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Depuis 2015, l’équipe dont nous faisons partie étudie les moyens dont, dans les écoles secondaires au Québec, les enseignants d’histoire disposent pour faire apprendre l’histoire à leurs élèves[1]. Elle s’intéresse aussi aux pratiques des premiers et des seconds avec ces moyens, aux fins qu’ils attribuent à ces pratiques, de même qu’aux effets de celles-ci sur la capacité et la volonté individuelles et collectives des élèves de s’interroger sur le passé, d’interpréter et de juger les discours sur le passé, de produire et de peser des preuves et des inférences, etc.

Les observations réalisées par notre équipe dans ce contexte lui ont permis de constater la place accrue qu’occupent, dans la vie des élèves et dans l’arsenal didactique des enseignants, les contenus médiatiques multimodaux qui cherchent parfois moins à instruire sur le passé qu’à divertir. À l’instar d’autres pratiques de communication médiatisées, celles à propos du passé se diversifient, se massifient et se virtualisent. Cela fait en sorte que peu d’élèves québécois, en 2022, construisent leur rapport au savoir sur le passé à partir des seuls discours portés par des écrits d’historiens ou de gestes et paroles de personnes de leur entourage ou d’enseignants dans la classe d’histoire; en parallèle, des enseignants envisagent en nombre croissant d’exploiter les jeux vidéo (JV) en classe.

Concernant les JV, en 2018, la transnationale française de développement, d’édition et de distribution de JV Ubisoft lançait une nouvelle expansion d’Origins (dont dix millions de copies ont été téléchargées à travers le monde à ce jour), alors le plus récent opus de sa série Assassin’s Creed, dont l’action se déroule surtout en Basse-Égypte, au 1er siècle av. J.-C. Il s’agit du Tour découverte (TD). Dans le site Web de l’entreprise développeuse, l’on peut lire que « [l]a série Discovery Tour est composée de jeux dédiés qui permettent aux visiteurs d’explorer librement la Grèce antique, l’Égypte antique, et l’Âge des Vikings afin d’en apprendre davantage sur leur histoire et sur la vie quotidienne de ces civilisations »[2]. Il s’agit ainsi d’un mode éducatif modélisé sur l’environnement du JV, certes, mais dont ont été retirées tant la violence que les quêtes, ces opérations récompensables dans lesquelles les joueurs s’engagent en interaction avec les mécanismes du JV, suivant un programme narratif et un schéma actanciel classiques : un héros doit arracher l’humanité des griffes des forces du mal.

Le TD consiste en une série de 75 tours guidés d’Alexandrie et d’autres régions du royaume ptolémaïque, réalisés à partir d’un matériel original ou préparé pour le jeu par des archéologues, des historiens et des linguistes. À la différence des expansions précédentes, cet objet multimédiatique et multimodal était présenté non seulement comme autonome à l’égard du JV dont il émane, mais même comme un renversement du rapport – habituel, pour cette série – entre histoire et JV : la fiction n’instrumentaliserait plus l’histoire. Cette fois, le JV est le décor de l’histoire, et non l’inverse, le TD troquant la diégèse pour la mimèsis et traçant la frontière entre le simulacre et la science, avec des documents d’archives, des témoignages vidéo (de chercheurs et d’artistes sur les coulisses – scientifiques ou non – du jeu), de la musique, des narrations, des photos d’artéfacts, etc. Le président-directeur général d’Ubisoft Montréal à l’époque précisait alors qu’il avait pour objectif de voir si les enseignants pouvaient utiliser la richesse historique colligée par les équipes mises à contribution (Saint-Arnaud, 2018), mais manifestait sa confiance que le ludique, le multimédia et le virtuel pavaient la voie au rehaussement de l’intérêt des élèves pour l’histoire et même du niveau culturel de l’humanité.

Or, selon Boutonnet et Lefrançois (2019) :

Bien qu’il présente des éléments d’historiographie, de biographie, d’histoire sociale, etc., ce mode de jeu fonctionne en vase clos. Il n’y a plus d’interactions avec des personnages fictifs ou historiques; la visite se fait comme dans un musée recréant une expérience relativement peu ludique. Le joueur écoute la narration, active des stations d’écoute où il peut observer des scènes de la vie quotidienne ou des illustrations iconographiques et passe à la suivante. Ensuite, de nombreuses explications fondées sur le travail d’égyptologues présentent le processus d’écriture historique. Si cela nous rappelle le récit historique traditionnel, produit d’une enquête, fondé sur des preuves et soumis à la critique des pairs, le choix des développeurs est aussi ambivalent. Alors qu’il s’appuie parfois sur des recherches rigoureuses, il prend aussi la liberté de s’affranchir des garde-fous de l’écriture historique pour rendre le jeu actuel, attrayant et consommable.

par. 22

Cette situation nous a intrigués : qu’apprennent ou que peuvent apprendre les élèves, lorsqu’ils parcourent le TD? Comment pouvons-nous cerner ce phénomène éducatif? Pour le savoir, nous avons mené une recherche exploratoire comportant deux volets. Cet article rend compte du premier volet de cette recherche et le situe au sein de notre programme de recherche. En conclusion, il esquisse un deuxième volet de cette recherche, encore en développement.

1. Problématique

Depuis plusieurs années, de nombreuses enquêtes à travers le monde indiquent avec constance la popularité croissante des loisirs vidéoludiques dans toutes les catégories d’âge, même si les garçons de 13 à 18 ans jouent en moyenne beaucoup plus : 3 h par jour (Association canadienne du logiciel de divertissement, 2020), voire plus de 4 heures, dans 17 % des cas (Éthier et Lefrançois, 2020). Trois milliards de personnes sur Terre se livreraient à cette pratique (dont 98 % des enfants et adolescents français; Grelier, 2021; voir aussi Gazzane, 2021; Richaud, 2022; Wijman, 2022), ce qu’accrédite la prospérité de l’industrie vidéoludique mondiale dont les recettes atteignent environ 260 milliards de dollars canadiens (Newzoo, 2022), dépassant celles du cinéma (24,4 milliards; Mitchell, 2021) et de la musique enregistrée (33 milliards; Sallé, 2022) combinées.

Selon Boutonnet (2022), les JV présentant des évènements, des périodes ou des personnages du passé sont « […] en pleine effervescence et attire[nt] de nombreuses personnes pour se divertir » (D-1). Il en donne pour preuves la quantité faramineuse de JV à caractère historique (JVH) que Steam répertorie (soit 2915, en 2022, lorsque nous avons consulté cette boutique) et les innombrables sites spécialisés, wikis ou chaînes YouTube sur les JVH que des amateurs alimentent.

Ce phénomène culturel suscite l’intérêt des chercheurs en éducation, lesquels publient un nombre croissant de travaux sur les JV. Or, Arsenault et Lessard (2021) notent la prépondérance des recherches empiriques sur les JVH recourant à l’analyse de discours ou au sondage d’opinion, par rapport aux observations en classe ou aux expériences avec les élèves, et le manque d’articulation des recherches entre elles.

Pour vérifier la légitimité des besoins de recherche que nous ressentons et pour les préciser, cette section se livre d’abord à un rapide tour d’horizon des écrits savants récents à propos des JV en éducation et dégage les grandes tendances de la recherche concernant leur exploitation en classe ou les apprentissages qu’ils permettent de réaliser en histoire. Elle compare et évalue ensuite les recherches empiriques qui traitent des JVH.

1.1 La relative paucité des recherches empiriques sur l’apprentissage ou l’enseignement de l’histoire avec les JV

Plusieurs recensions des écrits sur les JV et l’éducation confirment de différentes façons l’analyse d’Arsenault et Lessard (2021). Si les recherches sur les JV abondent en éducation, elles sont rarement empiriques et celles qui le sont s’intéressent peu à l’histoire et peu aux élèves du début du secondaire, les élèves du primaire et de l’université ayant été les plus étudiés.

En estompant les frontières qui séparent les JV des jeux sérieux, Lignon (2017) permet d’étendre la quantité de recherches qu’il est possible de considérer ici. En effet, selon cette autrice, un jeu sérieux peut résulter d’un détournement ludique d’une application dont l’objectif primordial était sérieux, mais il peut aussi avoir d’emblée un objectif à la fois ludique et sérieux, voire perdre son objectif ludique et devenir sérieux (c’est le cas du TD).

