de jour dans les réserves, ainsi qu’un petit nombre de pensionnats et, en Ontario, il y eut en outre quatre écoles de travaux manuels, soit les Mohawk et Mount Elgin Institutes, la Wikwemikong School et le Shingwauk Home. Les Églises avaient également dans leurs missions des Prairies et en Colombie-Britannique quelques écoles de jour et des pensionnats (Grant 1984 : 125-154).

Durant les années 1870, la gestion des régions de l’ouest des Prairies constituait le plus grand défi pour Ottawa. La disparition quasi complète des troupeaux de bisons engendra une famine risquant d’entraver l’application de la loi et de l’ordre. Le gouvernement dut intervenir massivement pour nourrir les Indiens, ainsi que pour leur apprendre au plus vite les rudiments de l’agriculture (Dickason 1992 : 299-307). En lien avec ces initiatives, le fédéral mit sur pied un nouveau programme éducatif qui accéléra plus que prévu le rythme des changements économiques et culturels, au point que le passage d’une économie basée sur la chasse à une économie moderne ne put pas se faire graduellement, par étapes successives. Les autochtones allaient alors devoir assimiler une nouvelle vision de la vie et de nouvelles habitudes en une seule génération afin de ne pas devenir entièrement dépendants de la générosité publique.

Tentatives d’établissement d’écoles industrielles

Nicholas Flood Davin, avocat, journaliste et supporteur du Parti conservateur, imagina un modèle de système scolaire destiné à faciliter ces changements radicaux. En janvier 1879, le Premier ministre J.A. MacDonald le mandatait pour étudier les expériences américaines d’écoles industrielles pour Indiens. Davin apprécia ce qu’il vit au sud de nos frontières et conclut dans son rapport que les Indiens n’en étaient qu’à un stade peu évolué de développement culturel et que, pour les faire progresser, ils devaient être « manipulés fermement mais avec bonté ». En s’inspirant de la méthode étatsunienne, il prôna l’établissement d’institutions résidentielles gérées en collaboration avec les Églises puisque, selon lui, seuls les enseignants missionnaires possédaient le zèle nécessaire pour réussir. De plus, les jeunes autochtones avaient besoin du christianisme pour remplacer le « système de croyances simplet des Indiens ». Il proposa alors de créer sur-le-champ, dans les Prairies, quatre « écoles résidentielles industrielles ». Il n’accorda aucune valeur aux écoles de jour et conclut qu’elles avaient échoué aux États-Unis « parce que l’influence des wigwams demeurait plus forte que l’influence de l’école » (LAC 1897a).

Davin se trouvait à exprimer ouvertement une opinion déjà partagée au Canada par plusieurs dirigeants des Églises et du gouvernement. Le ministère des Affaires indiennes croyait pourtant encore à l’utilité des écoles de jour dans les plus anciennes provinces, là où les autochtones avaient passé plus de temps au contact de la société colonisatrice et semblaient s’adapter culturellement. Mais personne ne croyait que ces écoles seraient efficaces dans l’Ouest. Les parents y étaient le plus souvent nomades et les conditions de vie en réserve ne favorisaient pas une fréquentation assidue de l’école. Qui plus est, comme l’exprima alors Lawrence Vankoughnet, le député qui tenait le rôle de surintendant général des Affaires indiennes, l’éducation ne réussirait jamais tant et aussi longtemps que les enfants autochtones vivraient chez eux et suivraient le « terrible exemple de leurs parents » (Milloy 1999 : 26).

La proposition de Davin resta d’abord lettre morte. Edgar Dewdney, nommé commissaire des Indiens au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest en 1879, avait à résoudre des problèmes plus pressants : éviter une famine de masse, installer les Indiens dans des réserves et les faire commencer leur vie d’agriculteurs. Ayant constaté que, dès 1883, il y avait eu progrès sur toutes ces questions, le gouvernement décida d’agir. En 1883-1884, il alloua un surplus de fonds de 44 000 $ à la création d’écoles industrielles dans les Prairies (LAC 1883). Il devait d’abord y en avoir trois : celles de Qu’Appelle River et de High River, régies par l’Église catholique, et celle de Battleford, sous la gouverne de l’Église anglicane. Ces écoles étaient délibérément situées à une bonne distance des réserves dans le but d’éloigner les élèves de leurs parents et de les exposer à des influences « civilisatrices ». On croyait ces conditions nécessaires pour atteindre l’objectif déclaré de changement culturel et religieux. En plus de l’instruction scolaire et religieuse, les écoles devaient oeuvrer au développement d’habiletés manuelles et à l’apprentissage de métiers utiles (Titley 1992 : 99-100).

Ces trois écoles ouvrirent à l’automne 1884, mais leur avenir ne paraissait pas prometteur. Le Révérend Thomas Clark, nommé directeur de la Battleford Industrial School, s’avéra être un personnage imparfait, aux tendances dictatoriales et porté sur l’alcool. Ni lui ni ses acolytes ne surent contrôler la première cohorte de jeunes garçons cris venus s’instruire (Miller 1996 : 105-111). Les débuts de la High River Industrial School, également connue sous le nom de Dunbow, ou encore de St. Joseph’s, n’avait rien d’encourageant non plus. Son premier directeur fut le légendaire missionnaire oblat Albert Lacombe, qui découvrit que son premier groupe d’élèves « était trop vieux et déjà trop versé dans les manières indiennes » pour rester à l’école (PAA 1884). Ces garçons refusaient d’être disciplinés et même de se faire couper les cheveux. Lacombe en renvoya quelques-uns et dut faire appel à la « Police montée » pour éviter que d’autres ne partent avec eux. Il fut rapidement désespéré et demanda au Commissaire aux Indiens de faire pression sur les parents pour qu’ils envoient de plus jeunes enfants, « en les menaçant et en les privant de rations » (PAA 1885). Par ailleurs, à ses débuts, la Qu’Appelle Industrial School eut de la difficulté à recruter et à retenir des élèves, mais son directeur, le père Joseph Hugonnard, mena une campagne si vigoureuse dans les réserves qu’il réussit à y vaincre l’opposition face aux institutions. Il invita même les parents à venir visiter l’école afin de calmer leurs inquiétudes (Kennedy 1970 : 42-43).

Au printemps 1885, la Rébellion du Nord-Ouest mit un terme aux expériences d’éducation industrielle. En réprimant toute résistance autochtone, le ministère des Affaires indiennes instaura une période de surveillance et de tutelle forcée pour éviter de nouvelles remises en question de son autorité dans cette région troublée (Titley 1999 : 78-79). Un système d’écoles industrielles mieux développé devint l’un des instruments de la répression. J.A. Macrae, un Agent des Indiens promu inspecteur des écoles protestantes des Prairies pour le Ministère après la Rébellion, ébaucha cette politique. Il avait consacré du temps à observer les opérations au Mohawk Institute et au Elgin Institute. Dans son rapport, il formula plusieurs recommandations. Il voulait établir plus d’écoles industrielles, situées dans des communautés blanches en expansion afin de soustraire les jeunes autochtones à toute influence parentale. Ainsi, disait-il, les enfants deviendraient les otages qui garantiraient le bon comportement des générations plus âgées. Plus tard, il imagina un système complexe dans lequel les écoles de jour et les pensionnats serviraient de « pierres de gué » pour accéder aux écoles industrielles. Celles-ci dispenseraient aux adolescents une instruction plus avancée dans différents métiers et dans des matières académiques (LAC 1886).

