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La publication de ce numéro de Recherches amérindiennes met en relief des transformations importantes dans les rapports à trois complexes qui existent entre les Eurocanadiens, les premières nations et le territoire, mais aussi des continuités dans ces rapports qui demeurent préoccupantes. La première moitié des textes regroupés ici est composée de contributions reçues « hors thème ». Comme on peut s’y attendre, ils traitent d’une diversité de questions, reflètent des perspectives disciplinaires distinctes les unes des autres et ont pour objet des périodes historiques variées. Les lecteurs pressés pourront, sans problème, aller directement aux articles qui les interpellent. Mais ceux qui s’attarderont un peu plus au premier volet de ce numéro double verront émerger une image centrale : celle du mouvement, du dynamisme, des choses qui changent au fil de l’histoire.

Les premiers textes de la section, celui de Brad Loewen et celui de Guillaume Teasdale, traitent de transformations survenues dans les modes d’occupation du territoire durant la période d’établissement des Européens. Que ce soit sur l’île de Montréal ou le long de la rivière Détroit, les auteurs nous décrivent des processus d’appropriation du territoire qui marginaliseront les peuples autochtones en moins d’un siècle, et ce malgré un schème d’établissement qui semblait pourtant permettre une certaine cohabitation à l’origine. La dépossession est un fait, mais, comme nous le rappellent ces articles, elle est aussi un processus.

La réappropriation du territoire et des identités qui lui sont intimement liées est, elle aussi, un processus historique. Lorsqu’on examine, comme nous le propose Stéphane Savard, les dernières décennies de développement hydroélectrique dans le Moyen-Nord québécois, il est difficile de ne pas être frappé par les changements survenus dans les rapports politiques entre les peuples autochtones et l’État. D’une nation autochtone à l’autre on jugera, certes, que le chemin parcouru diffère, que les rapports de pouvoir actuels sont plus ou moins appropriés pour réaliser les aspirations collectives. Mais dans tous les cas, des transformations historiques sont perceptibles dans ces rapports institutionnels. Les rapports symboliques changent aussi et, dans bien des cas, jouent le rôle de forces motrices dans l’évolution des rapports politiques. Deux textes du présent numéro nous parlent de telles transformations. L’article coécrit par Thibault Martin et Amélie Girard de même que celui de Joanna Seraphim nous parlent de cette imbrication entre les discours et les droits. Ils nous parlent surtout des points tournants, voire des bouleversements, survenus dans les discours mobilisés par les peuples autochtones pour affirmer leur droit au territoire et le faire comprendre au reste de la société. Ces discours doivent être précisément situés dans le temps. L’attachement au territoire ne change pas, mais la forme de son expression, elle, est intimement liée à un contexte social donné, nécessairement voué à changer. Thibault Martin et Amélie Girard nous montrent bien comment la Commission sur l’avenir des forêts de 2004 a créé un tel lieu d’expression historiquement situé, alors que Joanna Seraphim parle, elle, des répercussions sur l’identité métisse d’un moment historique charnière, l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

Outre les textes précédents, qui nous parlent de processus historiques et actuels qui ont profondément transformé l’expérience des peuples autochtones et leurs rapports avec l’État, les deux derniers articles de cette section se tournent vers les fondements juridiques possibles de ce que Jacques Leroux nomme ici la « reconstruction sociale » et que Ghislain Otis nomme « la mise en place de mécanismes susceptibles de reconfigurer la relation entre les États et les peuples autochtones ». Dans les deux cas, les auteurs réfléchissent sur les transformations à venir et sur les principes éthiques qui devraient les guider. Jacques Leroux ancre ces principes dans l’ordre juridique des sociétés algonquiennes, alors que Ghislain Otis examine plutôt des principes énoncés à l’échelle supra-étatique où oeuvre la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Mais tous deux convergent dans leur appel au changement et sur le type des changements souhaités. Ici aussi, le territoire occupe une place centrale. Ici aussi, l’idée de la fixité des rapports entre les peuples autochtones et l’État est jugée inopérante. Ces rapports changent et doivent changer.

Ce qui nous amène au second volet de ce numéro double : « Kanesatake/Oka, vingt ans après » qui comprend un article d’Isabelle St-Amand présentant la « crise d’Oka » à travers les récits de Myra Cree et d’Yves Boisvert. Éric Chalifoux s’est chargé d’écrire une présentation pour ce dossier, introduisant les textes réunis ici pour marquer les deux décennies qui se sont écoulées depuis l’été chaud de 1990. « 20 ans déjà ! » s’exclame Pierre Lepage, et avec raison. Même si la « crise d’Oka » est un référent de moins en moins familier pour les étudiants qui suivent nos cours de cégep et de baccalauréat, l’onde de choc de cette confrontation se fait encore sentir dans l’ensemble de la société québécoise. Le présent dossier est l’occasion de faire le point, de rafraîchir notre mémoire sur les événements qui se sont déroulés dans la pinède, de revenir sur les causes de cette crise et d’interroger les représentations qui ont été faites de ces événements. Mais avant tout, ce dossier nous permettra de nous poser une question fondamentale : il sera l’occasion de nous demander si les choses ont changé depuis.