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La production anthropologique de Frank G. Speck (1881-1950) a eu un impact considérable sur l’étude des groupes autochtones du nord-est de l’Amérique du Nord. Ses concepts relatifs aux territoires de chasse familiaux demeurent une thématique qui a soulevé des échanges passionnés. Dès 1915, Speck publie un mémoire ainsi qu’un article sur sa représentation des territoires de chasse autochtone. Dans son mémoire, il aborde plus spécifiquement cette question chez les bandes autochtones de la rivière des Outaouais, notamment dans le secteur de Timiskaming. Il consacre également quelques pages aux bandes de la rivière Dumoine et de Kipawa tout en admettant qu’il possède peu d’informations sur celles-ci. Au moment de son enquête de terrain, il signale que la bande de la rivière Dumoine s’est désintégrée et que ses membres se sont vraisemblablement joints aux autochtones de la rivière Coulonge, associés au poste de traite de Fort William sur la rivière des Outaouais. Speck fournit certaines informations sur les familles de la rivière Dumoine et il dresse une carte distribuant celles-ci sur le territoire (Speck 1915 : 9-10) (carte 1).

L’objet de la présente recherche est d’identifier les familles de la bande de la rivière Dumoine signalées par Speck en 1915 et de démontrer la continuité de leur fréquentation sur le territoire outaouais. Les familles autochtones de la rivière Dumoine se sont-elles maintenues dans la région pendant plusieurs décennies ? Se sont-elles intégrées à la bande du bassin du lac Kipawa ou à celle de Fort William sur la rivière des Outaouais lors de la désintégration de la bande vers 1870 ? Dans le cadre de cette démonstration, les données de tradition orale extraites de l’étude de Speck sont confrontées à des sources d’archives démographiques : les registres d’état civil et les recensements nominatifs de la région outaouaise pour la seconde moitié du xixe siècle. Ces sources documentaires paraissent d’une grande utilité pour compléter les éléments de la tradition orale recueillie par Speck.

La notion de bande autochtone

La famille nucléaire ou élargie est à la base de l’organisation sociale des Algonquiens et de la formation des groupes de chasse familiaux. Le groupe de chasse passe une bonne partie de l’année sur ce que la littérature anthropologique appelle le territoire de chasse. La présence de ces territoires de chasse familiaux est attestée chez les Algonquins depuis au moins la deuxième moitié du xviiie siècle (Inksetter 2015 : 107). Dans ses études anthropologiques, Speck cherche à démontrer que les bandes autochtones ont acquis des connaissances bien définies de leur habitat, ce qui leur permet d’en revendiquer l’usufruit. Il est essentiel pour les autochtones d’exercer un contrôle sur l’exploitation des ressources animales s’ils veulent conserver la possibilité physique de survivre sur ce territoire (Deschênes 1981 : 210-211).

Carte 1

Détail de la carte de Frank G. Speck intitulée « Hunting territories of the Timagami, Timiskaming, Kipawa and Dumoine Indian Bands », in Speck 1915

Détail de la carte de Frank G. Speck intitulée « Hunting territories of the Timagami, Timiskaming, Kipawa and Dumoine Indian Bands », in Speck 1915

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La bande locale, qui est généralement associée à un bassin versant de rivière, fréquente un territoire relativement bien défini dans l’espace. Les groupes de chasse familiaux se reconnaissent des privilèges sur des territoires de chasse hérités de façon patrilinéaire. En période estivale, les membres de la bande se réunissent au même endroit pour y commercer. Avec le développement du commerce des fourrures, des bandes locales se réunissent régulièrement aux postes de traite et finissent par y être identifiées. Certains anthropologues, et plus particulièrement Leacock et Rogers, ont qualifié ces regroupements sous le nom de « bandes de poste de traite ». Leurs membres partagent un même dialecte et d’autres traits culturels communs. Au mitan du xixe siècle, le système des bandes de poste de traite est bien établi en Outaouais. Le poste de traite pouvait réunir quelques bandes locales ou régionales (Frenette 1993 : 297).

Selon Speck, les membres de la bande de la rivière Dumoine étaient rattachés au poste de traite de Fort William sur la rivière des Outaouais, tout comme l’étaient les bandes de la rivière Coulonge, de la Noire et de la Petawawa. Le poste de traite de Fort William regroupe alors plusieurs bandes locales au xixe siècle.

Le poste de traite de Fort William (1823-1869) [carte 2]

Lors de sa fusion avec la North West Company (1821), la Hudson’s Bay Company (HBC) devient propriétaire de trois postes de traite sur la rivière des Outaouais, ceux du lac des Deux Montagnes, des Chats et de Fort Coulonge (Anick 1976 : 154). Malgré la fusion des deux compagnies rivales, l’Outaouais devient le royaume des commerçants indépendants qui désirent prendre le contrôle de la rivière par l’implantation de petits postes de traite dans des endroits stratégiques. À la fin de 1823, Aeneas MacDonell, un ancien employé de la HBC, s’installe sur le lac des Allumettes, en amont du poste de traite de Fort Coulonge. La HBC ne tarde pas à intervenir en dépêchant sur les lieux l’un de ses commis, John McLean, qui y construit une hutte devant servir d’avant-poste de traite (Lapointe 1976 : 45). La HBC finit par s’implanter sur le site du lac des Allumettes en y construisant des bâtiments dignes de ce nom. En 1845, le gouverneur George Simpson autorise la construction de la maison du Bourgeois. Le poste du lac des Allumettes devient le lieu de résidence d’Hector McKenzie, principal administrateur de la HBC sur cette partie de l’Outaouais. Les Algonquins et leurs missionnaires fréquentent assidûment le poste de traite, et la HBC y construit une chapelle en 1857 pour favoriser la desserte des missionnaires. Le poste de traite de Fort William est finalement vendu en 1869 à James McCool qui continue d’y exploiter un magasin général et un bureau de poste (Lapointe 1991 : 524-526).

Carte 2

Les bassins versants septentrionaux de la rivière des Outaouais

Les bassins versants septentrionaux de la rivière des Outaouais

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Les visites missionnaires au Fort William (1836-1888)

En 1836, l’Évêque de Montréal, Mgr Lartigue, confie l’évangélisation des Algonquins, dispersés sur les rives de l’Outaouais, à l’abbé Charles de Bellefeuille, sulpicien d’Oka, responsable de la mission du lac des Deux Montagnes (Riopel 1991 : 7). Le journal de voyage de l’abbé de Bellefeuille permet de suivre les péripéties de cette première mission sur l’Outaouais supérieur. Le 3 juillet 1836, les missionnaires atteignent le poste de Fort William, communément connu sous le nom du fort des Petites Allumettes. Lors de leur arrivée, les « Sauvages infidèles » se tiennent groupés près des maisons et des hangars sans oser s’avancer sur le rivage. Une messe est célébrée en leur présence, et deux jeunes guides du lac des Deux Montagnes y chantent des cantiques. Cette célébration eut les effets escomptés, et pas moins de cinquante d’entre eux se présentèrent au missionnaire. M. de Bellefeuille leur adresse un discours sur l’explication du baptême et il finit par leur dire qu’il est prêt à baptiser tous les enfants de moins de sept ans. Vingt et un enfants sont amenés au prédicateur. Dès le lendemain, M. de Bellefeuille quitte le poste de Fort William pour continuer son voyage missionnaire vers le lac Témiscamingue (Bellefeuille 1839 : 33-35).