Connolly et al. (2012) ont voulu voir quelles preuves empiriques des effets bénéfiques des JV, sur des élèves de 14 ans ou plus, les écrits rapportaient en ce qui concerne l’apprentissage et la motivation. Trois des cent vingt-neuf articles compilés concernaient l’histoire : un rapportait de tels effets pour l’acquisition des connaissances et deux, pour la motivation.

Hainey et al. (2016) ont répertorié, dans 19 bases de données (Ebsco, Eric, IngetaConnect, Proquest, WoK, Taylor and Francis, Wiley, etc.), 18 298 recherches publiées en anglais dans des revues savantes entre 2000 et 2013 à propos des JV (ou jeux sérieux) et de l’éducation; de ce nombre, 105 présentaient des résultats empiriques, dont 3 sur l’enseignement de l’histoire. Hainey et al. (2014) ont passé au crible les recherches de cet échantillon portant sur l’enseignement au primaire : aucune ne s’était penchée sur l’histoire.

À partir d’un échantillonnage centré sur les recherches publiées entre 2009 et 2014, Boyle et al. (2016) ont repéré 54 580 articles dans les bases de données en lien avec les JV et l’éducation, dont 7 117 en lien direct avec ce thème. De ce nombre, 512 présentaient des résultats d’une recherche empirique sur les effets de l’usage scolaire des JV sur l’acquisition de connaissances, la motivation, etc. Un seul de ces articles s’intéressait à l’enseignement de l’histoire (et ce, du point de vue de la motivation).

Dans une revue des écrits plus récente, 49 des 3 686 articles repérés par Martinez et al. (2022) sur les JV en contexte scolaire publiés en anglais dans des revues savantes de 2005 à 2019 rapportaient des résultats de recherches à propos des connaissances scolaires et des habiletés des élèves, dont six en histoire, tous de la 9e à la 12e année (c’est-à-dire, pour le Québec, de la 3e secondaire à la 1re année préuniversitaire). Les articles en lien avec l’histoire analysés par ces auteurs étudiaient surtout Civilization III, mais pas Assassin’s Creed.

En somme, d’après les recensions des écrits, il existe peu de recherches empiriques sur l’apprentissage de l’histoire avec les JV et ces recherches ne concernent pas les élèves du premier cycle du secondaire.

1.2 Le contenu des recherches sur les JVH

Les recherches sur les JVH se rangent en deux grandes catégories. Les analyses de discours forment la plus grande partie des recherches sur les JVH. Elles s’intéressent souvent à la validité des connaissances qu’ils véhiculent. Plus rares sont les recherches sur l’effet qu’un enseignement de l’histoire avec des JV peut avoir sur les apprentissages des élèves ou sur leur motivation à apprendre l’histoire.

1.2.1. Les analyses de discours

Dans son article, Boutonnet (2022) rapporte les résultats de sa recherche sur les discussions de 800 participants anonymes dans six forums publics à propos de la série Assassin’s Creed – laquelle cumule jusqu’à maintenant un tirage mondial de plus de 155 millions d’exemplaires (Benessaieh, 2020). Les intervenants (leurs caractéristiques d’âge, de genre, etc. étant indéterminables, on ne peut savoir s’il s’agit d’élèves ou non) manifestent une posture épistémologique souvent axée sur la consommation d’un produit; néanmoins, deux préoccupations ressourdent de leurs 172 discussions : l’authenticité historique des JVH et l’apprentissage qu’ils soutiennent (Boutonnet, 2022).

La première préoccupation se reflète aussi dans les analyses de discours. Celles-ci soulignent toutes au moins l’un des trois phénomènes suivants. Premièrement, un joueur peut débusquer (plus ou moins facilement) d’innombrables erreurs parfois qualifiées d’anecdotiques ou de triviales (qui a assassiné tel personnage, comment, où et quand cela a-t-il eu lieu; tel bouton de guêtre n’avait pas la forme qu’on lui donne dans le jeu, etc.), de polychroniques (juxtaposant des monuments emblématiques d’un lieu, mais n’ayant pas coexisté), voire de fantastiques (ou surnaturelles, par opposition à historiques : par exemple, l’action de la magie). Deuxièmement, ces erreurs ou omissions tapissent la plupart des JVH, mais d’autres existent, plus insidieuses, fréquentes et structurantes. Troisièmement, ces erreurs ou omissions concernent surtout des généralisations et des stéréotypes. Les généralisations renforcent les croyances au progrès unilatéral, au rôle des grands personnages, de la guerre, de la technologie, à l’immanence des rapports sociaux, etc. Les stéréotypes les plus documentés sont les stéréotypes colonialistes, sexistes, racistes ou xénophobes, mais il y en a d’autres.

Les auteurs expliquent ces biais par la nature des JV, qui cherchent moins à enseigner de l’inconnu aux joueurs qu’à les rassurer avec le spectacle du connu et à les récompenser, y compris en générant un faux sentiment d’érudition par l’accumulation de détails historiques superficiels liés aux costumes, aux décors, aux évènements, etc. Il en résulte un renforcement des valeurs et des stéréotypes socioculturels dominants, même lorsque les développeurs affirment l’inverse (Gilbert, 2017; Metzger et Paxton, 2016).

L’analyse de Joly-Lavoie (2019) montre d’ailleurs que 22 textes ont présenté en français ou en anglais des résultats de recherche sur Assassin’s Creed dans des actes de colloques, des chapitres d’ouvrages collectifs et des articles de revues (professionnelles ou savantes), dont seulement trois réalisés dans le cadre scolaire (un seul de ces textes rapportait un récit de pratique).

Dans le cas de ce JVH comme des autres, les recherches reposent plutôt sur l’analyse de discours (Lalu, 2021, par exemple), avec des nuances, certaines tenant compte aussi de la manière dont opèrent les structures audiovisuelles et ludiques pour produire du sens et permettre aux joueurs de configurer ces discours selon différents contextes (dont Lundedal Hammar, 2017; Young et al., 2012). Chapman (2012, 2016) le recommande également dans ses études à propos de la lisibilité, du style de représentation, du type de mise en récit ou de l’agentivité et de l’intervention des joueurs dans les JVH.

Dans une recension des écrits problématisée à propos de la représentation du passé dans les JVH d’action/aventure comme Assassin’s Creed, Bazile (2021) soulignait l’importance de tenir compte de la perspective de l’action et de la réflexivité (c’est-à-dire la manière dont les joueurs prennent conscience des règles du jeu, de son fonctionnement et de ses mécanismes) dans l’analyse du discours expressif des JVH, mais il notait que cette voie n’avait pas encore été empruntée pour analyser leur place en tant que support à l’apprentissage.

1.2.2. Les apprentissages des élèves et l’enseignement

Dans sa recherche, Gilbert (2019) décrit ce que des élèves de la fin du secondaire disent ressentir par rapport à l’histoire quand ils jouent à Assassin’s Creed. Ceux-ci ont l’impression d’accéder à une histoire non censurée (par opposition à l’histoire officielle ou scolaire), avec de multiples perspectives et dont la trame générale est fiable, de la comprendre de l’intérieur et de pouvoir s’identifier aux personnages ordinaires qui leur paraissent être les agents dans les JVH (et non dans les manuels). Gilbert (2017) souligne ailleurs que ces opinions favorables sont infondées, ce qu’appuie la thèse de Joly-Lavoie (2020) sur la représentation de l’agentivité dans les JVH : ceux-ci véhiculent une vision traditionnelle de l’agentivité historique.

L’usage d’Assassin’s Creed a fait l’objet de récits de pratique publiés par certains enseignants dans des ouvrages collectifs ou des revues professionnelles. Sauf exception (Vincent, 2021), ils sont autorapportés. Certains enseignants (comme Yelle, 2021) partent de controverses médiatiques sur les JV pour faire mener une enquête aux élèves. Cependant, dans la plupart des cas, aucun élève n’utilise le JV; les enseignants illustrent une partie de leçon avec des extraits (scènes cinématiques), des parties qu’ils jouent eux-mêmes (enregistrées ou en direct) et des dérivés du JV (bandes-annonces, jaquettes, reportages, etc.); ils font comparer par le groupe une version qu’ils accréditent de l’histoire et celle du JV (lançant peut-être ainsi le message qu’il y aurait une bonne version et qu’elle peut être révélée par la personne en autorité); ils lui demandent de repérer dans le JV les « faits » importants (le moment et l’endroit de l’évènement, les personnages en jeu et leurs motivations, etc.) à partir du questionnaire de Quintilien (version Richard, 2005). Les enseignants qui utilisaient Assassin’s Creed en classe et que Karsenti et Parent (2020) ont filmés et interrogés avaient de telles pratiques. Les auteurs ont également questionné (en ligne, avec une échelle ordinale et des réponses libres) 329 élèves de 4e secondaire dans deux écoles à propos de ce type d’usage de ce JVH. Ceux-ci se montraient satisfaits de leurs apprentissages, mais aucune mesure ne permettait de voir s’ils avaient raison de l’être. Certes, parmi leurs réponses aux questions, certaines permettent de voir que les principales connaissances qu’ils pouvaient citer en exemple de leurs apprentissages étaient des évènements (p. ex., la prise de la Bastille), des noms de personnages (p. ex., les Borgia) ou des lieux (p. ex., Bunker Hill), mais :

À la lecture, on peine à trouver une réelle plus-value du jeu, au sens d’activité, par rapport au cinéma, dans la mesure où le principal intérêt noté par les chercheurs est la motivation suscitée par l’introduction du dispositif devant lesquels les élèves restent majoritairement en position de spectateur.

