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Introduction

En 1996, la Commission mondiale de la culture et du développement note, dans son rapport à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), que les écoles sont l’un des principaux vecteurs par lesquels la culture se transmet. Parallèlement à la mission culturelle qui leur est confiée, elles ont aussi pour mandat d’encourager « l’alphabétisation numérique et [d’] accroître [chez les élèves] la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication [TIC] » (UNESCO, 2001, p. 7). Afin de créer un environnement propice à l’usage des TIC dans les écoles, l’UNESCO invite les pays, en 2012, à soutenir financièrement l’élaboration de ressources éducatives libres (REL). De son avis, les REL consistent en :

[d]es matériels d’enseignement, d’apprentissage et de recherche sur tout support, numérique ou autre, existant dans le domaine public ou publiés sous une licence ouverte permettant l’accès, l’utilisation, l’adaptation et la redistribution gratuits par d’autres, sans restriction ou avec des restrictions limitées.

p. 1

À l’échelle québécoise, le développement de REL numériques produites par des institutions culturelles à l’intention du milieu scolaire a bénéficié, durant les années 2000, d’un financement du ministère du Patrimoine canadien et, plus récemment, du Plan culturel numérique du Québec (PCNQ). Ces mesures facilitent et encouragent la contribution des musées à la mission culturelle des écoles en leur permettant d’élaborer de plus en plus de ressources numériques riches et diversifiées (Landry, 2007). C’est ainsi qu’en 2014 le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) entreprend d’en développer pour les enseignants du secondaire de tous les domaines d’apprentissage et de tous les niveaux au Québec en les rendant disponibles sur une plateforme nommée ÉducArt (educart.ca). Ces ressources s’actualisent entre autres par la proposition d’activités éducatives cocréées avec des enseignants et basées sur différentes thématiques, qui permettent de poser un regard multidisciplinaire sur la collection encyclopédique du musée. En principe, la plateforme devrait permettre de soutenir les écoles secondaires québécoises dans leur mission culturelle. Or, dans quelle mesure les enseignants peuvent-ils et veulent-ils s’approprier des ressources numériques muséales telles que celles diffusées sur la plateforme ÉducArt (Larouche, Simard, Ouellet, Deveault et Thuot Dubé, 2017) ? Il s’agit d’une question d’importance au moment où le PCNQ entrevoit de poursuivre le financement de plateformes muséales pour tisser des liens plus étroits entre le milieu scolaire et les musées (Rocheleau, 2016). Plus encore, la question se pose, car bien que des études aient fait ressortir l’intérêt d’enseignants à s’approprier des plateformes muséales (Wyse et McGarty, n. d.) et certaines conditions liées à leur appropriation technique et pédagogique (Abbott et Cohen, 2015), elles nous informent peu sur les enjeux qui se posent dans le processus d’appropriation de ressources numériques muséales. Dans cette perspective, un cadre d’analyse visant à mieux comprendre ces enjeux semble nécessaire. Cet article se veut une contribution en ce sens, mais avant cela, il convient de problématiser ce qui incite actuellement les musées à élaborer des ressources numériques à l’intention des enseignants du secondaire.

1. La problématique

Au Québec, selon le Groupe de travail sur la réforme du curriculum (1997), pour beaucoup de réformateurs dans les pays occidentaux, intégrer la culture dans les programmes d’études consiste souvent à accorder plus d’importance à l’enseignement des disciplines qui en sont naturellement porteuses telles que les langues, les arts et l’histoire. Toutefois, à l’aube de la réforme éducative des années 2000, cette piste d’action a été jugée insuffisante par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), qui considère que la culture ne peut se réduire à ces disciplines. Il a plutôt entrepris d’infléchir la perspective générale des programmes d’études afin de considérer plus fermement la mission culturelle des écoles.

1.1. La mission culturelle des écoles québécoises

En 1964, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec faisait déjà mention, dans son rapport, que les enseignants ont pour mandat de faire aimer l’école aux élèves grâce à la culture. Cette préoccupation est ravivée 30 ans plus tard avec la Politique culturelle du Québec (MEQ, 1992) qui s’engage à renforcer la sensibilisation des élèves à la culture, ainsi qu’avec la parution du rapport du Groupe de travail sur les profils de formation au primaire et au secondaire (1994) qui prône l’adoption d’une orientation culturelle pour la réforme éducative des années 2000. La volonté de rehausser la présence de la culture dans les écoles est à la suite de cela réaffirmée dans le rapport de la Commission des États généraux sur l’éducation (1996), dans le rapport du Groupe de travail sur la réforme des curriculums (1997), dans l’énoncé de politique éducative du MEQ (1997) ainsi que dans le document L’intégration de la dimension culturelle à l’école publié par le MEQ et par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) (2003). Dans l’ensemble, ces documents officiels préconisent le rehaussement culturel des programmes d’études et recommandent l’intégration de ressources muséales dans les activités éducatives suggérées aux élèves.

1.1.1. Le rehaussement culturel des programmes d’études

En 1992, dans sa politique culturelle, le MEQ s’engage à renforcer la sensibilisation des élèves à la culture. Pour ce faire, il entend « relancer l’éducation artistique et culturelle en milieu scolaire et assurer la sensibilisation des jeunes aux arts, à la littérature et à l’histoire » (p. 101). Il affirme vouloir « redonner à l’école son rôle fondamental d’éducatrice culturelle » (p. 99). Autrement dit, avec sa politique culturelle, le MEQ (1992) réitère la mission culturelle des écoles.

En 1994, le Groupe de travail sur les profils de formation au primaire et au secondaire souligne l’importance du rôle des écoles dans l’introduction des élèves au monde de la culture. Il souhaite qu’un accent soit mis sur la finalité culturelle des écoles, cette dernière étant comprise comme une initiation des élèves aux productions significatives du patrimoine humain. Le Groupe de travail sur les profils de formation au primaire et au secondaire (1994) appuie donc la mission culturelle des écoles. De son avis, elle se traduit par le rehaussement de la place donnée à la culture dans les programmes d’études.

