Abstracts
Résumé
En dernier recours, l’isolement avec ou sans contention peut être utilisé pour gérer un comportement à risque d’agression, bien que les conséquences néfastes y étant associées sont abondamment documentées. Une intervention de retour post-isolement est donc préconisée auprès des personnes et des intervenants ayant vécu une mise en isolement. Le but de la thèse était de développer, d’implanter et d’évaluer cette intervention auprès des intervenants et des patients d’une unité de soins psychiatriques afin d’améliorer leur expérience de soins. Plus spécifiquement, cet article vise à présenter une synthèse des résultats de l’étude, mais aussi à jeter un regard sur les choix méthodologiques encourus. Une réflexion est proposée sur l’articulation entre l’étude de cas et l’approche participative, leur cohérence avec les choix théoriques ainsi que les retombées de l’implication des différentes parties prenantes à l’étude, que ce soit pour l’étudiante-chercheuse, les gestionnaires, les intervenants et les patients partenaires.
Mots-clés :
- Étude de cas,
- approche participative,
- isolement et contention,
- santé mentale,
- sciences infirmières
Article body
Introduction
Bien que l’utilisation de mesures de contrôle telles l’isolement et la contention (IC) en santé mentale soit encadrée par la législation, des dérapages ont été médiatisés dans plusieurs pays occidentaux dont la France et le Canada (Collectif des 39, 2015; Protecteur du Citoyen, 2011). Une grande variabilité est observée quant à la prévalence de l’IC, soit de 0 % à 23 % des patients admis en psychiatrie selon les pays (Noorthoorn et al., 2015), le Québec se situant parmi les plus grands utilisateurs, soit une prévalence de 23,2 % pour l’isolement et de 17,5 % pour la contention (Dumais, Larue, Drapeau, Ménard, & Giguère-Allard, 2011). Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2015) définit l’isolement comme une « mesure de contrôle qui consiste à confiner une personne dans un lieu, pour un temps déterminé, d’où elle ne peut sortir librement » (p. 5) et la contention comme une « mesure de contrôle qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d’une personne en utilisant la force humaine, un moyen mécanique ou en la privant d’un moyen qu’elle utilise pour pallier un handicap » (p. 5). La décision de l’application des mesures de contrôle est réservée aux médecins, infirmières[1], ergothérapeutes, travailleurs sociaux, psychologues et psychoéducateurs, chacun en conformité avec son champ d’exercice (Code des professions, RLRQ, chapitre C-26). Différents facteurs influencent le processus décisionnel de recours à l’IC, soit les caractéristiques de la personne, de l’intervenant, de l’équipe de soins, de l’environnement et de l’organisation (Bowers, 2014; Larue, Dumais, Ahern, Bernheim, & Mailhot, 2009).
En plus d’être une pratique relativement courante dans les milieux psychiatriques, les conséquences négatives de l’IC sont largement documentées. Les conséquences les plus souvent décrites par les patients relèvent de la honte, d’un sentiment d’injustice et d’abandon, d’exacerbation de symptômes post-traumatiques et de la réduction de l’alliance thérapeutique (Kontio et al., 2012; Larue et al., 2013). Le professionnel de la santé fait face à la dualité de son rôle : accompagner la personne dans son processus de rétablissement en développant une relation thérapeutique, mais aussi assumer une responsabilité décisionnelle pour assurer la sécurité de tous en ayant recours à une mesure coercitive (Vatne & Fagermoen, 2007). Sur le plan économique, une revue systématique a évalué que les coûts de la mise en place de ces mesures sont de l’ordre de 42 000 $CA par année pour une seule unité de soins psychiatriques (Rubio-Valera et al., 2015).
Conséquemment aux nombreux effets négatifs recensés et à la complexité des facteurs intervenant dans la prise de décision, différents programmes de réduction des IC ont été déployés dans les milieux de soins psychiatriques. Une revue systématique a été menée afin d’examiner l’efficacité et les composantes de ces programmes (Goulet, Larue, & Dumais, 2017). À partir de 24 études retenues, les 6 principales composantes des programmes ont été identifiées : le leadership, la formation, le retour post-isolement (REPI), l’engagement des patients, les outils de prévention et l’environnement thérapeutique. Parmi ces composantes, le REPI est une intervention pour laquelle les données probantes sont limitées, lesquelles n’ont d’ailleurs pas été synthétisées. Par conséquent, un examen de la portée sur le REPI (n = 28 articles) a été entrepris (Goulet & Larue, 2016). Puisque l’IC affecte à la fois le patient et l’équipe de soins, nous avons défini le REPI comme étant une intervention complexe, après une mesure de contrôle, visant à la fois le patient et l’équipe de soins afin d’améliorer l’expérience de soins et de donner lieu à un apprentissage significatif pour le patient, l’équipe et l’organisation (Goulet & Larue, 2016).
Selon l’état actuel des connaissances, le REPI s’avère une pratique recommandée et bénéfique pour améliorer l’expérience de soins des patients et des intervenants, développer de meilleures pratiques et réduire l’incidence de l’IC (Huckshorn, 2004; Needham & Sands, 2010), mais les modèles utilisés sont peu basés sur des données probantes (Needham & Sands, 2010). Des questionnements subsistent sur l’implantation et les retombées de cette pratique.