Encouragés par les succès de cette première mission pastorale, de Bellefeuille quitte Montréal l’année suivante pour se rendre jusqu’au poste d’Abitibi. Le 17 juin 1837, il arrive de bon matin au fort des Allumettes pour y prendre le déjeuner et y fixer le temps de la mission qu’il compte effectuer à son retour. Du 4 au 14 août 1837, de Bellefeuille séjourne au poste des Allumettes. Il précise alors : « il n’y a guère que 15 ou 16 familles de sauvages dependant de ce poste ; mais un bon nombre de familles chrétiennes de la Mission du Lac des Deux montagnes s’y étaient réunis ». Durant cette mission, il y baptisa 36 personnes, dont 19 adultes, huit enfants autochtones et neuf enfants irlandais ou écossais tout en célébrant six mariages de « Sauvages ou de Métis » (Bellefeuille 1840 : 67-69).

Le 29 mai 1838, de Bellefeuille entreprend une troisième mission sur les rives de l’Outaouais. Le 8 juin, il s’arrête quelques heures au fort des Allumettes pour y constater que la HBC a converti un ancien magasin en chapelle – ce qui lui semble suffisant pour recevoir les « Sauvages » de l’endroit. Lors de son retour de mission, il s’y arrête le 24 août pour y demeurer neuf jours, « très occupé avec les sauvages du Lac des Deux Montagnes, ceux des postes fidèles et infidèles, avec les Canadiens, Ecossais et Irlandais des environs ». De Bellefeuille y a réhabilité plusieurs mariages et baptisé trente-huit personnes, dont vingt-neuf adultes et trente-trois « sauvages ou métis » (ibid. : 86-87).

En 1840, le père Hippolyte Moreau prend charge des missions outaouaises en compagnie du père Bourassa. Le 4 juin, le registre missionnaire confirme leur présence au Fort William où ils procèdent à quatre baptêmes d’enfants autochtones ainsi qu’à trois sépultures au cimetière des Allumettes. Du 3 au 7 septembre 1840, ils s’arrêtent de nouveau au poste de traite. Dans son récit de voyage, le père Moreau précise qu’il a rencontré tous les « Sauvages » qui fréquentent ce poste et il les trouve encore très ignorants de la religion. Il signale également y avoir rencontré un Chef qui se plaint du peu de temps accordé à la mission (Moreau 1841 : 35).

Le 27 mai 1841, le père Moreau quitte Montréal en compagnie du père Morin, pour la mission du lac Témiscamingue. En passant au Fort William (6 juin), ils s’y arrêtent pour faire des réparations à leur canot. Ils profitent de ce laps de temps pour instruire quelques autochtones, y baptiser six enfants tout en confessant un jeune sérieusement malade. Arrivés à la Roche Capitaine, ils y trouvent quatre ou cinq familles du lac des Deux Montagnes qui se sont fixées à cet endroit pour y cultiver la terre. Le 21 août 1841, M. Moreau est de retour à Fort William pour se rendre compte que les autochtones qui fréquentent ce poste sont presque tous occupés à faire des canots pour la HBC. Moreau signale ceci : « Les sauvages du fort William sont peut-être encore plus pauvres que partout ailleurs ; les chantiers ont à peu près détruit toutes leurs terres de chasse, en sorte qu’ils n’ont plus de ressource que dans la culture de la terre et dans leur habileté à faire des canots d’écorce ». Le chef autochtone de Fort William se propose d’accompagner le père Moreau jusqu’à la chapelle que les Blancs viennent de construire à l’extrémité est de l’île aux Allumettes (Moreau 1843 : 46 et 53-54).

En 1843, le père Moreau est accompagné dans ses entreprises apostoliques par le père Dominique du Ranquet, un missionnaire jésuite. Esprit curieux, le père du Ranquet consigne minutieusement l’ensemble de son périple dans son journal de mission. Le poste appelé Fort William, ou fort des Allumettes, se fait appeler Kiwekamang par les autochtones de l’endroit. Il précise : « Ces sauvages se divisent en trois camps : celui de la rivière Noire ; celui du sud de la grande rivière ; celui de la rivière au Moine : chaque camp de cinq ou six wigwams. Les deux premiers reconnaissent ou au moins nomment leurs chefs. Ceux de la rivière au Moine disent qu’ils n’en ont pas » (Ouellet 2000 : 126). Il estime qu’un peu plus de cent « sauvages » sont rattachés à ce poste de traite. Au cours de sa mission, le père du Ranquet y rencontre le chef de la bande de la rivière Noire, Jacques Tekonens, un Tête-de-Boule, baptisé le 11 août 1837 à l’âge de 30 ans par le père de Bellefeuille. Tekonens lui signale : « Les Blancs débordent de toutes parts, ils viennent en troupe s’établir au milieu de nos terres, font de grands abatis d’arbres, cultivent des champs, le gibier fuit nos terres, nous souffrons souvent de la faim. » Du Ranquet précise également que « tout le pays est distribué entre toutes les familles ; chacune a sa terre de chasse qui passe comme un héritage aux enfants ; le domaine de chacun sur son lot consiste dans le privilège de chasse du castor et je crois aussi de la loutre et du rat musqué », et finit par conclure que « les sauvages de Fort-William sont les plus pauvres pour la chasse ; ils ont très peu de castors : l’espèce est presque détruite dans ces terres ». En juin 1843, la mission de Fort William s’est tenue au rez-de-chaussée du plus petit des hangars du poste de la HBC (ibid. : 121-138).