En 1996, la Commission des États généraux sur l’éducation fait du rehaussement culturel des programmes d’études l’un des dix chantiers prioritaires à considérer pour la réforme éducative des années 2000. Pour elle, il s’agit de :

mettre les élèves en contact avec la diversité du patrimoine constitué dans les divers domaines de la culture, avec les productions humaines les plus significatives, et de leur permettre, par un approfondissement progressif des disciplines enseignées, d’acquérir les connaissances de ces différents champs, d’établir des liens entre elles, de développer les habiletés et les attitudes nécessaires à la compréhension et à la maîtrise de leur environnement de même qu’à leur insertion dans un monde en changement en tant qu’êtres créatifs et citoyennes et citoyens responsables.

p. 22

Par cette piste d’action, la Commission des États généraux sur l’éducation (1996) désire redonner aux curriculums du primaire et du secondaire toute leur richesse et leur équilibre en proposant de rehausser leur niveau culturel.

En 1997, le Groupe de travail sur la réforme du curriculum d’études du primaire et du secondaire recommande que le rehaussement culturel des programmes d’études passe par la présence de l’approche culturelle dans toutes les disciplines et pour chaque année d’enseignement obligatoire. L’approche culturelle consiste à « mettre l’élève en contact avec des productions […] passées ou contemporaines et [à] lui fournir des clés permettant de mieux [les] comprendre » (p. 26). En ce sens, selon le Groupe de travail sur la réforme du curriculum d’études du primaire et du secondaire (1997), tous les programmes d’études nécessitent d’être révisés pour y intégrer l’approche culturelle.

Toujours en 1997, dans l’énoncé de politique éducative, le MEQ fait du rehaussement culturel des programmes d’études l’un des six objectifs visant à enrichir l’environnement éducatif. Exprimé sous la forme de recommandations, ce rehaussement se précise selon trois axes. Le premier axe consiste à mettre en oeuvre une approche culturelle dans toutes les disciplines et pour chaque niveau d’enseignement obligatoire. Le deuxième axe vise à faire une plus grande place à l’enseignement des disciplines naturellement porteuses de culture telles que les langues, les arts et l’histoire. Le troisième axe prévoit l’intégration de la dimension culturelle dans toutes les disciplines.

En 2003, le MEQ et le MCC publient le document L’intégration de la dimension culturelle à l’école. Ils y apportent des précisions sur les deuxième et troisième axes présentés dans l’énoncé de politique éducative (MEQ, 1997). D’un côté, en ce qui a trait au deuxième axe, le MEQ et le MCC (2003) pensent dorénavant qu’il est « plus profitable de chercher à définir comment il [est] possible de mettre en évidence les manifestations de la culture dans chacune des disciplines » (p. 4). D’un autre côté, ils explicitent ce que le MEQ (1997) entend par le troisième axe, soit que l’intégration de la dimension culturelle dans toutes les disciplines peut se concrétiser en suivant trois voies : 1) exploiter des repères culturels; 2) prendre en compte les visées, les orientations et les éléments constitutifs du Programme de formation de l’école québécoise qui favorisent, par leur nature, l’intégration de la culture; et 3) collaborer avec des institutions culturelles. Relativement à cette troisième voie, le MEQ et le MCC (2003) précisent que l’intégration de la dimension culturelle dans toutes les disciplines ne peut se réaliser que dans « les actions concertées des nombreux acteurs scolaires et culturels » (p. 5). Cette ouverture aux institutions culturelles que nécessite l’intégration de cette dimension semble d’autant plus essentielle pour les enseignants et les élèves du secondaire. Comme le mentionne Lemerise (1999), ce public ne fait que très peu de sorties culturelles, notamment dans des musées, en raison de difficultés logistiques dues à l’horaire des élèves partagé par plusieurs enseignants. En ce sens, avant de s’intéresser à l’enseignement au secondaire dans une perspective culturelle, la Figure 1 présente une synthèse des incitations officielles qui visent à considérer plus fermement la mission culturelle des écoles québécoises.

Figure 1

Synthèse des incitations officielles qui visent à considérer plus fermement la mission culturelle des écoles québécoises

Synthèse des incitations officielles qui visent à considérer plus fermement la mission culturelle des écoles québécoises

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1.1.2. Le rehaussement culturel des programmes d’études au secondaire

Progressivement mis en oeuvre à partir de 2006, les programmes d’études pour l’enseignement au secondaire incitent les enseignants à enseigner « dans une perspective culturelle » (MEQ, 2006, p. 7) afin d’assumer leur rôle de passeur culturel. Formulé pour la première fois par Zakhartchouk en 1999, puis repris par le MEQ en 2001 dans son document La formation à l’enseignement : les orientations, les compétences professionnelles, ce rôle s’est défini par l’élaboration d’une première compétence professionnelle devant orienter la formation initiale des enseignants. Elle consiste à « [a]gir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions » (p. 60). Comme des repères culturels ont également été développés pour toutes les disciplines, le MEQ (2006) demande explicitement aux enseignants du secondaire de les exploiter. Cependant, à elles seules, la formulation d’une compétence professionnelle axée sur le rôle de passeur culturel des enseignants et l’intégration de repères culturels dans toutes les disciplines ne peuvent assurer le rehaussement culturel des programmes d’études au secondaire. L’un des moyens concourant en outre à sa réalisation serait la fréquentation d’institutions culturelles telles que les musées, pour l’enseignement de toutes les disciplines (MEQ, 2006).