Le but de cette thèse doctorale était de développer, d’implanter et d’évaluer le REPI auprès des intervenants et des patients d’une unité de soins psychiatriques afin d’améliorer leur expérience de soins. Plus spécifiquement, l’étude a tenté de répondre aux questions suivantes : 1) Quel est le contexte d’implantation du REPI? 2) Quels sont les éléments facilitants et les obstacles à l’implantation du REPI selon les patients et les intervenants? 3) Quelle est la perception des patients et des intervenants sur les modalités et les retombées du REPI? 4) L’implantation du REPI est-elle associée à une diminution de la prévalence et de la durée de l’IC? Cet article vise ainsi à présenter une synthèse des résultats de l’étude, mais aussi à proposer une réflexion sur les choix méthodologiques encourus.
Méthode
Dans cette section, le devis, les principales influences théoriques, de même que les différentes phases de l’étude sont présentés.
Choix du devis : conjuguer l’étude de cas avec l’approche participative
Une étude de cas instrumentale (Stake, 1995, 2008) a été préconisée, car elle permet d’observer un cas particulier pour mener à une meilleure compréhension d’un problème à l’intérieur d’un contexte spécifique. Dans l’étude proposée, la compréhension de l’implantation du REPI et de ses effets attendus est indissociable de son contexte, l’unité psychiatrique dans laquelle il est implanté, puisque tant les caractéristiques du patient, des intervenants, de l’équipe de soins, de l’environnement et de l’organisation influencent la décision d’IC. Le cas à l’étude est celui de l’unité de soins psychiatriques aigus où est développé et implanté le REPI. Puisque les effets attendus du REPI touchaient à la fois les intervenants et les patients, ces deux unités d’analyse ont été examinées.
Selon Lincoln, Lynham et Guba (2011), l’épistémologie du paradigme participatif est caractérisée par la subjectivité critique où il y a intégration et primauté du savoir expérientiel des participants. Cette posture a été choisie afin de positionner l’équipe clinique et les patients au coeur du processus de changement de pratique en matière de prévention des comportements agressifs et de l’IC. Dans cette étude, le REPI constitue une coconstruction adaptée aux besoins spécifiques du milieu et ancrée dans le savoir expérientiel et professionnel des intervenants, des gestionnaires et des patients partenaires. Une étude du Royaume-Uni sur l’impact de l’implication des patients en recherche en santé mentale a d’ailleurs soutenu que cette approche permet d’améliorer la qualité et la faisabilité de la recherche, tout en facilitant le transfert des résultats de la recherche dans la pratique clinique (Ennis & Wykes, 2013).
Parmi les théoriciens de l’étude de cas, Stake (1995) a été privilégié, car ses postulats constructivistes ont permis d’inscrire le choix d’une approche participative en filiation de ses travaux, compte tenu de leur proximité épistémologique. À la lumière de ces postulats, le choix méthodologique d’une étude de cas ancrée dans un paradigme participatif favorise l’implication de chacun et valorise la parole des différents participants du cas à l’étude.
Cohérence de l’étude de cas et des influences théoriques de l’étude
La théorie de la structuration de Giddens (1987) met en lumière l’interaction entre l’individu et la structure. Pour ce sociologue, la réflexivité est l’examen et la révision constante des pratiques, à la lumière des informations nouvelles concernant ces pratiques même, notamment par un exercice de verbalisation des savoirs implicites. De façon optimale, le choix d’une intervention rétrospective sur l’IC participerait d’une interaction entre l’individu et la structure – soit les patients, les intervenants et l’organisation – qui s’alimenteraient mutuellement et favoriseraient un changement de culture de l’unité vers une perspective compréhensive et holistique. Ce cadre théorique a orienté le choix du devis, car l’étude de cas offre la possibilité d’explorer les retombées du REPI sur les patients et les intervenants en tenant compte de la structure dans laquelle ils évoluent – et qu’ils peuvent à leur tour influencer.
La proposition théorique de Giddens (1987) est cohérente avec le Modèle humaniste de soins infirmiers de l’Université de Montréal (MHSI-UdeM) (Cara et al., 2016) prôné par le milieu à l’étude. Selon cette perspective infirmière, la transformation prend forme dans la relation entre l’infirmière et la Personne[2] qui est en interaction constante avec son environnement. De plus, dans sa volonté de s’intéresser à la personne dans sa globalité (Pepin, Ducharme, & Kerouac, 2017), cette pensée infirmière se rapproche de la position épistémologique des études de cas qui accordent une place prépondérante à une diversité de méthodes pour arriver à la compréhension la plus complète possible du cas étudié (Stake, 2008).
Milieu de l’étude
L’étude s’est déroulée sur une unité de soins aigus du programme des troubles psychotiques d’un hôpital psychiatrique tertiaire du Québec (capacité de 27 patients). L’équipe interdisciplinaire est constituée d’infirmières, de préposés aux bénéficiaires, d’ergothérapeutes, de travailleurs sociaux, de conseillers en orientation, de pharmaciens et de psychiatres.
