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Comprendre les identités et les altérités et travailler au service de la paix sont deux grandes thématiques qui traversent la vie et la carrière de Jean-Guy Goulet. L’anthropologue se rappelle une anecdote vécue, plus jeune, lorsqu’il s’identifiait aux descendants acadiens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Jean-Guy Goulet apprendra plus tard que sa propre famille a échappé à l’exil forcé grâce à l’accueil et à la générosité des Micmacs qui avaient invité ses ancêtres à se réfugier dans leur village. De tels souvenirs expliquent en partie, sans doute, son intérêt de longue date pour les Premières Nations et pour l’anthropologie, qu’il découvre à l’Université d’Ottawa, au milieu des années 60, avec un spécialiste des Cris.

Plus tard, c’est aux États-Unis, à l’Université Yale que Jean-Guy Goulet s’inscrit au doctorat. Dans un document inédit intitulé « Un itinéraire anthropologique » qu’il nous a généreusement transmis à l’occasion des films réalisés avec lui dans le cadre de la série Les Possédés et leurs mondes[1] – et que nous publions dans ce numéro –, il explique avoir été fasciné par l’oeuvre de deux monuments de l’anthropologie américaine, Victor Turner et Clifford Geertz. De Turner, issu de l’École de Manchester, il retient bien sûr l’intérêt de travailler sur la genèse des conflits, des dynamiques et des fonctions sociales et, surtout, la notion de « drame social » ou encore l’appréhension des rituels comme mécanisme de gestion des conflits. Mais ce n’est pas tout, Victor Turner et son épouse Edith Turner, qui se sont littéralement convertis au catholicisme après leur séjour chez les Ndembu de Zambie, lui inspireront plus tard l’idée du terrain comme catalyseur de transformations, avec la conviction de l’importance de la dimension religieuse de la vie. De Geertz, Jean-Guy Goulet admire l’opuscule Islam Observed (1968) et la faculté de son auteur prolifique à analyser la manière dont des individus et des groupes, dans toutes les sociétés, mettent en oeuvre des symboles. D’autres influences le marqueront aussi, comme Alfred Schutz, Mary Douglas, Dennis Tedlock, Johannes Fabian et bien d’autres encore.

La suite de la trajectoire de Jean-Guy Goulet est bien connue de la plupart des spécialistes des traditions autochtones du nord et du sud des Amériques. En effet, Jean-Guy Goulet est depuis longtemps un spécialiste reconnu pour ses deux longues immersions dans des sociétés autochtones en pleine transformation. Son premier terrain le conduit durant près d’un an et demi (de septembre 1975 à décembre 1976) chez les Wayùu[2] du Venezuela et de Colombie, une dense expérience d’où il tirera plusieurs ouvrages et articles sur la parenté et la langue (Goulet 1978 et 1981b ; Goulet et Jusayu 1978) et, surtout, sur l’univers symbolique et religieux, sujet de sa thèse de doctorat – qu’il rédige en anglais et publie en espagnol (Goulet 1980, 1981a). Le travail de Jean-Guy Goulet chez les Wayùu atteste une rigueur et un systématisme exemplaires. Afin de mettre en lumière les cadres et dynamiques du paysage social, il a cumulé de très nombreuses données sur l’ensemble des dimensions de la vie des habitants de La Guajira. Ses apports sont documentés par de riches analyses concernant les conceptions de la personne, de ses composantes et des multiples non-humains qui concourent à façonner le monde des Wayùu.

Sa seconde immersion, Jean-Guy Goulet la réalise dans le Nord-Ouest canadien chez les Dènès Tha’ de l’Alberta avec lesquels il a vécu six mois par année, de juillet 1979 à juillet 1985. De ce terrain, tout aussi initiatique et déstabilisant que le premier, est issu Ways of Knowing. Experience, Knowledge and Power among the Dene Tha (Goulet 1998) ainsi que de nombreux articles et chapitres de livres (cf. bibliographie). La puissance de cet ouvrage est remarquable et il sera mis en nomination pour trois prix : le Clio Award (1998), le Oral History Association Book Award (1999) et le Victor Turner Prize in Ethnographic Writing (1999). L’auteur met en oeuvre ce qui deviendra l’approche expérientielle ou l’anthropologie de l’expérience, qu’il préconise et enseigne à l’Université Saint-Paul – qu’il a rejointe en 1997, après avoir passé ses premières années de professeur à l’Université de Calgary.