1.2. Des ressources muséales pour le milieu scolaire

Depuis les années 1950, les musées se démocratisent en devenant de plus en plus accessibles au grand public (Allard et Boucher, 1991). Leur mission éducative se précise et des chercheurs avancent qu’ils devraient être mieux intégrés au milieu scolaire (Allard et Boucher, 1991; Trofanenko, 2014). Bien que des musées aient existé au sein d’établissements scolaires jusqu’aux alentours de 1960 pour réunir, conserver et exposer des collections à des fins d’enseignement et de recherche (Lacroix, 2002), c’est en 1961 que le MBAM devient le premier musée québécois à mettre en place un véritable service éducatif (Allard, 2015). Il propose aux publics scolaires des visites commentées auxquelles s’ajoutent des supports didactiques ainsi que des activités éducatives inspirées par sa collection encyclopédique et privilégiant le contact des élèves avec des objets culturels (Allard, 2015). Dès lors, on reconnaît que les musées peuvent être des lieux d’éducation au même titre que les bibliothèques (Allard et Boucher, 1991; Meunier et Charland, 2009). Dans les mêmes années, le Conseil international des musées adopte une définition de ces institutions culturelles en soulignant leur rôle en matière d’éducation. Modifiée pour la dernière fois en 2007, cette définition souligne que :

[u]n musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation.

Toutefois, la question qui se pose est de savoir comment les musées peuvent mieux assumer leur mission éducative auprès du milieu scolaire. Il semble que ce soit avec l’essor des TIC qu’ils entrevoient une nouvelle possibilité de mieux contribuer aux activités éducatives qui se déroulent en classe (Landry, 2007; Larouche, Meunier et Lebrun, 2012).

1.2.1. Des ressources numériques muséales pour le milieu scolaire

Dans plusieurs pays occidentaux, un financement étatique est offert, à divers degrés, pour l’élaboration de ressources numériques muséales destinées au milieu scolaire. Par exemple, en France, la plateforme L’Histoire par l’image (histoire-image.org), éditée en 2002 et développée par la Réunion des musées nationaux, est sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Cette plateforme met à la disposition des enseignants et des élèves du secondaire des oeuvres d’art pour mieux comprendre l’histoire sociale et culturelle de la France. Pour appuyer un travail d’analyse pluridisciplinaire, chaque oeuvre d’art est accompagnée d’une description de l’intention de création de l’artiste et d’une animation multimédia incluant un commentaire sonore. Plus encore, la plateforme permet d’avoir accès à un guide interactif pour l’analyse autonome des oeuvres d’art par les élèves et permet de présenter des activités éducatives réalisées en classe.

Aux États-Unis, le réseau des musées Smithsonian, en collaboration avec une firme privée, a élaboré en 2013 une plateforme (smithsonianeducation.org) destinée aux enseignants du primaire et du secondaire. Dans l’ensemble, cette plateforme permet de rechercher par sujet, par discipline et par niveau d’enseignement des activités éducatives à réaliser en classe et qui permettent l’exploitation d’objets culturels de la collection des musées.

Au Royaume-Uni, la plateforme de la National Gallery (nationalgallery.org.uk), développée en 2010, est subventionnée principalement par le gouvernement. Dans l’un de ses onglets, elle offre aux enseignants du secondaire des pistes pédagogiques interdisciplinaires autour de la toile Diana and Actaeon, peinte par Titien entre 1556 et 1559. Ces pistes comprennent des fiches d’informations sur l’époque de création de la toile, des liens utiles sur l’art et sur la mythologie ainsi qu’un guide interactif pour l’analyse autonome de la toile par les élèves. Les enseignants peuvent aussi décider de faire visiter aux élèves la National Gallery afin, entre autres, d’y observer la toile exposée. La visite commentée est alors adaptée pour maximiser les apprentissages réalisés en classe. Considérant le potentiel novateur des pistes pédagogiques interdisciplinaires proposées autour de la toile Diana and Actaeon, la National Gallery a commandé une étude afin de connaître les retombées associées à leur exploitation.

1.2.2. Des études récentes sur l’usage de ressources numériques muséales par le milieu scolaire

La plateforme de la National Gallery a fait l’objet d’une étude évaluative auprès d’enseignants de cinq écoles secondaires du Royaume-Uni pour connaître les retombées associées à son usage en classe (Wyse et McGarty, n. d.). Les enseignants interrogés estiment que la plateforme permet de favoriser l’emploi de méthodes d’enseignement interdisciplinaires à travers une thématique commune inspirée par la toile. Certains reconnaissent qu’elle facilite l’usage d’une démarche associée à une autre discipline que la leur et la mise en relation de multiples disciplines pour la réalisation d’un même produit final par les élèves. Autrement dit, l’exploitation des pistes pédagogiques en classe permet d’avoir une approche souple et intégrée qui aide les élèves à tisser des liens entre des savoirs disciplinaires généralement cloisonnés. De même, Wyse et McGarty (n. d.) soulignent qu’elles incitent au partage d’idées et à la discussion entre les enseignants de différentes disciplines ainsi qu’à la collaboration avec le musée.

Dans un même ordre d’idées, aux États-Unis, Abbott et Cohen (2015) ont mené une étude pour une institution à caractère patrimonial, la Digital Public Library of America, dans l’objectif d’informer l’équipe d’élaboration de la plateforme (dp.la) de différentes façons de favoriser son usage éducatif du préscolaire à l’université. Cette plateforme, mise en ligne en 2010, diffuse plus de 9 000 000 d’objets culturels tirés des collections de bibliothèques, de musées et de centres d’archives des États-Unis. Au terme de la collecte de données, notamment réalisée auprès d’enseignants, Abbott et Cohen (2015) formulent la recommandation suivante :

Nous avons appris que les usages éducatifs des contenus numériques du patrimoine culturel requièrent une approche particulière pour leur conservation et leur mise en valeur, de même que des actions visant à rejoindre les publics visés dans le milieu de l’éducation afin que les utilisateurs trouvent le plus rapidement possible des ressources appropriées et disposent d’informations sur leur pertinence culturelle et historique.

p. 3, traduction libre

Ils suggèrent aussi à l’équipe de développement de porter une attention particulière aux besoins des enseignants et d’utiliser leurs commentaires afin d’accroître la convivialité de la plateforme, c’est-à-dire de faciliter son usage. Par ailleurs, des enseignants interrogés signalent l’originalité des objets culturels auxquels ils peuvent accéder grâce à la plateforme. Effectivement, ils se distinguent de ce qui est habituellement présenté dans les manuels scolaires.

