Comptes rendus

À la reconquête de la souveraineté : mouvements autochtones en Amérique latine et en Océanie, Natacha Gagné (dir.). Presses de l’Université Laval, 2020, 262 p.[Record]

  • Leila Celis

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  • Leila Celis
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

Cet ouvrage porte sur les revendications des droits politiques menées par les peuples autochtones, c’est-à-dire sur leurs luttes pour l’autodétermination. Ces luttes se font vis-à-vis des États-nations coloniaux qui ont été fondés sur les principes de subordination des peuples autochtones et d’unité et centralité de la souveraineté nationale. Le livre rend compte des visions de la souveraineté au sein des mouvements autochtones, sujet d’une grande importance académique et qui relève en même temps d’une certaine urgence sociale et politique. Il touche aussi la question de l’affirmation identitaire qui est souvent – mais pas toujours – liée aux luttes politiques pour l’autodétermination. Le titre du livre contient l’hypothèse de travail : les luttes contemporaines menées par les mouvements autochtones en Amérique latine et en Océanie visent la reconquête de la souveraineté des peuples autochtones. Les différents terrains montrent que la question est bien plus complexe. Le vocabulaire utilisé pour formuler les revendications (autonomie, indépendance, décolonisation, autogestion, autodétermination) n’est pas le même partout et, l’opposition entre la souveraineté autochtone et celle de l’État n’est pas toujours automatique. Les douze chapitres sont très instructifs, bien qu’inégaux quant à la qualité et à la taille. Les sept cas étudiés – qui correspondent aux pays que nous connaissons aujourd’hui comme la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, le Guatemala, le Pérou et la Bolivie – ont en commun la violence passée et présente du colonialisme, le rapport des autochtones à l’État et la persistance des résistances autochtones. Le livre est divisé en deux parties. La première partie comprend un article de contexte historique sur l’Amérique latine et un autre sur l’Océanie. La deuxième partie contient dix chapitres où s’entremêlent les analyses de cas des deux régions étudiées. Le chapitre d’introduction sur l’Amérique latine montre que dans ce sous-continent la signification du terme « souveraineté » a été marquée, depuis les premiers temps de la période coloniale, par les oppositions entre deux secteurs de l’Église catholique. D’un côté, les scolastiques, fortement représentés chez les créoles, prônaient la domination complète des autochtones et la souveraineté complète des Espagnols délégués de la Couronne et de Dieu. De l’autre côté, l’humanisme chrétien, très proche de la Couronne, prônait la protection de la souveraineté des autochtones et leur intégration dans la chrétienté. Rapidement, la Couronne espagnole a établi dans le Nouveau Monde un équilibre fragile pour l’ordre colonial : afin d’éviter l’anéantissement des autochtones et de leurs tribus, il a fallu limiter le pouvoir des colonisateurs et de leurs descendants, les créoles. De là, l’instauration d’une division administrative entre les républiques des Indiens et les républiques des Espagnols. C’est à partir de ce moment que les autochtones associent la notion de souveraineté à la nation, imaginée comme un espace où ils étaient supposés être intégrés. Cette compréhension de la souveraineté ne changera pas avec les indépendances (au cours desquelles les intérêts des créoles sortiront triomphants vis-à-vis de la Couronne et des autochtones), bien que les autochtones perdront alors le peu de protection que leur avait accordée le pouvoir colonial. Par contre, à partir des indépendances, la notion de souveraineté sera aussi associée à l’opposition aux ingérences étrangères. Aujourd’hui, la reconnaissance des droits autochtones par l’État varie d’un pays à l’autre. En Amérique latine, depuis le début des années 1990, les politiques néolibérales ont facilité cette reconnaissance qui concerne principalement les droits fonciers et culturels. Il faut dire néanmoins, que la reconnaissance néolibérale est très limitée, servant davantage à encadrer les luttes autochtones qu’à leur donner du pouvoir. Dans les cas étudiés dans cet ouvrage, ce type de politiques sont actuellement implantées au Pérou (chap. 5), de même qu’elles …