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La petite histoire d’une revue québécoise

Née de l’initiative et de l’invitation de Camil Guy (ethnologue) et de Charles A. Martijn (archéologue), la revue Recherches amérindiennes au Québec est le fruit de « l’étrange isolement » des chercheurs québécois qui travaillaient sur les questions autochtones dans les années 1960-1970. Au moment de la publication de son premier numéro en janvier 1971, Recherches amérindiennes au Québec avait comme principal objectif d’agir comme bulletin de liaison entre ces chercheurs isolés. Une lettre d’invitation rédigée par Camil Guy et Charles A. Martijn fut donc envoyée en septembre 1970 à une vingtaine de chercheurs, les conviant à une première rencontre au sujet de la création d’un « périodique ». Les personnes convoquées à cette réunion de fondation étaient : Michel Audet, Frank Auger, Claude Bernard, Jean-Pierre Cloutier, Michel Gaumond, Laurent Girouard, Camil Guy, Léonidas Larouche, Madeleine Lefebvre, José Mailhot, Charles A. Martijn, Pierre McKenzie, Gerard McNulty, Marcel Moussette, Régis de Roquefeuille, Bernard Saladin d’Anglure, Rémi Savard et Sylvie Vincent. C’est au cours de la réunion de fondation, tenue le 7 novembre 1970, qu’est née Recherches amérindiennes au Québec. Les noms des cofondateurs qui figurent dans les lettres patentes de la revue sont Laurent Girouard, Camil Guy, Charles A. Martijn, Rémi Savard, Donat Savoie et Sylvie Vincent.

Dès la parution du premier numéro, la volonté de développer à la fois un bulletin et une revue qui regrouperait des articles méritant une plus grande diffusion était déjà bien ancrée. L’une des personnes convoquées à la réunion de fondation avait une très bonne idée des objectifs et des orientations que devait prendre cette revue en devenir. Alors que les réponses de la majorité des chercheurs à l’invitation de C. Guy et de C.A. Martijn se limitaient à une seule page signalant simplement leur intérêt et leur volonté de participer à la mise sur pied d’une revue, la réponse de Sylvie Vincent se détaillait sur plusieurs pages avec toute une série de propositions à débattre lors de la réunion de fondation – qui devait avoir lieu en pleine crise d’octobre.

Au départ, les objectifs de la revue étaient de :

  • publier en français de façon à créer un lieu d’expression pour les chercheurs francophones et à rejoindre un lectorat intéressé par ces questions ;

  • contribuer à la connaissance des sociétés et des cultures autochtones du Québec (et, pour mieux les mettre en contexte, garder l’oeil ouvert sur celles de l’ensemble des Amériques) ;

  • avoir un caractère multidisciplinaire, c’est-à-dire ouvrir ses pages à tous les chercheurs travaillant sur des sujets relatifs aux Premières Nations, et ce, quelle que soit leur spécialité ;

  • s’adresser aux spécialistes mais aussi à un plus large public, autochtone ou non.

Depuis sa création, Recherches amérindiennes au Québec a été le véhicule de plus de 2000 écrits (articles, notes de recherche, documents officiels, documents d’archives, bibliographies, actualités, débats, points de vue, chroniques diverses, comptes rendus, etc.). Elle regroupe une somme impressionnante d’informations, d’analyses et parfois d’archives auxquelles se réfèrent les Autochtones, les membres du personnel politique et les fonctionnaires travaillant en milieu autochtone, ainsi que les spécialistes et toutes les personnes qui s’intéressent aux Premières Nations.

Initialement publiée à raison de quatre numéros annuellement, depuis 1998 la revue est désormais publiée trois fois par année avec un tirage oscillant entre 250 et 350 exemplaires. En plus du soutien des abonnés, le financement de la revue est assuré grâce aux programmes « Aide aux revues savantes » du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), « Soutien aux revues scientifiques » du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et, depuis 2018, du programme de soutien aux revues savantes de l’Université du Québec à Montréal. C’est à partir de 2017-2018 que la gestion des subventions fédérales et provinciales octroyées aux revues scientifiques doit obligatoirement être assurée par un établissement universitaire.