Cela étant dit, si les études recensées documentent l’intérêt d’enseignants à s’approprier des ressources numériques muséales (Wyse et McGarty, n. d.) ainsi que certaines conditions liées à leur appropriation technique et pédagogique (Abbott et Cohen, 2015), elles nous informent peu sur les enjeux rencontrés par des enseignants du secondaire de tous les domaines d’apprentissage et de tous les niveaux lorsqu’ils s’en approprient. Aux États-Unis, Barragree (2007) a travaillé à l’élaboration et à la validation d’un guide permettant aux musées et aux écoles de collaborer à la création de ressources numériques pour les classes de sciences humaines au secondaire. Elle note que la « technologie aide les musées et les enseignants […] à créer du matériel standardisé » (p. 27, traduction libre). Or, le développement de ce guide s’inscrit dans la perspective unique des sciences humaines et ne s’intéresse pas aux enjeux qui se posent pour l’appropriation de ressources numériques muséales pour l’enseignement des différentes disciplines au secondaire. À l’instar d’Abbott et Cohen (2015), Barragree (2007) souligne néanmoins l’importance de prendre en compte les besoins des enseignants lorsque les musées s’engagent dans l’élaboration de ressources numériques à leur intention.

1.3. La prise en compte des besoins et des réalités du milieu scolaire dans le développement de ressources numériques muséales

Dans le domaine des sciences de l’éducation, Van der Maren (1996, 2003) indique que, pour l’élaboration de toute ressource destinée au milieu scolaire, la prise en compte des besoins et des réalités de la classe s’impose. Parallèlement, en milieu muséal, un domaine de recherche s’est constitué autour de la question de l’évaluation (Daignault, 2011). Quand elle est menée pendant la phase de développement d’un produit ou d’un service, l’évaluation a pour objectif de tenir compte des besoins du public cible (Daignault, 2011). Lorsqu’il est question de l’élaboration de ressources numériques à l’intention du milieu scolaire, les musées doivent donc tenir compte d’un ensemble de facteurs propres à celui-ci.

Ainsi, depuis 2014, le MBAM développe une plateforme nommée ÉducArt. Cette dernière étant destinée à soutenir l’enseignement dans tous les domaines d’apprentissage et à tous les niveaux du secondaire au Québec. En collaborant avec des enseignants pour son élaboration, le musée leur fournit une médiation pour l’exploitation pédagogique des objets culturels diffusés sur sa plateforme, escomptant obtenir en retour une validation des activités éducatives qui y seront disponibles. Comme, à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur l’appropriation de ressources numériques muséales par des enseignants, nous nous interrogeons sur les enjeux associés à l’appropriation de la plateforme ÉducArt par des enseignants du secondaire du Québec en l’absence de toute forme de médiation effectuée par le MBAM. Puisque la plateforme possède le potentiel d’appuyer le rehaussement culturel des programmes d’études québécois au secondaire et qu’elle est en cours de développement, il semble nécessaire d’en cerner les enjeux en vue de l’améliorer et de prendre davantage en considération les besoins et les réalités du milieu scolaire. Plus encore, bien que des ressources numériques muséales soient de plus en plus accessibles aux enseignants, il apparaît qu’elles ne sont pas optimalement utilisées par ces derniers (Abbott et Cohen, 2015). Des enjeux seraient alors rencontrés par les enseignants lorsqu’ils tentent de se les approprier. En ce sens, un cadre d’analyse pour bien cerner ces enjeux semble essentiel.

2. Le cadre d’analyse

Pour soutenir l’appréhension de l’objet de recherche, plusieurs modèles théoriques peuvent être utilisés. Après avoir passé en revue trois d’entre eux, nous avons arrêté notre choix sur un modèle que nous avons enrichi en raison de la nature des ressources numériques concernées. Dans l’objectif de saisir la portée du cadre d’analyse proposé, il importe avant tout de présenter la plateforme ÉducArt et de définir le concept d’appropriation des TIC pour saisir la diversité des aspects à analyser lorsqu’il est question de mieux comprendre les enjeux y étant associés en milieu scolaire.

2.1. La plateforme ÉducArt

Selon Deveault (2016), conceptrice en éducation dans l’équipe de développement de la plateforme ÉducArt et auteure d’un essai à ce propos, l’élaboration de la plateforme s’inscrit dans la mission sociale et éducative du MBAM. Elle consiste à « attirer le public le plus vaste et le plus diversifié qui soit, en lui offrant un accès privilégié au patrimoine artistique universel » (MBAM, 2009, p. 2). Afin de faire écho à cette mission, il est premièrement suggéré, sur la plateforme, d’exploiter des objets culturels par l’entremise de plusieurs domaines d’apprentissage. Deuxièmement, une approche thématique « pour dégager du sens à partir d’un regroupement d’objets » (Deveault, 2016, p. 17) a été adoptée. Cette approche se déploie par de multiples mots-clés auxquels sont rattachés les objets culturels. Troisièmement, une lecture multidisciplinaire d’un certain nombre d’objets culturels par des experts de divers domaines, comme un cardiologue, est proposée sur la plateforme. Pour stimuler l’exploitation d’une partie de la collection encyclopédique numérisée du MBAM, des activités éducatives qui ont une portée interdisciplinaire ou multidisciplinaire sont aussi diffusées. Enfin, il apparaît que la plateforme est novatrice sur le plan du mode d’accès aux objets culturels en ce qu’elle utilise des langages de programmation en trois dimensions. Au regard du contexte d’exploitation de la plateforme, il semble maintenant opportun d’examiner les connaissances issues de la recherche relativement à l’appropriation des TIC.

