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Introduction

Dans cet article, nous examinons les éléments clés qui influencent directement l’expérience des étudiants en formation d’enseignants en matière d’art contemporain dans le contexte muséal. Nous nous concentrons sur sept ensembles de facteurs : 1) la formation généraliste des enseignants et l’éducation artistique; 2) la fréquentation des musées par les enseignants et les enseignants en formation; 3) l’appréciation de l’art contemporain par les enseignants en formation; 4) le modèle andragogique de Knowles (1990) pour informer les activités dans le contexte muséal; 5) le rôle de l’enseignant universitaire avec les étudiants dans le contexte muséal; 6) la multimodalité du contexte muséal; et 7) les observations faites comme professeure en didactique des arts plastiques et les résultats de recherches antérieures (Émond, 2016a, 2017, 2018a, 2018b, 2019, 2020) sur l’appréciation de l’art contemporain, par les adultes, mise en relation avec le modèle psychologique d’appréciation esthétique de Pelowski et Akiba (2011) pour la réalisation d’activités d’appréciation de l’art contemporain dans le contexte muséal afin de développer la créativité des étudiants en formation des enseignants. De plus, ce texte a pour objectif de servir les étudiants tant dans la conception de cours d’arts plastiques pour leurs élèves que dans leur pédagogie en général.

1. La formation enseignante des généralistes et l’éducation artistique

La formation initiale des enseignants est un processus complexe, à multiples facettes. En tant que tels, les futurs enseignants généralistes du primaire doivent intégrer les connaissances dans l’ensemble du programme d’études. Plus particulièrement, concernant l’enseignement des arts, les étudiants universitaires sont appelés à développer leur confiance afin d’apprendre à enseigner différentes disciplines artistiques, dont les arts plastiques. Ainsi, les universités offrant un baccalauréat en enseignement primaire au Québec ont la responsabilité de former les futurs enseignants généralistes en éducation artistique afin qu’ils puissent l’enseigner aux élèves de la première à la sixième année. La formation universitaire doit pouvoir offrir les moyens nécessaires afin d’amener les étudiants à s’engager dans une réflexion vis-à-vis de l’éducation artistique et de développer un regard sensible et critique sur la portée de l’art dans la société. Cette initiation à l’éducation artistique est d’autant plus nécessaire, car selon le contexte scolaire, il n’est pas rare que l’enseignement artistique soit confié à la personne titulaire de classe (Deniston-Trochta, 2001). Par conséquent, la formation en éducation artistique des futurs enseignants généralistes devrait, entre autres, se concentrer sur les moyens de les aider à incorporer pleinement et efficacement l’art dans leurs pratiques scolaires afin que celui-ci fasse partie intégrante de l’environnement de leurs élèves. Nous pensons que le développement de la créativité joue un rôle primordial dans cette visée.

En vertu du Programme de formation de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2006), le rôle de l’enseignant est, entre autres, d’amener les élèves à réaliser des productions artistiques en arts plastiques et à apprécier des oeuvres du patrimoine visuel et ainsi développer les compétences reliées au domaine des arts.

De plus, le MEQ recommande que l’enseignement des arts dans les classes du primaire soit étendu aux visites de lieux culturels tels que les musées, afin que les élèves soient en contact avec les oeuvres d’art. Dans ce contexte, les étudiants sont incités à développer les compétences nécessaires pour utiliser ces lieux culturels dans l’optique de les faire découvrir éventuellement à leurs futurs élèves. Il est donc opportun de réfléchir aux stratégies à mettre en place afin de former les étudiants universitaires de l’enseignement primaire à vivre des expériences esthétiques multiples dans des situations diverses, entre autres, dans l’exploration des musées réels (Émond, 2016a) et virtuels afin d’accroître l’accessibilité aux oeuvres (A. Lemieux et al., 2022), et ce, dans la limite de leur formation universitaire. Ainsi, au cours de leurs études, il est important pour ces futurs enseignants d’être en contact avec les oeuvres de cultures anciennes et avec celles créées par des artistes contemporains d’ici et d’ailleurs, et ce, pour leur développement personnel et professionnel.

2. La fréquentation muséale des enseignants et des enseignants en formation initiale

Le développement personnel et professionnel des étudiants doit faire appel à leur esprit critique et à leur créativité afin d’adapter leur enseignement à un monde en rapide évolution. Dans ce contexte, Wade-Leeuwen (2012) fait référence à des travaux importants sur la créativité et la didactique des arts (voir Robinson, 2006; Wu et Albanese, 2013) pour affirmer que « cultiver la “créativité” (définie comme l’interprétation nouvelle et personnellement significative d’expériences, d’actions et d’événements) et l’imagination chez les enseignants en formation initiale semble avoir été largement ignoré dans la plupart des pays occidentaux » [traduction libre] (p. 1). Sur cet aspect, il est souhaitable qu’au cours de leur formation, les étudiants acquièrent les outils nécessaires pour assurer l’éducation artistique des enfants tout au long de l’école primaire dans l’objectif de développer leur capacité à intégrer les arts dans leur vie quotidienne (MEQ, 2006).

Un des outils à la portée des étudiants dans leur formation enseignante est l’exploitation d’environnements d’apprentissage innovants qui soutiennent l’apprentissage par l’expérience comme les lieux culturels. Dans cette optique, nous considérons qu’il est essentiel d’offrir aux étudiants la possibilité de prendre conscience du potentiel du contexte muséal dans leur développement personnel et professionnel pour réinvestir ces connaissances dans le milieu scolaire. Le musée offre la possibilité d’une expérience tangible immédiate avec des oeuvres d’art originales, ce qui, selon les chercheurs dans le domaine de l’éducation muséale et du fonctionnement psychologique des adultes, peut contribuer grandement à l’expérience d’appréciation d’un individu (Leder et al., 2004; Tschacher et al., 2012).

Cependant, bien que les programmes des écoles primaires du Québec prônent l’utilisation du musée comme stratégie d’enseignement et d’apprentissage depuis 1923, Allard et Boucher (1998) rapportent que les enseignants, bien qu’ils ne soient pas opposés à l’idée de considérer le musée comme un partenaire de l’école, ne sont pas certains de pouvoir tirer pleinement profit des possibilités éducatives offertes par le musée et, par conséquent, de le visiter avec leurs élèves.

Plus récemment, Meunier et al. (2021) rapportent que la faible fréquentation des milieux culturels par les enseignants québécois s’observe toujours, et ce, depuis les 20 dernières années. Ces chercheurs ont voulu comprendre les raisons de la non-fréquentation des musées par les enseignants, à la fois en tant qu’individus et en tant qu’enseignants avec leurs élèves. Ils ont pu constater que de nombreux participants à leur recherche se décrivent comme non-publics, mais sont capables de raconter leurs souvenirs de quelques rares visites dans des musées. Il est intéressant de noter la représentation qu’ont les enseignants de l’environnement du musée comme un lieu où ils n’ont pas leur place :

En fait, ils considèrent que les visiteurs qu’ils rencontrent ou observent au musée appartiennent à un « monde différent » du leur (Jacobi et Luckerhoff, 2009). […] [Les] participants qui sont allés quelques fois au musée se considèrent non-publics jusqu’à ce qu’ils aient l’impression de s’être conformés au comportement prescrit, dans leur perception, par le lieu.