Au cours des années 1840, la poursuite des missions algonquines au Témiscamingue se butte à un problème majeur : le manque d’effectifs religieux. En 1841, Mgr Bourget se rend en Europe pour recruter des communautés religieuses pour combler les besoins de son diocèse. Il convainc l’évêque de Marseille d’envoyer au Canada les missionnaires oblats de Marie-Immaculée. En 1844, Mgr Bourget leur attribue une triple mission sur les rives de la rivière des Outaouais : la desserte d’Ottawa, les missions algonquines et les missions liées aux chantiers forestiers. L’évêque de Montréal confie au père Laverlochère la responsabilité des missions situées au nord du diocèse de Montréal (Riopel 1991 : 14-15). En mai 1844, le père Moreau quitte Montréal en compagnie du père Laverlochère pour son premier voyage missionnaire. Le 30 mai, ils atteignent Fort William, sur la rivière des Outaouais, où ils trouvent une quinzaine de familles autochtones catholiques qui les attendent avec impatience. Les exercices religieux durent six jours et la plupart des Indiens embrassent la tempérance. Dès le 6 juin, ils quittent Fort William pour se rendre à Témiscamingue (Carrière 1963 : 21-24).

Dès l’année suivante, le père Laverlochère est nommé chef de mission pour porter la parole apostolique auprès des « Sauvages » de l’Outaouais. Le 6 mai 1845, il quitte Montréal en compagnie du père André-Marie Garin, un jeune religieux. Ils arrivent le 23 mai au poste des Petites Allumettes pour y constater que la mort a exercé de profonds ravages au cours de l’hiver. À peine débarqué, une quinzaine de femmes viennent les rencontrer en leur signalant que leurs maris sont tous décédés. Trente et un hommes, dans la force de l’âge, ont succombé pendant l’hiver. Les missionnaires quittent Fort William quelques jours plus tard et, le 8 juin 1845, ils se trouvent au poste de Mattawa (Laverlochère 1846 : 449-460).

Les Oblats souhaitent établir une mission permanente au Témiscamingue. Dans une lettre datée du 27 décembre 1862, Mgr Guigues accorde l’autorisation d’y fonder une mission permanente, en face du fort Témiscamingue. En mai 1863, les pères oblats Jean-Marie Pian, Louis Lebret et Calixte Mourier montent au lac Témiscamingue pour débuter les travaux de construction de leur résidence (Riopel 1991 : 17). Dès lors, les missionnaires oblats étendent leurs aires de mission et se rendent au poste de traite de Hunter’s Lodge, situé sur le lac Hunter, dans le bassin du lac Kipawa (Lebret 1868 : 113-115). Au cours des années 1870, les Oblats ont deux points de rencontre avec les autochtones du bassin du lac Kipawa : le poste de traite de Hunter’s Lodge et le site de Grassy Lake, qui se trouve à proximité du bassin septentrional du lac Dumoine (Guegen 1879 : 113-114).

En juillet 1864, Mgr Guigues, évêque d’Ottawa, effectue une visite pastorale à la mission de Fort William. Le registre de Fort William signale que l’Évêque a procédé à la confirmation de soixante-neuf autochtones, dont la mère de la femme du Chef. Les patronymes autochtones permettent de déduire que ceux-ci appartiennent à diverses bandes locales, dont celles de la rivière Dumoine et de la Petawawa. Le 30 août 1876, Mgr Duhamel, évêque d’Ottawa, confirme quarante-quatre individus dans l’église de cette mission, vraisemblablement tous des autochtones. À compter de 1879, le père Nédélec inscrit des commentaires sur l’état de sa mission au registre de Fort William.

La mission négligée pendant plusieurs années a été remise de nouveau sur un bon pied. Nous avions à la mission 235 Sauvages, du Moine, Rivière Noire, Petawawe, Fort William et Lac des Rats. On a construit une sacristie avec une chambre pour le missionnaire. Les Sauvages se sont montrés bien généreux suivant leurs moyens. Ils ont bien travaillé pour la décoration de leur chapelle. On a ici de très bons chantres tant parmi les hommes que parmi les femmes. L’état religieux de la mission est très satisfaisant. Beaucoup de bonne volonté pour le bien et beaucoup de zèle pour la religion. Nous comptons 4 morts.

Registre de mission de Fort William, 1879

En août 1881, Nédélec se trouve en mission à Fort William lors du passage de Mgr Duhamel sur la rivière des Outaouais. Il en profite pour effectuer un recensement complet de la population autochtone de cette mission. Quelque deux cent cinquante individus y sont recensés répartis sur cinquante familles. Le journal de voyage de Mgr Duhamel décrit sommairement le lieu de culte de Fort William : « À une petite distance du fort, dans une prairie d’un gazon court et uni s’élève la chapelle propre et blanchie à la chaux […]. C’est sous cet ombrage délicieux que les sauvages ont dressé leurs maisons de toile blanche pour y couler tranquilles les huit jours consacrés à la mission et à la prière. » Le journal de voyage souligne que les autochtones sont venus en grand nombre de presque toutes les rivières des environs et qu’ils sont estimés à près de trois cents. Mgr Duhamel en profite pour administrer le sacrement de la confirmation à trente-cinq d’entre eux (Proulx 1885 : 119-122).

En 1888, les Oblats mettent fin à leur mission de Fort William. Le registre missionnaire s’avère explicite à cet égard :

La mission du Fort William va tous les jours en diminuant. Les Sauvages montent toujours à Mattawa et sur le parcours du chemin du Pacifique où il y a plus de trafic et d’ouvrage. Bien des raisons militent en faveur du changement de place pour la mission. Le Fort William n’est plus un rendez-vous agréable aux enfants des bois où ils se trouvent trop peu à l’aise et trop serrés par les exigences de la civilisation. Environ 25 familles ont fréquenté la mission. Point de boisson cet été. Le contact avec les Blancs en général n’est pas avantageux aux enfants de la forêt. Ils reçoivent trop vite les mauvaises expressions et sont trop peu sensibles aux bonnes. Ils sont trop enfants de la nature, imitant les Blancs plutôt pour le mal que pour le bien. Les Joachims serait plus central pour les sauvages des différentes rivières, la rivière Noire, la rivière du Moine et la Petawawe. L’avenir le dira.

Registre de mission de Fort William, 1888

Dès 1888, la mission de Fort William est déplacée aux Rapides-des-Joachims, ce qui permet au père Nédélec d’assurer cette desserte missionnaire que lui avait confiée Mgr Lorrain en octobre 1885 (Barbezieux 1897 : 426).

La bande de la rivière Dumoine, selon Speck

Au cours de l’été 1913, Frank G. Speck se rend à la tête du lac Témiscamingue pour y rencontrer des membres de cette réserve algonquine. Dans son rapport, Speck consacre seulement deux pages aux territoires de chasse des familles des bandes de la rivière Dumoine et de Kipawa. Il obtient ces informations d’un dénommé Benjamin McKenzie, qui aurait été élevé par Po’nins, un membre de la bande de la rivière Dumoine. Speck signale qu’il n’a aucune raison de douter des informations obtenues. Il convient d’établir les connaissances de Benjamin McKenzie sur la région outaouaise.