La vision qu’avait Macrae d’une structure d’éducation par étapes ne s’est jamais réalisée, bien qu’elle reçut l’appui des principaux représentants du Ministère. Les ententes contractuelles plus ou moins bien définies entre le gouvernement et les Églises ont mené à la mise en oeuvre d’un système scolaire – si on peut l’appeler ainsi – qui manquait de cohérence. À mesure que se développaient les écoles résidentielles et industrielles dans les années 1890, la compétition entre institutions et entre dénominations religieuses pour attirer les étudiants devint si intense qu’elle excluait toute forme de collaboration.

La Elkhorn Industrial School, au Manitoba, qui était gérée par les Anglicans depuis 1888, fut l’une des premières écoles d’après la Rébellion. D’autres suivirent peu après : à Régina (Église presbytérienne), à Red Deer et à Brandon (Église méthodiste), à l’école Rupert’s Land de Middlechurch au Manitoba et de Calgary en Alberta (Église anglicane), et à Saint-Boniface (Église catholique). Au même moment, le système se répandit en Colombie-Britannique : écoles catholiques industrielles à Kamloops, à Kootenay, à Kuper Island et à Williams Lake, écoles anglicanes à Alert Bay et à Metlakahtla, et une école méthodiste, la Coqualeetza Home. En général, les écoles de la Colombie-Britannique étaient plus petites que celles des Prairies. D’abord écoles résidentielles missionnaires, elles furent améliorées grâce aux fonds provenant du Ministère. Et les quatre plus anciennes écoles de métiers en Ontario furent désormais considérées comme faisant partie du système d’écoles industrielles (Titley 1986 : 78).

Voici, d’après le Ministère, les effectifs des écoles dans tout le pays, en 1891 : 1 045 élèves dans les écoles industrielles, 307 élèves dans les pensionnats, 6 202 élèves dans les écoles de jour, pour un total de 13 420 enfants indiens avec statut et d’âge scolaire. (Canada 1891 : xv)

En dépit des grands discours du Ministère sur l’importance de l’éducation et sur son obligation constitutionnelle de l’offrir à tous, à peine plus de la moitié de ses sujets allaient réellement à l’école. La très grande majorité de ceux qui recevaient une instruction fréquentait les écoles de jour. Même si elles clamaient haut et fort les avantages qu’offraient une présence régulière aux cours et l’éloignement de l’influence des parents, les écoles résidentielles et industrielles n’attiraient en réalité qu’un nombre insignifiant d’enfants éligibles. Qui plus est, les écoles industrielles, situées au sommet du système, commençaient à s’attirer une mauvaise réputation, surtout en raison de l’augmentation de leurs coûts d’opération.

C’est Duncan Campbell Scott qui, le premier, souleva le problème dans un memo envoyé en juin 1892 au député qui agissait comme surintendant général intérimaire du ministère des Affaires indiennes. À cette époque, Scott était commissaire en chef du ministère et jouissait d’une influence grandissante aux quartiers généraux à Ottawa. Il s’aperçut que certaines écoles industrielles recevaient des subventions per capita, alors que d’autres étaient entièrement subventionnées. Ces arrangements au petit bonheur impliquaient d’énormes disparités dans les ressources financières disponibles. Scott ne voyait pas pourquoi les institutions ne pouvaient pas toutes recevoir des subventions annuelles de 100 $ par personne. Selon lui, cela forcerait les écoles à produire une plus grande part de leurs biens essentiels. Les enfants passeraient ainsi « plus de temps dans les ateliers et les jardins qu’à leur pupitre ». De plus, il était d’avis que « l’instruction par les livres, communément appelée “éducation”, était presque une perte de temps pour un enfant indien du Manitoba ou des Territoires du Nord-Ouest » (LAC 1892a).

En conséquence, on décida d’imposer une structure de subvention par personne à toutes les écoles industrielles à partir du 1er juillet 1893. Les subventions varieraient, selon les institutions, entre 100 $ et 140 $ (LAC 1892b). Ces nouveaux règlements mirent plus de pression sur les écoles pour y maintenir le plus d’élèves possible, puisque du nombre d’inscriptions dépendait le montant de la subvention. Parfois, cela eut pour effet de décourager les élèves à graduer, tout en exigeant certainement de chacun d’eux plus de labeur physique.

Jusqu’ici, il a surtout été question des écoles industrielles et des régions de l’Ouest où se trouvaient la plupart d’entre elles. Malgré le fait qu’elles ne constituaient qu’une composante relativement négligeable du système national d’écoles pour Indiens en termes de nombre d’inscriptions, leur réelle signification apparaît au vu des ressources disproportionnées qui leur étaient allouées, dans l’espoir maintes fois exprimé par les Églises et par l’État qu’elles seraient une solution au « problème indien ». Les mots d’Edgar Dewdney à ce sujet, alors qu’il était surintendant général des Affaires indiennes en 1890, sont éloquents :

Il serait grandement souhaitable, si cela était possible, de devenir propriétaires de tous les enfants indiens dès qu’ils atteignent l’âge de six ou sept ans et de les garder à l’école de type industriel jusqu’à ce qu’ils aient reçu une instruction complète, non seulement dans les sujets habituellement enseignés dans les écoles publiques, mais aussi dans des métiers utiles et profitables, ou en agriculture, selon les aptitudes de chacun.

Canada 1890 : xii

Avant d’examiner les mécanismes internes de ces écoles, nous ferions bien de garder à l’esprit qu’elles ne prenaient pas pour modèle les pensionnats bourgeois, comme ceux de l’Upper Canada College, mais qu’elles s’inspiraient plutôt des écoles industrielles créées par les provinces pour la réhabilitation de délinquants et de jeunes laissés pour compte. Alors qu’il se rendait visiter le Mohawk Institute en 1895, Martin Benson, directeur de la Section des écoles du ministère (créée un an plus tôt), s’arrêta à l’Alexandria Industrial School, pour filles, et à la Victoria Industrial School, pour garçons. Il y nota, avec satisfaction, les similarités entre ces institutions et les écoles de réforme provinciales (LAC 1895). Curieusement, la crème des écoles en matière d’éducation des Indiens – les écoles industrielles – s’inspirait d’un modèle d’institutions dont la raison d’être était de nature correctionnelle.