Déroulement de l’étude
L’étude est basée sur les phases de développement, d’implantation et d’évaluation d’interventions infirmières de Sidani et Braden (2011). La collecte de données s’est échelonnée du 1er avril 2014 au 31 mai 2015 (voir la Figure 1).
Phase 1 : développement de l’intervention
La première étape du développement de l’intervention a été la documentation du contexte d’implantation par l’immersion dans le milieu, l’examen de la documentation disponible et les entretiens individuels avec les intervenants et les patients, ce qui a permis de répondre à la première question de recherche.
Pour ce qui est du développement du REPI, un comité d’experts a été mis sur pied. Il était composé de l’étudiante-chercheuse, de l’infirmière-chef, des assistantes infirmières-chefs de jour et de soir, de trois infirmières de l’unité démontrant un leadership clinique positif sur leurs pairs ainsi que d’un patient partenaire de recherche ayant déjà vécu un IC et collaboré à des activités de recherche. Trois réunions de deux heures ont permis d’exposer l’état des connaissances et d’adapter les modèles de REPI avec le patient et avec l’équipe aux besoins du milieu. Les données de ces rencontres ont été recueillies par l’étudiante-chercheuse sous forme de notes d’observation (Stake, 1995).
Phase 2 : implantation de l’intervention
Deux stratégies inspirées de Sidani et Braden (2011) étaient prévues au protocole afin d’assurer la meilleure implantation possible du REPI développé à la phase précédente : la formation des intervenants et la surveillance de la fidélité de l’intervention. Les modalités de la formation des intervenants ont été décidées par le comité d’experts afin de favoriser leur acceptabilité et faisabilité. Deux capsules informatives de 15 minutes ont été offertes par l’étudiante-chercheuse afin de couvrir les deux volets de l’intervention (pour le patient et pour l’équipe). La formation a été suivie d’une période de mise à l’essai d’un mois où l’étudiante-chercheuse était présente de jour et de soir pour répondre aux questions des intervenants et les soutenir dans le processus d’appropriation du REPI. Le comité d’experts a convenu qu’il n’y aurait pas de surveillance de la fidélité de l’intervention, à la fois pour des raisons de cohérence méthodologique – le REPI étant une coconstruction qui peut changer dans le temps – mais aussi pour des questions de préférence des participants.
Phase 3 : évaluation de l’intervention
Des entretiens individuels semi-dirigés avec des patients et des intervenants ont permis d’explorer leur perception de l’intervention, les obstacles et les éléments facilitant l’intervention et leur expérience d’IC en lien avec le REPI. La prévalence et la durée de l’IC de tous les patients de l’unité ont été documentées durant les six mois précédant et les six mois suivant l’implantation du REPI à partir d’une base de données informatisée spécifique à l’IC.
Collecte de données
Dans une étude de cas, les méthodes sont choisies en regard des questions de recherche et peuvent donc être multiples (Stake, 1995, 2008). En regard du paradigme participatif, le choix méthodologique doit aussi favoriser l’implication de chacun et valoriser la parole des différents participants. Ainsi, Stake (1995, 2008) propose d’utiliser des méthodes ancrées dans la pratique : immersion dans le milieu, entretiens semi-dirigés et consultation de la base de données administrative.
Du 2 avril au 6 juin 2014, il y a eu immersion dans le milieu de l’étudiante-chercheuse afin de documenter le contexte d’implantation du REPI (56 heures d’observation de jour et de soir). L’observation permet d’atteindre une meilleure compréhension du contexte social, culturel et situationnel (Stake, 1995). L’observation s’est centrée sur des périodes d’échanges formels (changement de quart de travail, réunions interdisciplinaires, activités de groupe avec les patients) et informels (corridor, poste infirmier). Après chaque observation, un journal de bord a été complété par l’étudiante-chercheuse dans lequel elle spécifiait la durée de l’observation, les éléments objectivés et rédigeait des notes réflexives (Patton, 2002).
Selon Stake (1995, 2008), l’entretien individuel permet d’accéder à de multiples réalités qui relèvent des participants à l’étude, donc qui ne peuvent être observées par le chercheur. Des entretiens individuels avec des patients et des intervenants de l’unité ont permis de documenter le contexte d’implantation de l’intervention (question 1), puis en phase 3 de comprendre les éléments facilitants et les obstacles à l’implantation, de même que les caractéristiques et les retombées du REPI (questions 2 et 3). À cet effet, des guides d’entretien pour les intervenants et pour les patients ont été développés à partir des quatre concepts-clés du MHSI-UdeM, soit la personne, l’environnement, la santé et le soin, en étant contextualisés aux facteurs décisionnels de l’IC. Le guide d’entretien pour les patients a été validé avec un patient partenaire de recherche quant à sa complétude, sa clarté et sa pertinence. Les entretiens individuels d’une durée moyenne de 40 minutes ont été réalisés dans un local fermé de l’hôpital durant les heures de travail des intervenants ou durant l’hospitalisation des patients et ont été enregistrés sur bande audionumérique.