Tableau 1

Familles de la bande de la rivière Dumoine, selon Speck (1915)

Familles de la bande de la rivière Dumoine, selon Speck (1915)

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Baptisé le 23 juillet 1848 à Mattawa, Benjamin McKenzie est le fils de Roderick McKenzie, ancien commis de la Hudson Bay Company au poste de Nipissing (Anick 1976 : 188) et d’Anne Wejipekijikokwe. Il se marie le 13 juillet 1868 à Fort William avec Élisabeth Arkinson, fille de Samuel et de Sarah Mary Moore. Au recensement de 1871, Benjamin McKenzie est recensé dans le secteur de la rivière Creuse et il est qualifié de « foreman » dans les chantiers forestiers. En 1881, la famille McKenzie est recensée à deux reprises dans la région, une première fois, par le père Nédélec, parmi les familles autochtones de Fort William comme « shantyman », et la seconde fois parmi les résidents des cantons unis de Sheen, Aberdeen, Esher et Malakoff à titre de « labourer ». En février 1883, le jeune couple fait baptiser un enfant à Ferris Point, à proximité des Rapides-des-Joachims (registre de Mattawa). Cependant, en 1891, la famille McKenzie est désormais recensée dans les cantons unis de Duhamel et de Laverlochère, à proximité du lac Témiscamingue. De toute évidence, Benjamin McKenzie quitte la région de Fort William vers 1885. Il est inhumé le 31 décembre 1926 à Notre-Dame-du-Nord. En définitive, Benjamin McKenzie a vécu près de quarante ans dans la région de Fort William avant de s’intégrer à la réserve anichinabée de Timiskaming.

Benjamin Mckenzie paraît être un informateur bien au fait des mouvements de la population autochtone de Fort William. Il signale à Frank G. Speck que la bande de la rivière Dumoine s’est désintégrée alors qu’il était jeune homme (vers 1870 ?) et que ses membres se sont joints aux Indiens de la rivière Coulonge associés au poste de Fort William. McKenzie lui fournit également des informations sur les limites des territoires de chasse des familles ayant appartenu à la bande de la rivière Dumoine. Speck dresse alors un tableau des familles de la bande en les associant à des territoires bien définis (tab. 1).

Cette nomenclature des familles de la bande de la rivière Dumoine est associée à une carte que Speck joint à son rapport (carte 1). Les données nominatives extraites du rapport de Speck sont extrêmement sommaires. Les registres de l’état civil[1] et les recensements décennaux canadiens[2] (1871-1921) de la région outaouaise permettent d’identifier adéquatement ces familles autochtones.

Lot 13 : Ya’ndakwe (c. 1812 – c. 1892)

Olivier Yandakwe, né vers 1812, baptisé (ci-après b.) le 16 août 1838 à Témiscamingue à l’âge de 26 ans, s’y marie le 27 août 1839 avec Aima Kiniwabikokwe, b. le 1er juillet 1837 à Témiscamingue. Ce couple autochtone s’est donc converti au catholicisme à la suite des premières visites missionnaires au Témiscamingue.

Enfants :

  1. Louisa, b. le 27 juillet 1836 à Témiscamingue et sépulture (ci-après s.) le 16 août 1841 près de la croix de la mission de Témiscamingue.

  2. Bernard, né le 22 et b. le 26 août 1839 à Témiscamingue.

  3. Jean-Baptiste, né vers 1843 (28 ans au recensement [ci-après, rec.] de 1871), mariage vers 1865 avec Marie-Anne-Angélique Waseabanokwe, née vers 1811 (60 ans au rec. 1871). Remariage le 24 juillet 1905 à Grassy Lake avec Cécile Kangite, veuve de Constant Pitremont. Décédé après rec. 1921. Sans descendance.

  4. Philomène, née le 15 septembre 1845 et b. le 31 mai 1846 à Témiscamingue.

Au recensement de 1871, la famille de Jean-Baptiste Menjaki (28 ans) est inscrite dans le secteur du Haut Dumoine alors que son père se trouve recensé sur la liste des Indiens de Kipawa sous le nom de Louis Djawe (60 ans). En 1876, cette famille figure sur une pétition des Indiens de Kipawa sous l’appellation « Baptiste Antigoin », et le recensement de 1881 confirme leur présence dans le secteur de Kipawa. En 1888, lors de la visite pastorale de ses missions sauvages, Mgr Lorrain rencontre à proximité du lac Brennan (Sairs) un vieillard, du nom de Louis Iawé, qui lui signale avoir été baptisé par M. de Bellefeuille (Proulx 1892 : 32). Olivier Yandakwe, connu également sous le nom de Louis Iawé, est décédé peu de temps après le recensement de 1891. En 1911, Jean-Baptiste Antikwe, son fils, est recensé dans le secteur de Grassy Lake (lac aux Foins), un lieu de mission pour les Indiens de Kipawa depuis les années 1870 (Gueguen 1879 : 113-114). Les recensements nominatifs de la région de Pontiac permettent donc de constater que la famille Yandakwe est généralement associée aux Indiens de Kipawa.

Lot 14 : Po’nins (c. 1800-1868)

Paul Wabininguan dit Pankeyassang, un Nipissing de la mission du lac des Deux Montagnes, se marie le 16 février 1835 à Oka avec Catherine Wabimangokwe dit Otawabik, née vers 1801 (rec. 1871), une femme tête-de-boule. Ponens est confirmé le 31 juillet 1864 à Fort William par Mgr Guigues, évêque d’Ottawa. Wapaninguan Ponense est inhumé à Pembroke le 17 mai 1868 à l’âge de 90 ans (?) alors que Catherine Ponens (70 ans), sa veuve, est recensée chez son gendre Michel Simon en 1871 dans le secteur Moyen Dumoine.

Enfants :

  1. Marie, née vers 1832, s. le 7 juillet 1848 à Chapeau à l’âge de 16 ans.

  2. Catherine, née vers 1837 (34 ans au rec. 1871), se marie vers 1854 à Michel Ketchiwikabawitch dit Simon, un Népissing d’Oka. Plusieurs enfants du couple naissent dans la région de Fort William : Basile, né vers 1855 (16 ans au rec. 1871), Jean-Baptiste, b. le 6 juin 1858 à Pembroke, Philomène, b. le 22 janvier 1860 à Pembroke, Isabelle, b. le 7 juin 1862 à Pembroke, Marie, b. le 25 juin 1863 à Pembroke, Jean, né vers 1865 (6 ans au rec. 1871), Antoine, b. le 27 août 1867 à Fort William, Pierre, né vers 1869 (2 ans au rec. 1871), Alexandre, né vers 1871 (10 ans au rec. 1881), Joseph, né vers 1873 (8 ans au rec. 1881) et Catherine, b. le 30 août 1876 à Fort William.