À partir de la deuxième moitié des années 1990, l’ère du numérique a grandement affecté les revues scientifiques, et Recherches amérindiennes au Québec n’y a pas échappé. Dès lors, le modèle classique de publication dans une revue scientifique a dû revu et le libre accès est devenu de plus en plus la norme. Alors que tous les numéros de la revue sont désormais disponibles en format PDF, les numéros publiés à partir du volume 33 (2003) sont offerts gratuitement sur la plateforme de diffusion numérique Érudit. Depuis janvier 2022, les numéros courants de la revue sont disponibles en libre accès immédiat sur Érudit.

Dans une volonté de réfléchir, de bonifier et d’actualiser la mission et les objectifs de la revue Recherches amérindiennes au Québec, un comité consultatif regroupant dix personnalités autochtones a été mis sur pied en mars 2020. Tout en voulant refléter les dynamiques actuelles de la recherche en milieu autochtone et favoriser l’inclusion des points de vue autochtones dans le contenu, cette réflexion a également mené à des discussions sur le nom de la revue et son éventuel changement. Alors que ses objectifs initiaux demeurent quasi inchangés, la revue a décidé d’actualiser sa mission avec la formulation suivante : revue multidisciplinaire francophone qui publie des articles scientifiques et des chroniques portant sur les enjeux et les réalités des peuples autochtones du Québec, des Amériques et à travers le monde. En continuité avec les objectifs originaux, ces objectifs se définissent maintenant comme suit :

  • publication de textes qui contribuent à une plus grande connaissance des sociétés et des cultures autochtones ;

  • valorisation des savoirs autochtones et des enjeux liés à leur transmission dans le contexte contemporain ;

  • encourager les contributions d’auteurs et d’auteures autochtones.

L’une des principales recommandations du comité consultatif concernait un éventuel changement de nom de la revue. Dans une perspective contemporaine, l’utilisation du terme « amérindiennes » n’était plus jugée appropriée par l’ensemble des membres du comité consultatif. Dans une volonté de tenir compte des points de vue autochtones et dans un processus de transformation, différentes propositions de nom ont émergé des consultations, et des démarches ont été entreprises pour que la revue poursuive ses activités sous un nom différent. Ainsi, à partir du volume 51, la revue poursuivra sa publication sous le nom Revue d’études autochtones.

Cinq décennies de publication

Pour revenir sur les cinq décennies de publication de la revue, nous avons élaboré trois exercices auxquels de nombreux collaborateurs et collaboratrices ont généreusement accepté de se prêter. Ces trois exercices se traduisent d’abord en une sélection de cinquante textes que nous présentons sous forme de recueil numérique en complément à ce numéro papier, en un florilège de réflexions qui reviennent sur quatorze thématiques jugées importantes dans l’histoire de la revue et, finalement, en un retour sur cinq numéros thématiques qui ont marqué la revue au cours de ses cinquante ans de publication. À cela nous ajoutons également une enquête statistique et bibliométrique sur les cinquante ans de publication de la revue, dans laquelle il est question de donner un aperçu de la distribution des auteurs, des disciplines et des aires culturelles représentés dans les pages de la revue.

Cinquante ans, cinquante textes… et un recueil

Le premier exercice a été d’établir une liste de cinquante textes qui nous semblaient les plus représentatifs de la contribution de la revue au fil des années. Exercice difficile s’il en est, nous avons pu compter sur la collaboration de quatre membres du comité de rédaction de la revue pour valider notre sélection : Laurent Jérôme, Marie-Pierre Bousquet, Christian Gates-St-Pierre et Adrian Burke. De concert avec ces collaborateurs, nous avons convenu que ces cinquante textes devaient représenter la diversité des contributions de la revue, tant pour ce qui est des thèmes abordés, des disciplines et des auteurs que des catégories de textes (articles, notes de recherche, actualités, réflexions, etc.). Nous ne prétendons pas avoir réussi à établir une liste qui soit parfaite et sans faille, mais nous estimons que notre sélection permet d’exprimer la riche diversité des contributions des cinquante dernières années à la revue Recherches amérindiennes au Québec. Ce recueil, qui contient notre sélection de textes, est disponible gratuitement en format numérique sur le site Internet de la Société Recherches amérindiennes au Québec (https://recherches-amerindiennes.qc.ca/site/documents/raq50_3/recueil_raq_50textes.pdf).