Meunier et al., 2021, p. 5

Ce phénomène n’est pas inhabituel et a également été observé par Leong (2003) chez les non-visiteurs en général. Ce phénomène n’est pas propre aux enseignants, mais il est important de savoir pourquoi ces derniers choisissent de ne pas visiter les musées afin de les sensibiliser à la nécessité de découvrir ces lieux culturels pour construire leurs premiers repères. Les enseignants ainsi interrogés dans le cadre de la recherche de Meunier et al. (2021) ont mentionné quelques facteurs qui influencent leur non-fréquentation des musées, notamment d’un point de vue personnel. Ceux-ci peuvent être résumés par le manque de temps, le manque d’intérêt et le fait que la visite d’un musée est considérée comme une activité touristique qui s’exerce à l’étranger pour découvrir de nouveaux endroits. D’un point de vue professionnel, les principaux obstacles aux visites scolaires peuvent être résumés comme suit : difficultés liées à la logistique nécessaire à la réalisation des sorties; décalage perçu entre l’offre muséale et les matières à enseigner; et problèmes de gestion dus à la faible autonomie des jeunes élèves. De plus, il est mentionné que la formation universitaire ne suffit pas à établir des liens entre les matières à enseigner et l’offre muséale (Meunier et al., 2021). Selon Bélanger et Meunier (2011), il importe que les formations universitaires fassent connaître le musée aux enseignants pour qu’ils puissent se l’approprier personnellement et y « […] trouver un plaisir intellectuel et personnel, qu’ils auront envie de partager avec leurs élèves. Si les enseignants apprécient vraiment le musée, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, leur approche du musée en sera transformée » (p. 12). Ce plaisir doit être partagé par tous, y compris ceux qui entretiennent des expériences esthétiques comme vecteur d’apprentissage, c’est-à-dire les élèves. Dans une étude récente visant à sonder le sentiment d’appartenance des adolescents par rapport aux espaces muséaux, A. Lemieux et Beaton (sous presse) ont trouvé que les jeunes provenant de communautés marginalisées éprouvent de la difficulté à ressentir qu’ils ont leur place dans ces espaces artistiques et que leur art pourrait se retrouver dans un espace muséal. De même, Matias et Lemerise (2000) ont constaté que les musées sont perçus comme des lieux qui ne correspondent pas à la culture et aux valeurs des 12-17 ans et affirment qu’il est nécessaire d’aborder le rôle des enseignants dans la familiarisation de leurs élèves avec les musées. Matias et Lemerise (2000) font état des différentes initiatives prises par les musées au début du 21e siècle pour s’engager auprès des adolescents, et il existe aujourd’hui des lieux comme ATLR 15-20, un studio de création au Musée des beaux-arts de Montréal, un des exemples d’une offre muséale actuelle pour les jeunes. Il est donc important d’aider les enseignants en formation initiale à découvrir le contexte muséal actuel avec ses offres adaptées à différents publics afin qu’ils puissent se l’approprier sur le plan personnel et professionnel pour le faire découvrir aux élèves dès le primaire.

3. L’art contemporain et son appréciation par les enseignants en formation initiale

Le constat sur la faible fréquentation des lieux culturels par les enseignants, plus précisément des musées, renvoie à la problématique de leur formation en matière d’éducation artistique et plus particulièrement dans la manière dont ils s’engagent à la découverte de l’art. Comme le mentionne Morel (2021), « […] si la portée éducative de l’art n’est plus à prouver, il reste que les usages qu’on peut en faire n’ont peut-être pas suffisamment de place dans les programmes de formation enseignante […] » (p. 175). Cela suppose que la formation des enseignants soit en mesure « [d’] exploiter le patrimoine artistique actuel (réputé susciter un moment de réflexion sur des problématiques sociétales) dans des contextes éducatifs […] » (Morel, 2021, p. 175). Selon les recherches de Morel (2013) :

La formation des enseignants devrait accorder une place plus importante aux fonctions sociales de l’art et au rôle qu’il peut jouer face aux enjeux actuels. C’est un terrain sur lequel l’art contemporain est particulièrement actif et ceci doit être mis à profit. Il importe notamment de les sensibiliser en leur proposant dans le cadre de la formation initiale et continue des activités de nature pratique leur permettant d’« apprivoiser » l’art contemporain et de le faire entrer dans leurs classes.

p. 240

Lors d’une recherche en contexte muséal (Émond, 2016a), nous avons pu explorer la réception de l’art contemporain avec des étudiants en formation enseignante dont la fréquentation des musées était similaire à ce qui a été évoqué dans les recherches sur le sujet, c’est-à-dire quasi inexistante. Les résultats obtenus nous informent que les futurs enseignants développent une stratégie minimale dans leur traitement des oeuvres d’art contemporain, qui leur permettraient tout au plus d’identifier ce qu’ils regardent sans pouvoir construire le sens des oeuvres. Lors de leurs explorations dans un contexte muséal, les futurs enseignants saisissent les éléments des oeuvres et portent souvent des jugements binaires qui se limitent à « j’aime » ou « je n’aime pas ». Loin d’être des visiteurs autonomes, ils dépendent des informations accompagnant les oeuvres pour initier leur premier contact avec l’art contemporain. Or, les informations fournies par le musée sont souvent source de dissonance pour les étudiants, car elles sont jugées insuffisantes pour comprendre l’oeuvre étant considérée comme la source première afin d’obtenir une soi-disant « bonne réponse ». Cependant, l’appréciation des oeuvres d’art contemporain ne peut pas se limiter aux renseignements d’une étiquette (cartel) ou d’une accumulation factuelle d’informations, si les enseignants en formation et « les enseignants en fonction sont tenus de reconsidérer les possibilités, à devenir curieux et à prendre des risques afin d’exprimer clairement leurs idées, leurs concepts, leurs pensées et leurs sentiments de manière créative et réfléchie, en soutenant leur potentiel humain » [traduction libre] (Wade-Leeuwen et McLachlan, 2021, p. 250).

Apprécier une oeuvre d’art, c’est avoir l’occasion de s’engager avec ce que l’on regarde et de comprendre comment cette perception de l’oeuvre fait corps avec soi; c’est là que commence l’apprentissage. Il existe une interaction constante entre le moment de la rencontre avec l’oeuvre d’art dans un contexte muséal et l’expérience personnelle d’un adulte. Afin de maximiser les moments de rencontres avec les oeuvres d’art, il est donc opportun de présenter les facteurs qui influencent la manière dont les étudiants abordent l’art et plus particulièrement l’art contemporain dans un contexte muséal, et ce, afin de pouvoir adapter les apprentissages universitaires à leur réalité en tant qu’apprenant adulte.

Nous souhaitons, pour nos futurs enseignants, pouvoir pleinement profiter de la présentation des oeuvres dans un contexte muséal et saisir le potentiel qu’offre l’exploration de ces oeuvres sur leur développement personnel et professionnel. C’est par l’exploration des contenus que regroupent ces lieux qui reflètent et esquissent parfois une image restructurée du monde dans lequel nos étudiants vivent que ce développement personnel et professionnel peut s’opérer. Offrir aux étudiants l’occasion de découvrir la portée éducative des musées a pour but de transformer leur perception de l’institution, c’est-à-dire comme le propose Gurian (2007), de passer d’un lieu pour une activité occasionnelle d’une journée à un lieu multiservice. Ce faisant, il sera possible de considérer l’offre muséale comme ayant le potentiel de contribuer activement à la compréhension de leur rôle en tant qu’acteurs dans la société et de comprendre l’influence qu’ils auront sur leurs élèves à travers une éducation artistique intégrant le musée. Afin de maximiser la rencontre entre les étudiants à la formation des enseignants et les oeuvres d’art contemporain en contexte muséal, nous nous appuyons sur les principes andragogiques de Knowles.

4. Le modèle andragogique de Knowles et la formation initiale des enseignants en contexte muséal

Le modèle andragogique de Knowles (1990) peut être résumé en six principes : 1) le besoin de savoir; 2) le concept de soi chez l’apprenant; 3) le rôle de l’expérience de l’apprenant; 4) la volonté d’apprendre; 5) l’orientation de l’apprentissage; et 6) la motivation. Nous décrivons les principes de Knowles et la manière dont ils peuvent être appliqués à la formation en enseignement des généralistes à la didactique des arts plastiques pour les préparer à la rencontre et à l’appréciation des oeuvres d’art contemporain dans un contexte muséal.

