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Dans l’Arctique de l’Est canadien, le paysage religieux demeure pour le moins complexe. Pour filer une métaphore géologique, plusieurs strates inégales selon les régions se laissent appréhender. Loin d’avoir livré toute sa richesse, l’univers chamanique fait office de soubassement. Plusieurs chercheurs ont mis en relief sa prégnance, bien au-delà de la christianisation et des transformations sociales du dernier siècle (Remie 1983 ; Saladin d’Anglure 2006 ; Oosten, Laugrand et Remie 2006). La seconde strate résulte de l’héritage chrétien que revendiquent les Inuits d’aujourd’hui. Assez composite lorsqu’on place côte à côte les influences wesleyennes, moraves, anglicanes et catholiques, cet ensemble demeure le plus visible (Laugrand 2002 ; Oosten et Laugrand 1999). Depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, deux autres strates ont cependant fait leur apparition, d’abord avec la poussée des églises évangélistes et pentecôtistes (Dorais 1997, 2001 ; Stuckenberger 2005, 2007 ; Laugrand et Oosten 2007), ensuite avec l’émergence d’une génération plus critique vis-à-vis du christianisme et encline, en réaction à l’occidentalisation qu’elle a subie dans les écoles, à revaloriser les traditions de jadis en brandissant la notion de spiritualité inuite.

De nos jours, toutes les communautés du Nord canadien laissent donc apparaître ces différents ensembles qui s’enchevêtrent et se heurtent maintenant à une nouvelle strate, cette fois plus séculière. Ce paysage s’avère d’autant plus déroutant pour l’analyste que ces univers sont perméables, les acteurs passant facilement de l’un à l’autre selon les contextes.

Cela dit, les valeurs chrétiennes restent hégémoniques, et les traditions chamaniques officiellement proclamées, choses du passé. Au mieux, le chamanisme se voit relégué comme un élément parmi d’autres de l’Inuit qaujimajatuqangit, les savoirs inuits traditionnels. Introduite par les gouvernants du Nunavut et calquée sur le concept moderne de Traditional Knowledge (TK), cette notion désigne « les savoirs inuit du passé encore signifiants/pertinents aujourd’hui[1] ».

Dans cet article, nous nous proposons d’examiner l’actualisation des traditions en prenant comme cas empiriques des pratiques qui se sont développées au cours des dernières décennies en empruntant des éléments à toutes les strates évoquées précédemment. Sur le plan symbolique, en effet, les cercles de guérison mêlent tout à la fois une dose de modernité, une dose d’anglicanisme et d’évangélisme et, on le verra dans ce qui suit, une dose de chamanisme. La plupart des cercles s’en défendent, mais certains éléments redondants permettent de formuler cette hypothèse.

A contrario, les pratiques néo-chamaniques se nourrissent surtout de la strate séculière, d’un peu de chamanisme mais beaucoup des idées du Nouvel Âge. Selon nos observations, elles s’adressent enfin en priorité à des non-Inuits.

Toutes ces pratiques importées ne remportent en effet pas le même succès auprès des Inuits, mais il semble manifeste que plus ces nouveaux rituels s’articulent à des éléments du chamanisme inuit, plus ils gagnent en terme de réceptivité, à condition toutefois d’éviter l’amalgame. Dans un contexte marqué par une poussée de l’urbanisation, la multiplication des problèmes sociaux et l’affirmation d’une autonomie politique, nous avançons l’hypothèse que les cercles de guérison sont en partie attractifs parce qu’ils actualisent des segments des traditions chamaniques. À l’autre extrémité du spectre, les pratiques néo-chamaniques ne parviennent pas à prendre de l’ampleur parce qu’elles se heurtent de plein fouet à des obstacles culturels. Les pratiques d’inspiration chamanique comme celles que développe Charlie, un Inuit du Nunavik, occupent une position intermédiaire en ce sens qu’elles n’entrent ni dans la catégorie « cercle de guérison », ni dans celle du « néo-chamanisme », mais dans des démarches de revalorisation des traditions. En souhaitant dé-diaboliser le chamanisme tout en maintenant l’héritage chrétien, Charlie adopte une attitude analogue à celle des défenseurs de la notion d’Inuit qaujimajatuqangit. Sa démarche individuelle et volontaire ne correspond toutefois pas encore au modèle privilégié de l’initiation chamanique où les non-humains et le groupe jouent un rôle déterminant.

Bien que cette lecture demeure encore caricaturale, parions qu’elle soit signifiante sur le plan symbolique. Nous nous proposons donc d’interroger ici quelques-unes de ces convergences entre les cercles de guérison et le chamanisme. Il nous faut expliquer pour quelles raisons – au-delà des problèmes sociaux et des enjeux politiques que connaissent les communautés nordiques – les cercles de guérison ont remporté et remportent encore un si grand succès parmi les Inuits.

Notre analyse se veut une réflexion préliminaire et encore partielle. Pour reprendre les catégories de la Fondation autochtone de guérison (Rapport final de la FAG 2006 : ii ; 63), nous nous limitons dans cet exercice aux cercles traditionnels qui privilégient l’usage des traditions inuites (y compris le christianisme) et sont de loin les plus nombreux dans l’Arctique de l’Est canadien. Nous laissons de côté les cercles conventionnels qui privilégient la médecine moderne de même que les cercles alternatifs qui font la promotion des médecines alternatives[2]. Notre approche régionale intègre à la fois des données ethnographiques relatives au Nunavik et au Nunavut et des informations glanées sur Internet où le néo-chamanisme trouve son principal lieu d’expression. Les témoignages utilisés proviennent d’entrevues effectuées lors de huit ateliers de tradition orale dans plusieurs communautés du Nunavut entre 2000 et 2007 ainsi que de publications sur les cercles de guérison.

Le développement des cercles de guérison

Depuis la création de la Fondation autochtone de guérison en 1998, les cercles de guérison ont connu un succès fulgurant. Au Nunavut, des associations locales et régionales font une promotion incessante de ces activités. En 1999-2000, par exemple, le Brighter Future Report du Nunavut Department of Health and Social Services (http://healthbehaviorchange.org/Doc/? January05/BFutures.pdf) indique la présence de nombreuses activités de ce type.

À Iqaluit, le Qivitoo and Pudlooping Program Healing Reunion offre des cercles de guérison organisés par des Inuits de Pangnirtung. La communauté anglicane se montre très active dans ce domaine, et plusieurs de ses leaders, comme le révérend Daniel Aupalu, soutiennent ces activités. De 1998 à 1999 de nombreux Inuits de Mittimatalik (Pond Inlet), Kangiqtugaapik (Clyde River), Qikiqtarjuaq, Pangnirtuuq, Ottawa et Iqaluit ont participé à des cercles de guérison pour partager leurs expériences traumatiques à la suite d’une série de relocalisations. À Kimmirut (Cape Dorset), le Grieving and Healing Program of Nunavut Arctic College a organisé des cercles de guérison avec la participation d’Abraham et de sa femme, Meeka Arnakaq. À Sanikiluaq, le Community Healing Circles a offert de telles activités une fois par semaine à toutes les victimes d’abus sexuel. À Coral Harbour, des cercles de guérison ont été organisés par le Nuvvitiit Healing Group qui a invité toutes les personnes souffrantes d’expériences traumatiques à y participer. À Taloyoak, le Healing and Grieving Session Program a mis en place des cercles de guérison qui ont eu lieu à l’intérieur de l’école de la communauté. Et la liste n’est pas exhaustive, les cercles étant très populaires aussi dans d’autres communautés, comme à Holman (Kimiksana 2003).

Dans le NuluaqProject Report (National Inuit Strategy for Abuse Prevention) publié en 2004, l’association féminine Pauktuutit donne une autre longue liste des ressources accessibles aux Inuits qui souhaitent participer à des cercles de guérison :

  • le Healing Project dirigé par le couple Arnakaq ;

  • les cercles de guérison organisés par le travailleur social Alashuak Kenuajuaq basé à Puvirnituq, au Nunavik ;

  • le Healing Program of the Qikiqtani Inuit Association basé à Iqaluit, lequel peut apporter un appui financier aux leaders de cercles de guérison ;

  • le Cape Dorset Healing and Harmony Team qui organise des ateliers et des cercles de guérison sur demande ;

  • le Labrador Inuit Health Commission Program dirigé par Sarah Ponniuk et qui, bien que basé à Nain, organise des cercles de guérison dans de nombreuses communautés.

Des ressources sont même disponibles pour les Inuits qui résident dans les villes du Sud. À Ottawa, Pauktuutit identifie ainsi les groupes suivants :

  • le Inuit Women’s Healing Circle Project du Tungasuvvingat Inuit Association, dirigé par Teresa Hughes ;

  • le Living a Healthier Lifestyle Project dirigé par Kanayuk Salamonie, une femme inuite de Cape Dorset qui organise des cercles de guérison dans le cadre du programme « Tupiq » destiné aux délinquants et aux prisonniers du pénitencier de Fenbrook ;

  • le projet de Angaangaq, un Inuit originaire du Groenland et basé à Iqaluit dont la vie a été dévastée par des abus sexuels, qui a mis sur pied la Society for Northern Renewal.