2.2. L’appropriation des technologies de l’information et de la communication

Le concept d’appropriation des TIC revêt de multiples acceptions (Breton et Proulx, 2012; Cishahayo, 2010). Bien que ses études ne concernent pas directement le domaine de l’éducation, Proulx (2001) définit l’appropriation des TIC comme « la maîtrise cognitive et technique d’un minimum de savoirs et de savoir-faire permettant éventuellement une intégration significative et créatrice [d’une] technologie dans la vie quotidienne de l’individu ou de la collectivité » (p. 142). Dans une étude portant sur l’appropriation du courrier électronique par des chercheurs-formateurs universitaires, Millerand (2003) l’envisage également dans cette perspective, mais le fait à partir de l’étymologie latine du verbe « approprier ». L’appropriation signifie donc l’action de faire de quelque chose sa propriété en vue de l’adapter à son espace-temps spécifique pour l’intégrer à son vécu. D’un point de vue plus professionnel, Dourish (2003) indique que l’« appropriation est le processus par lequel les gens adoptent et adaptent les technologies, en les intégrant dans leurs pratiques de travail » (p. 465, traduction libre). Plus spécifiquement en milieu scolaire, l’appropriation a pour finalité, selon Lefebvre et Fournier (2014), un usage pédagogique des TIC par les enseignants à l’intérieur « d’activités fréquentes réalisées dans un cadre d’apprentissage actif et significatif » (p. 38).

Par ailleurs, les écrits explorés nous ont menés à constater que six facteurs apparaissant faciliter ou contraindre l’appropriation des TIC par les enseignants ont déjà été documentés. Le Tableau 1 présente ces facteurs ainsi que des auteurs ayant travaillé sur le sujet.

Tableau 1

Synthèse des facteurs facilitant ou contraignant l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les enseignants selon les écrits explorés

Synthèse des facteurs facilitant ou contraignant l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les enseignants selon les écrits explorés

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Bien que nombreux, ces facteurs ne nous informent pas sur les enjeux spécifiques rencontrés par des enseignants dans l’appropriation de ressources numériques muséales, à plus forte raison celles destinées à soutenir l’enseignement au secondaire dans tous les domaines d’apprentissage et à tous les niveaux. Étant donné la tâche complexe des enseignants (Koehler et Mishra, 2009), il importe d’avoir une vue d’ensemble des enjeux qu’ils peuvent rencontrer en s’appropriant de telles ressources. Pour y parvenir, l’usage d’un cadre d’analyse inspiré d’un modèle théorique pertinent à cet effet est requis.

2.3. Un modèle théorique pour étudier les enjeux associés à l’appropriation de ressources numériques muséales par des enseignants du secondaire

Afin de bien comprendre les enjeux associés à l’appropriation de ressources numériques muséales par des enseignants du secondaire, trois modèles théoriques, considérés parmi les plus répandus dans les écrits (Fiévez, 2017), ont été étudiés : le Processus d’intégration des TIC de Raby (2005), le modèle Adoption, Substitution, Progrès, Innovation, Détérioration (ASPID) de Karsenti (2014) et le modèle Technological Pedagogical, and Content Knowledge (TPACK) de Koehler et Mishra (2009). Nous avons fait le choix de l’un d’entre eux avant d’y intégrer une dimension relative aux connaissances culturelles des enseignants, et ce, en considérant les visées culturelles poursuivies par le développement de la plateforme ÉducArt.

2.3.1. Le modèle théorique Processus d’intégration des technologies de l’information et de la communication de Raby (2005)

Le modèle théorique de Raby (2005) illustre en quatre stades « le processus complexe que traversent les enseignants [du primaire] en exercice lorsqu’ils évoluent d’une non-utilisation à une utilisation exemplaire » (p. 80) des TIC. Dans ce modèle proposant une perspective diachronique du processus d’intégration, chaque stade comprend une ou plusieurs étapes. La Figure 2 donne un aperçu du modèle Processus d’intégration des TIC.

Figure 2

Modèle théorique Processus d’intégration des technologies de l’information et des communications de Raby (2005)

Modèle théorique Processus d’intégration des technologies de l’information et des communications de Raby (2005)

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Au stade de la sensibilisation, les enseignants ont un contact éloigné avec les TIC présentes dans leur environnement. Des individus de leur entourage les utilisent, mais ils ont peu ou pas de contacts avec elles. Ce stade, qui ne comprend qu’une étape, est rapidement suivi par les stades de l’utilisation personnelle, de l’utilisation professionnelle ou de l’utilisation pédagogique. Le choix se fait en fonction des motivations des enseignants à poursuivre leur processus d’intégration des TIC. Par exemple, les enseignants d’abord motivés par un intérêt d’ordre pédagogique passent directement du stade de la sensibilisation au stade de l’utilisation pédagogique. Ils en viendront ensuite à développer une utilisation personnelle et professionnelle des TIC. Ainsi, les trois derniers stades sont non-linéaires et peuvent se permuter.

Pour ce qui est du stade de l’utilisation personnelle, il comprend, pour sa part, deux étapes. À l’étape de la motivation, les enseignants sont animés par une curiosité, un intérêt ou un besoin personnel d’utiliser des TIC. À la suite de cela, ils progressent vers l’étape de l’exploration-appropriation pendant laquelle ils apprennent entre autres à communiquer avec leurs amis à l’aide des TIC. Le stade de l’utilisation professionnelle comprend aussi ces mêmes étapes. À celle de la motivation, les enseignants sont stimulés par un besoin professionnel d’utiliser des TIC. Après, ils avancent vers l’étape de l’exploration-appropriation où ils vont notamment apprendre à rechercher des informations sur des sujets d’ordre professionnel dans le Web. Quant au stade de l’utilisation pédagogique, il comprend cinq étapes et touche l’usage des TIC par les élèves. Premièrement, à l’étape de la motivation, les enseignants ont la curiosité, l’intérêt ou l’obligation d’intégrer des TIC dans leur enseignement. Deuxièmement, à l’étape de la familiarisation, ils apprennent à maîtriser leurs rudiments techniques et encouragent les élèves à utiliser des TIC lors de récompenses ou de temps d’occupation. Troisièmement, à l’étape de l’exploration, les enseignants utilisent des TIC pour enrichir leur enseignement. Ils engagent les élèves dans des activités éducatives visant l’acquisition et l’application de connaissances technologiques. Quatrièmement, à l’étape de l’infusion, les enseignants impliquent les élèves dans un usage des TIC lors d’activités éducatives de transmission et de construction de connaissances. Cinquièmement, à l’étape de l’appropriation, ils amènent les élèves à utiliser des TIC de façon fréquente dans un cadre d’apprentissage actif et significatif.