4.1. Le besoin de savoir

Les adultes veulent savoir pourquoi ils doivent apprendre une notion ou des contenus spécifiques. Par exemple, les étudiants à la formation en enseignement veulent comprendre la valeur d’un cours de didactique des arts plastiques dans leur programme. Il est donc indispensable de prendre le temps nécessaire pour aider les étudiants en formation des enseignants à comprendre l’importance de l’enseignement de l’art pour leurs futurs élèves (Théberge, 1998). Il reste essentiel que les étudiants reconnaissent que le but de cette formation universitaire est de les sensibiliser et de les outiller pour s’engager dans le processus d’éducation artistique. Cette compréhension des étudiants renforce la pertinence de l’enseignement de l’éducation artistique et confirme la place de cet apprentissage dans la pratique professionnelle. D’autre part, cette prise de conscience de la nécessité d’apprendre la didactique des arts dans le cadre de leur cursus universitaire pourrait également mettre en évidence l’écart entre leurs connaissances antérieures et ce qu’ils souhaitent accomplir afin d’améliorer leur efficacité dans leurs interventions auprès de leurs futurs élèves (Wade-Leeuwen, 2016). C’est donc lors des cours universitaires que l’occasion d’améliorer leurs connaissances se présentera sous la forme de différentes approches proposées dans le cadre de leurs cours.

4.2. Le concept de soi chez l’apprenant

Il est important de se rappeler que les adultes reconnaissent qu’ils sont responsables de leurs décisions. C’est le cas des étudiants universitaires qui ont fait le choix de s’inscrire à un programme de formation initiale des enseignants. Cependant, cette responsabilité personnelle de leur apprentissage se fait parfois plus discrète dans les moments où les étudiants implorent l’enseignant, lors d’un exercice d’appréciation d’oeuvre d’art, de les diriger dans leurs actions et de leur dire quoi faire, quoi dire, quoi voir, en prenant alors un rôle passif dans leur apprentissage. Ainsi, le travail de l’enseignant universitaire consiste à aider les étudiants à exercer leur autonomie dans leurs apprentissages concernant l’appréciation d’oeuvres d’art.

4.3. Le rôle de l’expérience de l’apprenant

Les adultes ont une variété d’expériences de vie qui vont influencer leurs apprentissages et qui doivent être prises en compte dans les activités proposées par le professeur universitaire. Par exemple, dans le cadre de la formation initiale des enseignants, les étudiants s’appuient sur leurs propres expériences scolaires et pratiques dans le cadre de stages et les comparent aux nouveaux apprentissages de leur cursus universitaire, ce qui donne lieu à des discussions riches du simple fait que différentes expériences individuelles sont partagées. Il est important de créer des activités d’appréciation d’oeuvres d’art où les étudiants peuvent se référer à leurs expériences personnelles tout en s’ouvrant à de nouvelles perspectives.

4.4. La volonté d’apprendre

La capacité des adultes à apprendre est étroitement liée à la pertinence de ce qui est offert en ce qui concerne les apprentissages. Les adultes déterminent si les apprentissages permettront ou non de mieux composer avec les diverses situations de leurs réalités. C’est un enjeu important pour l’enseignant de la didactique des arts plastiques à la formation des enseignants généralistes, car il y a souvent un écart entre ce qu’ont vécu les étudiants dans le milieu scolaire et les apprentissages à faire dans le cours universitaire.

4.5. L’orientation de l’apprentissage

Pour les adultes, l’apprentissage se déroule dans des contextes spécifiques qui sont le plus souvent orientés vers des problématiques axées sur leur réalité. Il est important pour l’adulte de croire que les connaissances acquises par les divers apprentissages peuvent être appliquées dans des situations de la vie réelle. Ainsi, les étudiants en formation d’enseignants s’attendent à ce que les apprentissages dans un cours en éducation artistique puissent être appliqués dans l’environnement scolaire (Théberge, 1998).

4.6. La motivation

Pour les adultes, la motivation à s’engager dans un processus d’apprentissage est généralement intrinsèque, mais peut aussi être extrinsèque en fonction des situations et des contextes comme être en formation universitaire qui peut engendrer des motivations internes et externes. La motivation est une force motrice pour atteindre un objectif personnel (Ryan et Deci, 2000). À la formation à l’enseignement, la motivation est souvent orientée vers la cohérence perçue entre les apprentissages universitaires et le milieu scolaire. C’est un élément important à prendre en compte dans les discussions afin d’amener les étudiants à réfléchir ce sur quoi est constitué l’enseignement des arts plastiques en contexte scolaire (Théberge, 1998).

5. Le rôle de l’enseignant universitaire en contexte muséal

Selon les principes de Knowles (1990), nous avons compris que les adultes sont prêts à apprendre lorsque cela concerne leurs propres préoccupations. De plus, il importe que les adultes soient actifs dans une situation d’apprentissage pour que celle-ci ait un sens. Ainsi, les adultes, plus particulièrement dans un contexte muséal, doivent partager la responsabilité du processus d’apprentissage où l’enseignant universitaire hors de sa salle de cours est davantage considéré comme « un facilitateur du processus d’apprentissage plutôt qu’un dispensateur de connaissances » [traduction libre] (Hiemstra, 1981, p. 63) s’adaptant ainsi au milieu muséal. Le terme « facilitateur » illustre donc toute l’étendue du rôle de l’enseignant universitaire qui doit apprivoiser le contexte du musée afin de créer un climat d’ouverture et de favoriser les échanges entre les étudiants, l’enseignant-facilitateur et le groupe d’étudiants. Dans le contexte muséal, l’enseignant-facilitateur jouera le rôle de médiateur (Ceva, 2004; Paquin, 2015) habituellement dévolu aux membres du personnel du musée. Ainsi, « [le] processus d’apprentissage [dans le contexte muséal, se veut] créatif et transformationnel en lui-même » (Boyd et Myers, 1988; Dixon, 1999; Freire, 1971; Knowles, 1990; Mezirow, 1991; Rogers, 1976, cités dans Durand, 2010, p. 54).

6. La multimodalité du contexte muséal

Le contexte du musée est un facteur important dans le processus d’apprentissage des adultes et est considéré, dans le cadre de cet article, comme un environnement multimodal selon la définition suivante proposée par différents auteurs :

[Pour Kress (1997, 2003, 2010) et Jewitt (2009)], la multimodalité repose sur le constat empirique qu’en communication contemporaine, l’on utilise de plus en plus fréquemment plus d’un mode pour concrétiser une idée. Kress et Van Leeuwen (2001) abondent dans le même sens et affirment que la multimodalité représente l’usage de plus d’un mode sémiotique afin de concevoir un objet ou un événement sémiotique. Un mode est une ressource sémiotique façonnée par la société pour produire du sens (Kress, 2010). […] Bearne et Wolstencroft (2007) ajoutent, quant à eux, que la multimodalité articule alors le croisement des mots, des images, du mouvement et du son.

N. Lemieux et Beaudoin, 2015, p. 6-7

Selon nous, cette définition de la multimodalité correspond à la description même du contexte muséal. Ce contexte est façonné par la muséographie créée par les professionnels du musée pour mettre en valeur les oeuvres d’art et les rendre accessibles aux visiteurs qui vont les explorer pour en produire du sens. Pour ce faire, les visiteurs déambulent dans un espace, et les déplacements mêmes des individus sont à considérer dans cette production de sens, et ce, afin qu’ils puissent tisser des liens entre les oeuvres et le contexte muséal. Ainsi, une salle ou un ensemble de salles, le musée lui-même, l’atmosphère qui s’en dégage, l’éclairage, l’aménagement, la présentation des oeuvres dans l’espace font partie de la muséographie et donc du discours de l’exposition. Le discours de l’exposition ne peut donc pas en être un de type fermé (Basu et Macdonald, 2007), car comme dans un labyrinthe, le visiteur ne connaît que la partie de l’exposition qui a déjà été explorée. Ainsi, le sens se construit au fur et à mesure que le visiteur se déplace dans l’espace d’exposition, où il est possible pour l’étudiant adulte de tisser des liens entre les constituantes de la muséographie lorsqu’en immersion dans ce lieu de l’exposition (Basu, 2007). Nous qualifions ce dispositif muséographique de multimodal puisque l’interaction entre l’exposition des oeuvres, la présentation des informations (p. ex., cartel, panneau de section, tablette graphique et autres outils technologiques) et l’environnement créé par la salle d’exposition (p. ex., aspects sonores, olfactifs) doit contribuer à la production de sens des visiteurs (Meszaros et al., 2011), qui, dans notre article, sont des étudiants universitaires découvrant les oeuvres d’art contemporain comme une des productions humaines avec ses particularités (Nadon, 2009). Ainsi, la formation initiale des enseignants généralistes en éducation artistique, nous le savons, a un caractère foncièrement multimodal qui appelle aussi au développement de leur créativité.