Les autorités ne considéraient certes pas les autochtones comme des criminels, bien que certains, comme Duncan Scott, aient exprimé des opinions qui le suggéraient. Cependant, à leurs yeux, les autochtones semblaient manquer de cette éthique disciplinée du travail nécessaire pour réussir dans une économie capitaliste moderne. Les routines et l’embrigadement dans les écoles industrielles devaient insuffler cette discipline, et les uniformes que devaient porter les élèves masculins rappelleraient l’influence des camps d’entraînement militaire. Le Père E. Claude, directeur de l’école High River, était clair à ce sujet : « le système de discipline est d’inspiration militaire et est appliqué strictement, et aucun manquement aux règlements ne restera impuni… » (Canada 1887 : 127). Lors de sa visite au Mohawk Institute, Benson observa que les garçons étaient organisés en pelotons militaires et qu’ils s’exerçaient à des manoeuvres avec des mousquets de bois. L’école fonctionnait comme une « pièce de machinerie », disait-il, et le directeur, le Révérend R. Ashton, se vantait qu’il pouvait « entraîner tout enfant indien au travail, qu’il le veuille ou non » (LAC 1895). La métaphore de la machinerie faisait référence à la routine quotidienne, ponctuée par des horloges et des cloches, caractéristiques de l’époque industrielle et destinées à créer l’habitude de mesurer le temps. Comme l’explique Dewdney : « L’importance pour un enfant indien d’une telle instruction ne doit pas être sous-estimée, parce que son indifférence au temps et à sa valeur, héritée de ses parents, lui est innée ». (Canada 1889 : xi)

L’importance accordée aux pratiques récréatives et festives par la tradition eurocanadienne intensifia le processus d’acculturation. Par exemple, dans notre propre culture, les fêtes civiles et religieuses, comme Noël et Pâques, étaient célébrées au son de la fanfare. C’est ainsi que, dans les années 1890, plusieurs écoles industrielles se dotèrent de fanfares de parade. Celles-ci ajoutaient à la discipline militaire déjà très présente, mais on s’attendait également à ce qu’elles contribuent à accélérer le changement identitaire. Lorsque A.W. Vowell, commissaire aux Indiens de la Colombie-Britannique, rendit visite à la Kuper Island Industrial School en 1891, il découvrit que les aînés s’opposaient à la fanfare de l’école, craignant qu’elle n’arrive à supplanter leur propre musique. Vowell admit que c’était leur véritable intention : « Les standards modernes en musique, disait-il, mettraient fin à la pratique du potlatch, de même qu’aux danses barbares et à la soi-disant musique qui les accompagne ». (LAC 1891) Parmi les autres activités qui étaient approuvées, citons le criquet, le baseball, le soccer, les billes et le jeu de quilles (skittles). Alors qu’il visitait l’école de Battleford en 1889, J.A. Macrae fut ravi de voir que les jeux pratiqués étaient « complètement et exclusivement blancs ». Les garçons s’adonnaient au criquet, au football et à la boxe « avec un grand intérêt et une vigueur tout à fait anglo-saxonne… L’indianité était évacuée de toute leur vie récréative » (Wasylow 1972 : 90-91).

Un des traits distinctifs des écoles industrielles était le système de demi-journée. Seulement une moitié de la journée se passait en classe à recevoir un enseignement élémentaire normal, mais avec une attention spéciale accordée à l’apprentissage de l’anglais. Le reste du temps était consacré à l’enseignement pratique de divers métiers, ainsi qu’à agriculture pour les garçons et au travail domestique pour les filles, une formule inspirée directement des écoles de réforme ; on avait en partie conçu ce programme pour développer des compétences qui leur seraient utiles dans leur vie d’adultes. Un second objectif consistait à les entraîner à effectuer une bonne part des tâches essentielles à la bonne marche de l’institution. En outre, comme les élèves travaillaient aux récoltes, réparaient les clôtures, cuisinaient, nettoyaient, etc., on espérait que les coûts d’opération s’en trouveraient réduits (ibid. : 45-46).

Mais que pensaient les parents autochtones de tout cela ? Ils ne s’objectaient pas à l’instruction. De fait, ils avaient insisté pour que des écoles soient créées en vertu des traités de l’Ouest. Cependant, il semble qu’ils aient plutôt compris qu’il s’agissait de la création d’écoles de jour dans les réserves. Depuis le début, les parents se méfiaient des écoles industrielles et, souvent, ils refusaient systématiquement de se séparer de leurs enfants, même lorsqu’ils étaient menacés d’être privés de leurs rations. Ceux qui y avaient quand même envoyé leurs enfants s’en ennuyaient tant qu’on les voyait camper près des écoles. Bon nombre d’entre eux réclamaient que leurs enfants leur soient retournés (Canada 1884 : 161).

L’hostilité envers les écoles industrielles s’intensifia du fait que les enfants n’avaient pas de vacances. Certains fonctionnaires du ministère, tels que Dewdney et son successeur comme commissaire aux Indiens, Hayter Reed, s’opposaient aux vacances parce que cela exposait les élèves aux influences indésirables des réserves, surtout si des « rituels païens », comme la Sun Dance, y étaient tenus. De plus, des vacances entraînaient des coûts additionnels de transport et le risque que les élèves ne reviennent pas en classe. Par ailleurs, on comprend facilement que les parents étaient réticents à envoyer leurs enfants à l’école lorsqu’ils réalisaient qu’ils pourraient ne plus les revoir avant plusieurs années (LAC 1899).

Dans certaines écoles, la discipline très rude n’était pas de nature à améliorer la situation. En 1893, alors que les représentants anglicans se plaignaient d’un faible taux d’inscriptions à l’école Rupert’s Land, le commissaire Reed en imputa la faute à la réputation de brutalité de cette école industrielle : « Lorsque j’ai visité cette institution, j’ai été particulièrement frappé par l’attitude déprimée des enfants, qui semblent manquer de joie de vivre, de vivacité et d’interactions amicales, comme on le voit dans d’autres institutions semblables. » L’Agent des Indiens local, ajouta-t-il, en imputait la faute aux corrections physiques brutales infligées aux enfants. C’est pourquoi certains parents ont retiré leurs enfants de cette école. Ultérieurement, un autre rapport critiqua le dur travail physique imposé aux jeunes garçons et aux jeunes filles (LAC 1893). Mais ces révélations sont restées lettre morte. En 1899, le Révérend J.H. Fairlie fut renvoyé après qu’une enquête du Ministère eut révélé qu’il avait infligé des corrections brutales aux jeunes élèves et qu’il se permettait une proximité physique intime inappropriée auprès de jeunes filles plus âgées (LAC 1897b, 1889).

Le dur labeur physique auquel on astreignait les enfants de l’école Rupert’s Land n’était pas exceptionnel et contribua à accentuer l’opposition aux écoles industrielles. C’est ainsi que l’enseignement des métiers spécialisés, fort populaire à ses débuts, déclina rapidement après que la formule de subvention par personne eut été instaurée. L’école Rupert’s Land servit à nouveau d’exemple. En 1895, elle renvoya son imprimeur et son forgeron et remplaça ces instructeurs par des élèves seniors, en ne les payant qu’une fraction du salaire prévu (LAC 1893-1894 ; Canada 1894 : 72-73). Désormais, le travail physique remplaçait l’acquisition d’habiletés dans le volet industriel du programme éducatif.