Vincent, 2021, p. 190

Dans différents écrits, Huizenga et al. (2007, 2011) ont analysé, avec des élèves néerlandais de 12 à 16 ans, l’effet qu’un JV mobile concernant l’histoire médiévale amsterdamoise exerce sur leur attitude envers l’apprentissage coopératif, sur leur motivation à apprendre cette histoire, sur leurs connaissances factuelles dites déclaratives à son propos ou sur l’articulation de celles-ci dans une narration. La recherche de Huizenga et al. (2011), sur un échantillon de 458 élèves (de 20 classes provenant de 5 écoles), répartis en un groupe expérimental et un groupe contrôle, se centrait sur les connaissances et a montré une amélioration des scores. Cependant, si les deux groupes étaient soumis à un questionnaire (avant et après), les élèves du groupe expérimental jouaient toute une journée et visitaient la ville d’Amsterdam à pied, tandis que les autres avaient deux heures de classe pour réaliser les mêmes apprentissages; cela rend les comparaisons boiteuses. Leurs autres études rapportaient peu d’effet (Akkerman et al., 2009; Huizenga et al., 2007).

Vincent (2021) soulève par ailleurs un défaut courant de la recherche sur les JV, qui ne rapporte ni le travail enseignant ni les interactions entre l’enseignant, le dispositif et les élèves, au point que l’on ignore le plus souvent comment se déroule la séance pédagogique et ce que chacun fait avec le JV. Ce n’est pas le cas de la thèse de Péloquin (2022) : à partir d’un corpus formé d’un questionnaire, de lettres de motivation, de ses observations, de productions didactiques et d’entretiens de groupe, l’auteur décrit son usage du TD sur la Grèce antique pour virtualiser un voyage scolaire annulé en raison de la pandémie de COVID-19 en 2019-2020 et en analyse l’effet sur un groupe de 23 élèves de 16 et 17 ans. Cela lui permet de brosser un portrait précis des représentations et des stratégies cognitives de ses élèves, mais pas de comparer l’effet de son dispositif d’enseignement avec un autre, étant donné que les circonstances pandémiques ne permettent aucune comparaison, une façon de faire qui gagne en popularité (Baxter et al., 2021).

En somme, une seule recherche a porté sur les apprentissages en histoire que des élèves du premier cycle du secondaire peuvent réaliser en utilisant des JV, mais les élèves du groupe de contrôle n’étaient pas soumis à des conditions comparables.

1.3. Questions générales de recherche

L’intérêt que nous avons porté aux JVH et la teneur des questions auxquelles devait répondre la recherche que nous avons menée s’expliquent, entre autres, par l’écart entre la profusion des pratiques avec les JV et la rareté des études sur la manière dont leur usage en classe affecte l’apprentissage de l’histoire par les élèves.

Un ensemble de questions nous semble émerger de ce panorama : quels effets l’utilisation autonome d’un JV peut-elle exercer sur la rétention à court terme de connaissances déclaratives et la volonté exprimée de pratiquer des activités de loisirs avec l’histoire publique (tourisme, vulgarisation) ou profane (cinéma, roman, etc.)?

2. Ancrage conceptuel et théorique

Selon le rapport Parent, le but premier de l’enseignement de l’histoire à l’école doit être de « […] développer l’esprit critique, nourrir la réflexion sur le présent […] » (Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, 1964, p. 179). Depuis, chaque nouvelle mouture des programmes d’études québécois propose de centrer l’histoire scolaire sur des fonctions intellectuelles et critiques analogues à celles attribuées à l’histoire savante, celle d’experts qui mènent des recherches, et non sur des fonctions mémorielles, patrimoniales et vulgarisatrices de l’histoire publique – officielle ou non (commémorations, monuments, musées, toponymie, etc.) – ni sur des fonctions artistiques ou ludiques de l’histoire profane (films, jeux, pièces, romans, toiles, etc.) (Burke, 2011; Éthier et Lefrançois, 2021). Cette section présente certains éléments conceptuels et théoriques sur lesquels se fondent nos questions et notre démarche de recherche par rapport à ces quatre genres d’histoire (profane, publique, savante, scolaire). Cela nous permettra de situer le TD par rapport à ces genres et de voir son apport potentiel à l’apprentissage.

2.1. L’histoire savante et la pensée historienne

Les historiens ont redéfini leur discipline aux 20e et 21e siècles. Trois changements perceptibles dans la recherche en histoire nous semblent soutenir les discours sur le besoin de mise à jour de l’enseignement de l’histoire tenus au Québec et ailleurs durant cette période, d’une part, et stimuler l’hybridation des genres d’histoire, d’autre part.

Le premier est la multiplication des objets. Les critiques ont longtemps reproché aux historiens de ne s’intéresser qu’à l’histoire politique et aux grands hommes. Ce n’est plus le cas depuis nombre d’années déjà, les historiens se posant des questions qui touchent aussi bien les scènes de musique dans les tombes privées de l’Égypte antique, les enjeux du modèle de la vierge consacrée au 5e siècle, le don animalier ou l’hygiène du corps depuis le 13e siècle en Europe que la perception des odeurs depuis le 18e siècle en Europe, les savoirs et les pratiques autour de la tuberculose à Dakar, la publicité de bière au Québec ou la position des centrales syndicales québécoises à l’égard de l’immigration au 20e siècle. Certains, comme Bédard (2011), leur font même grief de délaisser l’histoire politique au profit de l’histoire dite culturelle, sociale, etc.

Certes, les historiens considèrent parfois les connaissances déclaratives traditionnelles comme secondaires, car les erreurs ou les omissions relatives à celles-ci leur semblent souvent moins fondamentales que les biais et les anachronismes liés aux mentalités ou aux rapports sociaux, par exemple; ceux-ci leur semblent plus graves ou insidieux, en raison notamment du fait qu’ils les affectent aussi inconsciemment, quand ils posent le problème, constituent et analysent les corpus ou communiquent leurs résultats (Chartier, 1994; Gould, 1986). Cependant, si l’érudition n’est plus suffisante, elle reste nécessaire, car les historiens ont érigé l’autonomie et la légitimité de leur champ sur une méthode critique (qui a certes changée, de Valla à Vidal-Naquet) leur permettant non seulement de poser des problèmes, de contextualiser les sources et de débattre de la validité de leurs interprétations de celles-ci, mais aussi de remplir la mission, dont ils se sont investis, de débusquer les erreurs factuelles ou les falsifications, y compris dans les discours publics (Aglan et al., 2022). Du reste, ces erreurs ne se limitent pas à la chronologie, à l’individu et au politique, dont se moquait Simiand, mais peuvent aussi bien concerner d’autres types de faits (culturels, sociaux, etc.) ou des concepts (absolutisme, classe, évènement, famille, nation, Renaissance, Révolution industrielle, suffragette, etc.), que certains qualifient de substantifs (Cercadillo et al., 2017).

La pratique de l’histoire a changé d’une deuxième manière : elle prend mieux en compte la multiplicité des communications volontaires et involontaires formant le corpus des historiens, de même que la diversification des méthodes pour les contextualiser et les analyser, les textes des archives (officielles) n’étant plus les principales sources de première main. Les artéfacts, les écofacts, les épigraphies, les iconographies, les films, les séries statistiques, les témoignages oraux, etc. : tout peut devenir une trace analysable. Il n’y a pas de sources bonnes ou mauvaises en soi; leur valeur dépend de leur pertinence par rapport à la question posée, ainsi que de la fécondité, de la pertinence et de la robustesse des méthodes pour les analyser.