L’exportation des cercles de guérison en milieu inuit : le rôle des truchements

Les cercles de guérison ont d’abord fait leur émergence dans les régions du sud du Canada, en milieu amérindien, puis au Nunavik, avant de gagner les régions du Nunavut[3]. Au Nunavik, l’apparition des cercles de guérison doit beaucoup au truchement d’Eva Lapage, connue auparavant sous le nom de Qupirrualuk. Le témoignage de cette Inuite, née à Salluit le 7 mars 1951, éclaire le démarrage de ces activités au début des années 1990 :

Cela fait approximativement cinq ou six ans que j’ai fait démarrer la pratique des cercles de guérison. […] Avec mon emploi au centre culturel et dans le cadre de règlements juridiques, je voyageais déjà dans les communautés. J’ai profité de ces déplacements pour voir si des cercles de guérison pourraient éventuellement rendre service à d’autres. C’est dans les communautés situées autour de Kuujjuaq que j’ai commencé les cercles de guérison. (Lapage 1997 : 46)

Eva Lapage reconnaît qu’elle s’est inspirée des pratiques amérindiennes :

Le premier cercle de guérison auquel j’ai participé a eu lieu à Thunder Bay, en Ontario. Je suis allée là-bas avec une autre Inuite ; mais elle n’a pas participé à l’activité. Tous les autres participants de ce cercle de guérison étaient des Amérindiens. D’autres ateliers ont ensuite été organisés. Comme je ne connaissais absolument rien aux cercles de guérison, j’ai décidé de participer à l’une des séances qui avaient lieu le soir.

J’ai eu le souffle coupé en voyant les gens pleurer profondément, en les voyant vomir, et j’en passe. Lorsque mon tour est venu, j’ai d’abord indiqué que je n’avais aucune douleur à exprimer, que je n’avais besoin d’aucune guérison. Je ne ressentais pas de pression intérieure à relâcher avec des pleurs. Toute la semaine est passée et je ne participais toujours pas aux cercles de guérison. Je suis ainsi rentrée chez moi sans avoir même participé à ces activités. Mais lorsque je suis arrivée chez moi, et que je me suis mise à réfléchir sur ce qui s’était passé avec ces cercles de guérison, j’ai commencé à me questionner : « Que faisaient ces gens dans ces cercles de guérison ? Quel était vraiment l’objectif de ces rassemblements ? Que pouvait bien signifier tout cela ? » J’ai demandé à des gens autour de moi de m’expliquer un peu plus ce concept de cercle de guérison. Et d’un seul coup, tout est tombé sur moi, toutes les douleurs accumulées au cours de ma vie et qui affectaient mon corps intérieur m’ont soudainement submergée. J’étais toute seule. J’ai commencé à ressentir toute la douleur, la haine qui était en moi et qui m’affectaient maintenant d’un seul coup. Je reconnaissais ces problèmes, mais je n’avais personne à qui me confier. Et je me suis vite sentie bloquée avec un fardeau qui me faisait bouillonner et que je ne savais pas où déposer. (Lapage 1997 : 52)

Pour Eva Lapage, cette première expérience à Thunder Bay a la valeur d’une initiation. Si au départ, le modèle du cercle n’offrait aucun attrait, la situation a vite basculé.

Des entrevues menées à Arviat avec une femme très engagée dans la tenue locale de cercles de guérison révèlent qu’un processus similaire s’est produit dans les régions du Kivalliq. Rhoda Qaretak a expliqué que c’est à Rankin Inlet que des cercles de guérison ont d’abord vu le jour avant d’essaimer aux alentours. La visite d’un Inuit et d’un Amérindien en provenance de Yellowknife et d’Inuvik au début des années 1990 fut, là aussi, décisive. Dans ces deux cas, des truchements ont donc facilité la traduction d’un idiome dans l’autre.

En dépit de leur importation, les cercles de guérison ont été très facilement incorporés dans la culture des Inuits, qui utilisent le néologisme de mamisarnit pour les désigner. Celui-ci renvoie à deux images clés : une blessure profonde, d’une part, et la restauration d’un tout ou une cicatrisation, d’autre part. Comme l’indique M. Therrien (comm. pers., 2007), mami (ou mamit) désigne l’hypoderme visible lorsqu’on a retiré la couche supérieure, ce qui signifie que les blessures psychologiques auxquelles on a affaire sont profondes et non de surface. Mais la notion de mamisimajuq renvoie aussi à une cicatrisation réussie puisque ce terme peut être traduit par « parfaitement recousu » pour parler de la peau d’un vêtement, par exemple[4].

Ajoutons que la communication radiophonique a joué un rôle décisif dans la diffusion de ces activités d’une communauté à l’autre. Eva Lapage le reconnaît :

Comme toutes les communautés possèdent des stations de radio, je faisais des annonces à la radio, j’expliquais ce qu’est vraiment une séance de guérison et j’envoyais des notes signalant qu’une séance aurait lieu à telle date et à tel endroit. Aujourd’hui, les gens qui sont engagés dans les cercles de guérison sont au courant et font les annonces eux-mêmes, je n’ai donc plus besoin de faire de publicité pour les informer. La Canadian Broadcasting Corporation a été plus que d’une grande aide en montrant à la télévision le déroulement d’un cercle de guérison. Depuis cette émission, j’ai accepté une invitation pour me rendre au Labrador afin d’aider les gens là-bas à démarrer des cercles de guérison. Ici, au Nunavik, j’ai visité toutes les communautés pour y tenir des cercles. (Lapage 1997 : 48)

Ce témoignage montre qu’un travail d’explicitation a été nécessaire pour diffuser ces activités et qu’il fallait éviter toute ambiguïté.

Des pratiques qui évoquent le chamanisme mais s’en distinguent par leur ancrage chrétien

L’ouverture des traditions inuites envers d’autres cultures et l’incorporation d’éléments exogènes apparaissent dans maints domaines : la musique, la danse et la technologie, etc. L’écriture syllabique introduite par les missionnaires offre une autre illustration de cette capacité d’absorption des sociétés inuites. Les traditions chamaniques n’échappent pas à la règle. Dans la longue liste d’esprits auxiliaires chamaniques recueillie par le missionnaire E.J. Peck à la fin du xixe siècle, de nombreux tuurngait sont des Occidentaux ou des objets importés par les baleiniers (Laugrand, Oosten et Trudel 2006 : 419-468).

Dans le cas des cercles de guérison, les catégories autochtones ont également opéré de manière sélective. Eva Lapage n’a pas reproduit tout ce qu’elle a observé au cours des séances amérindiennes. Elle n’a pas retenu la séquence du vomissement, une influence vraisemblable du chamanisme latino-américain où ce geste clôt l’ingestion de plantes hallucinogènes (B. Saladin d’Anglure, comm. pers., 2007). Eva Lapage a enfin pris soin de s’informer auprès des aînés avant de se lancer. Inversement, l’idée d’extraire de soi l’élément perturbateur a retenu toute son attention. Cette image s’accorde avec les conceptions inuites de la maladie (cf. Therrien et Qumaq 1995) ainsi qu’avec les logiques chamaniques enchâssées par un siècle de christianisation. Originaire du Keewatin, le révérend Armand Tagoona rappelle que la pratique de l’aniartuq, qui visait à confesser ses fautes juste avant de mourir, marquait une étape cruciale de la vie : « Jadis, presque tous les Inuits confessaient tout ce qu’ils avaient sur le coeur et qui les rendait malades juste avant de mourir. Certains continuent à le faire[5]. »

D’autres détails rapportés par Eva Lapage évoquent encore les traditions chamaniques, en particulier le don d’objets au chamane. Lorsque l’organisatrice indique qu’elle a « été honorée par de nombreux cadeaux de la part des gens qui ont voulu témoigner du réconfort que leur ont procuré les cercles de guérison » (Lapage 1997 : 55), comment ne pas penser à cette pratique ancienne du tunijjuti, du don, abondamment décrite dans l’ethnographie (voir Saladin d’Anglure et Hansen 1997 : 64-65 ; Laugrand, Oosten et Trudel 2006) ? Une guérisseuse d’Arctic Bay, Tipuula Atagutsiaq, établit cette association :

Il existait de bons angakkuit (chamanes). Aujourd’hui, on pourrait dire : « Je souhaite que telle personne prie pour moi. Il me semble que si elle le faisait, les choses pourraient s’améliorer. » Il arrive qu’une personne prie pour vous, et que vous vous sentiez mieux parce que c’est elle, mais si c’était quelqu’un d’autre, l’effet serait contraire. Même aujourd’hui, il peut arriver qu’il y ait de bons angakkuit. Pour recevoir de l’aide, il fallait offrir un cadeau. (Therrien et Laugrand 2001, chapitre 2)

Eva Lapage fait enfin remarquer combien ses premières expériences ont d’abord suscité des résistances parmi la population, un obstacle qu’elle parvint à surmonter en soulignant que l’agent à l’oeuvre n’était pas le guérisseur, mais un pouvoir plus puissant, comme s’il fallait éviter toute allusion directe au chamanisme ou au néo-chamanisme, la personne concernée n’étant qu’une médiatrice. Cette modestie évoque celle des chamanes, souvent décrits par les aînés d’aujourd’hui comme des gens ordinaires. Eva Lapage explique cette première phase délicate dans la diffusion des cercles :

D’autres ont pensé que j’étais une guérisseuse quand on a commencé à appeler ces rassemblements des cercles de guérison. En tant que chrétiens, nous savons qu’il existe une puissance supérieure qui nous aide à guérir, ce n’est pas nous qui nous guérissons nous-mêmes. Du fait que les cercles de guérison ont d’abord été mal compris, cela nous a fortement compliqué la tâche pour dire aux gens en quoi ils consistaient vraiment. À certains moments, je me sentais abattue par des mots peu coopératifs. On a donc organisé des rencontres pour informer les gens sur nos activités et sur ma personne. En somme, j’étais si exaspérée qu’à un moment j’ai tout laissé tomber. Dès que j’ai voulu abandonner ce projet, j’ai cependant reçu un appel ; on me demandait d’organiser un cercle de guérison. C’est cela qui m’a fait tenir et continuer ces cercles jusqu’à nos jours. Je suis heureuse de constater qu’aujourd’hui, les cercles de guérison continuent à se tenir. (Lapage 1997 : 46)

La résistance initiale perçue par Eva Lapage tient à la christianisation des Inuits peu enclins à s’aventurer en dehors du christianisme ou dans une ferveur religieuse excessive. Eva Lapage n’a pu convaincre qu’après avoir affiché son entière adhésion au christianisme. Il serait intéressant d’en savoir plus sur sa trajectoire, car cette femme est devenue aujourd’hui le leader d’un mouvement évangélique très populaire. Certains cercles de guérison, comme le Makitautik Community Residential Centre à Kangirsuk fondent d’ailleurs directement la guérison spirituelle sur la Bible (FAG 2006 : 67, 95).