7. Modèle pour contextualiser les activités universitaires en contexte muséal : développer la créativité chez les étudiants en formation

Le modèle pour comprendre le fonctionnement des visiteurs adultes dans un contexte de formation universitaire au musée s’appuie sur des recherches antérieures à propos du fonctionnement intellectuel d’adultes explorant l’art contemporain dans un contexte muséal (Émond, 2010, 2016a). Dans nos recherches, afin d’accéder à l’appréciation esthétique d’un visiteur adulte, nous utilisons le protocole du thinking aloud (Dufresne-Tassé et al., 1998) pour recueillir les propos des adultes lors de leur exploration des oeuvres d’art. Cette méthode consiste à enregistrer ce que dit un visiteur individuel, au cours de sa visite, c’est-à-dire ses pensées, ses idées, ses réflexions qui peuvent émerger lors de l’exploration des oeuvres d’art. Dans le cadre de notre recherche débutée en 2015 au Musée des beaux-arts de Montréal dans la section de l’art contemporain international, nous avons recueilli et enregistré pendant leur exploration des oeuvres, les commentaires verbaux des visiteurs fréquentant le musée trois fois et plus par an. Les commentaires enregistrés ont été transcrits et analysés à l’aide de différents instruments créés dans le cadre de projets de recherche antérieurs (Émond, 2016b, 2017) afin d’identifier les moments de consonance et de dissonance ainsi que les différentes opérations mentales (p. ex., saisir, comparer, suggérer) utilisées par les participants adultes. Nous avons par la suite présenté les résultats en relation avec le modèle psychologique d’appréciation esthétique de Pelowski et Akiba (2011), ce qui nous a permis d’articuler les composantes du traitement des oeuvres d’art contemporain (Émond, 2018a, 2018b, 2019, 2020). Le modèle psychologique d’appréciation esthétique des étudiants à la formation en enseignement adapté du modèle de Pelowski et Akiba (2011), en fonction de nos résultats de recherches antérieures, est présenté dans l’Annexe 1.

Nous considérons les participants de cette recherche de 2015 comme étant des visiteurs fréquents. Nous avions fait ce choix afin de comprendre le fonctionnement maximal de visiteurs adultes non experts en arts explorant l’art contemporain, car ceux-ci sont plus habilités à produire du sens lors de l’exploration des oeuvres (Weltzl-Fairchild et Émond, 2000) que les non-visiteurs. Ainsi, nous voulions informer nos actions auprès des étudiants à la formation des enseignants généralistes qui sont appelés à apprécier des oeuvres d’art dans le cadre de leur formation.

Par conséquent, nous présentons dans notre article les composantes du modèle psychologique d’appréciation esthétique de Pelowski et Akiba (2011), dans la perspective d’une expérience esthétique transformatrice axée vers le développement de la créativité et adaptée aux spécificités d’une activité muséale universitaire dans la formation initiale des enseignants et qui considère notamment les principes de Knowles.

7.1. Le modèle psychologique d’appréciation esthétique de Pelowski et Akiba

Le modèle de Pelowski et Akiba (2011) comprend cinq étapes de l’expérience esthétique : 1) pré-attentes et l’image de soi; 2) maîtrise cognitive et introduction d’une divergence; 3) contrôle secondaire et évasion; 4) réévaluation métacognitive; et 5) résultat esthétique et nouvelle maîtrise. Il est possible pour les étudiants d’expérimenter les différentes étapes du processus dans un va-et-vient continu, de manière non linéaire, alors qu’ils construisent du sens dans un contexte muséal exposant de l’art contemporain.

7.1.1. Étape 1 : Pré-attentes et l’image de soi. Expériences antérieures, motivation, intérêts et préconceptions

En considérant les principes de Knowles, nous savons que nos étudiants à la formation enseignante ont des attentes et des intérêts qui influencent leur engagement dans une activité d’appréciation d’oeuvres d’art contemporain en contexte muséal. Lors de l’élaboration d’une situation d’apprentissage au musée, il importe de veiller à organiser les activités en un ensemble cohérent que les étudiants considéreront comme pertinent. Les objectifs des activités muséales doivent être bien définis et pris en compte à toutes les étapes de leurs élaborations. De cette façon, les activités permettront aux étudiants de s’engager dans un processus de découverte et de comprendre l’objectif global de ce qui est proposé, grâce à l’adéquation perçue entre les offres du musée et leurs attentes préalables. Cela implique souvent que les étudiants fassent des découvertes significatives sur eux-mêmes et sur la société et perçoivent ainsi le musée comme un lieu d’apprentissage accessible tout au long de la vie où ils sont habilités à s’engager dans un développement personnel continu. Le souhait est que leurs découvertes de la portée éducative du musée pourront être réinvesties, éventuellement, auprès de leurs élèves.

En concevant des activités muséales, l’enseignant essaie de développer des situations qui donneront aux étudiants l’occasion de faire le lien avec leurs propres expériences dans le domaine des arts. Par conséquent, comprendre les expériences antérieures des étudiants devient une partie essentielle dans la conception des activités. Cela est nécessaire pour que l’expérience d’apprentissage au musée soit significative et durable, et ce, grâce aux spécificités des collections du musée où l’enseignant devra établir au préalable une sélection de galeries à explorer avec ses étudiants. La motivation des étudiants à se découvrir comme personnes-apprenantes, à se sentir investis dans l’environnement muséal et se reconnaître dans l’expérience d’appréciation développent l’estime de soi (Pelowski et Akiba, 2011). Pour qu’une expérience d’apprentissage se produise, il faut que la personne soit motivée. La motivation est influencée par plusieurs facteurs liés aux aspects cognitifs, émotionnels et psychologiques (Leder et al., 2004). Dans le contexte de nos cours universitaires, la motivation des étudiants est liée à la réussite du cours. On peut penser que la motivation des étudiants est extrinsèque, mais pendant l’expérience, la motivation peut devenir intrinsèque si ce qu’ils expérimentent correspond à leurs attentes et s’ils en retirent un certain plaisir.

L’accueil réservé par les étudiants à la visite d’un musée d’art dans le cadre d’un cours en didactique des arts plastiques sera également influencé par leur compréhension des offres du musée dans le cadre de leur formation et par la pertinence à long terme de cette activité pour leur développement professionnel. Si leur compréhension de l’offre du musée suggère qu’une visite a le potentiel de répondre à leurs besoins personnels en tant qu’apprenants, ils seront prêts à y participer. Les adultes, donc nos étudiants, ont une idée précise de leurs centres d’intérêt et de ce qui vaut la peine d’investir de leur temps dans un travail universitaire. Un exercice de sensibilisation devra être mis en place avant même de se déplacer au musée afin de maximiser l’engagement des étudiants dans une visite muséale. Cette démarche consiste en un exercice incontournable pour répondre non seulement aux exigences de leur programme de formation, mais aussi aux réalités de leur vie professionnelle.

Il est donc nécessaire que l’enseignant universitaire, avant de réaliser une activité au musée, prenne connaissance de la perception qu’ont les étudiants du musée d’une part, et de l’art contemporain d’autre part, car ceux-ci, avant même d’arriver au musée, ont déjà une bonne idée de ce qui est considéré comme de l’art et de ce qui correspond à leurs goûts. Cela aura une incidence sur leur réceptivité à l’expérience muséale (Émond, 2016a). Les adultes, dont les étudiants, possèdent des stéréotypes concernant les objets ou les collections à explorer, lesquels détiennent un ensemble de postulats qui guident leurs comportements et leurs attentes dans le contexte du musée. Nous faisons référence à l’image de soi d’un individu, à son image mentale, « c’est-à-dire qui suis-je, qu’est-ce que, dans le cas de rencontres avec des oeuvres d’art, est “l’art”, et comment “l’art” se rapporte à moi. Ensemble, ces postulats constituent l’“image idéale de soi” d’un individu » [traduction libre] (Carver, 1996, cité dans Pelowski et Akiba, 2011). De plus, l’image de soi de l’adulte est généralement résistante au changement, et l’individu qui explore l’art contemporain peut considérer ce qu’il regarde comme une menace pour son image de soi, si une divergence apparaît entre lui et l’oeuvre d’art.