De plus, lorsque des élèves avaient acquis des habiletés et de bonnes habitudes de travail, le Ministère ne savait plus trop quoi en faire. Par exemple, le directeur de l’école Rupert’s Land trouva un emploi à quelques garçons dans des entreprises de Winnipeg, mais plus tard il dut admettre que leur embauche avait été annulée parce que les « employés ne voulaient pas plus travailler aux côtés d’Indiens qu’aux côtés de Chinois » (Canada 1895 : 322). En dépit des beaux discours sur l’intégration et l’assimilation, la société demeurait ségrégationniste et rejetait les autochtones, peu importe comment ils avaient été remodelés par leur éducation industrielle.

Repenser l’approche

En décembre 1896, la Calgary Industrial School ouvrit ses portes à une première cohorte d’une vingtaine d’élèves. Ce fut la première et la dernière. Cette même année, l’arrivée au pouvoir à Ottawa du Parti libéral, dirigé par Wilfrid Laurier, était un présage de changement. Selon le nouveau surintendant général aux Affaires indiennes, Clifford Sifton, originaire de l’Ouest, le Ministère était un véritable bourbier de patronage et d’excès extravagants. Très vite, il annonça que le budget alloué à l’éducation des Indiens avait atteint « un niveau très élevé » et qu’il était temps de le diminuer. De plus, il déclara que les écoles industrielles étaient une perte de temps, puisque les Indiens n’avaient pas « le profil physique, mental ou moral de l’homme blanc pour rivaliser d’égal à égal » (Hall 1977 : 133-134).

Dans un rapport paru en 1897, Martin Benson exposait la position gouvernementale sur la question. Il relevait peu de différence entre les pensionnats et les écoles industrielles, sinon dans leurs coûts d’opération. Cela reflétait le déclin de l’enseignement des métiers, formation pourtant propre aux écoles industrielles. Il soulignait que, même lorsque les élèves parvenaient à apprendre un métier, ils ne trouvaient pas de travail. Il fallait donc créer des programmes moins ambitieux, qui permettraient aux jeunes autochtones de gagner leur vie dans les réserves (LAC 1897c).

Le plan élaboré visant une acculturation rapide par les méthodes des écoles industrielles fut abandonné. L’assimilation restait le but avoué, mais on y mettrait plus de temps et moins de fonds publics. La désillusion à propos des écoles industrielles ressort également dans un autre rapport, écrit en 1902 par Benson, dans lequel il présente un bilan des dix institutions des Prairies :

Les résultats des écoles industrielles montrent que, jusqu’au 30 juin dernier, il y eut 2752 élèves admis, dont 1700 furent renvoyés. On sait que 506 de ces derniers sont décédés, 249 perdirent la vue, 139 sont en mauvaise santé, 86 furent transférés dans d’autres écoles, 121 finirent par mal tourner et 599 réussissent bien.

LAC 1902

Deux ans plus tard, Sifton déclara à la Chambre des communes que les écoles industrielles « n’avaient pas été les meilleures, ni les plus efficaces, ni la façon la plus économique d’améliorer les conditions de vie des Indiens ». Il se disait beaucoup plus impressionné par les écoles résidentielles, « où un plus grand nombre d’enfants pouvaient recevoir, en moins de temps, une éducation moins coûteuse mais néanmoins plus efficace » (Milloy 1999 : 72).

Jugées encombrantes, coûteuses, improductives et sujettes à scandales, les écoles industrielles ont connu un déclin. Elles ne pouvaient pas rivaliser avec les pensionnats qui, eux, jouissaient d’une meilleure réputation. Les parents autochtones préféraient ces derniers parce qu’ils étaient situés dans les réserves ou tout près. Les missionnaires qui les géraient avaient construit les bâtiments à leurs propres frais et recevaient d’Ottawa des subventions de 72 $ par personne. Leur coût modique plaisait à Sifton et au Ministère. Les écoles industrielles se sont donc vidées au profit des écoles résidentielles, et c’est ainsi que les gestionnaires des premières furent aux prises avec des subventions par personne qui diminuaient et des déficits croissants. Ceux-ci ont servi de prétexte pour fermer les écoles, mais les incendies y contribuèrent aussi.

La Rupert’s Land Industrial School fut rasée par un incendie en 1906, probablement causé par un élève. On ne la reconstruisit pas. Les écoles de Calgary et de Saint-Boniface fermèrent leurs portes en 1907, celle de Metlakahtla cessa graduellement ses opérations en 1906-1907, et celles de Regina, de Battleford et de Elkhorn fermèrent leurs portes respectivement en 1910, 1914 et 1918, mais cette dernière rouvrit ultérieurement. Les écoles de Red Deer et de High River ont aussi été fermées, en 1919 et 1922 (Titley 1986 : 83). La plupart de ces écoles étaient délabrées et nécessitaient de sérieux investissements pour les rénover adéquatement. Le Ministère s’y refusa. Ces fermetures devaient être négociées avec les Églises, qui demeuraient réticentes à perdre leurs infrastructures missionnaires. Souvent, le Ministère dut offrir des compensations sous forme de financement supplémentaire pour les écoles de jour et les pensionnats[1].

Durant la première décennie du xxe siècle, les changements apportés à la politique en éducation du Ministère ont pu être implantés rapidement grâce au Dr P.H. Bryce, qui était inspecteur médical du ministère de l’Intérieur. En 1907, il enquêta sur l’état de santé des enfants dans les écoles industrielles et résidentielles des Prairies. Il découvrit que plusieurs élèves avaient été admis alors qu’ils souffraient de maladies infectieuses, et que la contagion se répandait à cause des « conditions sanitaires déficientes » des bâtiments. Il conclut que la ventilation présentait un problème grave dans presque toutes les écoles. À deux ou trois exceptions près, on scellait les fenêtres des dortoirs durant les mois les plus froids afin de réduire les coûts de chauffage, ce qui eut pour effet de détériorer la qualité de l’air, surtout lorsque des élèves infectés y dormaient. On n’avait pas non plus prévu de périodes régulières d’activités physiques. C’était presque comme si on avait créé des conditions optimales pour l’éclosion d’épidémies. Bryce nota également que les directeurs d’écoles étaient enclins à minimiser ces dangers et qu’ils s’avéraient tout à fait réticents à révéler le sort d’anciens élèves (LAC 1907a).

