Réflexion sur le droit et les autochtones

Identitarisme, droits ancestraux et néocolonialismeLe système de la Cour suprême[Record]

  • Ghislain Otis

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  • Ghislain Otis
    Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones, Faculté de droit, Université d’Ottawa

Le texte de Jean Leclair vient enrichir la critique de la théorie des droits ancestraux des peuples autochtones développée par la Cour suprême du Canada depuis le milieu des années 1990 à la faveur de son interprétation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il dénonce avec justesse le « piège identitaire » que constitue le critère de la « partie intégrante de la culture distinctive » formulé dans l’affaire Van der Peet pour identifier les pratiques dignes d’être élevées au rang de droit ancestral. Ce critère, tel que le souligne Jean Leclair, occulte la vitalité des sociétés autochtones et ramène leur statut constitutionnel à une approximation autoritaire de ce que le pouvoir non autochtone juge « authentiquement » autochtone. Dès lors que l’enjeu du débat constitutionnel contemporain devient la préservation d’un mode de vie hérité des ancêtres précoloniaux, et que cet héritage est tout ce que les autochtones peuvent attendre de la loi fondamentale, on peut, à l’instar de Jean Leclair, redouter que le discours d’une altérité sacralisée en vienne à imprégner la réthorique autochtoniste au risque de brider la libre expression des identités complexes et mouvantes des individus comme des groupes. C’est ce que Jean Leclair appelle le spectre d’une « essentialisation » du discours identitaire des peuples premiers. Je ne partage toutefois pas ses préoccupations relatives à l’usage de la grammaire des « droits » dans la quête d’un statut rénové pour les autochtones. Il y a peut-être un risque de « jeter le bébé avec l’eau du bain » si on pousse la critique du dogme culturaliste jusqu’à remettre en cause la référence aux « droits » des peuples autochtones. Les autochtones ne se réclament pas d’une conception « fondamentalisée » ou irréductible de leur altérité ; cela leur a été imposé par l’État, dont les juges. Il faut dire sans ambages que l’affirmation d’un « droit » est parfaitement adaptée lorsqu’on l’insère dans l’horizon du « droit à l’autodétermination » qui est la clé du débat. La reconnaissance des autochtones comme communautés politiques au sein du constitutionnalisme canadien que Jean Leclair appelle de ses voeux peut sans difficulté s’insérer dans la matrice du droit à l’autodétermination. Le langage des droits est en fait un moyen puissant et légitime d’exprimer l’obligation de rompre avec l’absolutisme étatiste moderne postulant une souveraineté plénière et exclusive dont la société majoritaire issue du colonialisme sera fatalement la bénéficiaire. Dans la perspective de la décolonisation des peuples, il va de soi que les droits des colonisés et la demande d’un nouveau partage du pouvoir vont de pair. Dès lors qu’il est admis que le droit à l’autodétermination a pour objet le partage émancipateur du pouvoir, on voit bien qu’il s’agit d’une question différente de celle des droits individuels qui concerne la limitation du pouvoir, donc de la « liberté » du citoyen. On ne doit pas laisser dire, et ce n’est probablement pas ce qu’affirme Jean Leclair, qu’il est nécessaire de renoncer aux droits de groupe pour opérer la synthèse avec les droits individuels. La Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l’ONU montre clairement la voie à suivre à cet égard puisqu’elle affirme à son article 3 le droit à l’autodétermination tout en énonçant, aux termes de l’article 34, que les institutions et les normes autochtones doivent respecter les instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Par ailleurs, je doute que la jurisprudence « identitariste » ramène le travail des juges, tel que l’affirme Jean Leclair, au souci à dominante empirique d’exhumer « ce qui était » selon la méthode des sciences sociales plutôt que d’affirmer …

Appendices