Ainsi, au cours de l’activité, les étudiants feront face à une exposition d’art contemporain qui peut correspondre ou non à leurs conceptions de l’art. Il est important d’en être conscient dans notre compréhension de leur expérience d’appréciation afin de pouvoir les accompagner dans leurs découvertes et jouer le rôle d’enseignant-facilitateur si une divergence entre leurs préférences esthétiques et leurs attentes apparaît lors de l’observation des oeuvres d’art contemporain.

7.1.2. Étape 2 : Maîtrise cognitive et introduction d’une divergence. Consonances, dissonances cognitives, et informations

Comme les visiteurs adultes en général, les étudiants qui vont à la rencontre d’une oeuvre d’art dans un contexte muséal effectuent une identification ou une classification initiale, et ce, en fonction de leurs préconceptions et de leurs attentes vis-à-vis de l’expérience et de leur image de soi. C’est ce que Leder et al. (2004) ont nommé « maîtrise cognitive ». Par exemple, à ce stade de la production de sens, l’adulte identifie ce qui est perçu comme étant intéressant à explorer davantage ou non. Cela s’explique par le fait que l’objet peut correspondre ou non aux attentes préalables de l’adulte et, selon la correspondance, l’individu peut en être affecté. C’est dire que s’il y a correspondance, l’adulte exprimera son intérêt pour l’oeuvre et se sentira en confiance dans la poursuite de son exploration (Émond, 2010, 2017). Au moment même de la réponse consonante, la personne ressent une connexion avec l’oeuvre d’art. Il est possible qu’en de rares occasions, la correspondance avec l’oeuvre et l’environnement du musée soit si fortement ressentie par l’individu qu’une expérience de flow se produise (Csikszentmihalyi, 1990). La personne est alors totalement plongée dans l’activité, en harmonie totale avec l’environnement du musée. C’est le moment où l’adulte se sent presque en symbiose avec l’objet et l’environnement du musée. Cela peut être vécu comme une surprise totale pour la personne qui se rend compte que l’objet et l’environnement du musée correspondent à son image conceptuelle, ce qui, en soi, l’encourage à poursuivre son exploration et à être ouverte à d’autres découvertes. Cette personne est alors motivée à poursuivre l’expérience d’appréciation, car celle-ci est perçue comme gratifiante et importante.

Pour favoriser une réponse positive lors du premier contact avec l’oeuvre d’art contemporain, il est recommandé de laisser les étudiants déambuler dans la salle d’exposition et de les encourager à choisir librement une oeuvre exposée qui correspond le plus à leurs conceptions d’une oeuvre d’art. Dans ces circonstances, l’enseignant-facilitateur encouragera ses étudiants à observer l’oeuvre sélectionnée et à discuter de leurs premières impressions avec l’ensemble du groupe.

Lorsque l’adulte ou l’étudiant apprend à se sentir en confiance avec les actions à entreprendre au cours de l’expérience d’appréciation, cet individu cherchera à répéter des occasions similaires. En contrepartie, lorsque l’oeuvre d’art contemporain ne correspond pas aux préconceptions, aux attentes et à l’image de soi de l’adulte, il peut y avoir une dissonance perçue entre les attentes du visiteur concernant la mission du musée et l’oeuvre qui est explorée (Émond, 2017). Par exemple, dans cette circonstance, l’oeuvre peut être considérée comme n’étant pas une représentation légitime d’une oeuvre d’art et voir sa présence dans le musée contestée par l’étudiant adulte. Si la dissonance est trop importante et que l’adulte a l’impression qu’il n’y a aucun moyen de la résoudre, la seule solution est de se retirer physiquement de la situation, car continuer constituerait une menace à son image de soi. Il y a donc abandon de l’expérience d’appréciation.

Si l’individu est convaincu que la divergence perçue peut être résolue sans porter atteinte à son image de soi, l’exploration de l’oeuvre sera poursuivie. Pour ce faire, la recherche d’informations sur l’oeuvre, c’est-à-dire à travers ce qui est fourni par le musée comme les cartels ou les panneaux de sections ou toutes formes de médiations écrites et visuelles, devient essentielle pour surmonter la dissonance. Si l’individu trouve les informations pertinentes, l’expérience se poursuit. Par exemple, on peut considérer le « jonglage » entre l’oeuvre d’art et le cartel, qui représente le mouvement de va-et-vient du visiteur dans son exploration de l’oeuvre d’art et sa lecture du cartel comme étant l’une des stratégies employées pour produire du sens (Grassin, 2007). D'autres études traitent de la présence d'outils de médiation écrite et de leurs effets sur la réception des visiteurs, souhaitant susciter chez l’adulte la curiosité et l’encourager dans sa rencontre avec l'oeuvre d'art par le contenu partagé (Chatzimanassis, 2013; Guyon, 2017; Reitstätter et al., 2022).

Cependant, si l’adulte, lequel est étudiant, ne trouve pas les informations nécessaires, l’état de dissonance demeure. Ce type de dissonance se situe entre l’oeuvre et le cartel, c’est-à-dire l’information qui est à proximité de ce qui est apprécié (Émond, 2017). L’autre possibilité, c’est de constater une dissonance entre l’oeuvre et la muséographie, car la disposition des informations disponibles dans la salle d’exposition n’aide pas à la résoudre (Émond, 2016a). Si cette situation perdure, l’appréciation de l’oeuvre se termine et l’étudiant adulte s’éloigne de celle-ci.

Si l’individu est convaincu que la dissonance peut être résolue et pense qu’il est possible de regarder l’oeuvre d’art contemporain d’une manière différente, il poursuit l’expérience. Dans cette circonstance, le musée est perçu comme un lieu où la collection a sa raison d’être et ainsi l’exploration de l’oeuvre peut se poursuivre sans porter atteinte à l’image de soi de l’étudiant adulte. Ainsi, il prolonge son regard sur l’oeuvre, impactant son appréciation (Lachapelle, 2009; Leder et Nadal, 2014; Pelowski, 2015; Smith et Smith, 2001).

Lors de l’activité universitaire, l’enseignant-facilitateur exploite les compétences des étudiants afin que des connexions avec les oeuvres exposées soient possibles. Ce faisant, l’enseignant-facilitateur ne se limite pas à communiquer des informations spécifiques, il offre l’occasion aux étudiants de mobiliser différentes compétences qui pourraient être appliquées à la situation muséale et à l’appréciation des oeuvres d’art contemporain. Pendant l’expérience d’appréciation, les étudiants sont encouragés à organiser les différentes informations présentées dans le musée et à les utiliser efficacement. Cela se fait tout au long de l’expérience muséale, mais plus particulièrement lorsque l’on est en dissonance par rapport aux informations disponibles. À cette fin, nous empruntons les stratégies décrites par Prieto Sánchez et Hervás Avilés (1992, p. 154) (Hervás Avilés est une chercheuse en éducation muséale). Ces stratégies sont adaptées aux besoins des activités universitaires lors de l’appréciation de l’art contemporain afin de mobiliser des compétences, liées à la créativité, telles que l’observation active et la capacité d’explorer l’inconnu par le questionnement et l’analyse des hypothèses générées, et ce, pour s’ouvrir à de nouvelles expériences et prolonger la rencontre avec l’oeuvre afin de produire du sens. Il s’agit que l’étudiant adulte puisse, lorsque nécessaire, comparer, encoder, décoder, classifier, ordonnancer et représenter, c’est-à-dire traiter de manière pertinente les informations fournies par les composantes de la muséographie comme étant un ensemble d’éléments qui ont été mis à la disposition des individus pour créer du sens à partir de ce qui est exploré en contexte muséal.