Le rapport de Bryce fut largement diffusé et plusieurs articles parurent dans la presse, sous des titres accrocheurs, ce qui embarrassa le Ministère et les Églises missionnaires (LAC 1907b). En 1909, Bryce effectua une autre enquête, cette fois pour connaître la situation dans sept écoles résidentielles du sud de l’Alberta. Il s’aperçut que la tuberculose y était si répandue qu’elle avait causé une diminution du nombre d’enfants d’âge scolaire dans la région. Par exemple, 28 % des élèves inscrits au Sarcee Boarding School entre 1894 et 1908 étaient décédés, le plus souvent de tuberculose. Il conçut un plan stratégique pour combattre ce fléau à la grandeur du pays. Chaque école devrait avoir une infirmière ou un directeur sanitaire, disait-il, supervisés par des officiers médicaux de district. Ceux-ci devraient s’assurer que les écoles offrent une meilleure alimentation, de l’air frais, de l’exercice et des conditions sanitaires adéquates (LAC 1909a).

Les recommandations de Bryce risquaient fort de ne pas être adoptées sans le support de Duncan Scott qui, en 1909, avait été nommé premier surintendant du dossier de l’éducation au ministère. Il faut dire que Scott lui-même n’avait pas reçu une éducation formelle au-delà du niveau secondaire et qu’il ne détenait aucune qualification particulière pour son nouveau poste. Il connaissait bien la tenue de livres, et son rôle au ministère fut toujours de réduire les dépenses. Il s’opposa évidemment au plan de Bryce, en faisant valoir que ses révélations avaient « irrité au plus au point » les Églises, qui seraient peu enclines à collaborer à la mise en oeuvre de ses recommandations. De plus, il dit à ses supérieurs que celles-ci étaient irréalisables puisqu’elles « augmenteraient considérablement les besoins en dotation ». Scott pensait qu’il « suffirait d’apporter quelques réformes de gros bon sens pour que le Ministère ne soit plus accusé de mal défendre les intérêts de ces enfants » (ibid. 1911).

Quelques-unes de ces « réformes de gros bon sens » furent négociées entre Scott et des représentants des différentes Églises au cours d’une rencontre à Ottawa en novembre 1910. La priorité était d’améliorer les pensionnats. Bien que les bâtiments aient été la propriété des Églises, on faisait fréquemment appel au Ministère pour payer les factures de réparation ou d’agrandissement, ce qu’il acceptait généralement de faire. Ces accommodements ad hoc ne faisaient l’affaire de personne. Scott argumentait que des subventions par personne plus importantes couvriraient les réparations en cours et éviteraient de faire des ponctions imprévues dans les fonds publics. Il voulait augmenter les subventions de 72 $ à 80 $, ou même à 125 $, selon les endroits, et sous certaines conditions. Pour être éligibles à ces augmentations, les écoles devaient être saines, en bon état, être équipées pour soigner les élèves atteints de maladies infectieuses, et les dortoirs et salles de classe devaient être aérés. En plus de ces exigences matérielles, les Églises acceptèrent de dispenser un enseignement académique et pratique qui inculquerait aux élèves les codes de la vie civilisée. De surcroît, l’engagement des enseignants dut être approuvé par le Ministère, et les écoles devaient se soumettre à des inspections (LAC 1910-1911).

Il semble que l’État prenait enfin les choses en main. Il y avait plus d’argent disponible et des standards plus élevés étaient anticipés. Néanmoins, le système ne fut jamais bien réglementé et les normes élevées ne pouvait être vérifiées. La Première Guerre ajouta aux malheurs. Les prix augmentaient et le Ministère n’avait pas les ressources nécessaires pour fournir l’argent promis. En 1917, il ne put augmenter la prime que de 10 $ par personne, ce qui demeurait insuffisant pour pallier l’inflation des prix (Milloy 1999 : 74-75).

L’intérêt pour les écoles de jour augmenta lorsque les pires écoles industrielles fermèrent et que certains efforts furent déployés pour améliorer les pensionnats. Négligées depuis des années, elles avaient mauvaise réputation et elles n’étaient pas vues comme un moyen efficace d’assimilation. Mais, après réflexion, le Ministère réalisa qu’elles ne coûtaient de toute évidence pas cher à opérer.

Dans son rapport annuel de 1909, le député Frank Pedley, surintendant du ministère, indique comment il fallait désormais considérer ces écoles. Il reconnaissait que « le préjugé favorable à l’endroit des écoles industrielles et résidentielles » qui avait prévalu jusqu’ici, n’avait peut-être plus lieu d’être. Les écoles de jour furent désormais vues sous un angle plus favorable, puisque l’amélioration des conditions de vie dans les réserves permettait de ne plus séparer autant d’enfants de leurs parents. On devait évidemment augmenter les salaires des enseignants pour attirer ceux qui seraient capables de rendre l’instruction « agréable et intéressante pour les enfants indiens » (Canada 1909 : xxxiii-xxxiv).

Les Églises missionnaires prirent connaissance de la nouvelle orientation du Ministère par une circulaire parue en avril 1908. Elles ne réagirent pas toutes de la même manière. Les catholiques s’opposaient à tout ce qui compromettait la tradition du pensionnat. Quant aux Églises protestantes, elles demeuraient plus ouvertes et, de fait, certains de leurs dirigeants doutaient déjà de la qualité des écoles industrielles et résidentielles et reconnaissaient que les résultats étaient médiocres, malgré les efforts et l’argent investis. Certains croyaient qu’il serait mieux de tout remettre entre les mains du gouvernement et d’aller exercer leur prosélytisme dans des contrées plus exotiques, particulièrement en Asie. D’autres crurent qu’il était préférable de fermer les écoles qui fonctionnaient mal, pourvu que les économies qui en découleraient soient réinvesties dans l’amélioration des écoles de jour (LAC 1909b ; Grant 1984 : 191-194).

Améliorer ces dernières n’était pas une tâche facile et le recrutement d’enseignants compétents demeurait tout un défi. Ces enseignants étaient employés par le Ministère tout en étant nommés par les Églises, dont les réserves constituaient une chasse gardée puisque leurs missionnaires y oeuvraient depuis longtemps. En échange du privilège de nommer les enseignants, les Églises devaient accepter de payer une portion de leur salaire, mais cela n’arriva pas souvent. Elles ont toutefois accepté de payer leur transport vers les réserves et vers leur logement (Titley 1986 : 89).

Il faut dire que les écoles de jour n’attiraient pas l’élite de la profession. En 1903, le commissaire aux Indiens, David Laird, admit qu’il y avait un « bon nombre » d’enseignants indifférents et qu’il était même souvent impossible d’en trouver (LAC 1903). L’isolement et le maigre salaire décourageaient probablement les candidats potentiels. En discutant de la question aux quartiers généraux du ministère en 1907, Martin Benson fit remarquer que les enseignants des écoles publiques gagnaient entre 500 $ et 650 $ par an, alors que ceux des écoles de jour indiennes ne gagnaient que 300 $. Il ajouta que le Ministère devrait non seulement augmenter les salaires mais fournir également le transport et le logement. Duncan Scott se dit d’accord : « J’approuve tout effort pour améliorer la qualité des écoles de jour et je reconnais que nous ne pouvons pas trouver d’enseignants qualifiés pour moins de 400 $ » (LAC 1907c).