Qu’on nous permette ici une courte citation de sa réflexion sur les savoirs des Dènès Tha’ qu’il découvre :

La manière dont les Dene appréhendent le savoir et l’apprentissage met au défi nos pratiques basées sur des préceptes occidentaux dans ce domaine. […] Le rôle accordé à la communication non verbale dans les performances rituelles est certainement prédominante chez les Dene. Leur conception du secret et du pouvoir provient des auxiliaires animaux qu’ils rencontrent lors des quêtes de vision et elle inhibe la verbalisation publique de ces expériences. Chez les Dene Tha, ces notions vont de pair avec des formes très individualisées de la quête de vision ainsi qu’avec un sens fort développé de l’autonomie individuelle. Dans la mesure où les Dene insistent sur la primauté de l’expérience d’un phénomène relatif à d’autres espaces plutôt que sur des enseignements explicites à leur propos, l’expérience personnelle de l’enquêteur devient la pierre angulaire et le point d’entrée nécessaire pour l’investigation de ce type de phénomènes.

Goulet 1998 : xxxi, notre trad.

On comprend, dès lors, la difficulté pour des chercheurs à entrer dans l’imaginaire et la cosmologie des Dènès Tha’ sans s’ouvrir eux-mêmes à ceux-ci, en apprenant leur langue et en observant patiemment ce qui se produit sous leurs yeux. Inversement, il est évident que les méthodes classiques de l’observation participante sont promises à l’échec. Et voici notre ethnographe rapprocher son terrain du Bocage et de la sorcellerie qu’a étudiés Jeanne Favret-Saada, car sur ces terrains difficiles « il n’y a pas de place pour des observateurs non engagés » (Favret-Saada 1980 : 12, cité par Goulet 1998 : xxxi, notre trad.). En introduction de son livre, Jean-Guy Goulet décrit dans les détails la manière dont il a travaillé, et il faut reconnaître que c’est un modèle du genre (Goulet 1998 : xxxii-xxxvii). Le contenu de l’ouvrage est aussi riche car l’auteur parvient à faire entrer son lecteur dans des domaines complexes de la cosmologie des Dènès Tha’, que ce soit la construction des savoirs, leurs rapports avec les non-humains, leur conception du pouvoir, du respect et de la santé, mais aussi des conflits vécus à différentes échelles, sans oublier la manière dont ils ont négocié leur christianisation face à des missionnaires oblats, et leurs traditions en matière de danses et de voyages dans l’univers invisible.

Avec ces travaux, Jean-Guy Goulet a constitué une oeuvre magistrale dans plusieurs domaines. Citons, pêle-mêle et parmi d’autres, ses recherches sur le rêve, le chamanisme, les prophètes, les rapports aux animaux, la conversion religieuse, les mouvements de résistance autochtones, les transformations sociales et religieuses, l’intersubjectivité, les droits ancestraux, le pouvoir, les spiritualités et les cérémonies autochtones, les mouvements de guérison, le genre, les berdaches et les rapports de sexe.

De ses longues immersions dans les mondes autochtones sud et nord-américains, Jean-Guy Goulet tire une autre leçon, celle de la transformation de l’anthropologue et de la profondeur de l’expérience humaine. Avec David E. Young, il rédige un chapitre fascinant, « Theoretical and Methodological Issues », qu’il publie avec ce dernier dans un livre intitulé Being Changed by Cross-Cultural Encounters. The Anthropology of Extraordinary Experience (Young et Goulet 1994).