De manière plus générale, les pratiques de guérison ont contribué à faire émerger de nouvelles figures dans les communautés, celles des guérisseurs. Certains Inuits acceptent le titre de « guérisseurs traditionnels », mais la plupart préfèrent le qualificatif de helpers ou de facilitators. Pitsula Akavak qui travaille au Tukisiniarvik Centre, à Iqaluit, explique :

Je ne sais pas vraiment si je suis ou non un guérisseur. Je n’aime pas ce mot [healer en anglais]. [...] Nous ne pouvons pas guérir une personne, seule cette personne peut se guérir. Ce que je peux faire c’est simplement aider ou faciliter la guérison de quelqu’un [...] Si vous qualifiez quelqu’un de guérisseur en inuktitut, cela revient à dire que vous êtes un peu magicien et que cette magie vous permet d’intervenir ou de guérir une personne. On ne peut pas faire cela en tant qu’êtres humains. On ne peut pas guérir une personne de cette manière. (Nuluaq Project 2004 : 25).

Akavaq préfère ainsi le titre de inusirliji, se reconnaissant comme quelqu’un qui crée de l’espace à une personne pour qu’elle guérisse. Sarah Ponniuk, une guérisseuse originaire du Labrador, renchérit sur l’action de Dieu, la personne n’étant qu’une médiation : « Je n’aime pas qu’on me qualifie de guérisseur parce que seul Dieu est un guérisseur. Je ne suis que l’instrument de Son travail. » (Nuluaq Project 2004 : 93) Les guérisseurs inuits refusent donc d’être associés directement à des chamanes. Ils préfèrent faire valoir leur affiliation aux églises locales d’obédience catholique ou anglicane.

Mariano Aupilarjuk et Celestin Erkidjuk sont ainsi à la fois activement engagés au sein de l’Église catholique et considérés comme des guérisseurs. Des positions analogues se retrouvent chez les Anglicans. Elisapie Ootoova et Meeka Arnakaq sont de ferventes anglicanes et des leaders de cercles de guérison. Mariano Aupilarjuk a pourtant été très explicite sur son chevauchement de deux univers, laissant planer une ambiguïté :

Aujourd’hui, notre croyance en Dieu n’est plus visible comme autrefois ; on dirait qu’on a plus qu’une apparence de croyance. Lorsqu’on mourra, on comprendra que Dieu était pourtant en nous. Nous croirons toujours en Dieu. [...] Ce que j’essaie de faire, c’est de suivre notre vieille spiritualité et nos croyances religieuses en même temps afin que ces deux systèmes puissent coexister, ce sera mieux pour nous. (Nuluaq Project 2004 : 50, 55)

Alashuak, originaire de Puvirnituq, a adopté une position plus prudente :

Je crois en Dieu. J’ai Dieu et Jésus en moi. Pour moi, cela est ma toute première priorité. Croire, être religieux et guérir sont des dispositions très bénéfiques. D’abord, la croyance religieuse, la spiritualité, puis la guérison. La spiritualité est la plus forte. Dans la Bible, ou selon ce que Dieu nous dit, il faut qu’on puisse se parler les uns les autres [...] Si vous croyez en Dieu, cela fait aussi partie d’une guérison. (Nuluaq Project 2004 : 92)

Les leaders des cercles de guérison placent enfin souvent leurs propres expériences au service de leurs actions. Eva Lapage rapporte :

Prenons mon cas, par exemple. Ayant eu de nombreuses blessures au cours de ma vie, ayant souvent fait le souhait de ne plus souffrir de mes douleurs, celui de ne plus mépriser les autres et de me débarrasser de mes expériences douloureuses que je me suis infligées ou que des proches m’ont infligées, en reconnaissant aussi la douleur d’avoir perdu plusieurs êtres chers à de brefs intervalles, en ayant traversé toutes ces expériences, je suis ainsi passée au travers d’états et de sentiments que beaucoup d’autres que moi doivent maintenant traverser, c’est cela un processus de guérison. (Lapage 1997: 47)

À Arviat, Rhoda Qaretak a procédé de la même façon en expliquant qu’elle a trouvé les ressorts de son action dans sa propre expérience traumatique de l’existence. Ces drames vécus la rendent aujourd’hui apte à aider d’autres personnes atteintes par le mal de vivre.

Je suis née dans un iglou le 15 mai 1933 à Coral Harbour. […] Je suis née prématurément car ma mère est tombée alors qu’elle était enceinte. On a pensé qu’elle perdait son bébé lors de cet accident mais j’ai survécu et lorsque je suis née, je pesais trois pounds. […] En 1953, nous avons été relocalisés à Arviat par le bateau. Plusieurs membres de ma famille sont décédés lors de cette opération. […] En 1953, nous vivions sur l’île de Coats. Comme c’est une île, nous avons longtemps été protégés des maladies, mais lorsqu’on nous a transportés à Arviat, comme beaucoup de monde voyageait entre Churchill et la région d’Arviat et que sévissait alors une épidémie de poliomyélite, de nombreux membres de ma famille sont tombés malades. Quatre personnes de ma famille sont mortes en 1953. […] Moi, j’ai été forcée de me marier avec un homme qu’on a choisi pour moi à l’âge de 13 ou 14 ans. À cette époque, les femmes n’avaient pas grand mot à dire, elles étaient en bonne partie sous le contrôle des hommes. De nos jours, la situation n’est plus la même. Vous pouvez choisir le partenaire de votre choix mais ce n’est pas comme cela que les choses se passaient à l’époque. (Qaretak, 2007[6])

Rhoda Qaretak et Eva Lapage ont donc pris une distance critique face à leur passé et à certains éléments de leurs propres traditions. Ce choix les a convaincues de s’investir entièrement dans l’organisation des cercles de guérison :

Étant parvenue à cette compréhension, je savais dorénavant que d’autres pourraient aussi vivre ce processus de guérison. Cela m’a permis d’aider encore plus les gens qui en avaient besoin. J’ai pour cela même décidé de quitter mon emploi afin de me consacrer entièrement aux gens qui avaient le plus besoin d’aide pour se battre avec leur propre vie. À un certain stade, les gens en viennent à se lasser de voir des travailleurs sociaux et des pasteurs, cela m’est apparu évident par la suite. C’est ce qui a motivé mon choix de me mettre au service de ceux et celles qui en ont le plus besoin. (Lapage 1997 : 47)

Eva Lapage fit enfin du pardon un élément clé de la guérison, une perspective qui la rapproche ici encore des valeurs chrétiennes. En ouvrant les cercles à tout le monde, elle écarte toute idée de regroupements sectaires : « Les cercles de guérison sont ouverts à tout le monde, qu’on soit blanc, inuit, jeune ou vieux, homme ou femme. Je réalise que tout le monde peut porter le même fardeau. » (Lapage 1997: 48)

L’église offre souvent un lieu idéal pour l’organisation de ces activités, mais celles-ci peuvent aussi se tenir ailleurs, en particulier dans la toundra. L’essentiel est d’assurer que toutes les paroles prononcées à ces occasions restent confidentielles. Le rôle de la prière semble crucial :

Nous insistons sur le fait que tout ce qui est dit et entendu dans ces cercles doit demeurer confidentiel. Tout ce qui a été dit doit ainsi rester sur le site du cercle et ne pas en sortir. […]

Pour commencer, nous nous asseyons tous en cercle sur le sol, nous devons nous faire face les uns les autres et avoir de l’eau et des kleenex à portée de main. Les gens doivent se sentir à l’aise pour pouvoir pleurer autant qu’ils le veulent car les douleurs qu’ils portent en eux s’avèrent parfois extrêmement lourdes s’ils les gardent sur le coeur depuis longtemps, faute de pouvoir se confier à quelqu’un. Lors du cercle de guérison, les participants pleurent aussi fort qu’ils le souhaitent ; cette décision leur appartient et nous n’avons pas le droit de leur répondre ni de poser une quelconque question. Les gens laissent seulement s’exprimer leur intérieur. Une fois qu’elles ont fini, les personnes doivent l’indiquer, faire part aux autres verbalement qu’elles ont fini de faire sortir leur douleur. À partir de ce moment-là, je demande très librement : « Qu’est-ce qui vous a blessé au cours de votre vie ? » Quiconque souhaite répondre peut s’exprimer. Ensuite, je repose la même question à plusieurs reprises. […] La prière est un pré-requis au cercle de guérison. Il nous faut tous commencer d’abord par une prière, nous sommes tous des êtres humains. Quant à moi, je prends part au cercle de guérison mais sans pour autant avoir le souhait de guérir des personnes. Je ne suis pas un porte-parole, je ne suis pas prête à en devenir un, je ne suis pas en mesure de guérir quelqu’un, je ne suis qu’une personne très ordinaire. Au cours du processus de guérison, je me déplace parfois dans le cercle et j’encourage alors ceux et celles qui ne parviennent pas à exprimer leurs douleurs, en leur donnant une tape amicale dans le dos. Parfois, ces douleurs sont si lourdes que la personne ne parvient pas à les faire sortir, même si elle souhaite pourtant s’en débarrasser. […] En touchant les personnes de la sorte, ce geste est parfois beaucoup, il signifie « je vous soutiens, vous n’êtes pas seul. » […]