  3. Charlotte, b. le 28 août 1838 au poste des Allumettes, fille de Paul Wabiningwan dit Ponins et de Catherine Tawabik, du lac des Deux Montagnes.

De toute évidence, la famille Ponins fréquente assidûment le secteur de Fort William. Les enfants de Michel Simon et de Catherine Ponens sont baptisés dans la région immédiate, soit à Pembroke ou à Fort William. En août 1876, dans la chapelle de Fort William, Mgr Duhamel procède à la confirmation de Basile et de Jean-Baptiste Simon, fils aînés du couple. Et en août 1881, Jean et Pierre Simon, deux autres enfants sont également confirmés dans ladite chapelle. Michel Simon et Catherine Ponens, son épouse, sont inhumés à Rapides-des-Joachims en juillet 1891. Plusieurs enfants du couple se marient dans la région immédiate : Basile le 11 septembre 1883 à Fort William, Jean le 14 septembre 1886 à Fort William, et Pierre le 22 juin 1896 à Mattawa. De toute évidence, cette famille est associée à la rivière des Outaouais.

Lot 15 : Ci’magan (Simon) – Deux Nipissings du village du lac des Deux Montagnes (Oka) sont identifiés à ce territoire de chasse

Pierre Minens, b. le 28 avril 1820 à Oka, fils de Simon Kakiottawetch, Nipissing et de Marie-Angélique Wabikinikwe, se marie le 15 juillet 1839 à Oka avec Catherine Sakabanokwe, b. le 3 juin 1822 à Oka, fille de François Wabikekek, Nipissing, et de Marie-Anne Pinesiwikijkokwe. En 1871, Pierre Minens et Catherine, son épouse, sont recensés dans le secteur de la Haute-Rivière-Noire avec Ignace Minens, leur fils. Pierre Minens serait déjà décédé lors du recensement de 1881.

Enfants :

  1. Ignace, b. le 20 avril 1843 à Oka, se marie le 24 août 1863 à Fort William sous le nom d’Ignace Jonabe. Il est confirmé le 31 juillet 1864 par Mgr Guigues dans la chapelle de Fort William. Ignace Cawanabe se remarie le 13 juillet 1868 à Maniwaki avec Catherine Beaudoin. Il revient vivre dans le secteur de Fort William, comme l’attestent les recensements de 1871 et de 1881.

  2. Marie-Angélique, b. le 15 mai 1845 à Oka.

  3. Marie-Anne, b. le 6 septembre 1847 à Oka.

  4. François, b. le 4 juin 1849 à Oka.

  5. Joseph, né vers 1852 (19 ans au rec. 1871), confirmé le 31 juillet 1864 par Mgr Guigues à Fort William.

  6. François, b. le 4 juin 1858 à Pembroke.

  7. Angélique, b. le 28 juin 1861 à Pembroke, se marie le 24 août 1881 à Fort William avec Louis Stokois.

Mathias Wassekijik, b. le 25 mai 1828 à Oka, fils de Simon Kakiottaweth, Nipissing, et de Marie-Angélique Wabikinikwe, se marie vers 1855 avec Jeannette (Charlotte) Icpikijikokwe, confirmée par Mgr Guigues le 31 juillet 1864 à Fort William. En 1871, ils sont recensés dans le secteur de la Haute-Rivière-Noire. Et en 1881, on les retrouve au recensement de Fort-William. Ils sont vraisemblablement décédés après le recensement de 1891.

Enfants :

  1. Philomène, née vers 1857, se marie le 15 septembre 1882 à Pembroke avec Louis Lacasse, de la rivière Coulonge. Lors de son mariage, elle est dite fille de « Mathias Minens and Charlotte indian of the Black River ».

  2. Pierre, né vers 1859 (22 ans au rec. 81), se marie le 24 août 1885 à Pembroke avec Catherine Lacasse, de la rivière Noire. Lors de son mariage, il est dit fils de « Simon Mathias et de Charlotte Poulet ».

  3. Marie, née vers 1861 (20 ans au rec. 1881), se marie le 22 août 1881 à Fort William avec James Ward, un immigrant natif d’Angleterre. Lors de son mariage, elle est dite fille de « Mathias Minens et de Jeannette, sauvages de Fort William ».

  4. Paul, b. le 2 mars 1863 à Mattawa, se marie le 23 juillet 1891 à La Passe (Ontario) avec Suzanne Filsdugrand, du lac Saint-Patrice. Paul Mathias, de la rivière Noire est dit fils de « Simon Mathias et de Charlotte Seganack, du lac St. Patrice ».

  5. Anna, b. le 31 août 1867 à Fort William, fille de Mathias Wassekijik et de Jeannette Icpikijikokwe. Parrain Pierre Paiapiwicing et marraine Catherine Sakabanokwe.

  6. Henry, b. le 24 septembre 1879 à Fort William, fils de Mathias Simon et de Jeannette.

Les familles de Pierre Minens et de Mathias Wassekijik sont toutes deux associées au territoire de chasse du lac Saint-Patrice, plan d’eau situé sur le bassin versant de la rivière Noire. Ce territoire de chasse a été transmis aux fils de Mathias Wassekijik, à savoir Pierre et Paul Mathias. Ils sont tous deux identifiés dans les sources d’archives par le prénom de leur père comme cela se fait couramment dans le monde autochtone. En 1921, les familles de Pierre et Paul Mathias sont recensées dans le village des Rapides-des-Joachims dans le canton d’Aberdeen. Ces deux familles sont donc associées à la rivière des Outaouais.

Lot 16 : Nak’we’gijik (devenu Filsdegrand) [c. 1802 – av. 1864]

Joseph Nakwegijik, né vers 1802, b. le 11 août 1837 par le missionnaire Bellefeuille au poste de Fort William. Il s’y marie le 7 septembre 1840 avec Cécile Pittawekijikokwe, née vers 1812, b. le 29 août 1838 au poste des Allumettes à l’âge de 26 ans. Le 31 juillet 1864, Marie veuve Filsdegrand est confirmée dans la chapelle de Fort Willliam. Elle est recensée avec ses enfants dans le secteur de Moyen Dumoine en 1871.

Enfants :

  1. François, b. le 17 juillet 1836 à Témiscamingue à l’âge de 6 ans et demi.

  2. Antoine, b. le 17 juillet 1836 à Témiscamingue à l’âge de 5 ans et demi. Antoine Filsdegrand se marie vers 1858 avec Marie. Les enfants du couple sont Joseph (c. 1859), Marie-Anne (c. 1860), Anna (c. 1867), Angélique, b. le 25 février 1870 à la rivière Dumoine, Cécile (c. 1871), Louis (c. 1873), Véronique, b. le 9 septembre 1875 à Fort William, Antoine (c. 1879) et Suzanne (c. 1880). Deux de ses enfants sont confirmés à Fort William en 1881 : Marie et Cécile. Devenu veuf en 1881, Antoine Filsdegrand est toujours vivant au recensement de 1891 alors qu’il se trouve dans le secteur des Rapides-des-Joachims avec sa mère et deux jeunes enfants.