Dans les années 1990, Jean-Guy Goulet poursuit sa réflexion tout en ouvrant un nouveau programme à l’Université Saint-Paul, celui d’une maîtrise en études de conflits. Les dissensions se situent à différentes échelles et dans des domaines multiples, mais l’anthropologue cible tout particulièrement les conflits plus lourds et les plus complexes, à savoir ceux qui touchent aux présupposés ontologiques, éthiques et épistémologiques. Cette orientation le conduit de nouveau dans plusieurs études connexes, certaines ayant d’ailleurs été publiées par la revue Recherches amérindiennes au Québec. Ce travail collectif débouche enfin sur un autre ouvrage clé, publié avec Bruce G. Miller, et qui a pour titre Extraordinary Anthropology : Transformations in the Field (Goulet et Miller 2007), dans lequel une quinzaine d’anthropologues se livrent, expliquent leurs transformations au contact des autres et reviennent sur leur immersion dans différentes cultures de la planète. L’ouvrage remportera un franc succès, comme en témoigne Bruce Miller dans le présent numéro. En raison des questionnements très pertinents qu’il pose sur la nécessité de modifier nos postulats épistémologiques et méthodologiques au contact du terrain, l’anthropologue sera également recruté momentanément par le Conseil de Recherches en sciences humaines du Canada pour aider à la gestion du programme de subventions Réalités autochtones, lancé au début des années 2000.

Au cours des toutes dernières années, c’est encore à un énorme chantier que Jean-Guy Goulet s’attaque en éditant une collection de trois volumes sur le thème de Religious Diversity Today: Experiencing Religion in the Contemporary World (Goulet, Murphy et Panagakos 2016), une façon de rappeler peut-être que la diversité religieuse, culturelle et ontologique produit bien des conflits inextricables et complexes, mais qu’elle fait en même temps la richesse du monde contemporain. À l’échelle des Amériques, c’est un des messages que défend volontiers Jean-Guy Goulet durant sa participation assidue, depuis plus de dix ans, à un projet de recherche démarré en 2007 et piloté par Robert Crépeau, sur les dynamiques religieuses autochtones dans les Amériques.

Dans toute son oeuvre, une question centrale hante profondément l’anthropologue : comment entendre et s’entendre, comment vivre ensemble ? Nombre de ses articles abordent cette question d’autant plus actuelle que les peuples autochtones, au Canada comme ailleurs, sont confrontés à des défis de grande taille dans plusieurs domaines, que ce soit l’éducation et la transmission des savoirs, ou encore la préservation de leurs territoires et de l’environnement. Les barrages récents et la lutte entreprise par les Wet’suwet’en illustrent ce point. Animé par un profond sentiment de justice et d’équité, Jean-Guy Goulet s’interroge ainsi de front sur la nature des liens sociaux et sur les conflits entre Autochtones et non-autochtones. Il revient sur les rituels comme des moments clés et révélateurs des cosmologies. Avec lui s’esquisse enfin une solution pour contribuer à la réconciliation entre Autochtones et non-autochtones. En plus de défendre les langues locales et de les enseigner davantage dans les écoles, les collèges et les universités, ne faudrait-il pas accorder aux communautés plus d’autonomie et de responsabilités dans la gestion de leurs territoires, et leur rétrocéder certains espaces ? Déléguer, faire confiance, rendre aux Autochtones ce qui leur a été pris au cours des siècles sont des gestes indispensables – et encore plus à une époque où les enjeux socioéconomiques et environnementaux se sont multipliés. On sait depuis longtemps que le territoire est plus que tout une source de pouvoir et d’énergie, « du tonic pour l’espérance » pour filer une métaphore de Jean-Guy Goulet, la base de spiritualités et le fondement de l’être-au-monde. Parions que franchir ce pas serait un bon préalable pour s’orienter concrètement vers une véritable réconciliation reposant sur la reconnaissance du caractère colonial dans lequel se situe toute rencontre (Goulet 2004 : 111). Dans un texte remarquable consacré à l’histoire des droits territoriaux des Dènès Tha’, Jean-Guy Goulet s’interroge sur la possibilité d’imaginer un futur commun au Canada, reposant sur une entente fondée sur la propriété partagée d’un territoire sur lequel de nombreuses nations construisent, en partenariat, un avenir durable et au sein duquel la « justice et la coexistence pacifique sont possibles ; il s’agit de réimaginer radicalement nos destins communs » (Goulet 2010 : 26, notre trad.). Force est de constater que la vie et l’oeuvre de Goulet ont montré la voie de cette réconciliation possible en proposant une méthode de reconnaissance et de cocréation radicale d’un futur commun.