Nous prenons aussi des poses car les fardeaux dont les gens se débarrassent peuvent être lourds à absorber. […] Les prières forment une partie importante du cercle de guérison. C’est pour cette raison que je confie mes voeux à Dieu. Il est manifeste que les mauvais esprits rôdent autour de nous et essaient de faire chuter notre goût de vivre. L’amour qui émane du cercle de guérison est cependant souverain. Les murs clos nous protègent et lorsque nous nous sentons à l’abri, nous parvenons à une meilleure compréhension de l’existence, nous comprenons mieux aussi que d’autres ont des problèmes qui les affectent. Un environnement favorable se voit tout de suite et nous comprenons alors plus vite que nous ne sommes pas seuls à pour faire face aux problèmes. (Lapage 1997 : 50-51)

Les cercles de guérison créent donc un contexte dans lequel les participants peuvent exprimer leurs douleurs et leurs angoisses par des cris et des pleurs. De nombreux aînés voient dans ces comportements une connotation explicite au chamanisme et ils qualifient de qiajuit (“ceux qui pleurent”) les pentecôtistes et tous ceux qui accordent autant de place à l’expression ouverte des émotions. En même temps, les aînés font remarquer que ces nouveaux leaders ne seront jamais aussi puissants que les chamanes d’antan (voir les propos de Pisuk dans Laugrand et Oosten 2007 : 242-243).

Dans le déroulement des cercles, prévaut enfin cette conviction qu’il faut faire sortir le mal du corps, sans quoi la guérison reste impossible. Eva Lapage circule ainsi parmi les participants, leur apporte son soutien et les encourage à faire sortir leurs maux. Toutefois, tandis que, dans le contexte de la guérison chamanique, l’accent de la cure porte sur la confession des transgressions et des fautes commises, dans le contexte des cercles de guérison l’accent porte plutôt sur l’affliction des participants. Lors des cures chamaniques qui avaient lieu dans les camps, tous les adultes participaient et assistaient aux confessions. Rien ne devait être gardé en soi, tout devait être expulsé du corps, rendu visible à tous et partagé. Dans les grandes communautés sédentaires d’aujourd’hui, les cercles de guérison permettent sans aucun doute la création de nouveaux groupes et l’émergence de nouvelles solidarités. Les cercles recréent à une autre échelle des petits groupes où la confiance s’établit et où chaque participant parvient à se sentir à l’aise pour exprimer le mal qui le ronge. Rhoda Qaretak (voir note 6) a insisté sur le fait que l’amour des autres était un élément indispensable et qu’à ce titre, les cercles de guérison ne diffèrent pas tellement des techniques du temps jadis :

Les Inuits pratiquent le counseling depuis longtemps. En cas de besoin, on pouvait par exemple parler à quelqu’un en qui on a confiance ou à un aîné. Je n’ai compris que plus tard que c’était en fait la même chose. Tout le monde peut agir comme un conseiller, pourvu que vous aimiez vraiment les personnes qui vous sollicitent. (voir aussi Lapage 1997 : 53)

La prière et l’amour que génèrent les cercles protègent les participants contre les mauvais esprits qui rôdent à l’extérieur, les âmes des défunts demeurant toujours des entités dangereuses. Lors d’un atelier organisé en 2000 à Iqaluit, les aînés ont insisté auprès des jeunes qui les questionnaient sur la nécessité d’apprendre à se défaire des défunts au risque de se ruiner la santé. Aalasi Joamie explique :

Il ne faut pas se désoler pour quelqu’un qu’on perd pour longtemps. Le défunt a une âme et son âme peut finir par devenir une âme errante de la terre si on se désole trop du décès de la personne. […] Les âmes des défunts commencent à errer dès qu’un être cher ne veut pas laisser partir le défunt. Elles le sollicitent constamment. (Therrien et Laugrand 2001 : chap. 5)

Jaikku Pitseolak a exprimé une opinion semblable, « On dit que si on se désole trop pour les défunts, cela les fait retomber sur la terre. » Et Akisu Joamie d’expliquer :

L’esprit est si puissant qu’il peut complètement posséder le corps.

[…] On ne peut rien y faire, les choses sont ainsi. Lorsqu’on ne laisse pas le défunt s’en aller, on ne fait que se faire souffrir soi-même. Même si on se sent désespéré, on doit écouter les conseils qui nous sont donnés. Nous devons tout faire pour surpasser notre chagrin, autrement, c’est lui qui va nous dominer.

(Therrien et Laugrand 2001 : chap. 5)

L’idée d’une continuité entre les activités chamaniques et les cercles de guérison n’est pas propre aux aînés ou au point de vue anthropologique. Des artistes inuits perçoivent ces liens. Salea Nakashuk de Pangnirtuuq écrit à propos d’une tapisserie :

Le « conteur », réalisé à partir d’un dessin de Joel Maniapik, est l’une de mes tapisseries préférées parce qu’elle me rappelle les cercles de guérison que nous organisons maintenant. Nous n’utilisons pas de tambour, mais nous chantons les paroles anciennes qui ont un effet calmant. Lorsque j’ai tissé cette pièce, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un chamane chassant un démon. (Von Finckenstein 2002 : 179)

Il faut revenir ici sur les liens complexes entre cercles de guérison, pentecôtisme et chamanisme. Chacune de ces pratiques renvoie à des univers différents mais sur les plans du symbolique et des rituels, la situation paraît plus ambiguë. Les cercles de guérison se distinguent du chamanisme par leur incorporation du discours moderne (voir, par exemple, dans le document du Nuluaq Project (2004), cette idée qu’il existerait six principes généraux de guérison tirés tout droit de la notion d’Inuit qaujimajatuqangit). Les logiques à l’oeuvre ne sont cependant pas si éloignées. Si le chamanisme est ainsi officiellement diabolisé par les adeptes des cercles de guérison comme par les pentecôtistes et les groupes évangéliques, ceux-ci utilisent volontiers les cercles de guérison.

La multiplication des cercles de guérison dans un contexte sociopolitique inédit

Le succès des cercles de guérison est inséparable des transformations socio-économiques et politiques qui se sont produites dans les communautés nordiques au cours des cinquante dernières années. En effet, les Inuits sont passés d’un mode vie nomade à un mode de vie sédentaire dans des communautés permanentes et vite perçues comme surpeuplées. Sur le plan politique, la poussée de l’autonomie gouvernementale depuis les années 1990 a permis aux Inuits de disposer de plus de pouvoir en matière de gestion et de sortir d’une ère coloniale marquée par de nombreux abus. Les propos de Meeka Arnakaq et le cas de Monica Ittusarjuat paraissent, à ce titre, très révélateurs.

Meeka Evik Arnakaq a été la cheville ouvrière des cercles de guérison dans la communauté de Pangnirtuuq. Née en 1942 et originaire de ce village, cette travailleuse sociale déjà très engagée dans les activités de l’Église anglicane a été la première à organiser des cercles de guérison dans plusieurs villages de la Terre de Baffin. Arnakaq (1999) explique comment elle et son mari Abraham ont vite vu le potentiel de ce format pour régler le malaise social qui affecte autant les membres de leur communauté. Arnakaq indique que les problèmes en question ne peuvent être traités par les médecins et les psychologues ou les psychiatres. Les douleurs émotionnelles ne sont pas guérissables avec des discussions, poursuit-elle, alors que les cercles de guérison vont droit au coeur (Arnakaq 1999 : 33, 36).

Arnakaq donne une liste détaillée des multiples maux que les cercles permettent de régler. Tous les problèmes sociaux que connaissent les communautés du Nunavut y passent : mauvais traitements des enfants, abus sexuels, viols, meurtres, divorces, alcoolisme, violence conjugale, tentatives de suicide, etc. (Arnakaq 1999 : 33-34). Plus performants que toutes les institutions médicales, les cercles apportent de la sérénité, de la paix intérieure, de la compassion, du pardon, de la patience, de la joie, du discernement, de l’humilité, de la gratitude, de la confiance, etc., en somme, tous les ingrédients nécessaires à la guérison (Arnakaq 1999 : 35).

