Comptes rendus

Incorporating Culture. How Indigenous People are reshaping the Northwest Coast art industry, Solen Roth. University of British Columbia Press, Vancouver, 2019, 240 p.[Record]

  • Edith-Anne Pageot

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  • Edith-Anne Pageot
    Département d’histoire de l’art, UQAM

Considérées comme des objets commerciaux, des souvenirs ou, au mieux, minorées au rang de pratiques artisanales, les diverses formes d’art destinées au marché touristique et pratiquées par plusieurs générations de créateurs et de créatrices autochtones ont été marginalisées tant par l’histoire de l’art que par la muséologie. À l’exception de quelques études éclairantes (Townsend-Gault 2004 ; Glass 2008, notamment), ces corpus constituent trop rarement des objets d’étude de ces disciplines, encore aujourd’hui. Dans les musées, ils se retrouvent le plus souvent rangés dans les collections de curiosité, d’anthropologie, parfois dans les collections d’arts décoratifs, ou ils sont simplement conservés… dans les réserves ! Au destin utilitaire et économique de ces objets, considéré comme avilissant, s’ajoute le métissage iconographique, stylistique et matériel perçu comme une contradiction avec le sacro-saint critère d’authenticité si cher à la notion d’oeuvre d’art. Se dissociant clairement des cadres d’analyse qui relèvent de la taxonomie et de son obsession pour le classement, le livre de Solen Ruth, Incorporating Culture, participe des postures révisionnistes récentes qui tentent de dépasser les dichotomies portant sur les catégories d’objets afin de comprendre le développement des réseaux complexes dans lesquels ils sont produits et échangés. Depuis une trentaine d’années, quelques chercheurs et chercheures en histoire de l’art, en anthropologie et en études muséales se sont en effet intéressés aux réseaux et aux trajectoires processuelles entourant la production des objets d’art destinés aux voyageurs. Ce changement de paradigme, d’une typologie héritée des Lumières vers une analyse des rapports transactionnels et des formes transculturelles entre les populations autochtones et allochtones, ouvre de nouveaux chantiers de recherche, notamment en ce qui a trait aux modernismes en contexte colonial (Harney et Phillips 2018). En 1998, déjà, dans Trading Identities, Ruth Phillips s’était penchée sur les processus de production et de circulation des « arts des souvenirs » fabriqués dans le nord-est de l’Amérique au cours des xviiie et xixe siècles, soit au moment où l’industrie touristique et l’industrialisation du Canada sont en plein essor et où le colonialisme et le racisme systémiques s’organisent en structures juridico-politiques visant ouvertement l’assimilation des peuples autochtones. Inspirée des théories de la transculturation du sociologue cubain Fernando Ortiz (1940), l’étude pionnière de Philips a permis, entre autres, de mettre de l’avant l’agentivité des créateurs et des créatrices autochtones dans le choix des procédés de fabrication et des motifs, ou dans l’adoption d’un mode de vie itinérant qu’impliquent certaines pratiques comme la vannerie, et cela dans un contexte particulièrement coercitif à leur égard. L’étude de Solen Roth s’inscrit dans le prolongement de cette approche. Incorporating Culture porte sur les réseaux de l’industrie d’art dit de la « côte Nord-Ouest ». L’auteure reprend, en pleine connaissance de cause, cette expression mitigée (Northwest Coast Art) qui renvoie à une construction conceptuelle héritée de l’ethnologie et non à la diversité culturelle des nations qui occupent ces territoires. L’expression Northwest Coast Art Industry désigne ici un ensemble de motifs (comme l’aigle ou la grenouille ormeau entre autres) et de styles (le formline par exemple) reproduits sur des objets fabriqués en industrie et qui circulent massivement sur le marché canadien de la côte du Pacifique. La perspective anthropologique de ce livre, sans images, s’intéresse donc aux processus de production et de distribution d’articles standardisés, produits industriellement souvent à l’extérieur de la scène locale (tasses, T-shirts, affiches, porte-monnaie, etc.) et décorés avec des motifs conçus par des artistes autochtones locaux, puis vendus dans les boutiques et galeries vancouvéroises et d’autres établies dans la région. Parcourant le grand Vancouver métropolitain et les territoires non cédés de Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, Solen Roth a mené des entrevues …

Appendices