On l’aura compris, de par ses travaux empiriques et ses réflexions théoriques, Jean-Guy Goulet a fondé une anthropologie réflexive et expérientielle, mobilisé des méthodes originales comme l’ethnométhodologie et toujours privilégié l’enquête ethnographique approfondie, présupposant l’apprentissage des langues ainsi qu’une éthique rigoureuse et exemplaire.

Jean-Guy Goulet a su écouter, se laisser enseigner, entendre et comprendre. Il a appris à jouer du tambour. Que son esprit continue à nous inspirer et que ce numéro rende hommage au travail accompli et à la grande générosité de l’anthropologue auprès des étudiants et des collègues.

Dans le présent numéro, les contributions réunies font, chacune à leur manière, écho à des travaux et à des perspectives développés par Jean-Guy Goulet. Les trois premiers articles sont signés par des spécialistes des Wayùu. Les six autres proviennent d’ethnologues ayant travaillé dans le nord de l’Amérique, à l’ouest, à l’est et dans le Grand Nord. Et le numéro se clôt avec deux témoignages et une réflexion sur l’anthropologie comme science. Ce débat dépasse largement les objectifs poursuivis ici mais Jean-Guy Goulet aurait certainement beaucoup de choses à dire.

Le numéro s’ouvre sur un magnifique et généreux texte autobiographique de Jean-Guy Goulet qui décrit son itinéraire personnel, intellectuel et professionnel. Il y retrace les grandes lignes de sa trajectoire et de ses apprentissages durant ses deux terrains de recherche chez les Wayùu et les Dènès Tha’, terrains qui lui ont permis d’avoir le grand privilège d’apprendre deux langues autochtones: le wayunaïkü et le dene dhàh. Ce texte permettra aux lecteurs et lectrices de comprendre pourquoi et comment ce Franco-Ontarien né à Ottawa en 1945 est devenu un des grands anthropologues de sa génération.

Les Wayùu hier et aujourd’hui

Dans sa contribution, Claudia Puerta Silva décrit les transformations économiques et culturelles récentes en Colombie et au Venezuela de la société wayùu, qui fait face à une dépendance de plus en plus grande envers le travail salarié et les programmes d’aides gouvernementaux. Cette situation qui entraîne une transformation des liens de solidarité et de coopération au sein des groupes familiaux et des communautés, est causée par plusieurs facteurs convergents dont la sécheresse persistante en lien avec les changements climatiques, la crise économique et politique au Venezuela et les projets d’extraction minière au sein de La Guajira. L’auteur met ainsi en évidence les tensions qui caractérisent la société wayùu, tiraillée par des logiques multiples et complexes.

Lionel Simon propose une relecture de la pratique des doubles funérailles chez les Wayùu, à la lumière des contributions récentes concernant les relations entre les vivants et leurs défunts dans les basses terres sud-américaines et, plus particulièrement, de la thèse voulant que le traitement des défunts aurait comme finalité de les effacer de la mémoire des vivants. À la suite de Jean-Guy Goulet, Lionel Simon propose d’adopter une position intermédiaire qui se situerait entre l’oubli et la mémoire car, comme il le démontre à l’aide de ses riches données de terrain, les modèles ne sont pas opposés puisque la rupture et la continuité constituent plutôt deux points de vue possibles chez les Wayùu qui tentent dans leurs pratiques de maintenir la bonne distance, attentive et respectueuse, avec leurs défunts.

