In memoriam

Serge Bouchard (1947-2021)[Record]

  • Émile Duchesne

…more information

  • Émile Duchesne
    Doctorant, département d’anthropologie, Université de Montréal

L’homme de radio, écrivain et anthropologue Serge Bouchard est décédé le 11 mai 2021 à l’âge de 73 ans. M. Bouchard était connu d’un grand nombre de Québécois et de Québécoises pour ses apparitions hebdomadaires à la radio de Radio-Canada. Les lecteurs et lectrices de longue date de Recherches amérindiennes au Québec le connaissaient aussi pour ses interventions ponctuelles dans les pages de la revue (voir Bouchard et Mailhot 1973 ; Bouchard 1974 ; 1979 ; 1987). Serge Bouchard s’est initié aux études autochtones dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en anthropologie, dirigé par l’anthropologue Paul Charest, où il avait réalisé une étude ethnoscientifique des termes de classification des animaux chez les Innus de Ekuanitshit (1973). C’est dans le cadre de ces recherches de terrain que Bouchard recueillit le récit de vie du chasseur innu Mathieu Mestokosho, qui sera publié en 1977 et réédité aux éditions du Boréal en 2004. Le parcours algonquiniste de Bouchard s’est parachevé en 2017 avec la parution du livre Le peuple rieur – co-écrit avec Marie-Christine Lévesque – dans lequel il propose une synthèse accessible des thématiques clés abordées par l’anthropologie algonquiniste au courant du dernier siècle. Pour sa thèse de doctorat, le regard de Serge Bouchard s’est détourné des questions autochtones pour aborder la « vision du monde » des camionneurs québécois de la Baie-James. Sa thèse, déposée en 1980 à l’Université McGill, a été dirigée par l’anthropologue Bernard Arcand (1945-2009), qui deviendra par la suite le complice de Bouchard dans l’émission de radio Le Lieu commun et le déjà vu. Bien que sa thèse n’ait pas fait grand bruit dans le milieu anthropologique, elle n’a pas manqué d’anticiper plusieurs bouleversements à venir au sein de la discipline, notamment la crise de la représentation amenée par le postmodernisme. En effet, en déplaçant son regard des Innus vers les camionneurs québécois, Serge Bouchard déploya ainsi une anthropologie du « proche » qui cherchait à rendre étranger le familier et voir du mystère là où la plupart ne voyaient que de la technique ou de l’aliénation. Comme il l’écrivit dans sa thèse : « Appliquant le concept de culture là où l’on aurait tendance à avoir recours au concept du groupe de travail (occupationnel), s’appuyant sur la notion d’idéologie des truckeurs là où l’on parlerait normalement d’idéologie de classe, l’argumentation démontre que le groupe d’identité en question est un groupe sous-culturel de plein droit, existant dans un territoire abstrait : l’univers routier » (1980 : iii). Si la thèse de Bouchard est disponible en version numérique sur le site de l’Université McGill, une version remaniée pour le grand public a été publiée peu de temps avant son décès (Bouchard et Fortier 2021). La suite de la carrière de Serge Bouchard se fait principalement en dehors des universités. Peu après le dépôt de sa thèse, Bouchard participe à la création – aux côtés de Sylvie Vincent (1941-2020), de Richard Salisbury (1926-1989) et d’Ignatius La Rusic – du Centre de recherche et d’analyse en sciences humaines (ssDcc inc.), un cabinet de service-conseil regroupant des spécialistes des sciences sociales. En 1991, il publie un premier recueil de textes, Le moineau domestique, qui présente de courtes réflexions anthropologiques sur l’étrangeté et le curieux symbolisme de la vie quotidienne. Ce premier recueil attire l’attention d’un réalisateur de la radio de Radio-Canada qui l’invite à devenir chroniqueur pour une émission de radio. En 1992, on lui confie une première émission, Le lieu commun et le déjà vu, qu’il co-animera de 1992 à 1996 avec Bernard Arcand. Au fil des ans, les deux anthropologues acolytes publieront de nombreux recueils tirés de leurs …

Appendices