Réflexion

L’anthropologie est-elle une science ?[Record]

  • David E. Young

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  • David E. Young
    Professeur émérite, département d’anthropologie, Université de l’Alberta

  • Traduit de l’anglais par
    Mieko Tarrius

Peu d’entre nous sont en droit de remettre en question le statut de science qui est celui l’archéologie, de l’anthropologie biologique et de la primatologie. À cet égard, la plupart des scientifiques considèrent aussi l’anthropologie linguistique comme une science. Mais il semblerait qu’un débat persiste autour de la scientificité des méthodes ethnographiques qualitatives. Par exemple, lors du colloque annuel de l’Association américaine d’anthropologie, le comité exécutif a annoncé sa décision de remplacer, dans sa déclaration de but à long terme, une référence à l’avancement de « la science de l’anthropologie » par celle de « la compréhension publique de la nature humaine » (Dreger 2010). Le département d’anthropologie de l’Université Stanford, où j’ai obtenu mon diplôme doctoral, a longtemps été divisé autour de cette question – en partie à cause de l’influence du post-modernisme, qui soutient que l’ethnographe subirait indéniablement l’influence de son bagage culturel et de ses croyances personnelles, une posture qui l’empêcherait de faire preuve d’objectivité, une qualité souvent associée à la science. La scientificité de l’anthropologie socioculturelle dépend, bien évidemment, de la façon dont on définit la science. Le dictionnaire Oxford Advanced Learner (2000 : 1330) définit la science comme « la connaissance d’une structure ou d’un comportement du monde physique et naturel basé sur des faits que l’on peut prouver, par exemple par des expérimentations ». Le Conseil scientifique du Royaume-Uni (consulté en 2017) définit la science comme « la poursuite et l’application d’une connaissance et d’une compréhension du monde naturel et social en suivant une méthodologie systématique basée sur des faits ». À cette insistance sur l’évidence factuelle et la méthodologie systématique sont souvent ajoutées la reproductibilité et l’absence de biais. En combinant ces éléments, la « science normale » peut être définie comme la quête de connaissances au sujet du monde, basée sur des faits et des principes reproductibles par des observations et des expérimentations objectives et systématiques. Une telle définition est problématique en sciences sociales, notamment en anthropologie socioculturelle, car l’approche expérimentale n’est pas normalement réalisable, voire éthique. La reproductibilité et l’absence des biais sont également problématiques. En effet, la reproductibilité des méthodes est difficilement atteignable : reproduire une situation qui implique des êtres et groupements humains est impossible, car les humains comme les groupes sociaux évoluent entre la première et la seconde observation. L’absence de biais est également impossible puisque les scientifiques ne peuvent mettre de côté leurs systèmes de valeurs et leurs croyances personnelles et culturelles. Ces difficultés, bien sûr, ne sont pas le seul apanage des sciences sociales. Il est par exemple impossible de reproduire exactement les mêmes conditions en astronomie, puisque les scientifiques ne peuvent pas contrôler le mouvement des corps célestes et que même s’ils attendent qu’un phénomène se reproduise naturellement, les conditions ne sont normalement pas exactement les mêmes. De la même manière, supprimer des biais en physique ou en biologie n’est pas possible puisque même les appareils [de mesure] utilisés sont biaisés. La théorie des particules subatomiques soutient que la quantité de lumière nécessaire pour observer le comportement des particules subatomiques est suffisamment élevée pour modifier le comportement des particules (Weizmann Institute of Science 1998). Un des aspects de la précédente définition auquel la science du comportement peut adhérer est la nécessité d’une méthodologie systématique et de la tenue de registres. Plusieurs s’opposeraient à cette définition minimaliste de la science parce qu’elle inclut des entreprises aussi diverses que le journalisme, la médecine traditionnelle chinoise (qui a recensé des cas d’histoires individuelles sur plusieurs milliers d’années), les entretiens psychiatriques et les histoires de vie. Nombre de chercheurs et chercheuses en médecine considèrent ces cas comme des preuves …

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