Rien ne fut fait avant que Scott soit nommé surintendant à l’Éducation, deux ans plus tard. Dans un memo de juin 1909, il annonça que les salaires des enseignants des écoles de jour seraient augmentés à 400 $ dès l’année suivante. Dans certains cas, des enseignants certifiés recevraient 500 $ (LAC 1909c). Ce n’était qu’une modeste amélioration qui s’avéra à peine suffisante pour attirer des candidats de choix. Scott songeait également à d’autres améliorations. Il fit distribuer des vêtements et des chaussures aux enfants les plus méritoires, ainsi que des repas « simples mais chauds ». On ajouta des jeux et de « simples exercices de gymnastique » afin de varier le programme. Il s’agissait de mesures destinées à attirer la clientèle et à contrer « l’apathie, quand ce n’était pas de la véritable hostilité » de la part des parents (Canada 1910 : 274).

En 1910, alors qu’on effectuait ces changements, le Ministère prenait en charge 20 écoles industrielles, qui accueillaient 1 612 élèves, 54 écoles résidentielles regroupant 2 229 élèves et 241 écoles de jour totalisant 6 784 élèves. Le nombre de pensionnats et d’élèves qui y étaient inscrits surpassait le nombre d’écoles industrielles, d’autant plus que celles-ci n’étaient pas remplacées lorsqu’elles fermaient leurs portes, et cette situation perdura plus d’une dizaine d’années. Les écoles de jour accueillaient encore la majorité des élèves. Seulement 54,4 % des 19 528 Indiens avec statut d’âge scolaire de tout le pays fréquentaient l’école. Les deux types de pensionnats ne desservaient que 19,7 % du nombre total d’enfants éligibles pour aller à l’école.

Prise en charge par Duncan Campbell Scott

En 1913, Duncan Campbell Scott succéda à Frank Pedley comme député surintendant général des Affaires indiennes, autrement dit comme ministre. Personnage important du monde littéraire, Scott demeurera au ministère pendant presque deux décennies, jusqu’à sa retraite le 31 mars 1932. Son administration se caractérisa par un manque d’imagination et, surtout, par sa détermination à utiliser des méthodes d’acculturation répressives. En éducation, rien de nouveau ou de novateur. Le but principal demeurait l’assimilation des Indiens, mais il reconnut que cela prendrait plusieurs générations, surtout dans les régions les moins développées du pays. L’efficacité administrative et le désir de rentabiliser les dépenses ont toujours guidé sa façon de diriger et il était anxieux de contrôler les dépenses tout en démontrant qu’on progressait dans le sens des objectifs du Ministère. Il chercha, entre autres, à fournir des écoles aux nombreux enfants qui n’en avaient pas, parce que, disait-il, « sans éducation et par manque de soins, les Indiens pourraient devenir indésirables, voire dangereux, pour la société ». Pendant toutes ces années, l’alliance avec les Églises ne fut donc pas remise en question et, de bien des manières, fut même accrue et renforcée, parce que Scott entrevoyait que l’éducation mènerait au « remplacement des concepts autochtones de conduite et de morale par des idéaux chrétiens » (ibid. : 273).

Scott ne s’est pas mêlé des principales structures et des objectifs de l’éducation offerte aux Indiens, mais il fut responsable de quelques réformes mineures et d’une certaine modernisation. En 1920, il fit amender l’Acte sur les Indiens pour s’assurer que l’école soit obligatoire pour tous les enfants âgés de 7 à 15 ans. Désormais, la législation permettait de nommer des fonctionnaires chargés de faire respecter le règlement (LAC 1920a). Dans les faits, ce sont les agents des Indiens, déjà présents dans la plupart des réserves en tant que fonctionnaires du Ministère, qui ont vu cette responsabilité ajoutée à leurs nombreuses autres tâches.

Les écoles résidentielles et industrielles ont fait l’objet d’une autre réforme. L’entente de 1910 que Scott avait conclue avec les Églises, selon laquelle leurs pensionnats seraient mieux subventionnés, a rapidement contribué à brouiller les différences entre ceux-ci et leur équivalent industriel. En effet, la « composante » industrielle des Églises n’avait jamais connu beaucoup de succès et, au fil des ans, elle se réduisit à une série de corvées obligatoires, attribuées selon le sexe et tenues tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’école. Les deux types d’écoles en sont donc venues à afficher un programme presque identique. En 1923, lorsqu’on prit conscience de cette réalité, les catégories « résidentielles » et « industrielles » furent supprimées. Dès lors, toutes les institutions avec résidences pour étudiants furent appelées « écoles résidentielles » (Titley 1986 : 87)

À l’époque, il y avait encore 72 écoles résidentielles, dans l’Ouest pour la plupart. Durant les années 1920, leur nombre augmenta jusqu’à un maximum de 80 écoles en 1931. C’est durant cette période de croissance qu’on ouvrit au Québec les premiers pensionnats, deux écoles rivales, l’une anglicane, l’autre catholique, situées à Fort George, à la Baie James. En 1929, la Shubenacadie Residential School, la seule du genre dans les Maritimes, ouvrit ses portes en Nouvelle-Écosse, mais elle eut une histoire difficile. Le Ministère assuma jusqu'à la totalité des coûts de ces nouvelles écoles résidentielles et acheta celles qui appartenaient à des Églises. Ces dernières conservaient la gestion des écoles de jour, fournissaient le personnel et s’assuraient que l’esprit de la congrégation soit respecté. Les subventions augmentèrent graduellement durant cette décennie prospère, pour atteindre un maximum de 172 $ par personne en 1931. Malgré tout, les subventions demeuraient insuffisantes pour assurer une instruction et des soins de qualité (Milloy 1999 : 102-103).

En 1932, il y avait 8 775 élèves dans les écoles de jour et 8 213 fréquentaient les écoles résidentielles (Canada 1932 : 117). Les inscriptions dans les deux types d’écoles avaient considérablement augmenté avec l’introduction de la politique de fréquentation obligatoire. Mais le taux d’accroissement fut nettement plus important dans les pensionnats. On croyait encore que l’expérience des résidences avait plus de chance de rencontrer les objectifs des missionnaires et des bureaucrates.

La question demeure de savoir si l’accroissement des subventions dans les années 1920 a permis d’améliorer les conditions dans les pensionnats. Durant toute cette période, on perpétua le système des demi-journées. Ainsi, l’instruction manuelle occupait cinquante pour cent de la journée. Malgré cela, l’apprentissage de métiers était rare ; en général, les élèves travaillaient plutôt aux champs ou à la cuisine. C’est donc dire que la majorité des finissants retournaient à la réserve avec peu de compétences pour gagner leur vie.