Échantillons, critères de sélection et recrutement
Les différentes phases de l’étude ont exigé des échantillons spécifiques (Patton, 2002). La documentation du contexte d’implantation a fait appel à un échantillonnage de convenance d’intervenants et de patients (n = 17). Les intervenants devaient avoir un emploi à temps complet ou partiel et avoir été impliqués dans un IC lors de la dernière année, tandis que l’appartenance à l’équipe volante ou à une agence a été considérée comme un critère d’exclusion. Ils ont été invités à participer à l’étude lors de la présentation du projet à l’ensemble de l’équipe de soins de l’unité. Le recrutement des intervenants a été assuré par l’étudiante-chercheuse avec un taux de recrutement de 100 % (n = 14 infirmières, psychiatres, ergothérapeutes, préposés aux bénéficiaires). Parmi les intervenants, l’accent a été mis sur les infirmières, car elles sont en relation de proximité quotidienne avec les patients, elles détiennent un pouvoir décisionnel sur l’utilisation de l’IC et elles occupent un rôle central au sein de l’équipe interprofessionnelle. Les patients devaient quant à eux avoir vécu un IC dans les derniers 8 à 30 jours, avoir 18 ans et plus et être aptes à consentir. Les patients qui répondaient aux critères d’inclusion étaient d’abord rencontrés par l’infirmière-chef et ceux qui acceptaient de participer étaient ensuite rencontrés par l’étudiante-chercheuse qui leur donnait tous les détails de l’étude et du formulaire de consentement. Le taux de participation des patients a été de 43 % (n = 3/7). La saturation des données n’a pu être atteinte, car la phase deux a dû être débutée pour répondre à des impératifs administratifs (mise en place d’un nouveau protocole IC).
Pour la phase évaluative qualitative, les intervenants et les patients (n = 15) ont aussi été recrutés selon les mêmes modalités. Les participants pouvaient être les mêmes ou être différents de l’entretien préintervention. En plus des critères d’inclusion et d’exclusion des intervenants de la phase 1, ils devaient avoir fait l’expérience d’un REPI ou de son développement. Alors que tous les intervenants invités ont accepté de participer (n = 12 infirmières et préposés aux bénéficiaires), le taux de participation des patients a été de 25 % (n=3/12). Lors des phases 1 et 3, les refus ont surtout été associés à l’ambivalence des patients à signer le formulaire de consentement ou à parler de leur IC.
Afin d’examiner la prévalence de l’IC, un échantillonnage de convenance (Creswell, 2014) a permis d’inclure tous les patients admis à l’unité de soins six mois avant et six mois après l’implantation du REPI à partir d’une base de données administrative anonymisée.
Analyse des données
Conformément au processus d’analyse des données des études de cas (Stake, 1995), les données provenant des observations et des entretiens individuels ont été retranscrites textuellement et l’analyse des données qualitatives a été réalisée selon la méthode d’analyse de contenu thématique (Miles, Huberman, & Saldana, 2014). Celle-ci implique trois flux concourants d’activités : la condensation des données, la présentation des données et l’élaboration/vérification des données.
Pour la condensation des données, la gestion des données a été facilitée par le logiciel de traitement des données qualitatives QDA Miner v3.2. Une codification mixte a été conduite à partir du Modèle des facteurs qui influencent la décision d’IC (Larue et al., 2009), tout en tenant compte des codes émergents. Les codes étaient de nature descriptive (p. ex. : parcours de soin) et interprétative (p. ex. : liberté d’expression). Un livre de codes a été créé présentant chaque catégorie (méta-code) et sous-catégorie (code), la définition de chaque code ainsi qu’un exemple type de verbatim. L’identification et le regroupement des unités de sens en catégories ont été effectués en respectant les règles d’homogénéité, d’exhaustivité, d’exclusivité, d’objectivité et de pertinence (Bardin, 2013).
Pour la présentation des données, des tableaux synthèses par participant et par code ont été produits. Ces synthèses ont permis de faire ressortir les thèmes récurrents et significatifs à partir des données d’entretiens pour établir les correspondances et les divergences rencontrées à travers les différents participants et codes.
Pour l’élaboration et la vérification des données, des exercices de codage-recodage par l’étudiante-chercheuse à une semaine d’intervalle (κ = 0,95) et d’accord interjuge entre l’étudiante-chercheuse et la directrice de thèse pour les entretiens avec les intervenants (κ = 0,92) et un patient partenaire pour les entretiens avec les patients (κ = 0,86) ont assuré la fiabilité du processus de codification. Une fois la codification terminée, une matrice de codage de segments inverses a été générée à partir de QDAMiner pour identifier tous les verbatims liés à un code et ainsi vérifier la cohérence des citations pour chacun des codes.
Pour les données quantitatives, des statistiques descriptives ont été réalisées (moyennes, écarts-types, fréquences), de même que les tests de Mann-Whitney et Khi-deux (p < 0,05) pour comparer la prévalence et le nombre d’heures d’IC pré et post implantation. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS version 23.0 et validées par un statisticien indépendant.