Le troisième changement consiste en la multiplication des moyens de formaliser et de partager le sens en histoire. L’histoire savante est désormais diffusée de différentes manières : la conférence (sur place et à distance, en direct ou en différé) ou la monographie, bien sûr, demeurent, souvent sous la forme du récit. À l’occasion, ses auteurs sacrifient même son apparat critique (Duby, 1995/2019) et soignent sa mise en scène (Boucheron, 2008), mais sans que la disparition de l’appareil critique incarné par les notes de bas de page ne les amène à renoncer à la critique documentaire et historiographique, ni à combler subrepticement les vides par l’imaginaire (donc à enfermer le lecteur dans leur texte en ne lui fournissant pas de moyen de tester leurs preuves), ni à feindre l’accès direct (sans médiation) au passé ou prétendre à l’infaillibilité (Pomian, 1989). L’histoire savante peut aussi prendre la forme de l’argumentation, de la comparaison, de la description et de l’explication qui rompent avec ce genre canonique. Surtout, les historiens sont de plus en plus souvent appelés à définir les contenus historiographiques et leur mise en forme dans différents médias, relevant autant de l’histoire publique que de l’histoire profane; cela contribue à brouiller les frontières entre la communication de la recherche et la diffusion d’une marchandise divertissante.

Ces changements impriment en creux un cachet chamarré à des pratiques générales communes, dans la mesure où les historiens experts partagent des stratégies de questionnement que les novices mettent moins en oeuvre, des pratiques que Wineburg (2001) a nommées des euristiques. Ensemble, celles-ci opérationnalisent ce que Ségal (1992) appelait la pensée historienne (et que d’autres nomment la pensée historique, comme Seixas, 2017); inspiré en cela par Marrou (1954/1975), Ségal soulignait ainsi que le sujet vivant (l’historien) pense l’objet qui n’est plus (l’historique), sans prétendre que la pensée soit propre à l’histoire ni qu’elle se réduise à une démarche universelle. Hassini Idrissi (2005), comme Cariou (2012), Doussot et Vézier (2016), Éthier et Lefrançois (2018) ou Lanoix et Moisan (2022), reprennent cette expression.

Wineburg (2001) dégage trois grandes euristiques, quoiqu’elles puissent se subdiviser autrement et épouser des formes variées, comme le montre Baron (2012) pour l’histoire du bâti ou des lieux, voire être assimilées à des concepts (Cercadillo et al., 2017; Seixas et Morton, 2013). La première stratégie consiste donc à prendre en considération l’attribution et la destination d’un document, une forme de critique externe par laquelle les experts commençaient toujours (Wineburg, 2001). La deuxième stratégie de questionnement est la contextualisation, pour analyser les conditions dans lesquelles le document a été produit et le situer dans le temps, l’espace et le social. La troisième, la corroboration, implique de croiser les concordances et les divergences des sources pertinentes d’information. En somme, il s’agit de s’armer de stratégies disciplinaires pour poser un problème et mener une enquête en vue de le résoudre (et non seulement d’énumérer des connaissances déclaratives et de les placer en ordre chronologique), ce que ne permet guère l’application mécanique et sur commande de techniques disciplinaires.

2.2. L’histoire scolaire

Avant d’expliquer en quoi consistent les programmes d’études de l’histoire au Québec, rappelons que l’histoire scolaire n’est pas un ersatz de l’histoire savante. Pour aller vite, ce qui est enseigné comme ce qui est appris dépend, entre autres, de ce qu’il faut enseigner, et cela, c’est l’objet d’un processus qu’on appelle la transposition didactique. Ce processus tient compte de plusieurs facteurs liés à la forme scolaire. Parmi eux, certains relèvent du curriculum formel (le programme écrit), d’autres du curriculum caché (les idéologies qu’on inculque plus ou moins consciemment, par exemple) ou réel (tel que l’interprètent les enseignants par leurs choix didactiques à partir de leurs connaissances, de leurs croyances, de leurs valeurs, etc.; Lanoix, 2019; Moisan, 2019) offert aux élèves, qui captent ou non ces enseignements, les traitent à partir de leurs éthos, leurs habitus et leurs représentations sociales, etc. Entre autres facteurs liés à la forme scolaire affectant la transposition didactique, notons-en six : l’école (les acteurs scolaires) divise le savoir en compartiments (les matières, les années, etc.); elle note les apprentissages des élèves; elle trie ces apprentissages; elle respecte des contraintes organisationnelles; elle suit un calendrier; elle socialise et reproduit. La recherche a notamment montré à répétition la place limitée et caricaturale réservée aux femmes dans les manuels (Brunet, 2019).

Citant Goffman (1987), Bruter (2008) rappelait que la leçon fait partie d’une séquence, laquelle est située dans un cadre d’interaction (une situation didactique). Loin d’être des exécutants passifs, les enseignants sont « […] des acteurs sociaux réflexifs, devant négocier un espace d’action entre les cadres subjectifs et singuliers qui animent leur pratique et la structure normative qui habilite et balise cette action » (Demers et Éthier, 2013, p. 96). Il y a donc de la variation dans l’espace et le temps, mais il y a aussi une stabilité des pratiques, comme le montraient Bouhon (2010) en Belgique, Martineau (1999) au Québec, Osborne (2003) au Canada ou Prost (1968) en France. Notamment, la principale activité dans la classe d’histoire est une forme d’interaction collective structurée dont le maître a l’initiative; il présente à l’oral un récit chronologique, en s’aidant de divers outils et supports (cahier d’exercices, présentation multimédia, etc.), face à un groupe d’élèves qui doit l’écouter et répondre à ses questions, dans le but de retenir les grandes lignes de cette narration. Selon Nokes (2010), le cours alterne plusieurs activités dont un certain nombre de blocs d’exercices, de lecture de manuels et de magistraux. Cela coïncide avec les observations de Cuban (2013), selon qui ces blocs durent d’habitude de 10 à 15 minutes. Pour sa part, Boutonnet (2013) montrait que le récit factuel prononcé devant toute sa classe par l’enseignant d’histoire, avec l’aide de divers outils, occupe une place encore largement prépondérante chez de nombreux enseignants.

Les chercheurs évoquent parfois les velléités des programmes d’études formels en histoire plutôt que leurs fins (Lefrançois et al., 2009), car les ambitions de développement de la pensée critique, affichées dans les pages liminaires, ne s’incarnent pas dans le reste du programme ni dans les documents de leur mise en oeuvre (Demers, 2017), ni non plus dans la pratique (Demers, 2019). Ainsi, les épreuves uniques n’évaluent pas ce qui est au programme dont elles émanent (Déry, 2019), quoiqu’elles aient le même caractère officiel que lui. Cette section s’en tient pourtant au curriculum formel du premier cycle du secondaire, entre autres parce que, malgré l’effet structurant en amont des évaluations de quatrième secondaire en aval (Demers, 2019), les changements apportés en 2017 au programme du deuxième cycle l’éloignent maintenant considérablement de celui du premier cycle (Boutonnet, 2017).

Le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté du premier cycle du secondaire inclut trois compétences : interroger les réalités sociales dans une perspective historique, interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique, construire sa compétence citoyenne à l’aide de l’histoire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2006). Ce programme d’études vise à couvrir toute l’histoire de l’Occident. Les liens potentiels à tisser avec le TD se retrouvent dans les réalités sociales au programme, comme la sédentarisation humaine, l’émergence d’une civilisation et la naissance de l’écriture ou encore la romanisation. La Progression des apprentissages (MELS, 2010b) énumère des connaissances déclaratives à maîtriser, par exemple : « Énoncer des avantages de l’écriture dans le développement de l’architecture » (p. 9). Ce document permet aux enseignants de cibler les connaissances que les élèves doivent maîtriser, ce qui fait partie d’un des critères d’évaluation du cadre d’évaluation des apprentissages (MELS, 2010a), les autres étant axés sur l’utilisation appropriée des connaissances et le développement des trois compétences disciplinaires. Ces deux derniers critères incluent, au moins dans leur énoncé d’intention, des habiletés critiques plus complexes, comme l’établissement d’un problème et sa résolution à l’aide de la méthode historique. Il est précisé que les connaissances seraient importantes en soi, mais doivent en outre alimenter les compétences (MELS, 2010a, 2010b).

