Réflexion sur le droit et les autochtones

Réplique de Jean Leclair[Record]

  • Jean Leclair

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  • Jean Leclair
    Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal

Je tiens à remercier chaleureusement Recherches amérindiennes au Québec de m’avoir offert une tribune, ainsi que Ghislain Otis et Avigail Eisenberg pour leurs critiques tout aussi élégantes que rigoureuses. L’obscurité de mon propos est peut-être à l’origine de plusieurs des critiques qui me sont adressées. Si c’est le cas, j’en assume l’entière responsabilité. Ainsi, il ne fait aucun doute à mes yeux que le langage des droits représente un « moyen puissant et légitime » d’obliger l’État à modifier son comportement, ou encore, que le concept d’« identité » – ou encore de « nation » ou de « souveraineté » – est un vecteur de mobilisation politique d’une puissance parfois inouïe. On peut – et on a souvent, et on le fera encore demain – donner sa vie en sacrifice au nom de ces concepts. Cependant, mobiliser l’identité à des fins politiques est une chose, en faire une unité de mesure constitutionnelle de l’existence et de la portée d’un droit en est une autre. Je ne conteste pas non plus que le recours au référent identitaire, sous la plume des juges de la Cour suprême, participe d’une volonté de légitimer le rapport de forces existant actuellement, comme le démontre brillamment Ghislain Otis ; qu’il a été imposé aux autochtones et non réclamé par eux ; qu’il n’est dicté ni par l’histoire – qui nous enseigne bien souvent le contraire de ce qu’affirment les magistrats – ni par notre héritage constitutionnel. En fait, mon propre point de vue est qu’une reconnaissance de cet héritage nous permettrait d’accorder aux peuples autochtones du Canada le statut d’acteurs collectifs constituants. À mes yeux, ce constat s’impose, non pas tant en vertu d’un droit abstrait (le droit à l’autodétermination) ou d’un concept politique dont le temps a passablement bousculé le caractère absolu auquel il a toujours vainement prétendu (la souveraineté, autochtone en l’occurrence) que de la nature des rapports politiques et juridiques que le temps a tissés entre les peuples autochtones et les allochtones canadiens depuis la période du contact (Leclair 2006 ; Leclair 2011b). Il n’entrait pas dans mon intention d’examiner « en détail » la question de savoir si les demandeurs autochtones avaient lieu de se réjouir ou de se désoler des résultats obtenus par le biais de cette instrumentalisation de leur identité. Leur parcours judiciaire, gardons-nous de penser le contraire, n’est pas qu’une longue suite de défaites. En outre, je ne prétends nullement que les « droits » sont à bannir. Je n’entends donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. D’ailleurs, compte tenu de l’enchâssement constitutionnel des « droits » ancestraux et issus de traités – un état de fait et de droit fort probablement irréversible – ainsi que de l’hégémonie du droit dans nos sociétés modernes, loger la différence autochtone dans l’alvéole des « droits » est fort probablement la seule avenue dorénavant possible. Comme je le dis dans mon article, « au-delà de l’interprétation donnée au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, j’entend[ais] m’intéresser […] aux caractéristiques les plus saillantes du problème de la saisie, par le droit, et le droit constitutionnel en particulier, de ce qu’on pourrait appeler, de manière générique, la réalité autochtone ». Autrement dit, ce qui m’intéresse, c’est la manière dont le « langage du droit constitutionnel » structure le débat relatif aux rapports entre autochtones et allochtones, ainsi qu’entre les autochtones eux-mêmes. En ce sens, il est vrai, comme le dit Avigail Eisenberg, que les travers de l’essentialisme, de la domestication et de la manipulation par les élites ne sont pas exclusifs aux revendications identitaires. Ce que je soutiens, en …