1. Comparer : établir des similitudes et des différences entre les choses, les objets et les événements. Relier les nouvelles informations avec les informations acquises précédemment.

L’enseignant-facilitateur peut suggérer aux étudiants de comparer les objets de l’exposition afin d’acquérir une nouvelle appréciation du sujet traité. Il peut également s’agir de comparer les informations présentées dans l’espace d’exposition, comme les panneaux muraux et les cartels. L’idée est de maximiser l’utilisation par les étudiants de ce qui est offert par la mise en exposition des éléments dans l’espace, et ce, afin que les étudiants puissent développer leurs propres interprétations.

2. Encoder : sélectionner et stocker des informations pertinentes pour établir des critères de catégorisation.

Lors de la comparaison d’objets dans les limites de l’espace d’exposition au cours de l’activité muséale, les étudiants sont encouragés par l’enseignant-facilitateur à présenter leur propre façon de comprendre et de vivre la situation. Ce faisant, les étudiants peuvent commencer à expliquer ce qui est considéré comme pertinent pour eux pendant l’exploration. Les facteurs significatifs sont souvent exprimés par les étudiants, sous forme de catégories. Ce qui est essentiel dans leur appréciation, c’est de reconnaître comment leurs explorations les aident à identifier avec précision leur processus d’appréciation qui était peut-être auparavant à un niveau tacite et qui peut maintenant être réinvesti dans une future rencontre avec des objets au sein d’une exposition. Ainsi, au fur et à mesure, leurs propres critères d’appréciation d’une oeuvre d’art contemporain sont mis à profit.

3. Décoder : traduire l’information représentée par des symboles.

Le décodage est une action importante à entreprendre par les étudiants dans l’espace de l’exposition, car le contexte muséal, les oeuvres et les différentes formes d’informations présentées sont exposés selon une logique interne qui a été conceptualisée par l’équipe de conception et de réalisation d’exposition. Les étudiants doivent trouver des moyens de décoder non seulement l’exposition dans son ensemble, mais aussi les oeuvres individuelles exposées afin de saisir leur symbolisme intrinsèque. L’enseignant-facilitateur accompagnera souvent les étudiants dans leur exploration en présentant les différentes composantes de l’exposition et en créant ce que nous appelons une sous-exposition où des sujets spécifiques peuvent être traités pour donner du sens à la relation entre les informations écrites, les oeuvres d’art contemporain et l’ensemble de la muséographie. Il s’agit d’explorer avec les étudiants le rôle des différentes composantes d’une exposition qui respectent les codes spécifiques du domaine, par exemple une exposition d’art contemporain aura des codes de présentation différents de celle qui présente une exposition sur l’art baroque. L’art contemporain est reconnu pour être présenté dans un « cube blanc », un espace épuré où le visiteur peut se concentrer sur l’oeuvre dans un espace qui lui est propre. Tandis que l’art baroque est présenté souvent dans une salle avec des murs recouverts de tapisseries colorées où les tableaux avec leurs cadres dorés sont accrochés les uns au-dessus des autres, ayant les grands formats tout près du plafond, donnant l’impression au visiteur d’être dans une salle de château.

4. Classifier : définir des paramètres de classification pour regrouper les objets et les informations en général.

Lorsque les étudiants, au cours de l’exploration d’oeuvres d’art en contexte muséal, prennent conscience des spécificités de leurs préférences et sont capables de les exprimer ouvertement, cela semble faciliter leur exploration de l’exposition et des oeuvres d’art contemporain. Par exemple, lorsque les étudiants en prennent conscience, cela les encourage à explorer davantage l’oeuvre d’art contemporain qu’ils considèrent désormais ouvertement comme un « rejet », c’est-à-dire un élément dissonant de l’exposition dans leur exploration, ne correspondant pas à un ou plusieurs de leurs critères d’appréciation. Curieusement, cette capacité à définir les paramètres des oeuvres peut prolonger leur exploration. Lorsque les étudiants ont l’occasion d’expliquer les paramètres de leur classification, ils s’ouvrent à d’autres possibilités telles que la découverte de l’oeuvre sous un autre angle, et ce, dans le contexte de l’exposition où se déroule l’activité universitaire muséale. Dans ces situations, l’enseignant-facilitateur accueille le moment dissonant et positionne les interventions en accueillant toutes les appréciations divergentes et consonantes tout en continuant néanmoins de laisser le temps aux étudiants d’apprendre à tolérer l’ambiguïté dans une poursuite vers la créativité.

5. Ordonnancer : la mise en séquence des paramètres supérieurs ou plus inclusifs dans leurs éléments moins inclusifs.

Lorsque les étudiants ont l’occasion d’identifier et d’expliquer les paramètres de leur classification des oeuvres d’art, ils présentent leurs critères d’appréciation. La volonté d’ordonner ces critères d’appréciation favorise une meilleure compréhension de ce que les étudiants recherchent dans une oeuvre d’art. Pour amorcer cette prise de conscience, l’enseignant-facilitateur peut suggérer aux étudiants de revoir ce qu’ils ont identifié comme critères et de les ordonner du plus important au moins important. Le fait d’amener les étudiants à réfléchir sur les éléments qui priment dans leur processus de construction de sens les aidera à mieux cerner leur démarche d’appréciation des oeuvres d’art. Il est préférable de faire les activités d’ordonnancement après avoir travaillé la classification. Ainsi, l’enseignant-facilitateur pourra suggérer aux étudiants de prendre leurs carnets de traces, d’écrire les critères d’appréciation nécessaires pour qu’ils considèrent l’oeuvre valable d’exploration. Ensuite, d’écrire un minimum de cinq mots qui définissent chacun de leurs critères et de les ordonnancer, pour rendre visibles leurs attentes. Une discussion en sous-groupe ou en grand groupe permettrait de partager les différences et les ressemblances dans leurs exigences pour considérer une oeuvre intéressante.

6. Représenter : utiliser différents modes de représentation externes à l’information, dont des diagrammes de classification, des cartes conceptuelles, des réseaux sémantiques et des tableaux à double entrée. La représentation graphique inclut toutes les relations et interconnexions entre les éléments d’information.

L’enseignant-facilitateur peut préparer différents types d’activités pour que les étudiants prennent conscience de leur appréciation de l’oeuvre d’art contemporain dans l’espace d’exposition. L’une des méthodes étudiées par les chercheurs dans le cadre d’une exposition consiste à créer des esthétigrammes, qui sont des cartes conceptuelles de l’engagement esthétique des individus (White et Lemieux, 2017). Le travail de Fróis et White (2013) donnerait aux lecteurs une bonne idée de ce en quoi cela consiste. Ces interactions sont personnelles et momentanées, mais elles fournissent une trace de ce que l’adulte a vécu pendant la rencontre avec l’oeuvre. À partir de celles-ci, un enseignant-facilitateur pourrait avoir un aperçu instantané de la première rencontre de chacun des étudiants avec une oeuvre d’art contemporain de leur choix. À cette occasion, il serait opportun de discuter avec chaque étudiant, mais aussi d’ouvrir la discussion à l’ensemble du groupe, afin de trouver des points communs, mais aussi d’identifier les diverses manières d’apprécier une oeuvre d’art contemporain. Il s’agit d’embrasser les différences dans les interprétations et de responsabiliser les étudiants dans leur engagement.

Il est important de rappeler que les informations fournies dans le contexte muséal peuvent prendre différentes formes (écrites, verbales, sonores, olfactives, tactiles et visuelles), ce qui permet à l’enseignant-facilitateur d’exploiter différents outils, y compris des outils technologiques tels que les tablettes numériques, pour communiquer avec les adultes dans le cadre de l’activité universitaire dans un contexte muséal. À cette fin, une variété d’outils sera conçue en partie par l’enseignant afin de compléter ce qui est déjà disponible dans le contexte muséal, pour que l’enseignant-facilitateur puisse répondre rapidement aux différentes situations qui pourraient être rencontrées lors des activités. C’est aussi de comprendre que certains des outils envisagés lors de la conception de l’activité ne seront peut-être pas employés par un groupe d’étudiants en particulier, car ne répondant pas aux besoins de celui-ci. C’est ainsi qu’au cours de l’activité universitaire muséale, l’enseignant-facilitateur aide à compenser les difficultés des étudiants à organiser l’information et, ce faisant, fournit aux étudiants diverses stratégies qui pourraient être répétées lors de futures expériences muséales.