Considérations éthiques
L’étude a été soumise aux comités scientifique et éthique de l’établissement (2013-042). Les normes édictées par l’Énoncé de politique des trois Conseils (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Instituts de recherche en santé du Canada, 2010) ont été respectées. Chez les patients partenaires de recherche, l’encadrement et la rémunération ont été établis selon la politique élaborée par le comité patient partenaire de l’établissement.
Résultats
Les résultats de la première étape de l’étude ont permis de comprendre le contexte dans lequel l’intervention du REPI allait être déployée (Goulet & Larue, 2018), ce qui était préalable au développement, à l’implantation et à l’évaluation des retombées du REPI (Goulet, Larue, & Lemieux, 2018).
Contexte d’implantation du REPI
À partir des perspectives des intervenants et des patients (1004 segments codés), le Tableau 1 propose une synthèse des principaux thèmes identifiés lors de l’analyse en lien avec le contexte d’implantation du REPI.
Somme toute, documenter le contexte dans lequel se situent les pratiques d’IC selon la perception des intervenants et des patients a permis d’identifier le fossé entre les deux et le besoin de communication exprimé par les patients. Certains intervenants affirment se sentir inconfortables à l’idée d’explorer les émotions du patient en lien avec l’IC, alors que pour d’autres il s’agit de l’essence même de l’intervention. Cette dernière semble être une avenue intéressante pour les patients, car elle leur permettrait de s’exprimer et de reconstruire la relation de confiance affectée par l’IC. Il appert cependant que les modalités du REPI et l’approfondissement des sujets abordés sont très variables selon l’intervenant, prenant parfois la forme d’une justification de l’intervention, parfois celle d’une discussion ouverte avec le patient. Ces constats ont orienté les étapes ultérieures de l’étude, soit le développement et l’évaluation d’un REPI adapté à ce contexte, qui tiennent compte des perspectives des patients et des intervenants.
Évaluation du développement, de l’implantation et des retombées du REPI
Les résultats de cette phase de l’étude reposent sur les résultats des entretiens individuels avec les 15 intervenants et patients (1113 segments codifiés) ainsi que sur l’analyse des données administratives (Goulet et al., 2018).
Description de l’intervention développée
L’intervention a été développée en deux volets par le comité d’experts (Tableau 2). Le REPI avec le patient a été adapté de Bonner (2008) et le REPI en équipe à partir des travaux d’Huckshorn (2004). Des questions pour chaque thème ont aussi été proposées afin de faciliter l’appropriation de l’intervention.
Modalités et retombées du REPI avec le patient
Les intervenants ont identifié une augmentation du REPI avec le patient : « C’était la première fois que je prenais vraiment le temps d’aller chercher la rétroaction du patient et d’en parler » (S1). La coopération des patients a été variable, ce qui est cohérent avec des personnes présentant de l’ambivalence et des symptômes psychotiques. Pour la majorité des intervenants, le REPI n’a pas eu lieu 24 à 48 heures post IC tel que convenu, mais lorsqu’ils évaluaient que le patient – et parfois eux-mêmes – était émotionnellement disposé à discuter de l’IC.
Pour les intervenants, le REPI a été une intervention leur permettant d’explorer les sentiments des patients, d’évaluer la compréhension de l’IC par ces derniers, de leur expliquer l’intervention, de restaurer une relation de confiance ébranlée par l’IC et de se questionner sur ce qui aurait pu être fait différemment : « Qu’est-ce que tu peux faire? Qu’est-ce que nous pouvons faire? Si nous voulons éviter que ça se passe encore, nous devons en parler » (S10). Un intervenant authentique et prenant le temps d’écouter la personne ayant vécu un épisode d’IC a été présenté comme une approche exemplaire par les patients. Il en ressort principalement que le REPI avec le patient a été bien implanté et l’équipe a démontré un degré élevé d’intégration de ses principes.
Modalités et retombées du REPI avec l’équipe
De façon générale, le REPI en équipe a été moins bien implanté que celui avec le patient, n’étant effectué que dans le cas d’IC perçus comme plus difficiles et complexes ou dans le cas d’une agression majeure. Le cas échéant, il a été mis en oeuvre par l’infirmière du patient, l’assistante infirmière-chef ou l’infirmière-chef quelques heures à 72 heures après l’IC. Le REPI a été décrit comme une analyse de la mise en IC afin d’en prévenir la récurrence : « Si le patient est allé si loin, est-ce que la relation avec l’équipe était bonne, est-ce que cela aurait pu être évité, y avait-il des alternatives? » (I7). Les retombées du REPI relèvent entre autres d’une amélioration de la cohésion de l’équipe de soins par l’introduction d’un espace de discussion constructif. Les réflexions engagées par le REPI ont aussi été perçues comme des occasions d’apprentissage, notamment pour les infirmières novices.