Dans son article, Alessandro Mancuso présente un examen des connaissances relatives à l’organisation sociale et de la parenté chez les Wayùu, à partir des travaux de Jean-Guy Goulet et Benson Saler qui demeurent toujours les principales références sur ce sujet. Mancuso remarque que malgré les convergences de leurs positions respectives, il subsiste un point de désaccord entre Goulet et Saler concernant l’étendue des liens de réciprocité au sein des groupes d’ascendance, ainsi que la présence ou l’absence de groupes de descendance basés sur une ancestralité utérine, chez les Wayùu. À partir de ses propres données de terrain, il propose d’élargir la discussion à ce sujet en incluant les enjeux relatifs à la territorialité, aux alliances politiques et aux processus démographiques et économiques ainsi qu’une perspective régionale diachronique.

Pour sa part, Guy Lanoue propose une réflexion portant sur la mémoire sélective du passé de la Première Nation Sekani. Il rejoint ici le questionnement de Lionel Simon concernant la place de l’oubli et de la mémoire. Lanoue montre que le passé historique des interactions des Sekanis avec les Eurocanadiens apparaît marginal et soumis à des oublis sélectifs et stratégiques en regard des récits sekanis portant sur les animaux primordiaux qui sont conçus comme étant la source du pouvoir individuel et de l’agir collectif. Lanoue s’inspire des travaux de Jean-Guy Goulet en soulignant que le véritable acteur à l’oeuvre dans ses propres efforts de dynamisation et de transmission de l’« histoire sekani » était en réalité, encore et toujours, l’imaginaire sekani.

Dans son texte décrivant une ethnographie des chiens dans la communauté d’Old Crow au Yukon, Aïko Cappe discute de la mise en pratique des enseignements de Jean-Guy Goulet. Même les chiens possèdent une singularité locale, comme elle devait le réaliser progressivement, elle qui misait au départ sur une large connaissance de ces canidés domestiques acquise en d’autres lieux. Les chiens sont « différemment chiens » selon les contextes, rejoignant ici aussi un avis de Michael Singleton (2010). De plus, chaque animal possède une personnalité qu’une perspective intersubjective et expérientielle permet de décrire et d’interpréter. En conclusion, elle propose d’étendre la discussion de l’altérité au-delà des humains dans l’espoir d’une véritable prise en compte des non-humains en anthropologie.

La contribution de Marie-Pierre Bousquet, Laurence Hamel-Charest et Anna Mapachee porte sur l’expression des genres et de la sexualité chez les Anicinabek. Les concepts de « deux-esprits » et de « berdache » qu’on retrouve chez certaines Premières Nations y sont absents, et leur recherche n’a pas révélé l’existence d’autres genres que homme et femme ni de pratiques autres qu’hétérosexuelles chez les Anicinabek. Elles rejoignent le constat de Jean-Guy Goulet voulant que les concepts de berdache et de deux-esprits étaient absents et exogènes chez les Dènès Tha’. Chez les Anicinabek, l’autonomie individuelle et la préservation de l’harmonie sociale apparaissent comme des valeurs cardinales aux fondements de l’entraide et de la solidarité. On ne doit pas interférer dans la vie des autres, ce qui vaut également pour leur sexualité et leurs relations amoureuses. Cette règle de non-interférence existe pour le bien collectif et, en retour, rend possible l’acceptation et la reconnaissance des orientations sexuelles non hétéronormées.

Benoit Éthier discute de son expérience ethnographique chez les Atikamekw Nehirowisiwok et, plus particulièrement, de l’implication de l’expérience onirique, des esprits des lieux et des rituels dans sa transformation tant personnelle que comme chercheur. L’expérience ethnographique se transforme en approche expérientielle en permettant dans certains contextes un engagement du chercheur dans des façons radicalement différentes d’être et de comprendre. Le territoire est lui-même une dimension fondamentale de cette expérience, un acteur et un interlocuteur-clé dans la recherche, comme le montre Éthier en relatant une expérience vécue de transformation personnelle sur le terrain.

