L’ouvrage collectif The Politics of Mapping rassemble une variété d’analyses conceptuelles et méthodologiques du rapport entre la cartographie et la politique. Longtemps considéré comme une science « objective » visant à brosser un portrait neutre de la surface de la Terre, le champ de la cartographie s’est considérablement transformé dans le monde universitaire occidental à partir de la fin du xxe siècle avec le mouvement de la cartographie critique. Ayant comme figure de proue les travaux de Brian Harley, la cartographie critique a introduit l’idée que les cartes sont au service du pouvoir politique (Gautreau et Noucher 2022 : 48). L’objectif principal de l’ouvrage The Politics of Mapping est de démontrer que les contextes sociaux, économiques, technologiques et politiques contemporains obligent les cartographes à refonder les paramètres de rapports de pouvoir et de domination établis par la cartographie critique. L’avènement du Web, la multiplication exponentielle des données géographiques et l’accessibilité aux logiciels cartographiques ont profondément transformé les rapports historiques de pouvoir et de domination, ce qui doit être mieux reflété dans la discipline. Les perspectives autochtones ont été essentielles dans l’émergence de la cartographie critique. Portées par les mouvements sociaux, les organisations autochtones ont été dans les premières à s’approprier les techniques de cartographie occidentales dans le but de renverser le pouvoir colonial exercé sur elles par l’État, jusqu’alors maître de la représentation géographique du territoire. C’est à partir de ces mouvements que s’est manifesté ce que Peluso (1995) nomme la « contre-cartographie » et qui a permis d’approfondir considérablement les réflexions entourant la cartographie critique. Bien que The Politics of Mapping ne soit pas un ouvrage entièrement dédié aux questions autochtones, il offre des pistes pertinentes pour réfléchir à la cartographie à partir d’une perspective décoloniale. Les quatre premiers chapitres de l’ouvrage consistent en des essais qui incitent les cartographes à réfléchir aux principes de leur discipline pour mieux traiter les réalités politiques contemporaines. Selon Farinelli (chap. 2), l’arrivée de l’imprimerie en Europe a permis la rapide propagation d’un certain type de représentation du territoire alimentée par les courants de pensée émergents du xviie siècle, qui ont donné une importance toute particulière au savoir « universel » écrit et intemporel. Pendant longtemps, les cartographes ont contribué à véhiculer cette représentation « objective » de la réalité, qui a permis à l’État de maintenir un contrôle sur la gestion du territoire et de sa population. Lévy (chap. 1) propose que les cartographes doivent aujourd’hui rejeter cette idée faussement admise de l’objectivité de la carte et plutôt épauler leurs concitoyens et concitoyennes dans leur volonté à prendre part à la vie politique. Dans le même ordre d’idée, Burini (chap. 4) déplore que bien souvent, les systèmes de collecte de données mobilisés par l’État se fondent exclusivement sur des approches topographiques et statiques de la population comme les recensements. Ces approches ne prennent en compte qu’une dimension physique et absolue du territoire (topos) et omettent l’ensemble des relations culturelles et sociales qui le forment (chora). Il faut donc repenser les projets cartographiques pour considérer le chora, ce qui offrira à la population une meilleure compréhension des dynamiques socioculturelles au sein du territoire et, du même coup, une meilleure gouvernance territoriale. Quant à eux, Gautreau et Noucher (chap. 3) déploient la thèse centrale de l’ouvrage. Ils soutiennent que les méthodes, les concepts et les objets développés par la cartographie critique doivent évoluer pour réussir à prendre en compte les changements majeurs causés par les avancées de la technologie numérique. Debarbieux (chap. 5) et Dao (chap. 6) présentent l’évolution du rôle de la cartographie dans les structures …
Appendices
Ouvrages cités
- Briggs, Carolyn et al. 2020. « Bridging the Geospatial Gap: Data about Space and Indigenous Knowledge of Place ». Geography Compass 14(11) : e12542.
- McGurk, Thomas. J. et Sébastien Caquard. 2020. « To what extent can online mapping be decolonial? A journey throughout Indigenous cartography in Canada ». The Canadian Geographer / Le Géographe canadien 64(1) : 49-64.
- Peluso, Nancy L. 1995. « Whose Woods Are These? Counter-Mapping Forest Territories in Kalimantan, Indonesia ». Antipode 27(4) : 383‑406.
- Rose-Redwood, Reuben et al. 2020. « Decolonizing the Map: Recentering Indigenous Mappings ». Cartographica 55(3) : 151-162.
- Syme, Tony. 2020. « Localizing landscapes: a call for respectful design in Indigenous counter mapping ». Information, Communication & Society 23(8) : 1106‑1122.