2.3. L’histoire profane hors de la classe et en classe : de la pertinence de former les élèves à utiliser la pensée historienne aussi avec les JV

Rosenzweig et Thelen (1998) ont montré que, pour la plupart des Étatsuniens, l’histoire représente plus un passe-temps fascinant qu’une discipline universitaire ou une matière scolaire. L’histoire suscite souvent une passion assouvie, non en chauffant les bancs d’école, mais en consommant les productions culturelles de masse ayant une autre époque pour décor, comme les JV ou les romans graphiques (Boutin et Martel, 2021).

Il s’agit de l’histoire profane. Celle-ci, à l’instar de l’histoire scolaire, s’autorise souvent de l’histoire savante pour gagner en crédibilité. Toutefois, à la différence de l’histoire scolaire, elle s’affiche comme une création fictive ou ludique, qui n’aspire pas à rendre compte de tous les indices disponibles, pertinents et vérifiables, et rien que d’eux. (Du reste, comme les romans et les films, encore une fois, les JV comportent aussi nombre d’inexactitudes de forme et de fond, on l’a vu plus haut.)

Par ailleurs, elle s’inscrit dans une tradition pluriséculaire qui comprend aussi bien des ballets, des pièces de théâtre, des sculptures, des toiles et des opéras que des oeuvres populaires cinématographiques, romanesques… ou vidéoludiques. Au même titre que l’histoire scolaire, l’histoire profane, même lorsqu’elle ne se veut pas édifiante, met souvent en scène des éléments du passé qui, de propos délibéré ou non, consacrent l’idéologie dominante et des valeurs variables. Les deux genres ont donc partie liée.

Au demeurant, bien des enseignants exploitent depuis longtemps les caricatures, les chansons, les séries télévisées et les reconstitutions historiques, en raison des qualités qu’ils y voient ou parce qu’ils veulent prendre en compte ce qui peuple le cerveau de leurs élèves (Barton et Levstik, 2004). Ces créations de divers genres, sur différents supports, sont autant d’accroches pour susciter ou maintenir la curiosité des élèves et, à l’occasion, ébranler leurs représentations sociales, bien que le recours à ces médias soit plutôt décoratif, marginal et ponctuel. En gros, beaucoup les utilisent sporadiquement pour illustrer et homologuer leur discours, lequel garde d’ordinaire sa fonction structurante, mais conclusive et péremptoire, d’après l’analyse de Boutonnet (2019).

Pourtant, les recherches en didactique de l’histoire sur un autre type d’histoire profane, les longs-métrages d’époque, montrent que les élèves, en général, retiennent mieux le contenu historique des films de fiction que celui des textes scolaires ou des sources d’époque, y compris les erreurs véhiculées par des films et contredites par ces textes; qu’ils pensent que les films sont erronés dans le détail, mais que leur trame générale est exacte, par exemple en ce qui concerne les mentalités; mais qu’ils assimilent mieux l’information exacte lorsque l’enseignant leur signale la présence d’une erreur spécifique et la corrige ou lorsqu’il leur fait travailler ces questions (Éthier et Lefrançois, 2018; Umanath et al., 2012). Tout porte à croire qu’il en va de même avec les JV. Il s’agirait donc de voir ce qu’en retiennent les élèves.

Dans les cours d’histoire auxquels nous assistons, la fréquence de l’usage des JV dans ces classes augmente rapidement. Assassin’s Creed est le JV que nos étudiants et les enseignants avec qui nous collaborons citent le plus souvent. Yelle et Joly-Lavoie (2017) avaient déjà signalé la popularité d’Assassin’s Creed auprès des enseignants d’histoire eux-mêmes.

3. Éléments de méthode

Il est possible de structurer un programme de recherche à partir des statistiques sur l’utilisation des JV – énoncées dans la problématique –, de l’inconsistance des résultats liant cette utilisation à l’apprentissage et de l’importance présumée (dans la recherche) et officielle (dans le PFEQ) de la pensée historienne. D’abord, nous pouvons supposer que l’attention relativement répandue pour les JV en fait des outils précieux pour la classe, ne serait-ce que sur le plan de l’intérêt des élèves pour tel ou tel élément de connaissance. Cette supposition doit être vérifiée : l’utilisation d’un JVH, tel que le TD, accroît-elle l’intérêt des élèves pour l’objet étudié? Affecte-t-elle leur capacité de retenir à court terme des connaissances déclaratives en lien avec un objet particulier? Enfin, peut-elle mener les élèves à développer des habiletés critiques de plus haut niveau, comme celles liées à la pensée historienne, et à mettre celles-ci en oeuvre pour analyser les interprétations de l’histoire profane ou les autres usages de l’histoire? Ces différentes questions nécessitent divers appareillages méthodologiques pour pouvoir tenter des réponses.

La dernière question se rapporte au deuxième volet du programme de recherche, dont un aperçu est présenté dans la conclusion. Ce volet vise la prospection des espaces potentiels pour développer la pensée historienne à l’aide de l’utilisation du TD à plus long terme, un outil issu de l’histoire profane, dont l’usage en classe est somme toute assez récent.

Dans le premier volet de cette recherche, nous avons construit un protocole quasi expérimental pour observer ce que les élèves étaient capables de capter en termes de connaissances déclaratives précises après soit un cours magistral, soit l’expérimentation du TD, ainsi que la différence de rétention à court terme chez les élèves selon qu’ils aient expérimenté l’une ou l’autre des modalités. En outre, nous avons mesuré l’intérêt des élèves par rapport au sujet spécifique, selon leur participation au cours magistral ou leur expérimentation du TD. Ce premier volet nous a permis d’explorer comment le JVH peut répondre à une des missions apposées à l’histoire scolaire, celle de la rétention d’un récit factuel et daté.

3.1. Les participants et l’échantillonnage

Au total, 321 élèves entre 12 et 17 ans provenant de neuf écoles de la grande région de Montréal ont participé à ce premier volet (voir tableaux 1, 2 et 3). Un échantillon de convenance a été établi; nous avons contacté les commissions scolaires (l’autorité chargée de gérer les écoles sur son territoire, maintenant nommée centre de services scolaire) de la grande région de Montréal et les écoles privées avec lesquelles nous étions en contact, toutes étant soumises au même programme d’études obligatoire. Neuf établissements ont accepté en temps utile d’analyser nos demandes de certificat d’éthique et de diffuser l’information aux élèves de la tranche d’âge voulue. Quarante élèves ayant l’approbation parentale pour participer à l’étude ont été choisis au hasard parmi les volontaires dans chacune des neuf écoles. L’échantillon complet était donc composé de 360 élèves.

Tableau 1

Nombre de participants par école

Nombre de participants par école

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Tableau 2

Nombre d’élèves selon leur âge

Nombre d’élèves selon leur âge

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Tableau 3

Nombre de garçons et de filles

Nombre de garçons et de filles

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En raison de formulaires de consentement éclairé manquants ou de posttests incomplets, le nombre total de participants est de 321 (304 seulement pour les questions d’intérêt), répartis entre une école publique de Montréal-Est, cinq écoles privées à Montréal, deux de la Rive-Nord et une de la Rive-Sud. Au total, 194 élèves (plus de 60 %) étaient âgés de 12 ou 13 ans, 98 (environ 30 %) ont 14 ou 15 ans et 29 (environ 9 %), 16 ou 17 ans; 231 élèves sont des garçons (72 %) et 90, des filles (28 %). Une grande majorité des élèves de l’échantillon jouent souvent aux JV (83 %); cela n’étonne guère pour un échantillon de volontaires et s’avère représentatif de la tranche d’âge 12-17 ans. Il n’y avait donc en général pas de barrière technique à l’utilisation de ce support. Les élèves de l’échantillon semblent ne pas s’être portés volontaires que pour la composante JVH de l’étude, car plus de 63 % d’entre eux se sont déclarés beaucoup ou énormément intéressés par l’histoire de l’Antiquité égyptienne, au temps de Cléopâtre (0,9 % « pas du tout »; 4,7 % « un peu »; 31,2 % « modérément »; 46,7 % « beaucoup »; 16,5 % « énormément »).

3.2. Le déroulement de l’étude et les instruments

Cette phase de la recherche a des visées exploratoires, dans lesquelles les résultats obtenus informent de nouvelles interrogations sur la rétention et le développement à long terme d’euristiques historiques (de contextualisation, de corroboration, etc.) et de concepts (société, politique, agentivité, pensée critique, etc.). Dans cette phase, l’objectif est de vérifier si l’utilisation d’un JV incluant des contenus spécifiques génère le même niveau de rétention des connaissances déclaratives qu’un enseignement magistral des mêmes contenus. Pour le vérifier, nous avons développé un protocole quasi expérimental de recherche dans lequel les participants sont distribués aléatoirement en deux groupes égaux de 20 élèves : 1) un groupe témoin qui suit un enseignement magistral sur l’Égypte antique à la fin du règne des Ptolémée, plus précisément sur la Bibliothèque d’Alexandrie au 1er siècle AEC ou 2) un groupe expérimental qui utilise le TD Origins, portant sur l’Égypte antique à la fin du règne des Ptolémée (voir figure 1).