Arnakaq insiste toutefois sur la nécessité de tenir ces cercles de guérison sur une base régulière :

Une seule session de cercle de guérison ne suffit pas. Cela prend plus d’une année de participation pour être efficace, mais pas tous les jours bien sûr. L’expérience de dévoiler son chagrin le plus profond peut être émotionnellement épuisante et il faut quelques jours pour espacer ces séances, pouvoir récupérer et laisser une chance à la guérison de se produire. Dans la mesure du possible, participer à un cercle de guérison une fois par semaine est sans aucun doute la meilleure méthode. (Arnakaq 1999 : 36)

Ce point de vue évoque celui de plusieurs aînés de la Terre de Baffin à propos du pardon et de la nécessité de se livrer entièrement. Aalasi Joamie explique :

Si vous gardez secrètement des choses qui vous ont blessés au cours de l’enfance et que la personne qui vous a blessé ne vous a jamais demandé pardon, vous risquez d’emporter avec vous ces blessures jusqu’à l’âge adulte. Je crois que cela est vrai pour de nombreux adultes aujourd’hui. De nos jours, lorsque l’on commence à guérir, les sources de la douleur réapparaissent en surface. Ce n’est qu’une fois que l’agresseur vous présente des excuses et que vous pouvez parler avec lui que vous vous sentez libérés. […] Jadis, il n’y avait pas de mot pour cela la guérison. Nous le savions à force de discuter ensemble. Pour qu’une guérison s’opère avec succès, il faut parler de toutes vos blessures et de toutes vos douleurs emmagasinées depuis votre enfance. Lorsqu’on a une blessure en tête, c’est très douloureux. Et vous ne guérissez pas immédiatement après avoir pris la parole. La blessure va guérir au rythme de vos paroles et d’abord s’accompagner de pleurs. C’est comme cela qu’une guérison se fait avec succès. Si une personne adulte ou un adolescent décide de guérir, de longues discussions sont requises. (Therrien et Laugrand 2001, chap. 5)

Jaikku Pitseolak a aussi insisté sur le temps que prend la guérison :

Une fois qu’une personne commence à parler de quelque chose, elle peut tout avouer. Ce n’est qu’après cela qu’elle peut régler un autre problème. On ne peut pas faire face à tous les problèmes en même temps, c’est beaucoup trop. On nous conseille toujours de prendre notre temps et de ne pas vouloir hâter les choses dans ce type de processus. (Therrien et Laugrand 2001, chap. 5)

Selon Arnakaq, les cercles de guérison s’avèrent d’autant plus nécessaires que le contexte socioéconomique et la croissance démographique font apparaître de nouvelles exigences, en matière de leadership :

Notre population augmente et nos communautés se développent ; à ce rythme on aura besoin d’un leadership de plus en plus fort et avisé. Nos leaders auront besoin d’une grande force intérieure. Les cercles de guérison qui sont actuellement organisés sont souhaitables parce qu’ils nous aident à comprendre notre identité, un processus qui à son tour nourrit notre culture et nous renforcent dans tout ce que nous faisons. (Arnakaq 1999 : 36-37)

On le constate, bien qu’importés de l’extérieur du Nunavut, les cercles de guérison ont connu un grand succès. Ils constituent des rituels tout à fait opératoires pour guérir les maux qui affectent les communautés, que ces problèmes aient été vécus sur une base individuelle ou collective, dans le cas des relocalisations. La référence au chamanisme est plutôt absente du discours des leaders de la guérison, mais plus ces activités s’adressent aux communautés externes, plus la référence aux traditions inuites devient explicite et politique. L’exemple suivant qui décrit une séance de guérison et provient d’un document publié par l’association Pauktuutit illustre cette tendance. On y voit apparaître le tambour et la communication des participants avec les esprits des ancêtres[7] :

Des hommes inuits sont assis en cercle et en silence autour d’une qulliq (une lampe à huile sculptée dans la pierre). Ils sont à 2000 milles des rives de l’océan Arctique du Canada où, des siècles durant, des lampes comme celle-ci ont procuré de la lumière, de la chaleur et de la survie aux Inuits qui ont réussi à vivre dans l’un des plus durs environnements de la planète. [...] La lumière de la qulliq apporte une lueur d’espoir [...] Les guérisseurs qui dirigent le cercle sont venus de Pangnirtung jusqu’à cette prison à Muskoka. Ils baignent dans leur culture, sont articulés sur le plan de la langue et apportent le meilleur des valeurs inuites ; [...] Abraham Arnakaq chante doucement une vieille chanson sur la joie de se libérer d’un fardeau de douleurs. Sa femme, Meeka, bat lentement un tambour et, au moment où s’achève le chant, parle d’une voix presque étouffée pour décrire le courage, la force et la ténacité des Inuits, leur combativité et leur capacité d’adaptation, tous ces éléments faisant partie de leur culture tout comme les légendes, la chasse au caribou et les tentes en peaux de phoque. Elle s’exprime par des métaphores [...] et les hommes n’en manquent pas un mot. (Nuluaq Project 2004 : 10)

Dans les traditions inuites, la qulliq et le tambour fonctionnent comme de véritables clés. Bien que ce soient moins des symboles que des objets qui permettent d’enclencher une connexion, les aînés aiment souligner combien la lampe à huile apportait jadis tout ce dont on avait besoin pour une vie agréable sous l’iglou : la chaleur, la lumière et la nourriture.

Ici, les participants s’assoient en cercle, une forme qui, selon le guérisseur Angaangaq, est adéquate en ce sens « qu’elle n’a ni de début ni de fin » et qu’elle facilite la communication entre les participants (Nuluaq Project 2004 : 32).

Séance de danse au tambour dans la communauté de Kangiq&iniq/Rankin Inlet, au Nunavut

(Photo Frédéric Laugrand, 2004)

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En somme, si les cercles de guérison remportent autant de succès dans les communautés, c’est parce qu’ils permettent aux Inuits de maintenir vivantes leurs traditions sans renoncer pour autant à la modernité et au christianisme. La transmission des noms de personnes et l’éponymie, traditions selon lesquelles le porteur d’un nom (atiq) hérite avec lui d’une identité sociale et de caractéristiques physiques et psychiques associées à ce nom, conservent toute leur place dans les cercles de guérison, mais la relation ne fonctionne plus qu’à sens unique. Les participants font valoir les maux qu’ils doivent aux erreurs du passé et aux noms qu’ils portent, rendant les générations précédentes responsables des problèmes contemporains, mais ils ne procèdent pas encore à l’attribution de nouveaux noms, une pratique qui a pourtant sa place dans le chamanisme (sur le qingaarniq, voir Saladin d’Anglure 2001b : 48).

Le cas de Monica Ittusardjuat, une ancienne catholique de 52 ans, montre combien les cercles de guérison s’avèrent de fructueux formats pour les plus jeunes générations qui ont à gérer les expériences douloureuses vécues lors de leurs séjours dans les pensionnats. Celle-ci a invité les jeunes du Nunavut à participer à des cercles dans le cadre du Qauma Mobile Treatment Project financé par l’Aboriginal Healing Foundation. Selon Ittusardjuat, ces cercles offrent le seul espoir de briser le cycle de la violence individuelle, familiale et domestique mais aussi les suicides et les problèmes intergénérationnels. Lewis rapporte les explications d’Ittusardjuat :

Le programme utilise les savoirs inuits traditionnels pour aider les gens à se reconnecter à leurs familles. Le cercle commence avec l’allumage de la qulliq, des chants ayaya et de la danse au tambour. Des aînés et des guérisseurs traditionnels comme Meeka Arnakaq de Panniqtuuq emmènent les participants dans la toundra, à l’extérieur des communautés. Ils encouragent surtout les anciens élèves de ces écoles à raconter leurs expériences et ainsi à ne pas garder à l’intérieur d’eux-mêmes leurs mémoires douloureuses. (Younger-Lewis 2004)

« Nous ne prétendons pas que tous vont sortir guéris de ces séances », a ajouté Ittusardjuat. « Lorsque nous nous séparons, le processus de guérison ne s’arrête pas là pour autant, les participants doivent maintenant prendre la responsabilité de poursuivre leur voyage. »

Les chants et la danse au tambour jouent un rôle important dans ces reconnexions. Les sorties dans la toundra permettent quant à elles de guérir les blessures infligées par la vie moderne.

Ces trois éléments sont omniprésents dans les traditions chamaniques. Le rituel chamanique par excellence, le sakavuq, s’effectue ainsi par le chant, comme le rappelle Victor Tungilik, qui devait chanter pour faire venir son tuurngaq (Oosten et Laugrand 1999 : 107).

Le tambour demeure, quant à lui, un instrument marqué sur le plan symbolique. Il permet au danseur soutenu par les chants d’un auditoire d’entrer en contact avec le monde invisible, un contact qu’il exprime par ces cris, ces « Ia-aa ! », qu’il pousse lors de la danse. Silas Putumiraqtuq souligne que les esprits chamaniques ne peuvent résister au son du tambour : « Dès qu’il y a une danse au tambour, les esprits chamaniques entrent dans le corps des chamanes pour se réjouir. Et lorsque les chamanes se joignent à la danse au tambour, les esprits se joignent à eux aussi. » (Mannik 1995 : 23)

Quant à la toundra, cet espace sans trace (tumitaittuq selon Saladin d’Anglure 2004 : 112), elle comporte toutes les connotations inverses de celles de la communauté où vivent les humains (tumitaqaqtuq). La toundra apparaît ainsi comme un espace non social mais que requiert tout processus de socialisation. Cette hypothèse expliquerait pourquoi, dans le cadre de certains programmes du Nunavut, la resocialisation des délinquants passe souvent par un séjour dans la toundra en compagnie des aînés.

Pratiques d’inspiration chamanique et initiatives néo-chamaniques

Contrairement aux cercles de guérison, les initiatives néo-chamaniques revendiquent un lien direct avec le chamanisme. Même dans les communautés les plus ouvertes à l’extérieur, ces pratiques ne remportent pourtant pas le succès escompté. L’idéologie néo-chamanique se heurte sans doute à des obstacles ontologiques si bien que ces pratiques demeurent encore rares dans l’Arctique de l’Est canadien. En suivant une trame chronologique, trois exemples méritent d’être examinés.

