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Certains hasards influent sur le destin.

Certaines rencontres sont des cadeaux de la vie.

Quand on a vingt ans et qu’on poursuit des études, on s’enthousiasme pour le présent mais l’incertitude plane quant à sa vie professionnelle. En particulier, si on choisit la voie de la Faculté des arts, avec comme projet la photographie.

C’est dans ce contexte qu’à l’été 1971, je saute sur l’occasion d’un emploi d’étudiant dont la perspective m’enchante : photographe de fouilles sur le site iroquoien de Mandeville, fouilles organisées sous l’égide de la Société d’archéologie préhistorique du Québec (SAPQ). Superbe occasion de me retrouver sur un chantier dirigé par Laurent Girouard, qui avait orienté ses recherches sur l’archéologie du Québec. Une première à cette époque. Une découverte passionnante pour l’étudiant que j’étais. Voir un cours d’université en trois dimensions et dans l’action, ce n’était pas banal. Mais aborder le monde du travail avec une tâche qui rencontrait mon projet professionnel, encore vague il est vrai, était particulièrement enthousiasmant.

La participation à trois chantiers successifs m’a permis de rencontrer quelques-uns des premiers acteurs de l’archéologie québécoise : les Laurent Girouard, Jean Mandeville, le vidéaste Richard Boivin, et trois anthropologues, Rémi Savard, José Mailhot et… Sylvie Vincent, membres actifs du Laboratoire d’anthropologie amérindienne (LAA), qui partageaient les mêmes locaux de travail que la SAPQ.

Mais l’essentiel était ailleurs : tant les fouilles archéologiques que les travaux de recherche sur les Amérindiens mettaient en évidence un nouvel état d’esprit qui tenait dans une vision valorisante du monde amérindien et dans une démarche archéologique et scientifique qui allait donner un socle préhistorique à l’histoire du Québec – vue jusque-là à travers l’ethnocentrisme des premiers colonisateurs.

C’est cette expérience qui a orienté ma vie professionnelle.

Après ces chantiers sur le site Mandeville, Richard Boivin (vidéaste) et moi-même (photographe) avons fondé Vidéanthrop, une société principalement orientée vers la production de documents audiovisuels dans les domaines de l’anthropologie et de l’archéologie.

Poursuivant sur ma lancée, j’ai eu la chance de travailler avec Sylvie Vincent sur quelques projets :  d’abord la réalisation d’un montage audio-visuel intitulé « Peaux-Rouges en vitrine ou l’Amérindien imaginé » (Vidéanthrop 1980) à partir du scénario écrit par Sylvie. Ensuite, j’ai eu le privilège de bénéficier de ses précieux conseils ethnologiques pour la scénarisation du film L’ours étant mort… ou le sens des rituels algonquiens envers les animaux (Vidéanthrop 1981).

Dès 1982, j’ai côtoyé régulièrement Sylvie et j’ai pu échanger davantage avec elle quand elle s’est jointe à ssDcc, firme d’anthropologues regroupée autour de Serge Bouchard, Richard Salisbury et Jean-René Proulx, qui occupaient des bureaux dans les locaux où je travaillais.

En tant que membre fondateur de la Société Recherches amérindiennes au Québec, Sylvie a collaboré à la revue durant cinquante ans aux côtés de Rémi Savard, Laurent Girouard, Donat Savoie et Gérald McKenzie – et bien d’autres. Parallèlement, elle s’est engagée dans un grand nombre de publications, de projets et d’études, dont la collecte de récits auprès des Amérindiens, avec la collaboration de Joséphine Bacon et José Mailhot.

À mes yeux, Sylvie a toujours été une personne fascinante par sa curiosité, son humour, ses compétences, son sens aigu de la recherche, son engagement total dans son travail sur les us et coutumes des Amérindiens contemporains, leur histoire, leur culture, leur tradition orale, leur mode de vie et la défense de leurs droits.

Son perfectionnisme, sa rigueur intellectuelle et sa disponibilité n’avaient d’égal que sa discrétion et sa modestie. Quiconque l’a croisée sur son chemin ne peut oublier son esprit critique, son engagement citoyen et la justesse de ses propos.

De 1984 à 1986, toujours passionnée de tradition orale, elle participe avec José Mailhot à l’organisation des soirées de « Racontages », d’abord au café La Petite Ricane de la rue Bernard, puis au Bistro Saint-Hubert de la rue du même nom (aujourd’hui « Bistro d’autrefois »), à Montréal. C’est là que je tombe dans la marmite du conte. Et quand, en 1993, je crée un festival de contes, Sylvie trouve le temps de soutenir le projet et aide à en définir la ligne éditoriale en induisant son côté interculturel et… amérindien. De 1999 à 2015, en tant que vice-présidente elle rejoint le FICQ, Festival interculturel du conte du Québec.

En 2020, Sylvie s’est envolée dans les étoiles, telle une comète laissant derrière elle une pluie de souvenirs heureux à tous ceux et celles qui ont eu le privilège de croiser son chemin.