Éléments facilitants et défis liés à l’implantation du REPI
Selon les participants, l’un des éléments ayant favorisé l’implantation du REPI – et par le fait même son acceptabilité – est l’approche participative de l’étude. Les intervenants qui ont participé au développement de l’intervention ont apprécié que leur opinion soit rapidement prise en compte, ce qui a stimulé leur engagement et assuré une intervention adaptée à leur milieu. Certains d’entre eux ont aussi souligné que la combinaison de différents savoirs avait été facilitante : « Nous amenons de notre expérience et de nouvelles personnes amènent de nouvelles idées aussi. Je pense que de les combiner ensemble permet de voir ce que tu peux faire mieux avec les idées de tout le monde » (S6).
Intégrer le REPI à la routine quotidienne et toutes les personnes impliquées dans l’IC a toutefois occasionné des défis organisationnels majeurs. De plus, à la fois patients et intervenants ont noté la difficulté de trouver le bon moment pour faire le REPI et de surpasser un certain malaise ou la peur du refus du patient.
Prévalence et durée de l’IC
L’examen de la prévalence a montré une réduction significative de la prévalence de l’isolement (voir Figure 2) de 21 % à 10,4 % des patients hospitalisés (χ2[1] = 4,473, p =0,046) et du nombre total d’heures en isolement (U = 4,181, z = -2,175, p = 0,030), mais sans différence significative pour la contention.
Discussion
L’objectif de cette étude était de développer, d’implanter et d’évaluer le REPI auprès des intervenants et des patients d’une unité de soins psychiatriques aigus afin d’améliorer leur expérience de soins. Cette partie se concentrera sur la pertinence et la cohérence des choix méthodologiques.
Considérations méthodologiques : étude de cas et approche participative
Une étude de cas instrumentale selon Stake (1995, 2008) a été le devis proposé pour cette étude. A posteriori, ce choix méthodologique s’est avéré judicieux, car il a permis de décrire en profondeur le contexte d’implantation du REPI en documentant les pratiques usuelles en prévention des comportements agressifs. Cette meilleure compréhension a engendré le développement d’un REPI qui répondait aux besoins du milieu et l’identification des principaux enjeux liés à son implantation et à son évaluation. L’innovation de l’étude réside dans l’importance accordée à l’examen des interactions occasionnées notamment par l’intervention développée et évaluée, le REPI. Alors que le modèle de soins humanistes met l’accent sur la transformation qui s’appuie sur une relation authentique lors de l’intervention, la théorie de la structuration permet justement de comprendre de quelle façon ces interactions peuvent influencer les différents niveaux de la structure dans laquelle cette intervention se déploie et ainsi transformer les pratiques.
Le choix d’inscrire l’étude de cas dans une posture épistémologique participative constitue une contribution méthodologique importante. Cette posture attribue une valeur centrale à l’intégration active des préoccupations et des besoins des participants. À cet effet, l’approche participative favorise l’implantation d’interventions qui apportent des solutions adaptées et cohérentes à la complexité du milieu étudié (Lincoln et al., 2011).
À la lumière des résultats obtenus par l’analyse du journal de bord, le processus décisionnel de l’étude semble avoir été partagé entre les chercheurs et les participants du milieu clinique. Cette approche méthodologique a ainsi pu contribuer au développement des savoirs de tous, que ce soit des gestionnaires, de l’équipe clinique, des patients partenaires et de l’étudiante-chercheuse.
Par exemple, les gestionnaires ont contribué à l’étude en jouant un rôle-conseil dans le choix du milieu en plus de faciliter les contacts entre les différentes instances. En retour, ils ont pu bénéficier du développement d’une intervention adaptée à leur milieu qui a été intégrée à leur protocole IC. Quant à l’équipe clinique, elle a été impliquée à toutes les phases de l’étude, notamment lors du développement du REPI avec le comité d’experts qui incluait aussi un patient partenaire. La participation à ce comité a généré la mise en commun des perspectives des participants, notamment par le dévoilement de l’expérience d’IC du patient partenaire. Les participants au comité d’experts ont eux affirmé que cette collaboration, mue par l’objectif commun de s’améliorer, a été le déclencheur d’une réflexion sur leur pratique de gestion des comportements agressifs. Les intervenants ont d’ailleurs apporté une nuance des plus pertinentes pour le rehaussement des pratiques d’IC en soulignant qu’un discours centré sur un milieu sécuritaire serait pour eux beaucoup plus significatif qu’un discours centré sur la réduction de l’IC. Encore une fois, une approche participative semble une avenue de choix pour diminuer le fossé entre les priorités des différentes instances.