  3. Jean-Baptiste, b. le 17 juillet 1836 à Témiscamingue à l’âge de 3 ans et demi.

  4. Paul, b. le 17 juillet 1836 à Témiscamingue à l’âge de 2 ans et demi.

  5. Marie, b. le 17 juillet 1836 à Témiscamingue à l’âge de 2 ans.

  6. Véronique, b. le 7 août 1837 à Fort William.

  7. Marie-Catherine, b. le 22 juin 1838 à Témiscamingue. Le rédacteur précise qu’ils sont du Fort des Allumettes.

  8. Suzanne, b. le 9 juin 1840 à Mattawa.

  9. François, b. le 4 juin 1843 à Fort William.

  10. Christine, b. le 1er juin 1844 à Fort William.

  11. Joseph, b. le 28 mai 1845 à Fort William. Confirmé le 31 juillet 1864 à Fort William sous le nom de Joseph Filsdegrand.

  12. Marie-Anne, b. le 9 août 1846 à la rivière Creuse.

  13. Marie, b. le 27 janvier 1850 à Chapeau. Confirmée le 31 juillet 1864 à Fort William sous le nom de Marie Filsdegrand.

  14. John, b. le 30 juin 1850 à Chapeau. Confirmé à Fort William le 31 juillet 1864 sous le nom de Samson Filsdegrand. Il se marie le 16 septembre 1873 à Fort William avec Cécile Leclerc. Il est inhumé le 2 juillet 1883 dans le cimetière sauvage de Rapides-des-Joachims.

La famille Nakwegijik rencontre le père Bellefeuille lors de sa première visite missionnaire au Témiscamingue en 1836. Cette famille nomadise la rivière Dumoine comme l’attestent les actes de baptême de ses enfants entre 1837 et 1850. Les arpenteurs provinciaux, J.A. Maçon et J.S. Roney ont requis les membres de la famille Filsdegrand pour explorer les rivières de la région en 1847-1849. Les recensements de 1871, de 1881 et de 1891 confirment leur présence dans le secteur de Fort William. À la fin du xixe siècle, Antoine Filsdegrand, petit-fils de Joseph Nakwegijik, rejoint les membres de la bande de Kipawa. Il se marie le 31 août 1898 à Grassy Lake avec Louisa Capiwitang. Aucune descendance du couple n’est connue.

Lot 17 : Men’wabunwe (c. 1804 – ap. 1847)

Charles Minwabanwe, né vers 1804, b. le 3 septembre 1839 à l’île aux Allumettes, se marie le 7 septembre 1840 à Fort William avec Marie-Anne-Angélique Kwetcikwe.

Enfants :

  1. Jean-Baptiste, b. le 2 septembre 1839 à l’île des Allumettes, fils de Minwabanhowe et de Kwatcikwe, « Infidèles ». Il se marie vers 1860 avec Élisabeth Pimasikokwe. Les enfants connus du couple sont : Marie, b. le 16 septembre 1860 à Chapeau, Jacques, b. le 22 juin 1863 à Pembroke, Charles, b. le 5 septembre 1865 à Fort William, Catherine, b. le 3 juillet 1867 à Témiscamingue, Élisabeth, née vers 1870, Gabriel, b. le 4 juillet 1872 à Témiscamingue, Élisabeth, née vers 1874, Paul, né vers 1876, Philomène, née vers 1879, et Cécile, b. le 31 mai 1882 à Grassy Lake. En 1911, cette famille est recensée à Grassy Lake.

  2. Amable, b. le 4 juin 1843 à Fort William.

  3. Angélique, b. le 15 août 1847 à la rivière Creuse. Elle se marie le 31 août 1863 à Fort William avec Pierre Pitremont, fils de Salomon Minawanikijik et de Monique. Le premier enfant du couple est baptisé le 4 février 1866 à Témiscamingue, alors qu’en septembre 1870 un autre enfant du couple est baptisé à Hunter’s Lodge. En 1871, cette famille est recensée dans le haut de la rivière Dumoine avec celle de son beau-frère, Jean-Baptiste Menwabane. Au recensement de 1891, Pierre Pitremont aurait succédé à Amable Mikinakonce à titre de chef de la bande de Kipawa.

En 1839, les missionnaires rencontrent la famille Minwabanwe dans le secteur de Fort William. De 1839 à 1865, des mentions sporadiques du couple dans les actes de l’état civil permettent de croire qu’ils séjournent toujours à Fort William au cours de cette période. À compter de 1867, les enfants Minwabanwe sont baptisés dans le secteur de Témiscamingue. Et en 1876, Jean-Baptiste Minwabanwe figure sur la liste des Indiens de Kipawa sous la mention de « Baptist Menanbine ». De toute évidence, la famille Minwabanwe se serait intégrée à la bande des Algonquins de Kipawa vers 1867. Plusieurs membres de cette famille se sont d’ailleurs mariés à Grassy Lake à la fin du xixe siècle.

Les sources d’archives, registres d’actes d’état civil et recensements nominatifs ont permis d’identifier adéquatement les familles de la bande de la rivière Dumoine décrites par Speck en 1915. Sur ces cinq familles, deux familles nipissingues d’Oka sont bien connues des missionnaires du lac des Deux Montagnes (lots 14 et 15). Quant aux trois autres familles (lots 13, 16 et 17), elles reçoivent la visite des missionnaires pour la première fois au cours des années 1830. Deux de ces familles ne semblent pas avoir laissé de descendants, les Yandakwe (lot 13) et les Filsdegrand (lot 16).

Recensement nominatif de 1871

Au xixe siècle, les recensements nominatifs canadiens demeurent des instruments particulièrement utiles pour reconstituer les familles autochtones dans une région donnée. Les familles de la rivière Dumoine décrites par Speck en 1915 ont toutes été identifiées dans les recensements de la région outaouaise. Nous avons alors constaté que d’autres familles autochtones sont également présentes sur le territoire et qu’elles ont été ignorées par Speck dans sa nomenclature des familles de la bande de la rivière Dumoine. Que nous révèle donc le recensement canadien de 1871 pour la région de l’Outaouais supérieur ?

En mai 1870, le Parlement fédéral ratifie un projet de loi intitulé « Acte concernant le premier recensement » (33 Vict., cap. 21). La région de l’Outaouais supérieur est divisée en deux districts : Pontiac Nord et Pontiac Sud. Plusieurs sous-secteurs de Pontiac Nord sont identifiés par des rivières et non par des entités administratives. Pontiac Nord comprend alors quinze sous-secteurs de recensement. Dans le cas de la rivière Dumoine, cette rivière est divisée en trois sous-zones : la Basse, la Moyenne et la Haute rivière Dumoine. La consultation des feuillets de recensements nominatifs permet d’identifier les familles recensées par l’agent-recenseur.

