Introduction

La recherche qualitative : de la vulnérabilité à la découverte[Record]

  • Frédéric Deschenaux and
  • Chantal Royer

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Est-il encore aujourd’hui pertinent d’opposer qualitatif et quantitatif? Quels défis les recherches en terrain sensible posent-elles au chercheur qualitatif? Quelle contribution la recherche qualitative peut-elle apporter à l’étude du rapport au numérique chez des personnes en situation de vulnérabilité? Des patients psychiatriques peuvent-ils participer à des recherches qualitatives?... Voilà quelques-unes des questions traitées dans le cadre de ce numéro composé de six articles soumis à la revue en dehors des appels à texte. En apparence bien distincts, ces textes révèlent toutefois une forme de thématique, comme s’ils appartenaient à un numéro thématique qui aurait sollicité les contributions autour des capacités de la recherche qualitative à susciter la découverte en tenant compte de l’éventuelle vulnérabilité des personnes participant à la recherche. D’abord, l’article de Jules Duchastel et Danielle Laberge rappelle que la vocation herméneutique des sciences sociales conduit souvent à opposer les approches qualitatives et quantitatives, mais défend que cette opposition n’est ni fondée épistémologiquement ni utile sur le plan de la recherche en soumettant quatre questionnements. Les auteurs abordent ainsi tour à tour les postures ontologiques en sciences sociales, le traitement de la complexité de la recherche, le problème de l’interprétation et la capacité de découverte. En proposant une posture de recherche « concordataire », ils explorent les voies du raisonnement abductif pour ouvrir sur la découverte. En rebondissant sur la complexité et l’interprétation évoquée dans le premier texte, celui d’Hélène Bourdelois concerne la question du rapport que les personnes endeuillées entretiennent aux traces numériques ante et post mortem de leurs proches défunts. Cette enquête ethnographique dévoile le caractère heuristique et épistémique de ce que la chercheuse nomme les « impuretés du travail de l’ethnographe » en revendiquant une science subjective et engagée. En offrant une vitrine sur les entretiens où s’engage un dialogue avec des personnes endeuillées, l’auteure vise à lever un tabou persistant autour de l’expérience et des pratiques de ces personnes qui demeurent, en quelque sorte, en lien avec les personnes défuntes à travers les traces numériques et même des mémoriaux numériques créés sur un site spécialisé, lequel pose son lot de questionnements éthiques. L’engagement du chercheur, dans un tel contexte, peut difficilement se dénuer de subjectivité, comme pourrait l’exiger une certaine forme de science. À l’instar des endeuillés qui vivent une épreuve, l’article de Joëlle Morrissette et Didier Demazière aborde la vulnérabilité d’enseignants migrants dans les écoles québécoises, pour qui, bien souvent, l’insertion professionnelle ne se déroule pas sans heurts. L’entretien collectif réunissant des enseignants migrants et leurs collègues de travail devient, dans ce contexte, un dispositif permettant d’analyser des interactions inédites. De même, les astuces méthodologiques déployées et les questions de la chercheuse, parfois jugées dérangeantes, mettent en lumière que la vulnérabilité est le produit d’un rapport social dont la recherche qualitative est à même de rendre compte. Portant également sur la vulnérabilité des participants en contexte de recherches sensibles, l’article de Mélanie Gagnon, Catherine Beaudry et Frédéric Deschenaux présente une analyse qui prend appui sur les journaux de bord de trois projets de recherche en gestion des ressources humaines et en relations industrielles, réalisés auprès de personnes vulnérables. Cet exercice réflexif met en évidence des questions méthodologiques et éthiques à prendre en compte par les chercheurs de manière à « prendre soin » des participants et à leur offrir un espace de parole, tout en traçant clairement la démarcation entre l’entretien de recherche et son pendant thérapeutique. Enfin, ce numéro présente également les textes primés lors des éditions 2018 et 2019 du Prix Jean-Marie-Van-der-Maren, remis à la meilleure thèse doctorale en recherche qualitative. Le texte de Marie-Hélène Goulet, lauréate du prix en 2018, traite …

Appendices