Historien à l’université de Davis en Californie, Andrés Resendéz entend, avec cet ouvrage remarquablement bien documenté (12 chapitres, 7 annexes, 120 pages de notes, 17 cartes, 19 illustrations) libérer ses lecteurs de cette « myopie historique » qui les afflige à propos de « l’autre esclavage », celui des « Amérindiens » des trois Amériques, – nord, sud et caraïbes. Aux Amériques, en effet, ont été asservis des centaines de milliers d’« Amérindiens », d’abord par l’Espagne coloniale, puis par le Mexique, et finalement par les États-Unis en 1848 avec la fin à la guerre américano-mexicaine. Les États-Unis se sont alors enrichis de terres immenses − Texas, Nouveau-Mexique, Arizona, Californie, Nevada, Utah, une partie du Colorado, du Wyoming et du Kansas. Sur ces terres vivaient les populations « amérindiennes » auxquelles ces terres avaient appartenu. Cet espace avait déjà été transformé en terre de razzia et de kidnapping par les peuples autochtones eux-mêmes qui, depuis des millénaires, se réduisaient mutuellement en esclavage. Mais l’auteur montre en détail comment, avec l’arrivée des Européens, ces pratiques se sont transformées, développées et banalisées. Ainsi Christophe Colomb avait-il expédié 550 natifs à vendre sur les marchés méditerranéens et l’Espagne était-elle devenue la principale puissance esclavagiste d’« Amérindiens ». Bientôt interdite (1542) par les souverains espagnols, cette pratique se perpétua pourtant, dissimulée sous d’autres oripeaux ; une « invisibilité » qui allait durer des siècles. Les historiens ont donc disposé de peu de sources : des procédures judiciaires portant sur des questions de dettes, des enquêtes et des récits concernant les nouvelles formes de travail forcé (lieux, durées, absence de rémunération) et des correspondances. Selon Reséndez, de l’époque de Colomb à la fin du xixe siècle, 2,5 à 5 millions d’Autochtones ont été réduits en esclavage tandis qu’au cours des seuls xvie et xviie siècles, la synergie épidémies, famines, guerres et in fine esclavage a provoqué un effondrement démographique de 70 à 90 % des populations « indiennes ». La majorité des esclaves étaient des femmes, sources de richesses, et des enfants, qui eux-mêmes étaient exploitables dans les situations les plus difficiles. Femmes et enfants valaient donc bien plus que les hommes sur le marché. Le commerce d’êtres humains ne fit que croître et évoluer. Dirigé à l’origine par les Européens, il passa progressivement entre les mains des « Amérindiens » – des Comanches, des Utes et des Apaches − qui fournirent les autres « Indiens », les Espagnols, les Mexicains et enfin les Américains. L’ampleur et la diversité du phénomène permettent de mieux comprendre les révoltes massives de résistance « amérindienne » à la présence hispano-mexicano-anglo. Les trois tentatives infructueuses entre 1650 et 1680 des Pueblos contre les Espagnols, suivies de leur insurrection victorieuse, illustrent bien ce phénomène. Menée par Popé, « La Grande Rébellion du Nord » finit par inclure des Apaches, Pimas, Janos, Sumas, Conchos, ou encore Mansos. Elle aboutit au massacre de plus de quatre cents colons et d’une vingtaine de Franciscains, tandis que le bétail et les chevaux étaient revendus à d’autres « Indiens » et qu’un réseau commercial étendu se mettait en place. Ces soulèvements visaient tant l’oppression et le fanatisme de l’église catholique que « l’autre esclavage », dans les mines d’or en particulier. Dix ans plus tard, c’est le retour des Espagnols, la destruction de Santa Fe (1692), le massacre de 450 « Indiens », tandis que 400 femmes et enfants sont vendus comme esclaves aux Antilles et que la majorité des villages du Rio Grande et du Nouveau-Mexique passe sous le contrôle espagnol. De leur côté, dès leur arrivée en Amérique du Nord, …
L’Autre esclavage : la véritable histoire de l’asservissement des Indiens aux Amériques, Andrés Reséndez. Albin Michel, Paris, 2021, 537 p.[Record]
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Nelcya Delanoë
Professeure émérite, Université Paris Nanterre