7.1.3. Étape 3 : Contrôle secondaire et évasion. Opérations mentales

Lorsque les étudiants poursuivent leurs explorations de l’oeuvre d’art jusqu’à cette étape du processus de Pelowski et Akiba (2011), c’est que le musée a fourni des informations pertinentes et qu’elles ont été traitées et incorporées dans le processus d’appréciation. Par contre, cela ne signifie pas que la personne soit en accord avec ce qu’elle perçoit de l’oeuvre d’art, cela peut refléter simplement un état de neutralité de sa part, assurée de ne pas faire d’erreur dans son appréciation. Il se peut néanmoins que l’oeuvre ne corresponde pas à ses attentes et à l’image de soi. Ainsi, l’adulte tente de comprendre l’oeuvre d’art en utilisant diverses opérations mentales (saisir, juger, comparer, justifier, modifier, suggérer, prévoir, conclure) lors de l’appréciation afin de prolonger le regard sur l’oeuvre d’art contemporain (Émond, 2016a). Pour ce faire, la personne va saisir ce qu’elle regarde en identifiant des éléments observables de l’oeuvre, ou elle va juger la couleur de l’oeuvre, ou comparer des éléments à l’intérieur même de l’oeuvre, elle va parfois vouloir justifier sa réaction à l’oeuvre ou elle désire simplement modifier ce qu’elle regarde ou elle suggère une autre manière de voir l’oeuvre jusqu’à prévoir les diverses réactions portées sur l’oeuvre par d’autres. Elle conclut ses propos, tout en restant neutre et non en dissonance ou en consonance. Si l’utilisation d’opérations mentales par le visiteur ne conduit pas à :

Une confrontation du soi qui pourrait aboutir à une véritable résolution [… de la dissonance, cette] phase représente ce que Rothbaum et al. (1982) appellent le « contrôle secondaire », c’est-à-dire la tentative de modifier secrètement les conditions de l’environnement afin qu’une divergence puisse finalement être assimilée ou ignorée. [traduction libre]

Pelowski et Akiba, 2011, p. 88-89

Dans une telle situation, l’enseignant-facilitateur peut encourager l’étudiant à poursuivre son appréciation malgré l’état de dissonance. Dans cette circonstance, il y a une tentative faite par l’étudiant de reclasser l’oeuvre d’art par rapport à ses préconceptions et à son image de soi. Habituellement, les dissonances vécues sont liées à ce que l’adulte perçoit entre l’oeuvre d’art et le savoir-faire de l’artiste (Émond, 2017). Si les dissonances persistent, s’il est impossible pour l’étudiant de reclasser l’oeuvre d’art afin qu’elle corresponde davantage à l’image de soi, l’oeuvre d’art sera qualifiée de non pertinente. C’est dire que l’artiste s’est simplement trompé dans son exécution et l’étudiant quitte physiquement l’oeuvre d’art, sans toutefois ressentir de la frustration considérant que c’est l’oeuvre d’art qui était de mauvaise qualité.

D’un autre côté, il est également possible que l’étudiant ne quitte pas physiquement l’oeuvre d’art et poursuive son appréciation malgré la divergence et tente toujours de reclasser l’oeuvre d’art. Ainsi, l’enseignant-facilitateur devra être sensible aux limites de réception de ses étudiants afin de respecter leur cheminement personnel dans l’apprentissage de l’appréciation de l’art contemporain. Ainsi, pour les encourager à poursuivre l’expérience, l’enseignant-facilitateur pourrait proposer aux étudiants d’explorer leurs réactions dans une production créative, car selon Burdon (2000) :

Certains adultes apprennent mieux en ayant la possibilité d’explorer le sujet par le toucher et en s’engageant physiquement avec les matériaux; le contact avec une oeuvre d’art originale est une composante essentielle de l’expérience d’apprentissage; les activités en atelier agissent comme un catalyseur pour que l’apprenant adulte cherche d’autres opportunités d’apprentissage; et lorsque l’apprenant s’est engagé physiquement et émotionnellement dans l’activité, il est probable qu’il garde un souvenir fort de son expérience au musée.

p. iii

7.1.4. Étape 4 : Réévaluation métacognitive. Conscience de soi, dissonances cognitives, métacognition

Dans une situation où l’étudiant n’a aucun moyen de résoudre facilement la dissonance, mais qu’il n’est pas dans une situation sans issue, il pourrait entrer dans « une période de réévaluation expérientielle et expectative active » [traduction libre] (Pelowski et Akiba, 2011, p. 89). Si l’étudiant décide de poursuivre une réévaluation expérientielle, « cet événement est souvent accompagné ou précédé d’une attention aiguë centrée sur soi » [traduction libre] (Steele et al., 1993, cités dans Pelowski et Akiba, 2011, p. 89), ce qui semble avoir un impact sur les situations dissonantes (Pelowski et Akiba, 2011). Devenir centré sur soi :

[…] conduit [l’étudiant] au sentiment d’une « soumission accrue » et d’une « individuation », amène l’individu à « concentrer son attention sur ses limites personnelles et à augmenter sa perception de perte de contrôle » (Rothbaum et al., 1982, p. 23), augmente l’affect négatif et l’anxiété (Mor et Winquis, 2002); et induit une réévaluation des attentes (Ingram, 1990). [traduction libre]

Pelowski et Akiba, 2011, p. 89

L’individu abandonne alors le contrôle total et révise ses attentes pour reconnaître la présence de la dissonance ou du conflit et passe à une approche métacognitive où l’adulte prend conscience de son traitement de l’oeuvre d’art contemporain, c’est-à-dire de son propre processus de construction de sens. Ainsi, lorsque l’enseignant-facilitateur remarque, par les propos d’un étudiant, que l’état de dissonance persiste et que malgré tout l’appréciation se poursuit, il est possible d’intervenir en posant des questions qui sollicitent l’autoréflexion.

Si l’étudiant n’arrive pas à poursuivre son appréciation de l’oeuvre, il y a une prise de conscience de ses propres limites dans sa production de sens, et termine cette expérience dans un état de frustration. L’enseignant-facilitateur pourra encourager l’étudiant à chercher une autre oeuvre qui correspond davantage à ses attentes et comparer cette dernière avec la nouvelle afin de comprendre ce qui freine le processus d’appréciation. Nous le savons, le processus d’appréciation constitue à notre avis la première étape du développement de la créativité; sans lui, impossible d’envisager une seconde.

7.1.5. Étape 5 : Résultat esthétique et nouvelle maîtrise. Découverte de soi, ambiguïté et poursuite de la créativité

Lorsque l’étudiant est capable de comprendre les éléments divergents ou dissonants de son expérience et de les intégrer comme une nouvelle connaissance de soi, cela pourrait influencer ses futures rencontres avec des objets similaires :

[…] c’est la conscience de soi, l’acceptation et la renonciation finale à ses attentes de contrôle qui conduisent au plaisir […]. Comme le conclut Frijda (1988, p. 351), ces exemples résultent d’une « prise de conscience métacognitive de l’état de préparation à l’action » et, en fin de compte, d’un « changement » dans les attentes de cet état. Koestler (cité dans Frey et Langseth, 1985, p. 92) ajoute que ces expériences aussi sont toujours « autotranscendantes ». [traduction libre]

Pelowski et Akiba, 2011, p. 91

Si cette étape est atteinte lors d’activités universitaires dans un contexte muséal, c’est parce que les étudiants ont pu soutenir leur exploration de l’oeuvre d’art contemporain avec le concours de l’enseignant-facilitateur qui, à travers le développement de diverses activités, accompagne les étudiants à s’engager dans de nouvelles perspectives et leur offre l’opportunité de partager leurs découvertes et d’ouvrir la discussion pour reconnaître les différents points de vue émanant du groupe (Glăveanu et Beghetto, 2016). Le résultat de ce soutien de l’enseignant-facilitateur peut favoriser le développement d’un apprentissage nouveau et personnellement significatif pour les étudiants et leur donner l’opportunité de contribuer à celui de leurs pairs et de l’enseignant-facilitateur (Beghetto, 2016) concernant la réception de l’art contemporain.