Plusieurs secteurs de recensement sont confiés à un missionnaire de la région, Joseph Poitras. Envoyé en mission au Témiscamingue en 1868, Poitras se voit alors attribuer les responsabilités inhérentes aux missions de chantiers (Carrière 1979 : 91). Le registre missionnaire de Fort William signale sa présence dans la région en 1869 et en 1871. De toute évidence, Poitras paraît être un témoin privilégié de la présence autochtone dans le secteur de Fort William. Plusieurs familles autochtones sont recensées par Poitras dans les secteurs Haute Dumoine, Moyenne Dumoine, Haute rivière Noire et Moyenne rivière Noire.

Haute Dumoine : Jean-Baptiste Menjaki, Jean-Baptiste Minwabane, Pien Pitremont et Constant (total 23 individus) [voir lots 13 et 17 de Speck].

Frank G. Speck identifie deux familles dans cette région alors que Poitras y signale la présence de quatre familles autochtones. Les familles identifiées par Speck sont Ya’ndakwe (lot 13) et Menwabunwe (lot 17). En 1871, Poitras identifie également la famille Ya’ndakwe sous la graphie « Menjaki » alors qu’il inscrit la famille Menwabunwe sous « Minwabane ». De plus, Poitras ajoute deux autres familles dans le haut de la rivière Dumoine, celles de Pierre Pitremont et de Constant (Pitremont). Pierre Pitremont est le beau-frère de Jean-Baptiste Minwabane alors que Constant serait le frère aîné de Pierre Pitremont. L’agent-recenseur fournit également des données sur le nombre de fourrures récoltées par ces chasseurs (tableau 5 du recensement de 1871). En excluant Constant Pitremont, dont les données sont absentes du tableau, les trois autres chasseurs ont récolté 78 castors, 62 rats musqués, 28 visons et 19 martres au cours de la dernière année.

Ces quatre familles figurent sur une pétition dressée en 1876 par les Indiens de Kipawa. De toute évidence, les familles de la Haute Dumoine sont davantage associées à la bande de Kipawa qu’à celle de Fort William.

Moyenne Dumoine : Antoine Fidegrand, Michel Simon, Cécile Fidegrand et Paul Chevalier (total 26 individus) [voir lots 14 et 16 de Speck].

Speck identifie deux familles dans cette région, soit la famille Po’nins (lot 14) et la famille Nak’we’gijik (lot 16). En 1871, Poitras recense quatre familles dans le secteur de la Moyenne Dumoine. La famille Nakwe’gijik, dont le patronyme change en Fidegrand (Filsdegrand), apparaît sur deux ménages, la veuve Fidegrand et son fils Antoine, alors que la famille Po’nins est désormais représentée par Michel Simon qui épousa la fille de Po’nins. De plus, l’Agent recenseur ajoute une autre famille autochtone dans ce secteur de la rivière Dumoine, soit celle de Paul Chevalier.

Paul Chevalier, baptisé le 31 mai 1826 à Oka, fils de Paul Kwiwisens dit Chevalier et de Marie-Josephte Kijika, Outaouais de cette mission, se marie le 14 septembre 1864 à Renfrew avec une jeune métisse, Suzanne Hudson, baptisée à Rocheleau le 30 mai 1839, fille de William Hudson et de Marie Kapeiaaljiwanokwe. Au recensement de 1871, Paul Chevalier déclare une récolte de 18 castors et 50 rats musqués. En 1881, Paul Chevalier est recensé à deux reprises dans la région. Il apparaît d’abord sur la liste des Indiens de Fort William dressée par le père Nédélec, ainsi que sur celle de l’agent recenseur des cantons unis de Sheen, Aberdeen, Esher et Malakoff, sous le patronyme Shevrier. La famille Chevalier, dont le patronyme se transforme en Chevrier, est toujours établie dans le secteur des Rapides-des-Joachims à la fin du xixe siècle. En juillet 1895, Angus Chevrier, fils de Paul Chevrier et de Suzanne Hudson, se marie dans la chapelle de Rockliffe (registre de Mattawa). En cette occasion, il déclare résider en la mission de Saint-Joachim-des-Joachims. En 1911, Paul Chevrier est toujours recensé dans le canton de Sheen. De toute évidence, cette famille autochtone est associée à la rivière des Outaouais.

Haute rivière Noire : Pierre Minens, Nias Minens, Mathias et Edouard (total 17 individus) [voir lot 15 de Speck].

La carte dressée par Frank G. Speck des familles de la rivière Dumoine permet de constater que les territoires de la bande débordent sensiblement sur le bassin versant de la rivière Noire. Le territoire no 15 de Speck devrait être associé à la partie supérieure du bassin versant de la rivière Noire, secteur du lac Saint-Patrice. En 1871, Poitras identifie quatre familles autochtones sur la Haute rivière Noire. Pierre Minens et Mathias sont deux Népissingues du village du lac des Deux Montagnes, fils de Simon Kakiottawetch. Speck identifie le lot 15 comme celui de Cima’gan, une variante du prénom Simon. Quant à Nias Minens, il s’agit du fils aîné de Pierre Minens. Au recensement de 1871, Poitras ajoute donc une autre famille autochtone dans le secteur de la Haute rivière Noire, soit celle d’un dénommé Édouard. Il pourrait s’agir d’Édouard Chenaye, baptisé le 3 juillet 1836 à Fort William, dont le mariage avec Marie Cipaiabanokwe fut célébré au même endroit le 24 août 1863. Au recensement de 1881, cette famille est inscrite au recensement des Indiens de Fort William sous le nom d’Édouard Toulé et elle doit donc être associée au bassin de la rivière Noire.

Moyenne rivière Noire : Marie-Anne Anasamikijigokwe, François Shabwasiketh, Xavier Toulet et Meiawasiketch (total 10 individus).

La carte dressée par Frank Speck fait abstraction des familles de la Moyenne rivière Noire. En 1871, le missionnaire Joseph Poitras identifie quatre familles dans cette section de la rivière Noire. Ces familles chassent probablement à l’est du lac Saint-Patrice, au nord de l’île aux Allumettes. La première famille est composée de quatre personnes avec, comme chef de famille, Marie-Anne Anasamikijigokwe, veuve de Jacques Tegwanens. Cette famille nomadise la région de Fort William depuis plusieurs décennies. En juin 1836, le missionnaire de Bellefeuille baptise plusieurs enfants du couple à la passe des Allumettes tout en signalant qu’ils appartiennent à la nation des Têtes-de-Boule. Leur mariage est célébré à Fort William le 12 août 1837. En 1843, l’abbé du Ranquet rencontre Jacques Tegwanens lors de sa mission pastorale en Outaouais et il le qualifie de chef de la bande de la rivière Noire. De toute évidence, la famille de Jacques Tegwanens est toujours présente dans le secteur de Fort William en 1871. Trois autres familles autochtones sont également recensées dans cette section de la rivière Noire, dont deux jeunes couples. En 1871, ces quatre familles déclarent des prises de 58 castors et de 137 rats musqués.