Les patients partenaires ont partagé leur savoir expérientiel à différentes étapes de l’étude : validation du guide d’entretien individuel avec les patients, entretiens individuels, développement du REPI et validation des analyses des entretiens des patients. Une revue systématique sur l’implication des patients en recherche incluant 142 études a souligné que la participation des patients au processus de recherche en santé mène à des résultats plus pertinents avec les préoccupations des patients (Domecq et al., 2014). Les patients seraient toutefois peu impliqués durant l’exécution de la recherche. Une innovation de la présente étude est donc d’avoir procédé à l’accord interjuge de la codification des entretiens des patients avec un patient partenaire possédant le vécu expérientiel de l’IC. Bien que chaque expérience soit unique, le savoir expérientiel du patient partenaire le rapproche de la perspective des participants patients. Puisque l’interprétation des résultats est influencée par la perspective du chercheur, il est dès lors souhaitable d’entamer un processus de négociation entre les perspectives du chercheur et du patient partenaire. Ce processus favoriserait la confirmabilité entre les données et leur interprétation (Lincoln et al., 2011). Par ailleurs, le choix d’intégrer des patients constituait pour l’étudiante-chercheuse l’illustration de sa volonté de donner une voix à des personnes stigmatisées encore considérées marginales dans la société. Cette position se rapproche de celle de Bernheim et Larue (2009) qui présentent un vibrant plaidoyer en faveur de l’intégration de la perspective des patients à la recherche en santé mentale. Selon elles, le chercheur
fait plus que découvrir ce qui est resté dans l’ombre : il pose un geste remarquablement connoté, puisqu’il affirme en quelque sorte sa croyance en l’utilité d’un discours considéré comme irrationnel, réputé sans valeur à la fois du point de vue médical et scientifique
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Les dernières années ont d’ailleurs vu éclore un véritable engouement pour le partenariat patient. Soulignons l’apport de Pomey et al. (2015), qui ont élaboré le Montreal Model proposant un cadre théorique du continuum de l’engagement des patients où l’un des secteurs d’application est la recherche. Dans ce contexte, le partenariat patient est défini comme l’« implication des patients de la gouvernance jusqu’à la diffusion des résultats de recherche en passant par la question de recherche » (Pomey et al., 2015, p. 45). Bien que cette intégration soit des plus souhaitable, il semble que pour parler d’un véritable partenariat en contexte de soins de santé, la relation avec l’intervenant devrait être mise de l’avant au même titre que le patient. La participation des intervenants, dont la réalité diffère de celle des chercheurs, ne devrait pas être évacuée et nécessiterait au contraire d’être valorisée au même titre que celle des patients. L’étymologie latine du mot partenaire (partitio) référant au partage, à la répartition et à la division éclaire d’ailleurs sur son emploi. Son origine implique donc une certaine tension rappelant les partenariats commerciaux où les intérêts personnels ne sont jamais totalement dissociés de l’intérêt commun… Cette filiation le rapproche ainsi d’un concept dont il tente pourtant de se dissocier, la hiérarchisation des soins. Aussi est-il jugé pertinent d’intégrer systématiquement toutes les parties prenantes, comme le propose la recherche participative organisationnelle (Bush et al., 2017). Ainsi, la conduite d’une étude de cas avec une posture participative s’est avérée propice à l’intégration des patients, et parce que celle-ci exige de s’intéresser à tous les constituants du cas pour en retirer une compréhension holistique, elle permet de penser la recherche en collaboration avec tous ses participants.
Pour l’étudiante-chercheuse, l’approche participative a aidé à son acceptation dans le milieu à travers la construction d’une relation de confiance entre les chercheurs et les cliniciens, notamment grâce à sa présence prolongée dans le milieu. Elle a aussi été favorisée par la volonté maintes fois réitérée de ne pas imposer le REPI, mais de le construire à partir des savoirs de tous. L’examen de la portée sur le REPI a d’ailleurs permis de constater que la majorité des études ayant implanté cette intervention étaient commandées par une exigence organisationnelle ou par la recherche. Seule l’étude de Ryan et Happell (2009) avait proposé une recherche-action participative qui visait à évaluer les besoins des patients et des intervenants. Ces auteures n’ont toutefois pas procédé au développement, à l’implantation et à l’évaluation d’un REPI, ce à quoi s’est employée la présente étude.
Somme toute, l’intégration de l’approche participative à l’étude de cas a permis d’établir la cohérence de l’étude avec les besoins et les valeurs du milieu par un apport mutuel et la participation de chacun. Deux constats principaux émanent de ce choix méthodologique. D’abord, en adaptant un modèle à la réalité clinique, il arrive que le processus entraîne une perte de cohérence théorique. Par exemple, le développement du REPI avec l’équipe a pris une orientation imprévue, car le comité d’experts ayant désiré n’y inclure que les témoins de l’IC – majoritairement des infirmières et des préposés – le REPI a perdu sa visée interdisciplinaire au contraire de ce que la littérature scientifique préconise. Ensuite, cette nouvelle proposition questionne la nature même du cas étudié. En effet, par rapport à ce choix méthodologique, le cas ne devient-il pas le contexte dans lequel il y a une étude participative? De fait, le chercheur ne serait-il pas indissociable du cas étudié? Il y a ainsi contradiction avec la visée initiale de l’étude de cas, car en 1995, Stake avait affirmé l’importance pour le chercheur d’être non interventionniste afin de ne pas perturber l’activité normale du cas. Faut-il que le chercheur soit dissocié de l’étude pour en maintenir la rigueur scientifique? D’autres études de cas avec une posture participative seraient nécessaires afin de clarifier la position du chercheur qui est impliqué dans la transformation du cas et son évaluation.
Critères de scientificité
La rigueur de cette étude a été assurée par le respect de critères de scientificité liés à la crédibilité, à la fiabilité, à la confirmabilité et à la transférabilité (Lincoln et al., 2011). Étant donné la spécificité de la recherche participative, ces auteurs proposent aussi de tenir compte de critères qui lui sont propres : la congruence, l’action, l’authenticité, la résistance et les relations éthiques.