En clair, le modèle de Raby (2005) vise à décrire le processus d’intégration des TIC par les enseignants du primaire dans trois contextes distincts, c’est-à-dire personnel, professionnel et pédagogique. Le concept d’intégration est donc privilégié à celui d’appropriation. Tandis que le premier réfère à la capacité des enseignants à utiliser des TIC dans un contexte quelconque, le second concept, c’est-à-dire le concept d’appropriation, celui qui nous interpelle, a plutôt trait à la capacité des enseignants à faire siennes des ressources numériques muséales avant même de les intégrer à leurs pratiques. Dans cette perspective, le modèle ne permet pas de tenir compte des enjeux relatifs aux connaissances requises de la part des enseignants lorsqu’ils tentent de s’approprier des TIC. Plus encore, alors que nous nous intéressons aux enseignants du secondaire, le modèle n’a été validé empiriquement qu’auprès d’enseignants du primaire, ce qui n’est toutefois pas le cas pour le modèle ASPID de Karsenti (2014).

2.3.2. Le modèle théorique Adoption, Substitution, Progrès, Innovation, Détérioration de Karsenti (2014)

Adoptant également une perspective diachronique, le modèle théorique ASPID de Karsenti (2014) a pour objectif « de modéliser le processus d’adoption et d’intégration pédagogique des technologies en contexte éducatif » (p. 1). Il a émergé à la suite de plusieurs études empiriques menées auprès d’élèves et d’enseignants du primaire jusqu’à l’université qui utilisent des TIC telles que des ordinateurs portables, des tablettes et des téléphones intelligents. La Figure 3 montre le modèle ASPID.

Figure 3

Modèle théorique Adoption, Substitution, Progrès, Innovation, Détérioration de Karsenti (2014)

Modèle théorique Adoption, Substitution, Progrès, Innovation, Détérioration de Karsenti (2014)

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D’abord, à la phase de l’adoption, les enseignants investissent beaucoup de temps et un certain engagement alors qu’aucune retombée positive associée à l’usage des TIC n’est générée. Ensuite, à la phase de la substitution, les enseignants sont aptes à reproduire ce qu’ils faisaient auparavant en classe tout en utilisant des TIC. Puis, pour les deux prochaines phases, des alternatives se présentent. D’un côté, il se peut que les enseignants décident d’interrompre le processus d’adoption et d’intégration pédagogique des TIC, ce qui les mène directement à ce que Karsenti (2014) nomme la détérioration. D’un autre côté, les enseignants peuvent décider de poursuivre le processus. À ce moment, ils entrent dans la phase de progrès où l’usage des TIC permet d’enseigner plus efficacement et a un impact positif sur l’apprentissage des élèves. Enfin, lors de la phase de l’innovation, il y a une évolution dans l’acte d’enseigner. Effectivement, il est possible pour les enseignants d’enseigner et de réaliser des tâches avec l’usage des TIC « comme il n’aurait jamais été possible de le faire sans elles » (Karsenti, 2014, p. 1). Par ailleurs, selon Karsenti (2014), toutes les phases du modèle sont liées au niveau d’engagement technopédagogique de l’enseignant et visent à ce que tous les élèves utilisent des TIC de façon autonome et pour apprendre.

En bref, le modèle de Karsenti (2014), qui a notamment été validé empiriquement auprès d’enseignants du secondaire, a pour objectif de modéliser le processus d’adoption et d’intégration des TIC en milieu scolaire. Même si le concept d’adoption peut s’apparenter à celui d’appropriation, Karsenti (2014) s’intéresse aussi à la capacité des enseignants à utiliser des TIC dans un contexte quelconque. Ainsi, il ne s’arrête pas aux connaissances requises de la part des enseignants lorsqu’ils tentent de s’approprier des TIC alors que le prochain modèle vise précisément à le faire.

2.3.3. Le modèle théorique Technological Pedagogical, and Content Knowledge de Koehler et Mishra (2009) 

Le modèle théorique TPACK de Koehler et Mishra (2009) est la résultante de cinq années de travaux axés sur le développement professionnel de chercheurs-formateurs. Inspiré des propositions de Shulman (1986) et présenté dans une perspective synchronique, il « tente de saisir les connaissances essentielles requises par les enseignants pour l’intégration des technologies dans leur enseignement » (Mishra et Koehler, 2006, p. 1017, traduction libre).

Dans les années 1980, Shulman (1986) constate que la formation initiale des enseignants met l’accent sur l’acquisition de deux types de connaissances considérées comme mutuellement exclusives, c’est-à-dire des connaissances pédagogiques et des connaissances disciplinaires. Pour agir sur cette dichotomie, il recommande d’examiner la relation entre les deux. De son avis, la maîtrise de connaissances disciplinaires ne suffit pas à former de bons enseignants. Ils doivent aussi pouvoir les représenter de différentes manières et les rendre accessibles aux élèves. La Figure 4 présente la relation entre les connaissances pédagogiques et disciplinaires.