Le rôle de la dissonance cognitive est significatif dans la production de sens, comme le présente Radford (2004), il contient « [la] notion de tension et de réconciliation, et de l’acte créatif comme parlant à quelque chose “en nous” et nous révélant quelque chose sur nous-mêmes […] » [traduction libre] (p. 56). En outre, le fait d’être dans un processus de pensée créative (Minissale, 2013) permet à l’étudiant d’explorer son identité et de construire de nouvelles connaissances dans la découverte de soi. Pour atteindre cette étape, l’étudiant a pu modifier ses préconceptions, ses attentes et son image de soi. On pourrait dire que l’étudiant est réceptif à de nouvelles expériences, lesquelles nourrissent nécessairement les compétences relatives à la créativité.

En effet, l’étudiant qui relève les défis proposés dans une activité en contexte muséal semble mettre en action un exutoire créatif (Sternberg, 1989). Dans ces circonstances, l’individu semble tolérer l’ambiguïté, étant prêt à aller au-delà de sa zone de confort (Minissale, 2013). Ce faisant, l’étudiant retient son jugement esthétique et, comme le mentionne Gomez (2007), « permet à une idée de survivre suffisamment longtemps pour générer d’autres idées » [traduction libre] (p. 35) et prolonger l’expérience esthétique. Ce type d’expérience esthétique génère, de la part de l’étudiant, une certaine fascination pour ce qui est inhabituel. Lorsque cela se produit, nous pouvons trouver dans ses propos la mise en commun de ses connaissances, de ses expériences et de ses compétences métacognitives. De la part de l’étudiant, il ne s’agit pas d’une conclusion définitive de son appréciation de l’art, mais de la reconnaissance de multiples possibilités d’interprétations qui renforcent le plaisir de l’ambiguïté.

La découverte de soi à travers un processus créatif permet aux étudiants d’explorer leur identité et de forger de nouvelles connaissances. C’est comme si le contact avec l’art contemporain, presque conçu pour créer des dissonances chez un individu, remettait en question sa façon d’apprécier l’art et provoquait un changement (Minissale, 2013). Les individus peuvent créer des interprétations très différentes des mêmes oeuvres d’art. Pour ce faire, les étudiants solliciteront leurs connaissances (Lachapelle et al., 2003) et prendront le temps d’explorer l’oeuvre et, si possible, de réorganiser et d’ajuster leurs idées préconçues à la lumière de nouvelles expériences avec l’art contemporain. Selon Minissale (2013), c’est le fait d’être créatif dans ces situations d’appréciation de l’art contemporain qui élicite l’observation prolongée. Ainsi, l’art contemporain peut jouer le rôle d’offrir aux étudiants la possibilité de réagir de manière créative à l’oeuvre explorée. Minissale (2013) en déduit que :

[…] l’expérience de l’art pourrait fonctionner, sur le plan psychologique, en termes de processus créatif, non pas tant comme une créativité purement autogénérée que comme une créativité qui naît d’une interaction entre ce que l’on sait dans la connaissance relationnelle et ce que l’on peut apprendre de la différence de l’oeuvre d’art. [traduction libre]

p. 190

La créativité consiste ici à créer de nouvelles interprétations à partir d’expériences vécues sous des points de vue différents. En acceptant cette nouvelle interprétation d’une oeuvre, l’étudiant atteint ce que Pelowski et Akiba (2011) identifient comme une nouvelle maîtrise, ce qui signifie que les étudiants font l’expérience de ne pas se limiter à reproduire des habitudes d’appréciation, mais à s’ouvrir à d’autres perspectives d’interprétation.

Dans cette activité muséale, l’enseignant-facilitateur est conscient de ne pas être dans une posture où l’accent serait placé sur la créativité qui implique le développement de la créativité avec un « grand C », centrée sur les créateurs éminents, mais sur la mini-créativité, catégorie qui a été conçue pour englober l’étude de la créativité inhérente au processus d’apprentissage :

La mini-créativité est définie comme l’interprétation nouvelle et personnellement significative des expériences, des actions et des événements (Beghetto et Kaufman, 2007). […] Au coeur de la définition de la mini-créativité se trouve le processus dynamique et interprétatif de construction de la connaissance et de la compréhension personnelles dans un contexte socioculturel particulier. [traduction libre]

Kaufman et Beghetto, 2009, p. 3

Kaufman et Beghetto (2009) expliquent que considérer la catégorie de la mini-créativité souligne l’importance de reconnaître la créativité inhérente aux idées et aux interprétations uniques et personnellement significatives des étudiants lors de l’apprentissage de nouvelles matières qui, dans le cadre de notre article, concerne l’appréciation de l’art contemporain en contexte muséal. Ainsi, l’appréciation des oeuvres amène nos étudiants à développer les aspects de la créativité, soit l’ouverture aux nouvelles expériences, l’observation active et la volonté d’être surpris et d’explorer l’inconnu.

Conclusion

Les objectifs du processus d’appréciation de l’art contemporain dans un contexte muséal visent à encourager les étudiants en formation initiale à générer des idées par une exploration prolongée des oeuvres, à remettre en question ce qui est perçu et ressenti, à émettre des hypothèses pour la production de sens, à risquer des interprétations et à tolérer l’ambiguïté afin de développer leur créativité et la motivation intrinsèque à renouveler l’expérience.

Il est possible que les étudiants n’aboutissent pas à passer les différentes étapes du processus puisque ce genre d’exercice n’a lieu que très rarement dans la formation en enseignement. Néanmoins, en gardant comme point de mire ces différentes étapes pour construire une activité d’appréciation de l’art contemporain au musée, on espère favoriser les conditions les plus favorables à un transfert ultérieur, c’est-à-dire à une pratique de la visite de musées et à l’envie de discuter des oeuvres d’art, tant dans la vie personnelle des futurs enseignants que dans leurs pratiques professionnelles.

Compte tenu de la multimodalité du contexte muséal et de l’importance du rôle de l’enseignant-facilitateur dans l’élaboration des activités d’appréciation, nous espérons que la mise en oeuvre de ces activités optimisera les chances d’appropriation du contexte muséal en encourageant la fréquentation des musées et les discussions portées sur des oeuvres d’art contemporain. Nous espérons stimuler les futurs enseignants à adopter une attitude autonome, critique et sensible, empreinte de curiosité et de plaisir dans leurs visites de musées où il sera possible, un jour, de former leurs futurs élèves.

Il est essentiel, en formation universitaire, de soutenir la confiance en soi des futurs enseignants, afin que les étudiants puissent prendre conscience de la manière dont ils apprécient les oeuvres d’art contemporain, et ce, dans l’optique de reconnaître exactement la créativité dont ils font preuve lors de l’expérience de l’art. La place de la créativité dans l’appréciation de l’art contemporain dans un contexte muséal démontre que l’adulte n’est pas qu’un simple spectateur passif de l’art.

Le modèle psychologique d’appréciation esthétique de Pelowski et Akiba (2011) pourrait contribuer à une meilleure compréhension d’un éventail de pratiques d’apprentissage pour l’appréciation de l’art applicable aux activités de formation des enseignants dans un cadre universitaire, et ce, dans un contexte muséal. Pour ce faire, des études plus approfondies prenant en compte les interactions entre différents facteurs seraient nécessaires : les étudiants; une variété d’oeuvres d’art émanant de différentes cultures; et les constituantes de l’environnement muséal, et ce, dans toute leur complexité afin de maximiser les interventions dans la formation des enseignants généralistes en éducation artistique.