Cas 1 : Une quête individuelle néo-chamanique sans portée collective

Le tout premier cas de néo-chamanisme demeure peu connu. Il date du milieu des années 1980, lorsque deux Inuits de la communauté de Baker Lake se seraient déplacés en Californie pour prendre part à des activités de formation organisées par Michael Harner à la Foundation for Shamanic Research. Dans un texte disponible sur Internet, Robert J. Wallis (s.d.) relate cette aventure :

Des Samis et des groupes inuits ont approché Harner et lui ont fait la requête de leur enseigner le « core shamanism » afin qu’ils puissent retrouver leur savoir sacré perdu avec la conquête et les activités missionnaires. À compter de 1990 la femme et collaboratrice de Harner participa aux congrès de l’International Society for Shamanistic Studies, fondée à Helsinki. Elle y rencontra l’anthropologue B. Saladin d’Anglure qui menait alors des recherches sur le chamanisme inuit. Harner écrivit à l’anthropologue pour lui demander la liste de ses publications, mais ce furent là leurs seuls contacts. Nous ne savons pas ce qu’il advint ensuite des deux stagiaires inuits à la Fondation. Ce que l’on sait, c’est que Harner s’engagea par la suite auprès des Tuvas de Sibérie qui lui avaient demandé son aide pour raviver leurs traditions chamaniques interdites par le régime communiste soviétique. (B. Saladin d’Anglure, comm. pers., 2007)

Aujourd’hui, même si un Inuit de Rankin Inlet s’est rendu à la Fondation de Harner, ces initiatives ne dépassent jamais le stade de projets individuels et suscitent peu d’enthousiasme chez les aînés.

Cas 2 : La recherche chamanique d’un travailleur social inuit anglican, en accord avec sa communauté

Plus intéressante et plus complexe est la démarche personnelle d’un jeune Inuit du Nunavik, Charlie A. N., dont l’histoire de vie a été en partie relatée par Nathalie Ouellette, dans le cadre d’un remarquable mémoire de maîtrise[8]. Né à l’hôpital de Moose Factory dans des conditions singulières, Alakkariallak a toujours entendu sa mère raconter qu’il n’était pas comme les autres. Après avoir poursuivi ses études secondaires en français à Inukjuak, puis à Kangiqsujuaq, il fut admis au Cégep Marie-Victorin de Montréal pour y poursuivre en français ses études collégiales. Il en sortit trois années plus tard, remportant le premier diplôme décerné à un Inuit par ce cégep. Son professeur de philosophie, très ouvert au chamanisme inuit, utilisait dans ses cours des articles de B. Saladin d’Anglure. Il invita l’anthropologue à présenter une conférence sur le chamanisme à l’occasion des journées annuelles sur la culture des Inuits, organisées au cégep. Charlie animait lui-même un atelier sur le chamanisme dans lequel il expliquait sa longue recherche sur les rituels anciens auprès des aînés. C’est à cette occasion qu’il rencontra B. Saladin d’Anglure et qu’ils devinrent amis. Ce dernier lui raconta le récit qu’il avait recueilli en 1967 à Kangirsuk de la bouche de la vieille Attasialuk, d’une séance de sakaniq à laquelle elle avait assisté, enfant. Puis il l’invita à venir parler à ses étudiants gradués de l’Université Laval, dans son séminaire sur le chamanisme. C’est là que Charlie rencontra Nathalie Ouellette qui, venant de renoncer à partir en Indonésie, accepta d’étudier son histoire de vie. Le fait que Charlie ait passé plusieurs mois dans le Sud pendant sa scolarité au cégep ne l’a pas empêché de rester connecté aux traditions de ses ancêtres. Ainsi, il a de tout temps fait valoir ses différents noms pour expliquer son identité et sa personnalité, suivant là un modèle culturel. De même, ses séjours dans le Sud ne l’ont pas empêché de mener une vie de chasseur puisque chaque fois qu’il retournait au Nunavik, il continuait de fréquenter le territoire. Eu égard à son intérêt pour le chamanisme, Ouellette (2000 : 127) explique comment il a toujours fait face à une importante résistance de la part des aînés, comme si ces derniers ne souhaitaient pas lui transmettre ces traditions. En avril 1999, quand B. Saladin d’Anglure fut invité par une équipe de cinéastes pour agir comme conseiller scientifique sur un documentaire impliquant un regard sur les traces du chamanisme inuit[9], il pensa tout de suite à inviter Charlie à participer au tournage sur le site de pétroglyphes de Qajartalik, près de Kangiqsujuaq. Charlie avait entendu parler du site mais ne l’avait jamais visité. Il accepta et impressionna les cinéastes par la qualité de ses remarques sur la spiritualité inuite. À cette occasion, Saladin d’Anglure évoqua devant l’équipe la venue chez lui, à Beaumont (près de Québec), en juillet prochain, de Questem Betsa, un chamane shipibo-conibo d’Amazonie péruvienne, qu’il aidait depuis cinq ans, avec Françoise Morin, à écrire son histoire de vie. Charlie releva l’information et deux mois plus tard, alors que les deux anthropologues avaient commencé leur travail avec le chamane, Charlie les informa que la Société Makivik acceptait de lui offrir le voyage à Québec, en échange d’un rapport écrit sur sa rencontre avec le chamane. Charlie fut donc invité à passer une semaine chez les anthropologues qui lui proposèrent de préparer ses questions à l’avance afin qu’elles soient traduites pour Questem Betsa par Françoise Morin, au cours des repas. Charlie arriva quelques jours plus tard avec, comme cadeau pour le chamane, une qulliq, une lampe à huile en stéatite qu’il avait sculptée lui-même. Une petite cérémonie avec allumage de la lampe fut improvisée à cette occasion, puis, à la nuit tombante, le chamane invita Charlie à venir marcher avec lui sur le bord du fleuve Saint-Laurent, quand les esprits manifestent plus facilement leur présence. C’est ainsi que des liens d’amitié se sont développés entre les deux hommes. Au moment du départ de Charlie, Questem Betsa lui offrit sa pipe de chamane et l’invita à venir lui rendre visite en Amazonie et à y découvrir un chamanisme encore très actif. Charlie consulta les aînés du village avant d’accepter l’invitation de Questem Betsa, et tous l’encouragèrent à entreprendre ce voyage. L’automne suivant, lors du montage du film, l’anthropologue raconta aux cinéastes la visite de Charlie à Questem Betsa et l’invitation faite par ce dernier. Ils réagirent aussitôt en indiquant leur volonté de traduire l’histoire en images. Et c’est ainsi que vit le jour un second documentaire où figurent Françoise Morin, Bernard Saladin d’Anglure et Charlie : Le Voyage de Charlie, qui fut tourné au cours de l’été 2001 dans la vallée de l’Ucayali, le grand affluent de l’Amazone[10] (B. Saladin d’Anglure, comm. pers., 2007).

Les réticences des aînés inuits à transmettre leur savoir chamanique à Charlie s’expliquent en partie par la profonde réception du christianisme dans ces communautés mais également par une attitude de grande prudence. Dans les régions du Kivalliq, les aînés se montrent tout aussi réticents à transmettre ouvertement ces pratiques à des jeunes, comme si les savoirs chamaniques devaient être protégés et qu’il fallait ne circuler qu’à l’intérieur du cadre familial et réservés à des personnes que l’on sent prédisposées à les recevoir ou déjà dotés d’une expérience attestée. Dans le cas de Charlie, l’un des rares aînés à s’être montré réceptif à sa demande a été Livai qui, dans sa jeunesse, espérait marier sa mère. Il est fort probable qu’un transfert se soit opéré au moment du décès de Livai car l’aîné fit un don à Charlie sous la forme d’une patte de loutre en prononçant quelques mots qui décrivaient un rituel à suivre (voir Ouellette 2000 : 146-147 pour les détails). Charlie avait accepté ce don et attaché cette patte autour du cou, comme un pendentif. Peu de temps après cependant, Charlie explique comment, alors qu’il était en train de fabriquer un puviak (une sorte de ballon en peau), il commit une erreur, refusant de donner ce ballon à un enfant qui lui en adressait la demande. Charlie aurait alors perdu le pendentif et ne l’aurait jamais retrouvé, voyant là un point final à sa vocation. Le rituel décrit par Livai ne manque pas d’intérêt. Il consistait à démembrer un animal pour le refabriquer ensuite en plaçant tous les morceaux dans un petit sac fait avec la peau de l’animal. Le chasseur devait alors prendre sept pierres et tourner autour de la dépouille. Le jour suivant, la réponse des esprits serait donnée. Si le sac disparaissait, on considérerait que l’animal aurait pris une nouvelle forme et qu’il s’offrirait dorénavant au chasseur. Si le sac était toujours là, on dirait alors que seul l’esprit de l’animal aurait quitté les lieux. Charlie a expliqué qu’il ne s’était jamais senti prêt à franchir le pas et à mettre en oeuvre pareil rituel, se limitant à développer ses connaissances en matière de chasse et de spiritualité, s’intéressant aux rêves et au christianisme. Avant son voyage en Amazonie, Charlie poursuivait sa quête en s’intéressant à la préservation des savoirs inuits, convaincu de devoir combiner davantage chamanisme et christianisme. Ouellette (2000 : 154) cite l’une de ses propositions d’alors : « Je voudrais remplacer les anges par les esprits auxiliaires chamaniques. »

À Inukjuak, Charlie était estimé. Il présidait le comité scolaire et suivait régulièrement les offices à l’église anglicane, très marqués depuis plusieurs années par le charismatisme. À son retour du Pérou, à la fin de l’été 2001, il fut de nouveau très sollicité. Tout le monde voulait entendre son expérience chez les Shipibos-Conibos et Charlie s’y prêta de bonne grâce. Ses dispositions intérieures n’avaient pas changé, mais Charlie se sentait dorénavant mieux habilité à parler du rôle bénéfique des chamanes pour soigner les membres de sa communauté, en particulier les maux psychologiques. Le documentaire réalisé durant son voyage, Le Voyage de Charlie, fut présenté en Europe en 2002, et au Canada en 2003. Il passe régulièrement sur la chaîne autochtone APTN et comporte maintenant une version inuktitut dont Charlie possède une copie et qu’il montre et commente à la demande. En novembre 2006, lors d’une rencontre avec les délégués du monde autochtone francophone, organisée à Agadir (Maroc) et à laquelle Charlie avait été invité, il confia à B. Saladin d’Anglure que devant la persistance du taux de suicide élevé chez les jeunes dans sa communauté et dans tout le Nunavik, malgré les efforts conjugués des services sociaux, des organisations religieuses anglicanes charismatiques ou pentecôtistes et des cercles de guérison, les aînés d’Inukjuak et des villages voisins qu’il visite à l’occasion, lui avaient demandé de tenter l’expérience du chamanisme (B. Saladin d’Anglure, comm. pers., 2007).