Figure 4

Modèle théorique Pedagogical Content Knowledge de Shulman (1986)

Modèle théorique Pedagogical Content Knowledge de Shulman (1986)

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Lorsqu’il a élaboré ce modèle, Shulman (1986) n’a pas abordé la question des TIC, car elles n’avaient pas encore pris beaucoup d’importance en milieu scolaire (Mishra et Koehler, 2006). Cela étant dit, en prenant acte de leur présence de plus en plus répandue en classe, Mishra et Koehler (2006) mettent à jour ce modèle en considérant les connaissances technologiques particulières que requiert l’intégration des TIC. Selon eux, il est impossible d’envisager les connaissances technologiques comme étant isolées des connaissances pédagogiques et disciplinaires. Au modèle de Shulman (1986) et comme la Figure 5 permet de le constater, Mishra et Koehler (2006) ont ainsi ajouté une dimension relative aux connaissances technologiques.

Figure 5

Modèle théorique Technological, Pedagogical, and Content Knowledge de Mishra et Koehler (2006)

Modèle théorique Technological, Pedagogical, and Content Knowledge de Mishra et Koehler (2006)

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Plus spécifiquement, les connaissances mobilisées par les enseignants lorsqu’ils intègrent des TIC conduisent à prendre en compte plusieurs aspects pour chacune des connaissances identifiées. Ainsi, les connaissances pédagogiques se rapportent à la compréhension, par les enseignants, de la façon dont les élèves apprennent, des méthodes pédagogiques pouvant être utilisées en classe, des caractéristiques et des besoins des élèves, de la planification et du pilotage d’activités éducatives, des méthodes de gestion de classe ainsi que des stratégies d’évaluation. En ce qui a trait aux connaissances disciplinaires, elles se rattachent à tout ce que les enseignants doivent savoir de la discipline qu’ils enseignent. Elles requièrent de connaître et de comprendre les connaissances, les concepts, les procédures et les théories propres à la discipline, la nature des savoirs à enseigner et leur construction dans différents champs disciplinaires en plus des obstacles épistémologiques associés à leur appropriation. Relativement aux connaissances technologiques, Mishra et Koehler (2006) indiquent qu’elles sont toujours dans un état de flux, difficiles à définir, car tout ce qui concerne les technologies est amené à évoluer rapidement. Néanmoins, selon eux, elles englobent tout de même la connaissance du fonctionnement des technologies standardisées, telles que des livres et un tableau noir, et celle des technologies numériques. Dans le cas de ces dernières, elles incluent la connaissance de systèmes d’exploitation et de matériels informatiques en plus de la capacité à utiliser des logiciels permettant le traitement de texte, des tableurs, des navigateurs et des boîtes courriel. Les connaissances technologiques impliquent aussi de savoir comment installer et retirer des périphériques, installer, utiliser et supprimer des logiciels ainsi que créer des documents.

En plus de ces trois types de connaissances, les connaissances émergentes des interactions entre elles s’avèrent nécessaires à acquérir par les enseignants afin qu’ils soient en mesure d’intégrer efficacement des TIC dans leur enseignement (Mishra et Koehler, 2006). Or, comme notre objectif consiste à faire le choix d’un modèle pour explorer les enjeux associés à l’appropriation d’une plateforme muséale par des enseignants du secondaire et non à en valider un, nous faisons abstraction de ces dernières et envisageons les connaissances pédagogiques, disciplinaires et technologiques comme des pôles pouvant cadrer notre analyse.

En 2009, Koehler et Mishra ajoutent au modèle ce qu’ils nomment les contextes autour des types de connaissances. La Figure 6 donne un aperçu de cet ajout.

Figure 6

Modèle théorique Technological, Pedagogical, and Content Knowledge de Koehler et Mishra (2009)

Modèle théorique Technological, Pedagogical, and Content Knowledge de Koehler et Mishra (2009)

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Bien que les contextes fassent maintenant partie intégrante du modèle, il apparaît que peu d’éléments ont été précisés pour définir leur influence. Nulle part, à notre connaissance, les raisons de cet ajout et ce à quoi les contextes font explicitement référence ne sont expliqués. Plus encore, il semble que le concept d’intégration ait été utilisé préférablement à celui d’appropriation et que le modèle est la résultante d’études axées sur le développement professionnel de chercheurs-formateurs plutôt que d’enseignants du secondaire.

Cela étant dit, il apparaît tout de même que, en comparaison aux modèles Processus d’intégration des TIC de Raby (2005) et ASPID de Karsenti (2014), le modèle TPACK de Koehler et Mishra (2009) soit le plus approprié pour analyser les enjeux associés à l’appropriation de la plateforme ÉducArt par des enseignants du secondaire du Québec. Trois principales raisons motivent ce choix. Premièrement, il est le seul modèle exploré qui permet d’adopter une perspective synchronique de l’appropriation des TIC par les enseignants, c’est-à-dire d’offrir la possibilité de nous éclairer sur plusieurs enjeux simultanément. À l’inverse, les modèles de Raby (2005) et de Karsenti (2014) offrent une vision diachronique de l’appropriation des TIC qui, elle, est amenée à évoluer dans le temps. Deuxièmement, le modèle de Koehler et Mishra (2009) permet de mettre en évidence que l’appropriation des TIC par les enseignants nécessite l’acquisition de connaissances pédagogiques, disciplinaires et technologiques. Grâce à lui, il est donc possible d’anticiper que des enjeux associés à ces types de connaissances peuvent être rencontrés par les enseignants lorsqu’ils s’approprient des TIC. Troisièmement, le modèle de Koehler et Mishra (2009) est le seul à considérer la question fondamentale des disciplines d’enseignement. Les autres modèles étudiés permettent d’explorer le processus d’intégration des TIC chez les enseignants, mais en dehors du contexte disciplinaire. Comme nous nous intéressons à l’appropriation de ressources numériques muséales par des enseignants du secondaire du Québec de tous les domaines d’apprentissage et de tous les niveaux, cet aspect s’avère d’autant plus important à considérer.

En plus d’accorder une attention particulière aux types de connaissances répertoriées à l’aide du modèle TPACK (Koehler et Mishra, 2009), cette recherche réclame de s’intéresser à celles qui se rattachent spécifiquement à l’adoption d’une approche culturelle de l’enseignement, et ce, compte tenu des visées culturelles poursuivies par le développement de la plateforme ÉducArt. Ainsi, à l’étude des enjeux liés aux connaissances pédagogiques, disciplinaires et technologiques des enseignants, il semble important d’explorer également ceux associés à leurs connaissances culturelles.