L’histoire de la revue à travers quatorze thématiques

Le recueil des cinquante textes nous a servi de base pour élaborer le second exercice de notre réflexion sur les cinquante ans de RAQ. En effet, après un examen de notre sélection, nous avons constaté que des thématiques émergeaient de ces textes et que celles-ci représentaient bien les débats et les enjeux abordés par la revue au fil des décennies. Au total, quatorze thématiques ont été identifiées, et les lecteurs peuvent consulter la liste des textes qui composent chacune des thématiques dans le tableau présenté plus bas. Pour chacune de ces thématiques, nous avons approché un ou plusieurs chercheurs spécialistes de ces questions pour revenir sur les textes du recueil constituant la thématique. En réalité, les textes se sont avérés être un prétexte pour revenir sur l’importance de la thématique dans les pages de la revue et de réfléchir à différentes perspectives sur l’état actuel de la thématique dans le monde de la recherche. À part ces quelques consignes, nous avons laissé le champ libre aux auteurs – ce qui fait de cette série de réflexions un véritable florilège aux multiples résonances. Alors que certains auteurs se sont davantage collés sur les textes sélectionnés, d’autres s’en sont plutôt servis comme prétexte à une réflexion plus large allant au-delà des pages de RAQ. De la même façon, certains textes adoptent un ton plus intimiste tandis que d’autres sont résolument plus académiques. Cette belle diversité nous semble représenter, en elle-même, les cinquante ans de publication de Recherches amérindiennes au Québec.

Cinq numéros marquants

Il aurait été difficile de faire un retour sur cinq décennies de publications sans faire mention de l’approche par numéro thématique qui est préconisée par la revue depuis ses débuts. En effet, cette démarche a souvent permis de créer une synergie entre les diverses contributions et d’aborder chaque problématique scientifique à travers une pluralité d’approches et de points de vue. Pour souligner l’apport de l’approche par numéro thématique, nous avons demandé à Claude Gélinas de sélectionner cinq numéros marquants publiés par RAQ, à raison d’un numéro par décennie. Pour justifier sa sélection, Claude Gélinas s’est surtout basé sur la diversité et l’originalité des thématiques au moment de la publication des numéros et aussi sur leur succès lors de leur sortie. En effet, un certain nombre des numéros sélectionnés ont été réimprimés rapidement après leur parution, car ils ont été rapidement épuisés. Les cinq numéros sélectionnés sont :

  • « Images de la préhistoire du Québec » (1978, vol. 7, nos 1-2) – dirigé par Claude Chapdelaine

  • « Chamanismes des Amériques » (1988, vol. 18, nos 2-3) – dirigé par Robert R. Crépeau

  • « Les Mohawks » (1991, vol. 21, nos 1-2) – dirigé par Pierre Trudel

  • « Métissitude » (2007, vol. 37, nos 2-3) – dirigé par Louis-Pascal Rousseau et Étienne Rivard

  • « Récits et savoirs partagés par l’art et la création en milieux autochtones » (2018, vol. 48, nos 1-2) – dirigé par Denis Bellemare et Élisabeth Kaine

Après cette sélection, nous avons invité les directeurs de ces cinq numéros à revenir sur le contexte de production de leur numéro respectif ainsi que sur sa réception par les chercheurs. Pour certains, cette rétrospective a été l’occasion de livrer certaines anecdotes sur les dessous de ce travail d’édition. Tous les directeurs des numéros sélectionnés en ont profité pour actualiser le propos en faisant état des nouveaux débats qui sont apparus après parution.