Ces deux exemples montrent qu’à la différence des cercles de guérison, les pratiques directement axées sur le chamanisne ne parviennent pas à prendre immédiatement la même ampleur que les cercles de guérison ni à recueillir le même assentiment de la population. Ces pratiques ont beau valoriser les traditions chamaniques et leurs protagonistes et déclarer vouloir les faire « revivre », pareils desseins ont jusqu’ici échoué. Plusieurs interprétations peuvent être avancées. Une hypothèse tient à ce que le chamanisme n’est pas assez moribond pour que des Inuits se reconnaissent dans des projets qui déclarent vouloir le faire « revivre ». Dans certaines régions, en effet, les aînés sont formels. Ils affirment la vitalité du chamanisme et la présence de tels personnages dans de nombreuses communautés (voir Oosten, Laugrand et Remie 2006 : 467-473). Il en résulte beaucoup de méfiance et une attitude de grande prudence. Aujourd’hui, si les jeunes et certains leaders peuvent donc parler de chamanisme et promouvoir certaines de ses facettes, quitte à ce qu’à la demande des étudiants on offre même des cours sur ce thème dans une institution collégiale comme celle du Nunavut Arctic College[11], les aînés qui ont connu ces pratiques restent réservés. Certains entendent protéger ces savoirs jugés utiles, d’autres veulent en réhabiliter les bons aspects mais tous refusent de céder à l’imagerie moderne et aux aspirations d’une jeune génération qu’ils sentent trop souvent mal préparée à assumer cet héritage. Les ateliers organisés dans la toundra que nous avons facilités au cours des dernières années sont significatifs sur ce plan, et autant la folklorisation du chamanisme est acceptable dans les films d’Isuma, autant elle est loin d’être inscrite à l’ordre du jour sur le terrain (voir Oosten et Laugrand 2002, 2007).

Cas 3 : Le succès néo-chamanique d’un Inuit d’origine groenlandaise, auprès des non-Inuits

Nébuleux, le troisième cas de mouvement d’inspiration chamanique que l’on connaît est celui qu’anime Angaangaq Lyberth. Ce mouvement remporte un grand succès à l’extérieur du Nunavut, en particulier auprès des Occidentaux fascinés depuis longtemps par les traditions des Inuits, mais sa portée est faible au niveau local. L’auditoire que rejoint ce leader provient surtout des régions urbaines (Iqaluit et Ottawa), mais également de l’extérieur du Canada via sa présence sur Internet.

Originaire du Groenland, Angaangaq Lyberth est un Inuit qui bénéficie de plusieurs formations et de nombreuses expériences. Il a obtenu un diplôme en administration des affaires à Copenhague, en 1969, avant de venir s’établir au Canada où il vit entre Ottawa et Iqaluit. L’homme se présente comme « l’homme qui ressemble à son oncle » (c’est la traduction littérale de son nom). Il parle cinq langues, parmi lesquelles figurent le kalaallisut (la langue inuit du Groenland), l’inuktitut, l’anglais, le danois et le norvégien. Sur son site Internet, il s’identifie comme un aîné, un sage capable d’apporter une aide pour résoudre les conflits familiaux et interpersonnels. Contrairement aux leaders des cercles de guérison, Angaangaq se présente ouvertement comme un guérisseur traditionnel spécialisé dans le traitement de traumas qui résultent d’abus et de violence domestique. Lui-même victime d’abus sexuels, il a fondé un organisme sans but lucratif qui porte le nom de Siirmiq Aaattuq Melting the Ice in the Heart of Man Ltd (SAMIHM Ltd). La société dispose d’un site Internet (www.icewisdom.com) où les visiteurs peuvent acheter des CD de danse au tambour et de chants inuits ou encore des récits de mythes et de légendes inuits. La SAMIHM Ltd se défend de toute affiliation économique ou politique. Elle se présente comme un organisme faisant la promotion d’une philosophie ou d’une spiritualité respectueuse de la nature. D’après des informations tirées de son site Internet, Lyberth compare son entreprise à d’autres organisations comme le Conseil consultatif du Jane Goodall Institute World Commission on Global Consciousness and Spirituality, l’American Indian Institute Traditional Circle of Indian Elders and Youth, l’Aboriginal Justice Learning Network, le Conseil d’administration de l’Institut canadien pour la résolution des conflits, le Four Worlds International Institute, le Four Worlds Elders Council, le Club of Budapest International, etc.

Angaangaq indique qu’il travaille souvent sur le plan international avec des interventions dans plus de quarante pays. En tant que guérisseur, il a été invité à de nombreuses occasions : lors du Wisdomkeepers Gathering, du Millennium World Peace Summit of Religious and Spiritual Leaders organisé par les Nations unies à New York en 2003, de l’Indigenous Action Summit Reunion of the Eagle and the Condor en 2002, etc. Angaangaq informe enfin ses lecteurs de ses rencontres avec d’autres leaders religieux de la planète, comme le Dalaï Lama en 2004, sans oublier de nombreuses personnalités et leaders spirituels amérindiens et africains.

On le constate, le mouvement d’Angaangaq relève d’une forme de néo-chamanisme qui s’adresse surtout à des non-Inuits. L’image que se donne Lyberth est celle d’un guérisseur pacifiste, d’un leader spirituel qui s’inspire des traditions des Eskimos-Kalaaliits :

En tant que guérisseur traditionnel, conteur et porteur d’un qilaut (un tambour), il organise des cercles de guérison, des cérémonies intensives de sueries qui intègrent la sagesse des techniques traditionnelles inuites et des enseignements inuits accessibles dans les traditions de guérison non écrites des peuples eskimos kalaallits. […]

Son travail est particulièrement loué en ce qu’il fait la promotion d’une harmonie interraciale et interculturelle […]

La SAMIHM Ltd se fonde sur les pratiques des peuples eskimos-kalaallits, des cultures pacifiques qui n’ont jamais connu la guerre. Ancrée dans des traditions vieilles plusieurs fois millénaires, ses enseignements répondent à nos besoins personnels et aux transformations globales qu’on est appelé à vivre dans les temps à venir.

[…] nous apprenons à vivre avec plus de compassion et à changer nos environnements intérieurs, en retournant à un rythme de vie plus joyeux et plus naturel que nous avons perdu ou oublié. Ce faisant, la vie devient une célébration et notre connexion intime à la Terre Mère est réanimée, l’harmonie de nos vies mais celle aussi de nos communautés et du monde sont restaurées. Notre engagement est celui de préserver la Terre Mère et tout ce qui vit en elle, par la création et l’enseignement de cercles de guérison, mais aussi par le biais de notre participation à des symposiums internationaux qui portent sur la préservation des environnements et des programmes d’éducation. (Icewisdom, s.d.)

Comme bien d’autres leaders de mouvements internationaux du même type, Angaangaq établit une connexion entre ses propres points de vue et ceux qui circulent à l’échelle internationale. L’omniprésence de références sur les questions environnementales lui permet de faire valoir l’actualité de ses idées. Comme bien d’autres idéologies amérindiennes contemporaines très présentes au Mexique et au Pérou (Galinier et Molinié 2005), Angaangaq brandit la notion de « Terre Mère » pour se rattacher à la spiritualité pan-autochtone. Sur le site Internet, le visiteur découvre cette inspiration New Age :

Nous sommes au coeur d’une période de réveil des consciences, à aucun autre moment dans l’histoire la Terre Mère n’a eu un tel besoin de ses enfants pour s’occuper d’elle. Les prophéties anciennes et présentes dans toutes les cultures du monde se réalisent partout, mettant en garde les gouvernements contre le changement global et la fin du monde. Les glaces de la calotte polaire sont en train de fondre à vive allure et à un rythme alarmant, menaçant ainsi l’univers de terribles conséquences que l’on peut encore à peine imaginer. Nous faisons face à une responsabilité morale, nous devons nous préparer à une évolution planétaire et faire preuve d’une spiritualité positive […] Les aînés nous enseignent à retrouver des vies harmonieuses, à faire fondre la glace de nos coeurs et à nous reconnecter aux autres, c’est la seule façon de survivre. Il est donc grand temps de mobiliser ce savoir pour aider l’humanité. (Icewisdom, s.d.)