2.4. Les connaissances culturelles des enseignants

De l’avis du MEQ (2001), inspiré par les études de Dumont (1968), la culture comme objet peut être vue comme tout ce qui a trait aux modes de vie, aux comportements, aux attitudes et aux croyances des individus qui composent une société. Cette conception de la culture, dite première, est alors pensée de manière sociologique et anthropologique (Chené et Saint-Jacques, 2005; MEQ, 2001). Or, au regard des TIC qui rendent disponibles des objets culturels issus de collections de musées telles que la plateforme ÉducArt, il convient davantage de comprendre la culture comme objet au sens second, c’est-à-dire comme « l’ensemble des oeuvres produites par l’humanité » (MEQ, 2001, p. 34). De cette façon, Simard (2002) définit la culture comme :

un ensemble de savoirs, d’oeuvres, de symboles et d’outils perfectibles que les hommes ont élaborés au fil du temps afin de répondre à des questions sur le monde, à des problèmes, à des intérêts et à des besoins, bref, afin de comprendre le monde et de se comprendre eux-mêmes.

p. 5

En poursuivant la réflexion exposée par le MEQ (2001) et en s’appuyant sur les études de Charlot (1997) et de Simard (1999), Falardeau et Simard (2011) affirment la nécessité d’aller plus loin que la seule perspective de la culture comme objet. Ils avancent qu’elle doit aussi être envisagée comme rapport. Selon eux, le rapport à la culture correspond à :

un ensemble plus ou moins organisé de relations dynamiques d’un sujet situé avec des acteurs, des savoirs, des pratiques et des objets culturels. […] [Il s’agit d’] un mode de relation qui amène le sujet à continuellement transformer sa compréhension du monde et de lui-même en s’appropriant des objets de culture.

p. 98

Ainsi, il semble que tout individu entretient un rapport à la culture qui peut toutefois varier « en fonction des contextes, des pratiques, des relations des valeurs et des savoirs mis en jeu » (Simard, Falardeau, Émery-Bruneau et Côté, 2007, p. 289). Au regard de l’objet de recherche qui nous intéresse, l’idée d’étudier les enjeux associés aux connaissances des enseignants en ce qui concerne la culture au sens de l’ensemble des oeuvres produites par l’humanité, mais également le rapport qu’ils entretiennent avec elle à travers le rôle de passeur culturel qui leur est imparti (MEQ, 2001) semble donc féconde. À terme, nous souhaitons mieux situer les connaissances culturelles dans le modèle TPACK (Koehler et Mishra, 2009). Nous espérons comprendre mieux la place que prennent les connaissances culturelles dans les enjeux associés à l’appropriation de ressources numériques muséales qui ont pour potentiel le rehaussement culturel des programmes d’études au secondaire.

Conclusion

En définitive, la problématique exposée montre que depuis les années 1950, les musées se démocratisent en devenant peu à peu accessibles à tous (Allard et Boucher, 1991). Avec l’essor des TIC, plusieurs d’entre eux ont vu la possibilité de mieux contribuer aux activités éducatives qui se déroulent en classe en développant des ressources numériques (Landry, 2007; Larouche et al., 2012). C’est ainsi qu’en 2014, le MBAM a bénéficié d’un financement du PCNQ pour élaborer une plateforme nommée ÉducArt, celle-ci étant destinée à soutenir l’enseignement dans tous les domaines d’apprentissage et à tous les niveaux du secondaire au Québec. Bien que, de l’avis d’Abbott et Cohen (2015), des ressources numériques muséales soient de plus en plus accessibles aux enseignants, il semble qu’elles ne soient pas optimalement utilisées par ces derniers. Des enjeux seraient alors rencontrés par les enseignants lorsqu’ils se les approprient. C’est dans cette perspective qu’il importe de s’intéresser à ces enjeux, d’autant plus que le PCNQ entrevoit de poursuivre le financement de plateformes muséales (Rocheleau, 2016) et que peu de recherches nous informent sur les enjeux que rencontrent les enseignants lorsqu’ils se les approprient. Comme aucun modèle théorique n’existe, à notre connaissance, pour comprendre spécifiquement les enjeux qui se posent pour l’appropriation des ressources numériques muséales par des enseignants du secondaire, un cadre d’analyse apparaissait essentiel à développer. Ce constat nous a d’abord amenés à passer en revue trois modèles, considérés parmi les plus répandus dans les écrits (Fiévez, 2017) : le Processus d’intégration des TIC de Raby (2005), le modèle ASPID de Karsenti (2014) et le modèle TPACK de Koehler et Mishra (2009). Ensuite, nous avons arrêté notre choix sur l’un d’entre eux, le modèle TPACK (Koehler et Mishra, 2009), car il permet de mettre en lumière que des enjeux pédagogiques, disciplinaires et technologiques sont associés à l’appropriation des TIC. Enfin, dans l’objectif de mieux cadrer notre réflexion, nous nous sommes intéressés aux enjeux ayant trait aux connaissances culturelles des enseignants, et ce, étant donné la nature des ressources numériques concernées. Pour répondre à notre question de départ s’inscrivant dans un paradigme qualitatif/interprétatif (Savoie-Zajc, 2011), c’est-à-dire « quels sont les enjeux associés à l’appropriation de la plateforme ÉducArt par des enseignants du secondaire du Québec lorsque le MBAM ne leur fournit aucune forme de médiation ? », il importe maintenant d’inviter des enseignants à s’approprier la plateforme ÉducArt pour en cerner les enjeux. Le cadre d’analyse élaboré orientera ainsi une recherche portant sur l’appropriation de la plateforme ÉducArt par une douzaine d’enseignants du secondaire de tous les domaines d’apprentissage et de tous les niveaux au Québec.