Comptes rendus

Les autres et les ancêtres. Les dioramas de Franz Boas et d’Arthur C. Parker à New York, 1900, Noémie Étienne. Les Presses du réel, Dijon, 2020[Record]

  • Sara Petrella

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  • Sara Petrella
    CIÉRA-MTL, UQAM

L’ouvrage de Noémie Étienne Les autres et les ancêtres. Les dioramas de Franz Boas et d’Arthur C. Parker à New York, 1900 jette un regard neuf sur les dioramas représentant les premiers peuples aux États-Unis entre la fin du xixe siècle et le début du xxe. Entre documents d’archives et correspondance, cette recherche est le fruit d’une enquête minutieuse que l’auteure a menée durant plusieurs années dans les musées des États-Unis. Elle est fondée sur l’étude comparée des dioramas anthropologiques réalisés sous la direction de Franz Boas pour le Musée d’histoire naturelle de New York et ceux du Musée de l’État de New York (New York State Museum) d’Albany réalisés sous la direction d’Arthur Caswell Parker, un anthropologue de père sénéca, né dans la réserve autochtone de Cattaraugus (État de New York) et engagé auprès de plusieurs communautés haudenosaunee. La comparaison entre les approches des deux anthropologues permet surtout de mettre en lumière la vie et l’oeuvre de Parker, qui se révèlent passionnantes. Cet intérêt pour l’échelle microhistorique amène également l’auteure à se pencher sur une myriade d’acteurs méconnus de l’histoire qui ont participé à la fabrication matérielle des dioramas. Le but est d’interroger la prétendue « transparence » de ces installations, c’est-à-dire le caractère « objectif » de leur mise en scène, et de mettre en exergue les modalités de construction de l’idée de « race » au sein de l’espace muséal dans les années 1900. À l’époque de Boas et de Parker, les dioramas coloniaux présentent au public l’ailleurs, les colonies extra-européennes, tandis que les dioramas vernaculaires donnent à voir le passé à travers le folklore national, comme celui des Bretons en France. Étienne consacre le premier chapitre (« Des autres et des ancêtres ») à démontrer comment les premiers peuples dans les dioramas de New York et d’Albany sont pris entre ces deux temporalités, puisqu’ils sont entendus à la fois comme des figures d’altérité contemporaines et comme les ancêtres de la nation. Les dioramas comptent parmi les moyens visuels privilégiés dès la fin du xixe siècle pour « raconter l’histoire ». Ils s’inscrivent dans la tradition des crèches, Sacri Monti et autres groupes sculptés en vogue en Italie depuis la Renaissance, où la mise en scène de corps réalistes avait pour but à la fois d’« amuser et [d’]éduquer » les spectateurs. L’auteure montre bien comment ce dispositif, qui provient du domaine religieux et de l’art baroque, a été sécularisé en contexte muséal. En ouvrant la question fondamentale du passage du contexte religieux au scientifique sans toutefois l’étayer, elle met en exergue un moment clé de l’histoire moderne, quand une « théorie des races » a pris corps pour servir l’agenda politique de l’époque dans la définition de l’« américanité ». Les dioramas sont aussi des « sites de médiation », des installations visitées par des millions de visiteurs chaque année, parmi lesquels de nombreux enfants lors de sorties scolaires. À travers l’analyse d’une série de photographies du musée de New York, l’auteure pointe alors le rôle des musées dans la transmission d’une idéologie nationaliste dans l’éducation, sous couvert de vulgarisation scientifique et de divertissement. Étienne continue de mettre à jour les implicites racistes de la muséographie nord-américaine dans les années 1900 dans le deuxième chapitre « La stratégie de la relique ». Sa réflexion permet d’inscrire les moulages des Autochtones réalisés par contact direct dans l’histoire de l’idée de relique chrétienne, de l’objet de culte médiéval au concept d’acheiropoïète (non fait de main d’homme) emprunté à l’anthropologie de l’art. L’auteure montre de manière convaincante que, dès la moitié du xixe siècle, …

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