Le texte de Laurent Jérôme et Rubens Elias da Silva propose une comparaison des conceptions de la forêt et de l’eau dans les relations entre humains et non-humains dans les cosmologies des Atikamekw Nehirowisiwok et des communautés riveraines de l’Amazonie brésilienne. En s’inspirant des enseignements de Jean-Guy Goulet, les auteurs se demandent en quoi les récits de rencontres avec les défunts, les esprits animaux et diverses entités visibles et invisibles constituent des sources de connaissances et de pouvoirs porteuses de règles relatives à la transmission des pratiques traditionnelles. Les relations entre le territoire et les entités qui l’habitent constituent l’une des principales sources de structuration du pouvoir dans les sociétés autochtones et traditionnelles du Québec et du Brésil. Tant en Amazonie qu’au Québec, la forêt et l’eau se manifestent à travers des entités qui imposent des règles éthiques et pratiques à celles et ceux qui les habitent et les exploitent.

Frédéric Laugrand discute des ateliers de transmission intergénérationnelle des savoirs qu’il a organisés au Nunavut au début des années 2000, en collaboration avec Jarich Oosten et le Nunavut Arctic College. Il offre une riche discussion concernant les démonstrations du qilaniq, un rituel de divination, qui ont été mises en scène et filmées dans le cadre de ces ateliers. L’analyse du déroulement des diverses séances montre que les ateliers rejoignent en partie l’anthropologie expérientielle de Jean-Guy Goulet en permettant la création de contextes d’énonciation et de production des informations qui sont propices au rapprochement de tous les protagonistes. L’anthropologue est instrumentalisé en étant un simple participant mais il devient également le facilitateur d’un processus de transmission au sein de la communauté.

Témoignages

Dans son témoignage, Bruce G. Miller discute de l’influence de Jean-Guy Goulet sur ses travaux et sa conception de l’anthropologie. De plus, il discute de diverses réactions aux idées de Goulet, plus particulièrement en relation à son refus de la mise entre parenthèses de la vision du monde des collaborateurs et collaboratrices des anthropologues. Il souligne que Jean-Guy Goulet ne s’est jamais contenté d’écrire et qu’il a toujours eu à coeur de permettre à l’anthropologie de transformer la vie des communautés tout autant que celle des chercheurs.

Le témoignage de Benson Saler, un spécialiste des Wayùu, discute de l’importance et du mérite de l’analyse componentielle. Saler souligne que Jean-Guy Goulet a contribué empiriquement au célèbre projet de Floyd G. Lounsbury et Harold W. Scheffler sur les systèmes de parenté de type crow et omaha en se rendant chez les Wayùu – une population de type crow – à la demande de Harold Scheffler, alors son directeur de thèse, afin d’en découvrir le plus possible sur les règles de projection oblique, les règles d’équivalence et les valeurs de certaines variables du système de parenté des Wayùu. Dans cette contribution posthume, Benson Saler, malheureusement décédé le 25 février 2021, rend hommage à l’apport empirique et intellectuel de Jean-Guy Goulet à la discussion concernant ces énigmatiques et complexes terminologies de la parenté.

De son côté, David E. Young réfléchit à la nature de la démarche scientifique de l’anthropologie culturelle. Les cultures que décrit la discipline sont le résultat d’un effort conjoint entre les anthropologues et leurs collaborateurs et collaboratrices. Il en découle que la culture n’est pas une chose objective mais une construction ou un modèle qui permet de comprendre pourquoi les personnes agissent et s’expriment comme elles le font. Young propose que la meilleure validation du modèle construit par le chercheur passe par sa soumission à ses collaborateurs et collaboratrices afin de voir s’il fait sens à leurs yeux. En résulte un méta-modèle qui doit faire sens également pour les pairs. Ni émique ni étique, ce modèle traverse plusieurs cultures.

Finalement, le numéro comporte une bibliographie exhaustive des publications de Jean-Guy Goulet compilées par Frédéric Laugrand : Une invitation à se plonger dans la lecture de cette oeuvre riche et essentielle qui découle d’un parcours exceptionnel.