Les données nominatives du recensement de 1871 permettent de valider les observations rapportées par Frank G. Speck en 1915. De plus, les observations du père Poitras suggèrent l’ajout de quelques familles autochtones dans le bassin de la rivière Dumoine. Dans la Haute Dumoine, Poitras signale deux autres familles, celles de Pierre Pitremont, futur chef de Kipawa, et de Constant Pitremont, son frère aîné. Dans la Moyenne Dumoine, il faudrait ajouter Paul Chevalier dit Chevrier, un Outaouais du lac des Deux Montagnes. Et dans le secteur Haute rivière Noire, la famille d’Édouard Chenaye y est présente. En définitive, le bassin de la rivière Dumoine pourrait avoir été fréquenté par au moins neuf groupes familiaux autochtones alors que Speck n’en identifie que cinq dans sa nomenclature.

D’autres familles autochtones fréquentent sûrement le bassin de la rivière Dumoine. En 1871, l’agent recenseur énumère un certain nombre de familles dans le secteur de Rapides-des-Joachims. Cette section de la rivière des Outaouais se trouve en aval de l’embouchure de la rivière Dumoine. Quatorze familles autochtones sont identifiées dans ce secteur de recensement. Certaines familles vivent d’activités de chasse, de pêche et de piégeage. John Brown, époux de Marie-Anne Simon (mariage le 16 octobre 1870 à Fort William), aurait récolté 50 castors au cours de l’année, Jean-Baptiste Simon, son beau-père, 42 castors, et Ignace Bastien, 35 castors. Les familles autochtones de Rapides-des-Joachims ont récolté au cours de l’année 183 castors, 266 rats musqués, 124 visons, 18 loutres, 30 martres, 5 ours, 91 cervidés et 33 autres fourrures. Ces familles autochtones fréquentent sûrement la partie inférieure du bassin de la rivière Dumoine.

Recensement nominatif de 1881

En 1881, la région de Fort William fait l’objet d’un autre recensement à la suite de l’adoption d’un projet de loi canadien intitulé « Acte concernant les recensements et les statistiques » (42 Vict., chap. 21). Le missionnaire Nédélec dresse alors un recensement de toutes les familles autochtones qui fréquentent la mission de Fort William. Et comme cette mission est fréquentée par des Indiens des deux rives de l’Outaouais, il devient difficile de départager les autochtones du Québec (rivières Dumoine, Noire et Coulonge) de ceux de l’Ontario (Bonnechère et Petawawa). En 1881, le recensement de Fort William comprend 51 familles autochtones pour un total de 263 individus. On y retrouve plusieurs familles de la rivière Dumoine, tels les Filsdegrand, associés au lot 16 de Speck, Michel Simon, associé au lot 14 de Speck, et les familles Minens, associées au lot 15 de Speck. En définitive, les familles de la section méridionale de la rivière Dumoine sont bien recensées à Fort William en 1881.

D’autres familles autochtones du Québec figurent également sur ce recensement, comme celles de Frederic Feris, de Walter Feris, de Marie-Anne Arkinson, de Paul Chevalier, d’Alexandre McConnell, de François Chevrier, de Joseph Lavigne, de Marie-Anne Patois (Patwe), de Jean Patois, de David Populus, de Baptiste Larche, de Benjamin Leclerc, de Joseph Leclerc, de Jacques Takonens, de Jacques Gouteau, de Benjamin McKenzie, d’Édouard Toulé et d’Adam Loukas (allemand). Sur ces 51 familles autochtones, 24 familles se trouveraient dans la section québécoise de la rivière des Outaouais.

Comme le poste de Fort William est situé dans le canton de Sheen, un autre agent recenseur, Laurence Slattery, a eu la responsabilité d’effectuer le recensement de la population canadienne des cantons unis de Sheen, Esher, Malakoff et Aberdeen. Ces quatre cantons couvrent un territoire qui s’étend de l’extrémité ouest de l’île aux Allumettes jusqu’à l’embouchure de la rivière Dumoine, ce qui comprend le site de Rapides-des-Joachims. L’agent-recenseur énumère plusieurs familles autochtones sur cette section de la rivière des Outaouais, dont celles de Walter Feris, Alick McConnell, Paul Shevrier, Sarrah Arkison, Bengiman McKinsey, Fredrick Feris, Joseph Stevin, Francies Chavallie, Bengiman Lacklair, Joseph Lacklair, John Toginefs et David Pepelous. De ces treize familles, neuf figurent sur le recensement des Indiens de Fort William dressé par Nédélec. Ce recensement s’adresse sûrement à des familles sédentaires établies dans le secteur de Rapides-des-Joachims. Plusieurs chefs de ménage, du moins sept d’entre eux, déclarent à l’agent-recenseur la profession de « hunter ».

Conclusion

Les sources d’archives ont permis d’identifier les familles de la bande de la rivière Dumoine telles que décrites par Frank G. Speck en 1915. Cependant, le recensement de 1871 permet de présumer que l’informateur de Speck aurait omis de signaler certaines familles autochtones dans le bassin de la rivière Dumoine, notamment celles de Pierre et Constant Pétrimont sur la Haute Dumoine, de Paul Chevalier (Chevrier) sur la Moyenne Dumoine ainsi que de Édouard Chenaye sur la Haute rivière Noire. Ce recensement précise également que plusieurs familles autochtones résident dans le secteur de Rapides-des-Joachims et que certaines d’entre elles vivent toujours des produits de chasse, de pêche et de piégeage. Les terres de chasse situées dans le bassin de la rivière Dumoine seraient donc fréquentées par plus de cinq groupes familiaux, vraisemblablement par une dizaine de familles autochtones. De plus, notre étude permet de constater que les familles qui occupent la partie septentrionale du bassin de la rivière Dumoine (Speck, lots 13 et 17) se joignent à la bande de Grassy Lake (devenue Wolf Lake vers 1920) alors que les familles de la partie méridionale (Speck, lots 14, 15 et 16) se rattachent à la rivière des Outaouais. En définitive, la bande de la rivière Dumoine se serait désintégrée au cours des années 1870, vraisemblablement à la suite de l’implantation d’un site de mission autochtone dans le secteur de Grassy Lake.