Figure 1

Déroulement de l’étude

Déroulement de l’étude

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Peu importe le groupe qui leur est assigné, les participants passent un prétest comprenant des questions portant sur leur profil sociodémographique (âge, sexe, école, code postal, note à la première étape), des questions sur leur intérêt par rapport à l’histoire (intérêt pour l’histoire, intérêt pour l’Égypte antique, intention de consulter des ressources à ce sujet) et des questions de connaissances sur l’Égypte antique à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’époque romaine. Il s’agissait de connaissances déclaratives sur lesquelles il n’y a pas de débat historiographique. Cela a permis d’obtenir 100 % de consensus interjuges. En vue d’établir un score de prétest aussi uniforme que possible, nous avons choisi des questions pertinentes pour le programme dont la grande majorité des élèves ignoraient probablement la réponse (de fait, au prétest, les élèves avaient en moyenne 2,14 bonnes réponses aux 9 questions).

Tous les participants passent également un posttest incluant des questions sur leur intérêt, les mêmes questions de connaissances sur l’Égypte antique et une question sur leur impression d’apprentissage par rapport au cours suivi ou à l’expérimentation du module éducatif. Afin d’augmenter la probabilité que les élèves répondent à toutes les questions du posttest dans le temps imparti, nous avons limité le nombre de questions et privilégié les questions à choix multiples, à réponses courtes (construites en un mot ou en quelques mots) et à échelles ordinales. Cela aussi a aidé à maintenir la fidélité interjuges dans la correction.

Notre principal objectif (et question) de recherche était limité; nous voulions comparer, relativement à la rétention de l’information sur l’histoire, les changements dans les résultats des élèves exposés à l’information sur l’histoire dans un JVH, d’une part, aux changements dans les résultats des élèves exposés à la même information à partir d’un cours donné par un enseignant, d’autre part.

Nous avons mené l’étude après la journée de cours, et non durant les heures de classe, et prévu une expérimentation brève; par équité pour les élèves du groupe témoin, ceux-ci étaient autorisés (après l’expérience) à effectuer le tour en manipulant les manettes de jeu. Au total, l’expérience devait durer moins d’une heure. Le cours magistral et le tour devant être de même durée, nous avons choisi le tour virtuel de la Bibliothèque d’Alexandrie, une capsule d’une durée de 12 minutes, ce qui correspond à la durée ordinaire des cours selon Cuban (2013). Les deux activités des deux groupes (test et contrôle) ont été chronométrées et terminées en même temps (12 minutes). Le même enseignant du secondaire, externe à la recherche, a été recruté pour donner le cours magistral aux groupes témoins des neuf écoles, afin que l’enseignement ne varie pas d’une école à l’autre. Cet enseignant est titulaire d’une maîtrise en études classiques.

3.2.1. Le contenu d’enseignement étudié

L’étude de l’Égypte antique se situe dans la catégorie « Ailleurs » de la société mésopotamienne à l’étude dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté du premier cycle. Plusieurs angles peuvent être utilisés pour aborder ces contenus en classe d’histoire. L’angle choisi – l’étude de la Bibliothèque d’Alexandrie et des penseurs de l’époque – permettait de travailler les concepts de civilisation, de communication et de pouvoir à travers l’écriture et la connaissance en Égypte antique. Le cours dirigé par l’enseignant reprend quatre éléments de contenu accessible dans le tour virtuel de la Bibliothèque d’Alexandrie : un portrait de l’Égypte à l’époque de l’existence de la Bibliothèque, la Bibliothèque d’Alexandrie elle-même, les grands philosophes connus à l’époque, d’autres grands penseurs et leurs découvertes importantes. Les questions du prétest et du posttest ciblent ce contenu :

  1. Dans quel but scientifique la Bibliothèque a-t-elle été construite?

  2. La Bibliothèque existe-t-elle toujours?

  3. Comment la Bibliothèque a-t-elle obtenu les documents?

  4. La Bibliothèque a-t-elle attiré des intellectuels grecs?

  5. Quelles étaient les principales écoles philosophiques de l’époque?

  6. Nommez une philosophe et mathématicienne grecque ayant vécu à Alexandrie à la fin de l’Antiquité.

  7. Nommez un poète grec ayant vécu à Alexandrie dont les poèmes étaient presque aussi célèbres que ceux d’Homère.

  8. Euclide a inventé une branche des mathématiques. Laquelle?

  9. Quelle formule très célèbre Ératosthène a-t-il développée alors qu’il était directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie?

Dans le groupe témoin, les élèves assistent à un cours magistral soutenu par un diaporama PowerPoint, conçu pour être très visuel, afin de minimiser les différences entre cette condition et celle à laquelle sont soumis les élèves du groupe expérimental. Ces derniers circulent de façon (virtuelle et) libre dans la Bibliothèque d’Alexandrie; ils cliquent sur des lieux ou des personnages, lisent des textes de synthèse ou écoutent des capsules audiovisuelles.

3.2.2. Les instruments

Les instruments utilisés incluent 21 consoles (pour le tour du groupe expérimental), un diaporama avec le même contenu (incluant des éléments tirés du tour : la photo d’un buste de Ptolémée 1er, une carte, etc.), 40 tablettes pour remplir les questionnaires, un questionnaire en ligne (Momentive avec codes QR) sur les données sociodémographiques pour le prétest ainsi qu’un questionnaire sur l’intérêt et les connaissances déclaratives (utilisé pour le prétest et le posttest).

3.2.3. Les variables

Nous avons analysé les données dans le logiciel SPSS (version 25, puis 27). Trois ensembles de variables ont été utilisés dans l’analyse : 1) les variables sociodémographiques (âge, genre, école); 2) les variables en lien au contexte de la recherche (note à la première étape, intérêt pour l’histoire, intérêt pour l’Égypte, connaissance déclarée de l’Égypte, consultation passée et intention de consulter des ressources sur l’Égypte, impression d’apprentissage); et 3) les variables de scores (score au prétest, score au posttest). Les variables de scores et certaines variables contextuelles ont servi de variables dépendantes, alors que les variables sociodémographiques et l’appartenance au groupe témoin ou au groupe expérimental ont joué le rôle de variables indépendantes.

3.2.4. Les limites de la recherche

Parmi les limites de cette recherche, nous notons d’abord qu’il ne s’agit pas d’un contexte de classe authentique. Les élèves participant à la recherche le font certes à l’école, mais en dehors du temps de classe. De plus, il s’agit de séquences « forcées », et non mises en contexte par rapport à l’enseignement se déroulant en classe en parallèle à l’étude. Les questions proposées pour mesurer la rétention à court terme des élèves ciblent des connaissances déclaratives pouvant être considérées comme de second plan, si l’on s’appuie sur le modèle susmentionné de la pensée historienne.

Le fait que le prétest et le posttest aient été effectués sans période de latence vient aussi limiter la validité des scores des élèves. En effet, les élèves ont pu se rappeler ce qui était demandé dans le prétest pour mieux cibler ce qu’ils devaient retenir et cela a pu influencer leur résultat au posttest. Le fait que les réponses incluent des connaissances en général nouvelles pour les élèves, non enseignées à l’école, atténue cette limite. La brièveté de l’intervalle entre les deux mesures empêche aussi de mesurer la solidité à long terme de cet apprentissage.

4. Résultats de l’étude

Dans cette section, nous décrivons des résultats des analyses statistiques menées sur les variables sociodémographiques, contextuelles et de scores, que nous décrivons un peu plus en détail dans le tableau 4.

Tableau 4

Description des variables

Description des variables

Tableau 4 (continuation)

Description des variables

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4.1. Un intérêt pour l’Égypte plus grand après l’utilisation du TD?