La formation académique – l’autre moitié de leur éducation – n’a guère mieux réussi. Les Églises continuaient de considérer les salles de classe comme des lieux d’évangélisation plutôt que comme des lieux d’éducation, et elles déployaient peu d’efforts pour trouver des enseignants qualifiés. Qui plus est, comme le nota R.T. Ferrier en 1932, surintendant à l’Éducation, les Églises avaient tendance à assigner du « travail d’Indien » à des gens qui « avaient plus ou moins échoué dans d’autres sphères d’activités » (LAC 1932). Lorsque des représentants provinciaux de l’éducation venaient inspecter les écoles, ils admettaient y avoir observé la piètre qualité de l’enseignement qu’on y dispensait. Après avoir visité bon nombre d’écoles en 1922, l’inspecteur albertain L. Hutchinson dit qu’il n’avait « jamais vu de l’enseignement aussi mauvais, du moins dans ce qu’il était convenu d’appeler de l’enseignement, que celui dispensé dans les écoles indiennes » (LAC 1922).

On ne pouvait guère s’attendre à de bons résultats si l’on songe à la mauvaise qualité de l’enseignement d’un programme sans pertinence, dispensé une demi-journée à la fois à des enfants dont l’anglais n’était pas la langue maternelle et qui ne demeuraient pas longtemps à l’école. Pourtant, on attribuait plus facilement les piètres résultats à l’origine ou à la capacité intellectuelle des élèves plutôt qu’aux déficiences du système. Toutefois, certains affichaient d’autres attitudes. W.E. Ditchburn, pendant longtemps commissaire aux Indiens en Colombie-Britannique, disait ceci :

L’expérience démontre que là où des enseignants compétents sont engagés, les élèves font des progrès notoires. Au contraire, là où on emploie des enseignants médiocres, les progrès éducatifs le sont aussi.

LAC 1920b

Malgré le fait que, durant les années 1920, plus de fonds furent disponibles, les écoles résidentielles n’arrivaient pas à pourvoir adéquatement aux besoins matériels et physiques de leurs élèves. En 1918, durant l’épidémie de grippe espagnole qui décima les communautés autochtones – et le reste du pays – , Scott abolit le poste d’inspecteur médical dans les agences et les écoles de l’Ouest, « pour des raisons d’épargne », disait-il (LAC 1918). Dès lors, les inspections médicales des écoles se firent rares et jamais d’une manière systématique. Celles qui eurent lieu révélaient des taux d’infection importants parmi les élèves, bien que l’ampleur du problème ait grandement varié d’une école à l’autre. Par exemple, quand le Dr F.A. Colbert inspecta un certain nombre de pensionnats catholiques en Alberta en 1920 et 1922, notamment les écoles Hobbema, St. Albert et Crowfoot, il rencontra des enfants en santé et bien soignés. Toutefois, dans les écoles anglicanes Old Sun’s et Sarcee, la tuberculose et des infections aux yeux sévissaient fréquemment, sans doute à cause des bâtiments surpeuplés et des conditions insalubres (LAC 1920-1922). De toute évidence, les ententes touchant la santé et l’hygiène, en vigueur depuis 1910, n’étaient pas toujours respectées.

Le plus souvent, on faisait fi des règlements définis par le Ministère concernant l’alimentation des élèves. Plusieurs directeurs croyaient que les subventions par personne ne permettaient pas d’assurer une bonne alimentation, en quantité et en qualité. Cela est peut-être vrai, mais en 1930, à la Kootenay Residential School, les élèves vendaient à profit du lait et des oeufs, alors qu’eux-mêmes crevaient de faim (LAC 1930). Aussi, plusieurs élèves volaient de la nourriture pour survivre. On les forçait ainsi à violer le code moral qu’on leur demandait de respecter.

En vérité, ce système n’était pas réglementé et on le laissait aller à la dérive sans véritable orientation. L’inertie politique sapait toute volonté d’introduire des changements, et un manque d’imagination empêchait de formuler d’autres possibilités. Les fonctionnaires du ministère des Indiens étaient bien conscients des problèmes d’abus, de maladies, de famines et d’échecs scolaires, mais ils demeuraient incapables d’y changer quoi que ce soit ou peu enclins à le faire. Dans les années 1920, le commissaire aux Indiens, W.M. Graham, attira l’attention de Duncan Scott sur plusieurs cas d’abus physiques et sexuels sur des élèves de pensionnats, le pressant d’agir au plus vite. Mais celui-ci refusa d’intervenir, de peur que les Églises, dont l’influence politique était loin d’être négligeable, ne deviennent des opposants (Milloy 1999 : 144-149).

La fugue était une forme populaire de résistance des élèves aux mauvais traitements. Mais « se sauver », comme on le disait, avait parfois une conséquence tragique. En 1927 par exemple, un jeune garçon s’étant enfui de la Mackay Boarding School à The Pas, au Manitoba, mourut de froid (Miller 1996 : 366). D’autres, parmi les élèves les plus désespérés, choisissaient de mettre le feu. Ainsi, des élèves incendièrent la Catholic Duck Lake Residential School en 1926, ainsi que l’Anglican Onion Lake Residential School en 1928 (ibid. : 368). Cela constituait une forme ultime de résistance à un système qui ressemblait plus à de l’incarcération avec travaux forcés qu’à une éducation ayant une quelconque pertinence.

Le côté sombre de l’éducation pour les autochtones demeurait caché au public. Dans son rapport ministériel annuel présenté en Chambre, Scott exposa la vision officielle d’un progrès constant, tandis que son dernier rapport, déposé juste avant sa retraite en 1931, était empreint d’optimisme. Il y dévoilait des chiffres destinés à démontrer les effets bénéfiques de l’éducation obligatoire sur le nombre d’inscriptions, tout en montrant qu’un changement d’attitude contribuait à cette heureuse situation :

Cependant, la raison principale de l’augmentation du nombre d’inscriptions aux écoles indiennes est attribuable au fait que nos pupilles sont maintenant convaincues que leurs enfants doivent être mieux préparés pour l’avenir. De moins en moins d’autochtones vivent de chasse et ils se tournent vers l’éducation pour se préparer à affronter la civilisation dominante.

Canada 1931 : 11

Il est difficile de dire si cette affirmation est vraie. Nous savons toutefois que, dans les années 1930, les trois-quarts des enfants indiens allant à l’école fréquentaient les trois premières années du primaire et que seulement trois pour cent d’entre eux dépassaient la 6e année (Milloy 1999 : 171). De toute évidence, les enfants indiens n’ont jamais eu accès au genre d’éducation qui leur aurait permis d’être les égaux des enfants non autochtones. Il n’y a aucun doute que Scott en était conscient mais, fidèle à lui-même, sa solution consistait à exercer encore plus d’autorité plutôt que de corriger un système déficient.

En avril 1930, la section 10 de l’Acte sur les Indiens fut amendée pour que le Ministère détienne encore plus d’autorité sur la fréquentation obligatoire de l’école. Voici comment Scott décrivait la situation :

Il est maintenant possible d’obliger n’importe quel enfant indien de 7 à 16 ans qui en est physiquement capable, d’aller à l’école et, dans des cas bien particuliers, le surintendant général peut obliger un enfant à y demeurer jusqu’à l’âge de 18 ans. La pratique usuelle dans les pensionnats est d’encourager les enfants à y rester jusqu’à ce qu’ils atteignent 17 ou 18 ans.