Comme le fait remarquer B. Saladin d’Anglure (comm. pers., 2007), cette façon de procéder n’est pas étrangère au mode de pensée des Inuits puisque, dans la cosmologie des Iglulingmiuts et de leurs voisins, par exemple, on retrouve plusieurs mythes qui décrivent comment les premiers humains sont sortis de terre, et comment cette dernière a pendant longtemps été productrice de bébés que les humains devaient recueillir pour se reproduire (cf. Rasmussen 1929, 1931 dans Saladin d’Anglure 2006 : 60-83).

Angaangaq combine donc à sa manière traditions chamaniques et pensée du Nouvel-Âge. Contrairement aux leaders des cercles de guérison et à Charlie, il passe entièrement sous silence sa réception du christianisme, cet élément ne demeurant pas assez exotique pour son auditoire. Dans un article publié dans le journal Imprints (2005 : 2), Angaangaq cite un récit recueilli de sa grand-mère où la notion de Créateur fait son apparition :

Lorsque le soleil brille et atteint son zénith, on ne voit plus d’ombre près de nous. Cela signifie que nous sommes tous égaux. La beauté du cercle tient à ce qu’on ne puisse pas voir ce qu’il y a derrière chacun de nous ; la force du cercle est de nous faire voir seulement la beauté de chacun de nous. […] Je prie et demande au Créateur, à celui qui nous a fabriqués, que chacun de nous apprenne à faire fondre la glace qui nous saisit le coeur […]

Angaangaq vante alors à son tour les mérites du cercle de guérison :

À travers des histoires et des chants, à travers le pouvoir de son qilaut (son tambour), Angaangaq nous aide à transformer des rassemblements ordinaires en un vaste cercle de guérison. En apprenant des enseignements qui ont été transmis de génération en génération par une culture qui n’a jamais connu la guerre, nous commençons à comprendre comment il est possible de vivre nos vies avec plus de compassion. (Imprints 2005 : 2)

Contrairement aux cercles de guérison importés de l’extérieur mais qui s’adressent d’abord aux populations inuites disséminées dans les communautés de l’Arctique, le mouvement néo-chamanique de Angaangaq s’adresse à des non-Inuits (voir Jakobsen 1996). Nombre de ses interventions se produisent ainsi en Allemagne, en Autriche, en Suisse, au Brésil et en Floride (http://www.icewisdom.com/calendar/, consulté le 21 octobre 2009). Angaangaq instrumentalise les traditions inuites pour en faire une source de savoirs dont les applications porteraient à plus grande échelle et serviraient à d’autres communautés autochtones. Dans le Nuluaq Project où son nom est répertorié, il se présente ainsi :

Je travaille avec les Clinkins au Yukon, avec les Athabaskans en Alaska, les Yupiks, les Inupiats, les Kallaalits, les Inuits, les Cris et les Mohawks. [...] Je ne pourrai jamais vous apprendre à chasser, et plusieurs d’entre vous sont certainement de meilleurs chasseurs que moi. Mais ce que je peux faire, c’est vous montrer la voie. [...] Amaaq désigne la route. [...] Je peux vous enseigner sur cette route. La chasse fait partie de notre route, mais on ne l’utilise plus [...] Lorsque je guéris mes clients, je les emmène sur les collines, nous grimpons au sommet de la montagne pour atteindre un inukshuk. Lorsque nous l’atteignons, nous en apercevons un autre, et nous marchons [...] Notre vie est notre voyage [...] On ne sera jamais perdu si l’on suit les inuksuit.

[...] J’utilise souvent cette histoire de Kaujjajjuk, l’orphelin maltraité qui devient à la fin un homme fort. Il a réussi cette prouesse grâce à la guérison. C’est ainsi qu’il est devenu fort. Il est grand et puissant. Il n’a même plus peur des ours polaires. Pour nous les Inuits, voici notre route. L’histoire de Kaujjajjuk est connue d’Est en Ouest, du Groenland au sud du Labrador et même en Sibérie. Tout le monde connaît ce récit. Mais personne ne le suit plus de nos jours. (Nuluaq Project 2004 : 35)

La transformation de Kaujjajjuk, d’un pauvre orphelin en homme fort, présente un modèle pour une transformation spirituelle, mais Angaangaq avoue sa position distincte en faisant état de sa méconnaissance de la chasse. Un brin de mysticisme se dégage de ce contraste et le leader utilise la métaphore de la route et des inuksuit, ces cairns de pierres, pour insister sur l’idée de reconnecter les humains à leur pays et à leurs traditions.

En somme, dans le cas de ces pratiques d’inspiration chamanique, deux obstacles semblent toujours difficiles à surmonter. Le premier tient à la revendication explicite d’une étiquette chamanique. On a vu, en effet, combien les leaders et les participants des cercles de guérison faisaient tout leur possible pour éviter pareille association en instaurant une distance avec le chamanisme. A contrario, les cercles de guérison valorisent le christianisme et ils trouvent là un point d’ancrage qui contribue à leur succès. S’ils demeurent plutôt hostiles au chamanisme, le paradoxe est bel et bien qu’ils en préservent la logique et de nombreux éléments.

Le deuxième obstacle réside dans le surinvestissement symbolique qu’opèrent les leaders du néo-chamanisme lorsqu’ils s’inspirent de pratiques plus éloignées, comme l’idéologie du Nouvel Âge, sans utiliser assez les ressources disponibles à l’échelle locale. Il en résulte un pouvoir d’attraction assez faible pour les populations concernées qui connaissent encore trop bien le chamanisme de jadis pour accepter son travestissement ou son exploitation.

Conclusion

Appuyés par le financement de la Fondation autochtone de Guérison, les cercles de guérison ont été rapidement incorporés dans les traditions inuites. Cette adoption et adaptation de pratiques exogènes s’est faite avec d’autant plus de facilité que ces pratiques permettent aux Inuits de faire valoir leurs propres perspectives et leurs valeurs dans un contexte socioéconomique et sociopolitique qui a connu d’importantes transformations au cours des dernières décennies, en particulier avec la sédentarisation et l’urbanisation mais également avec la poussée de mouvements politiques et identitaires pan-inuits.

Les cercles de guérison se combinent fort bien aux étiologies inuites en matière de santé. Ces activités sont pleinement compatibles avec l’idée selon laquelle la santé est moins une affaire personnelle et individuelle, comme le veulent la plupart des modèles occidentaux, qu’une relation qui privilégie une certaine harmonie entre les humains et les non-humains, chaque personne étant inscrite par son nom dans un environnement social et un espace-temps collectif, si bien que tout déséquilibre à un niveau entraîne une détérioration d’autres éléments à un autre niveau. Les cercles de guérison paraissent également compatibles avec les conceptions inuites de la maladie. Qu’elle soit d’ordre physique ou psychique, celle-ci est toujours pensée comme une entité voyageuse qui entre dans le corps et qu’il faut donc extraire ou faire sortir pour guérir (Therrien et Qumaq 1995). Dans cette perspective, la parole et la prière restent deux éléments clés des cercles de guérison. Les Inuits savent que les mots peuvent tout autant blesser et entraîner d’importants troubles physiques – les aînés les comparent parfois à des balles offensives – que guérir, lorsque ces mots sont prononcés pour se libérer d’un mal ou d’une dépression, la non-communication demeurant l’ingrédient qui mène au meurtre et au suicide.

En dépit de leur provenance de l’extérieur, les cercles de guérison trouvent une partie de leur succès dans leur capacité à actualiser des conceptions fort anciennes sans y faire explicitement référence. L’exemple du guérisseur N. Kingwatsiaq (2003 : 90) à Cape Dorset est ici révélateur. En effet, lorsque ce dernier voit la pertinence de s’inspirer d’une technique de la psychologie occidentale basée sur la visualisation d’images, il ne se doute pas qu’il réactualise une technique de guérison chamanique tout à fait semblable selon laquelle on doit voir l’esprit malin pour l’éliminer. Félix Pisuk, de Rankin Inlet faisait d’ailleurs de cette dimension visuelle un élément crucial du chamanisme :

Si je vais aux offices religieux de l’église évangéliste, anglicane ou catholique, même si je veux vraiment qu’on me fasse voir quelque chose, je ne verrai rien du tout. Or, je pouvais fort bien voir le tuurngaq (l’esprit auxiliaire) de Qimuksiraaq [un chamane]. Cet esprit avait la forme d’un lièvre. Qimuksiraaq allait le chercher dehors et, après qu’un bruit s’était fait entendre, comme lorsqu’on marche sur le sol, il l’apportait dans ses bras à l’intérieur. Il était bien vivant... De nos jours, lorsque je vais à l’église et que je veux voir quelque chose, je ne vois absolument rien du tout. (Kolb et Law 2001 : 79)

En se montrant réceptifs aux cercles de guérison, les Inuits innovent, ils incorporent de la modernité et du christianisme tout en restant fidèles aux valeurs de leurs ancêtres. Ce faisant, ils définissent ensemble une spiritualité inédite qui présente pourtant un air de famille avec les anciennes traditions. La tradition n’est donc jamais ce qui est strictement reproduit, mais ce qui est continuellement actualisé. Sa fabrique s’opère ici dans le rituel, comme si ce dernier permettait de réaménager les mêmes segments dans un ordre différent, à l’image du kaléidoscope, pour reprendre une métaphore lévi-straussienne. En définitive, cette fabrique montre comment, sur le plan des univers symboliques, la nouveauté ne fait bien souvent que réaménager des éléments plus anciens dans une nouvelle composition.