Plus de la moitié des participants affirment au prétest avoir un intérêt marqué pour l’histoire (203 sur 321), dont 46,73 % indiquent avoir beaucoup d’intérêt pour l’histoire (150 sur 321) et 16,51 % énormément (53 sur 321). Cette donnée permet de discuter du biais potentiel de l’échantillon de convenance : les élèves les plus intéressés à l’histoire ou aux JV ont peut-être accepté de participer à l’expérimentation. Nous avons quand même voulu vérifier s’il y avait une différence entre l’intérêt des élèves pour l’histoire de l’Égypte antique au prétest (n = 321) et au posttest (n = 304 ; 17 élèves n’ont pas répondu aux questions d’intérêt au posttest). Pour l’ensemble des données (n = 304), les résultats du test de Wilcoxon montrent que les différences entre les résultats pour la variable Intérêt pour l’Égypte ne sont pas significatives entre le prétest et le posttest (p = 0,741 ; p > 0,05). L’effet des différences est négligeable (r = -0,02).

Lorsqu’on divise les données selon les groupes témoin et expérimental, on observe une légère hausse d’intérêt pour les élèves du groupe expérimental (29,2 % ont beaucoup ou énormément d’intérêt au prétest et cela passe à 32,6 % au posttest), alors que la tendance est inverse pour le groupe témoin : 29,8 % ont beaucoup d’intérêt lors du prétest et 26,3 % lors du posttest.

Nous avons procédé à un test de Wilcoxon pour voir si l’expérimentation avait eu un effet significatif sur l’intérêt des élèves pour l’Égypte. Pour le groupe contrôle (n = 143), les résultats du test de Wilcoxon montrent que les différences entre les résultats pour la variable Intérêt pour l’Égypte ne sont pas significatives entre le prétest et le posttest (p = 0,127 ; p > 0,05). L’effet des différences est faible (r = -0,13). Pour le groupe expérimental (n = 140), les résultats du test de Wilcoxon montrent que les différences entre les résultats pour la variable Intérêt pour l’Égypte sont significatives entre le prétest et le posttest (p = 0,043 ; p < 0,05). Toutefois, l’effet des différences est faible (r = -0,17). Cela signifie que le potentiel explicatif de l’expérimentation pour la hausse d’intérêt est faible.

Concernant les connaissances des élèves sur l’Égypte avant et après l’expérimentation, nous remarquons une légère augmentation globale du sentiment d’en connaître plus sur l’Égypte antique après l’expérimentation (témoin et expérimental). Il y a une baisse marquée du nombre d’élèves qui affirment ne pas avoir de connaissances du tout (37 sur 321, soit 11,5 %, à 8 sur 304, soit 2,6 %). Lorsqu’on analyse les données selon le groupe des participants, il y a une hausse de 8,3 % du sentiment de connaissance du groupe expérimental et une hausse de 9,3 % de ce même sentiment chez les élèves du groupe témoin. Le nombre de ceux qui disent en connaître un peu ou ne rien connaître diminue de 7,4 % dans le groupe expérimental et de 10,2 % chez le groupe témoin.

Lors du prétest, 69,5 % des participants affirment ne pas avoir consulté de références sur l’Égypte antique depuis le début de l’année scolaire (223 sur 321). Toujours lors du prétest, 54,5 % indiquent avoir l’intention de consulter des références sur l’Égypte antique prochainement (175 sur 321). Ce pourcentage augmente à 60,9 % lors du posttest (185 sur 304). Dans le groupe témoin, le nombre d’élèves avec l’intention de consulter des références passe de 86 sur 321 (26,8 %) au prétest à 92 sur 304 (30,3 %) au posttest. Dans le groupe expérimental, ce nombre passe de 89 sur 321 (27,7 %) à 93 sur 304 (30,6 %).

4.2. L’impression d’avoir appris, peu importe les modalités, mais des différences dans ce qui est retenu

En très forte majorité, les participants affirment avoir l’impression d’avoir appris après l’expérimentation (298 sur 304, soit 98,0 %). La particularité, dans le cas de cette variable, est que cette impression est égale pour chacun des groupes (149 sur 304 pour le groupe témoin et 149 sur 304 pour le groupe expérimental). Il n’y a donc pas de distinction entre l’impression des élèves quant à leur apprentissage selon qu’ils aient reçu un enseignement traditionnel ou qu’ils aient utilisé le TD. Cela soulève maintes questions quant à ce qui procure cette impression des élèves, aux méthodes d’enseignement ou aux représentations sociales de l’enseignement-apprentissage de l’histoire.

Les scores liés à la rétention de connaissances déclaratives ne reflètent pas l’impression des élèves d’avoir appris. La moyenne des scores lors du prétest est de 2,14; celle du posttest est de 4,94. Cela représente une hausse marquée des scores entre le prétest et le posttest (voir figure 2). Il est à noter qu’il n’y a pas eu d’attrition pour les réponses aux questions de connaissances déclaratives. Le nombre de répondants est constant pour le prétest et le posttest (n = 321).

Figure 2

Distribution des scores (prétest et posttest)

Distribution des scores (prétest et posttest)

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Les scores par groupe montrent une hausse marquée de la moyenne des scores pour le groupe témoin (de 2,07 à 5,45) et le groupe expérimental (de 2,16 à 4,97). La hausse de la moyenne des scores est plus importante dans le groupe témoin.

Afin de procéder à la comparaison des moyennes des scores obtenus par les élèves, nous avons d’abord effectué un test t pour échantillons appariés. Le tableau 5 nous permet d’observer une différence significative entre toutes les paires identifiées (p = 0,000; p < 0,05).

Le d de Cohen montre que la taille de l’effet des variables testées est fort (> 0,8), c’est-à-dire que les variables indépendantes testées ont un fort potentiel explicatif de la variance de la variable dépendante.

L’appartenance au groupe témoin ou expérimental, ainsi que l’intention déclarée au posttest de consulter des ressources sur l’Égypte ont davantage d’effet sur la différence entre les moyennes des élèves au posttest. Comme nous avons vu que les élèves du groupe témoin avaient des moyennes plus fortes au posttest, cela nous pousse à nous interroger sur les effets de l’intervention, ainsi que sur ce qui compose l’impression d’apprentissage des élèves (qui ont eu le même sentiment d’avoir appris après l’expérimentation, malgré une moyenne plus faible au posttest).

Tableau 5

Test t sur échantillons appariés

Test t sur échantillons appariés

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4.3. L’influence de l’âge et de l’école, mais pas de l’intérêt sur les scores

Nous avons ensuite effectué une ANOVA (analyse de la variance) à un facteur en nous intéressant à l’âge des participants (voir tableau 6 et figure 3). Il y a une différence significative entre les moyennes des scores du prétest selon l’âge et entre les moyennes des scores du posttest selon l’âge (= 0,000 ; < 0,05). Le test post hoc de Bonferroni, qui sert à déterminer quels groupes se distinguent, nous permet d’affirmer que la différence des moyennes se trouve au niveau des 12 et 13 ans, tant au prétest qu’au posttest, avec des résultats plus bas que les autres groupes d’âge, surtout en les comparant aux élèves de 16 ans (voir Annexe 1).

Figure 3

Tracé des moyennes (prétest et posttest) selon l’âge

Tracé des moyennes (prétest et posttest) selon l’âge

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Tableau 6

ANOVA à un facteur (âge des participants)

ANOVA à un facteur (âge des participants)

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Afin de creuser davantage la notion d’intérêt, nous avons fait une ANOVA à plusieurs facteurs, afin de voir si les variables contextuelles ont un effet sur le score du posttest. Il est intéressant et surprenant de constater que ces variables n’ont pas d’effet statistiquement significatif sur la moyenne des scores au posttest (par exemple, p = 0,512 ; p > 0,05) (voir tableau 7 et Annexe 2).

Tableau 7

ANOVA à plusieurs facteurs en lien avec les variables ordinales d’intérêt

ANOVA à plusieurs facteurs en lien avec les variables ordinales d’intérêt

a. R-carré = 0,137 (R-carré ajusté = 0,039)

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Nous nous sommes aussi intéressés à l’influence potentielle des variables sociodémographiques sur les scores au posttest. La seule variable qui semble expliquer significativement la différence entre les moyennes des scores au posttest est l’école de provenance, mais avec un effet faible (p =0,04 ; p < 0,05, éta-carré 0,078) (voir tableau 8). Le post hoc de Bonferroni montre que la différence semble se situer à l’école 5 avec une taille d’effet forte pour six écoles sur huit (voir Annexe 3). Comme la variance expliquée par le test est de 20,5 %, il fait état d’un potentiel explicatif suffisant pour creuser davantage.