Canada 1931 : 12

Il s’agissait là de grands pouvoirs, allant bien au-delà de ceux conférés par les lois provinciales sur les écoles. Cela permettait de renforcer un système défaillant, tout en trahissant un manque d’imagination chronique et une vision à court terme, longtemps caractéristiques des politiques fédérales sur les Indiens. Par exemple, on ne songea jamais à établir un réseau complet d’écoles de jour employant des enseignants compétents, et qui y dispenseraient une éducation culturellement adaptée. Pourtant, les parents autochtones s’attendaient à cela.

Discussion

Les bureaucrates et les religieux qui ont créé et fait fonctionner un système complexe d’écoles destinées aux autochtones – qu’il s’agisse d’écoles résidentielles, industrielles ou de jour – étaient incapables de songer à d’autres solutions, alors même que tous leurs efforts ne donnaient que de piètres résultats et provoquaient de la résistance. La présomption de supériorité culturelle et morale caractéristique de la classe politique et de ses alliées – les Églises chrétiennes – se résume dans les faits à un cadre institutionnel qui isolait, dominait et humiliait une classe de gens dont le seul crime consistait à afficher une couleur de peau et une culture différentes. Il est vrai que le ministère des Affaires indiennes n’a jamais clairement articulé une théorie de la supériorité et de l’infériorité pour justifier ses décisions politiques, mais son langage trahissait l’influence du discours pseudo-scientifique émanant du darwinisme social tant de fois invoqué dans la défense de la cause impérialiste et de la dépossession. Les autochtones ne pouvaient survivre, soutenait-on, que s’ils devenaient « imprégnés de l’esprit de l’homme blanc et de ses idées » comme l’exprimait le Commissaire aux Indiens, Hayter Reed (Canada 1889 : 165). L’élaboration d’un système visant l’assimilation des autochtones devenait donc une obligation, voire rien de moins qu’une tâche très lourde dévolue à l’homme blanc.

On considérait l’assimilation comme une entreprise charitable parce qu’elle ne confinait pas pour toujours les Indiens dans une classe inférieure. Si l’Acte des Indiens ne conférait pas aux Indiens avec statut tous les droits de la citoyenneté (par exemple le droit de vote), par contre, une clause d’admission au suffrage permettait d’envisager la fin de la tutelle pour ceux qui faisaient preuve de bonnes intentions et d’une capacité de se conformer à l’image du colonisateur. Il était possible pour les Indiens d’acquérir des droits, mais seulement après avoir payé le prix d’une perte d’identité. Si leur assimilation constituait le but avoué de l’exercice, les instruments utilisés pour atteindre cet objectif étaient ségrégationnistes, dans le pire sens du mot. Soumis à une législation spéciale, les « Indiens » n’avaient accès qu’à un seul ministère et fréquentaient des écoles qui n’admettaient que très rarement des élèves non autochtones. Des frontières physiques et légales séparaient les Indiens de la population dominante. La ségrégation servait à minimiser les conflits entre les autochtones et les nouveaux venus, tout en établissant des zones de protection et d’exclusion au sein desquelles des expériences sur le changement économique et social pouvaient être menées.

Une politique récurrente consistait à élaborer un cadre pour enclaver les communautés autochtones, tout en s’assurant que l’État conserve sa pleine autorité sur elles. Les autochtones devaient donc accepter « la suprématie de l’homme blanc et l’impossibilité absolue de contester son pouvoir », comme le dit sans réserve Edgar Dewdney (LAC 1884). Dans les procédures administratives régissant les écoles et les réserves, aucun autochtone ne pouvait prendre une initiative ni exercer une quelconque autorité. Néanmoins, plusieurs voix autochtones se firent entendre, le plus souvent pour protester contre les pratiques répressives des écoles ou contre l’autorité des agents aux Indiens, mais on les évacua constamment de la scène sous prétexte qu’ils n’étaient que des pleurnichards chroniques.

L’autre aspect du système scolaire fédéral dont il faut parler concerne le rôle très important dévolu aux Églises chrétiennes qui assuraient la gestion des écoles. Les Églises catholiques, anglicanes, méthodistes et presbytériennes (devenues Églises unies après 1925) revendiquaient les communautés autochtones comme étant leur domaine missionnaire. Les écoles prirent donc rapidement une couleur confessionnelle assez différente de celle qu’on connaissait dans les systèmes scolaires provinciaux. Dans les faits, les écoles étaient gérées comme des entreprises missionnaires dont l’évangélisation constituait le but principal. Le ministère des Affaires indiennes accepta que les Églises puissent nommer les directeurs d’écoles et engager les enseignants. Il s’ensuivait logiquement que le plus important critère d’engagement du personnel éducatif fut celui de la confession religieuse. Faire preuve d’un zèle missionnaire était aussi un avantage. La compétence pour enseigner, comme celle qui était exigée pour obtenir un certificat provincial d’enseignement, avait beaucoup moins d’importance. De fait, quelques écoles catholiques préféraient employer des religieuses sans qualification plutôt que des enseignants laïques compétents, au détriment de la qualité de l’enseignement (Titley 2010). Le fait que la religion ait joué un rôle dominant comportait un autre désavantage : lorsque des comportements abusifs d’enseignants étaient rapportés au Ministère, le plus souvent, celui-ci hésitait à agir, par peur de l’influence des Églises et de leur pouvoir politique.

Le jugement sévère d’Harold Cardinal était donc justifié. Durant la période historique discutée ici, les écoles pour les Indiens avaient pour objectif de « produire de bons petits chrétiens, filles ou garçons ». Le système fonctionnait avec un personnel réduit, offrait un programme académique de piètre qualité et les ressources étaient limitées. Les pratiques coercitives, courantes dans plusieurs écoles, s’inspiraient des institutions correctionnelles. On y prônait une discipline sévère, un enrégimentement des enfants, ainsi que du travail forcé. On ne supervisait pas ces écoles, qui n’étaient pas soumises à la même réglementation ni aux mêmes exigences de qualité que les écoles provinciales. Même lorsqu’on identifiait des problèmes lors des très sporadiques inspections, on ne prenait jamais de mesures correctives. Les Églises chrétiennes et le ministère des Affaires indiennes, partenaires dans cette entreprise, ne faisaient preuve d’aucune volonté de changement, ni d’aucune vision, ni d’expertise professionnelle essentielle à l’élaboration et à la gestion d’un système éducatif qui soit adapté aux besoins et aux problèmes pressants des autochtones. Le fragile équilibre entre les intérêts de chacun des partenaires signifiait que toute réforme d’importance demeurait improbable, même si on l’avait voulu. Les écoles ont continué de faire partie d’un cadre institutionnel que John Webster Grant qualifie de « sorte de demi-monde missionnaire qui isole ses habitants autant de la société canadienne que de ses coutumes traditionnelles » (Grant 1984 : 234).