Tableau 8

ANOVA à plusieurs facteurs en lien avec les variables démographiques

ANOVA à plusieurs facteurs en lien avec les variables démographiques

a. R-carré = 0,314 (R-carré ajusté = 0,205)

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Cette analyse comparative des moyennes des scores montre que l’école de provenance semble jouer un rôle par rapport aux moyennes des scores du posttest. Ce résultat nous donne une piste pour fouiller les différences entre les écoles et voir comment cela a pu influencer les résultats obtenus par les élèves. De plus, les élèves âgés de 12 et 13 ans obtiennent des scores plus faibles et leurs moyennes sont statistiquement différentes des élèves des autres groupes d’âge. Cela soulève la question de l’effet possible de la maturation des élèves sur leurs résultats. Par ailleurs, l’intérêt ne joue pas de rôle statistiquement significatif sur les moyennes des scores des élèves. Cela pourrait expliquer que les élèves participants ont un intérêt élevé pour les JV et pour l’histoire et un score élevé, d’une part, et indiquer qu’ils ne sont peut-être pas représentatifs de la population générale des élèves du secondaire, d’autre part.

Finalement, nous avons fait une analyse prédictive afin de voir quelles variables prédisaient le mieux la variation des scores obtenus par les élèves. Nous avons effectué une régression multiple avec le score au posttest comme variable dépendante et le groupe, le score au prétest, l’âge, l’école et le genre comme variables indépendantes. Malgré un risque de colinéarité, c’est-à-dire deux variables qui sont trop fortement corrélées entre elles, entre les scores du prétest et du posttest et l’âge et le posttest, nous avons procédé au test, car ces corrélations restent moyennes (tolérance = 0,923 ; tolérance > 0,3). La régression multiple est un modèle adapté pour les variables testées selon les résultats de l’analyse ANOVA fournie par SPSS et la variance expliquée est de 36 %. Les résultats montrent que le groupe (témoin ou expérimental), le score du prétest, l’âge et l’école sont des variables qui expliquent significativement les moyennes des scores du posttest (p = 0,000 ; p < 0,05). Le genre n’explique pas significativement les moyennes des scores du posttest (p = 0,285 ; p > 0,05).

Le groupe explique de façon significative la variance des moyennes des scores au posttest. Nous avons vu que les moyennes sont plus élevées pour les participants du groupe témoin. Nous pouvons donc affirmer que faire partie du groupe témoin prédit des scores plus élevés que ceux des participants du groupe expérimental; cela indique que l’enseignement magistral facilite une rétention de ce type de connaissance. L’intérêt pour l’histoire de l’Égypte antique, mesuré au prétest ou au posttest, ne prédit pas le score au posttest (p = 0,631 ; p = 0,681 ; p > 0,05).

Le score au prétest explique de façon significative la variance des moyennes des scores au posttest (p = 0,000 ; p < 0,05). Malgré le risque de colinéarité (tolérance = 0,918 ; tolérance > 0,3), ce qui peut influencer les données, ce résultat signifie que le score obtenu au prétest explique le score obtenu au posttest; un score plus faible au prétest est associé à un score plus faible au posttest.

L’âge explique de façon significative la variance des moyennes des scores au posttest. Encore une fois, il y a un risque de colinéarité entre ces variables. Toutefois, ce résultat signifie que l’âge explique le score obtenu au posttest; plus l’âge est élevé, plus le score est élevé.

L’école de provenance explique de façon significative la variance des moyennes des scores au posttest. Ce résultat signifie que les moyennes obtenues peuvent être prédites par l’école de fréquentation.

5. Discussion

Dans cette partie, nous revenons à nos questions de départ. Nous voulions comparer la quantité d’information que les élèves peuvent retenir avec un cours magistral et avec le TD, un enjeu de la recherche, d’après les recensions des écrits que nous avons présentées dans la problématique.

L’enseignement magistral s’est montré plus efficace que le TD. Cela peut s’expliquer, entre autres, par les attentes claires (écouter l’enseignant), par l’habitude des exercices de ce genre (repérage et rappel de l’information), par l’organisation plus structurée de la matière dans le magistral, voire par les croyances épistémiques (Maggioni et al., 2009) et les représentations sociales des élèves concernant l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation ou l’histoire (Dalongeville, 2001; Lee et Shemilt, 2003), souvent plus près de la conception bancaire de l’éducation que de la vision coopérative, critique, émancipatrice des Dewey, Freire, Vygotski ou Wallon.

Cela dit, il faut rappeler que le but officiel des cours d’histoire est davantage de former la pensée critique, même si la Progression des apprentissages (MELS, 2010b), le document sans doute le plus influent dans les écoles québécoises, met plutôt l’accent sur la mémorisation d’un inventaire de faits (ou l’automatisation de procédures). La différence entre savoir répéter des connaissances déclaratives sur demande, d’une part, et savoir problématiser et enquêter quand les conditions le requièrent, d’autre part, est trop grande pour que cette recherche dise quoi que ce soit par rapport à la formation de la pensée critique, sinon qu’une longue tradition de recherche les tient pour des visées divergentes.

Nous voulions aussi examiner si l’intérêt pour l’histoire de l’Égypte antique (ou pour la consultation d’information sur celle-ci) s’exprimait davantage après l’utilisation du TD. L’augmentation est supérieure pour les élèves soumis à cette condition que pour ceux ayant eu le cours magistral, mais elle demeure sans doute trop faible pour soutenir à elle seule un argument en faveur de l’usage du TD. De plus, cet intérêt accru (mais encore bas) peut être éphémère (l’effet de nouveauté peut s’estomper vite) et ne reposer que sur l’attrait du jeu, et non sur l’activité elle-même ou sur son but.

La recherche a essayé deux moyens pour faire apprendre les mêmes connaissances à des élèves, mais bien d’autres facteurs liés à la motivation n’ont pas été pris en compte. Nous n’avons pas tenté d’agir sur la perception de la valeur de la tâche proposée : retenir des connaissances sur la Bibliothèque d’Alexandrie, par exemple, pourrait être perçu comme manquant de signifiance et de pertinence par plusieurs, nonobstant les autres facteurs. Le lien entre le profil socioculturel ou socioéconomique des élèves et leur adhésion à la tâche n’a pas été exploré non plus.

Les recherches disent l’importance de la quête et du sentiment d’agentivité pour tirer profit des JVH. Or, le TD seul ne promeut pas cette quête et encore moins la problématisation ou l’exploitation des riches fac-similés de ressources de première main (artéfact, iconographie, etc.) du TD pour développer les euristiques, ce qui pourrait être stimulant. Il faut prévoir un dispositif didactique à cet effet. L’emploi que nous avons fait du TD est sans doute même moins compatible avec le développement d’une motivation intrinsèque qu’avec des consignes basées sur un système comportementaliste de récompenses qui se place en extériorité par rapport au savoir. Cela laisse en plan une importante question : comment un enseignement de l’histoire basé sur l’exploitation d’un jeu sérieux avec un dispositif didactique comportant des tâches d’enquête se passe-t-il, avec quels contraintes, apports et limites? Un tel enseignement peut-il « amener les élèves à évaluer des faits, […] les engager dans des discussions significatives, […] les amener à présenter des interprétations valides du passé et à présenter des critiques valides sur les interprétations des autres » (Proulx et al., 2016)?

Conclusion

Cette recherche montre que les élèves retiennent mieux des connaissances déclaratives avec un cours traditionnel, c’est-à-dire où l’enseignant diffuse l’information de façon structurée, y compris avec un support multimédia bien choisi et en interagissant avec les élèves pour diriger et maintenir leur attention, qu’avec le TD. Le résultat peut paraître banal. Or, il ne l’est pas, même s’il confirme de nombreuses recherches connues depuis longtemps; la technologie suscite régulièrement de grandes espérances déçues. Il vaut parfois la peine de l’expliquer à nouveaux frais.

Par son caractère multimodal, le TD est riche en pistes de développement de la pensée historienne et de la lecture médiatique, mais il doit pour cela être utilisé à bon escient. Cela rappelle aussi que les fins plus ambitieuses commandent des moyens adaptés; pour aiguiser la pensée critique, la rétention d’énoncés ne suffit pas. C’est pourquoi nous avons préparé une recherche qualitative centrée sur la poursuite de quêtes par les élèves. Elle vise à observer (sur une période de plusieurs heures, réparties sur deux semaines), dans des classes ordinaires d’écoles publiques du secondaire, les interactions des élèves entre eux, avec leur enseignant et avec le JVH, dans une situation d’apprentissage complexe s’inscrivant dans la planification annuelle que l’enseignant fait pour suivre le programme d’études du cours.