La crédibilité réfère à l’adéquation entre les descriptions du phénomène à l’étude par les participants et sa représentation dépeinte par le chercheur. En premier lieu, un engagement prolongé sur le terrain a soutenu le développement d’une relation de confiance avec l’équipe clinique ainsi qu’une compréhension plus fine du cas. Les écrits de Stake (1995) insistent particulièrement sur l’importance de la triangulation dans l’étude de cas pour en assurer la crédibilité. Il y a non seulement eu triangulation des méthodes (immersion dans le milieu, entretiens individuels, examen de la documentation, notes du journal de bord et données administratives d’IC) et des participants (patients, préposés aux bénéficiaires, infirmières, ergothérapeutes, psychiatres), mais aussi des chercheurs (étudiante-chercheuse, directrice de thèse, patients partenaires de recherche). La recherche d’explications divergentes a enfin été complétée par la présentation des résultats préliminaires de cette étude aux intervenants (n = 12) de l’unité en vue de vérifier que l’interprétation des données était plausible.
En ce qui a trait à la fiabilité, elle désigne la stabilité des données dans le temps et dans différentes conditions. Une documentation détaillée de chaque phase de l’étude a éclairé le processus de recherche afin de le rendre le plus transparent possible au lecteur. De plus, il y a eu clarification des étapes d’analyse avec la production d’un arbre de codes, des définitions retenues pour chaque code et de fiches synthèses par thème et par participant.
La confirmabilité correspond au lien entre les données et les résultats, et à l’interprétation qui en est faite. Elle est assurée entre autres par la triangulation décrite ci-haut, en plus des exercices de codage/recodage et de la vérification par les participants. De plus, les articles présentant les résultats de cette recherche proposent de nombreux extraits de données afin de permettre au lecteur de s’assurer de la cohérence entre les données et l’interprétation proposée.
La transférabilité se définit quant à elle par le degré de similarité entre deux contextes, permettant au lecteur de juger si les résultats sont à même d’être appliqués au sien. Ce critère correspond à ce que Stake (1995) nomme la généralisation naturaliste qui appelle à une participation active du lecteur pour adapter les constats de l’étude de cas à sa propre réalité. Pour en tenir compte, une description exhaustive du milieu à l’étude a été réalisée (Goulet & Larue, 2018). Cette phase a été non seulement pertinente pour le développement de l’intervention, mais elle a aussi permis de donner tous les outils au lecteur pour favoriser la transférabilité des résultats.
Pour assurer la congruence, la cohérence entre les assises théoriques et méthodologiques a été expliquée, donc la façon dont l’approche humaniste (Cara et al., 2016) et la théorie de la structure (Giddens, 1987) ont influencé les choix de l’étude, par exemple en examinant les interactions et leur nature en tenant compte du contexte étudié.
L’action est illustrée par la participation des différentes parties prenantes, mais aussi par l’intégration du REPI avec le patient à la pratique quotidienne des intervenants en l’adaptant à leur réalité. Une autre illustration de l’action est l’autonomisation (empowerment) des patients par leur participation à un projet de recherche. De façon anecdotique, plusieurs d’entre eux ont affirmé que tant l’expérience de REPI avec leur intervenant que les entretiens individuels de l’étude les amenaient à donner un sens à leur expérience en pouvant participer à l’amélioration des pratiques. Pour plusieurs, il s’agissait de leur premier pas vers une implication citoyenne.
Pour le critère de l’authenticité, à la lumière du nombre de patients recrutés, l’interprétation des résultats exige à la prudence étant donné le déséquilibre des points de vue concernés (26 intervenants versus 6 patients). Les critères d’inclusion promouvaient l’intégration de tous, mais l’étudiante-chercheuse s’est heurtée à des difficultés de recrutement. Il appert alors impératif de se questionner sur la prévention de la marginalisation d’une population reconnue comme étant plus difficile à recruter (Soininen, Putkonen, Joffe, Korkeila, & Välimäki, 2014).
Le critère de résistance réfère à la remise en question du statu quo, but auquel était d’ailleurs consacrée cette thèse. L’objet de cette étude s’intégrait dans le dessein plus large de participer au rehaussement des pratiques de gestion des comportements agressifs afin de restreindre l’IC à une utilisation exceptionnelle. La documentation du contexte d’implantation a permis de comprendre que les réticences des intervenants à un changement de pratique sont surtout en lien avec des inquiétudes relativement à leur propre sécurité. Cette résistance au changement a récemment été soulevée par Duxbury (2015) qui souligne l’importance de déconstruire l’idée reçue que l’IC assure la sécurité des intervenants. Le REPI constitue selon l’étudiante-chercheuse l’occasion toute désignée pour ouvrir la discussion à cet effet dans une atmosphère ouverte et sans jugement.
Enfin, le critère des relations éthiques est central dans toute étude, mais d’autant plus lorsqu’il est question de l’implication de patients hospitalisés en psychiatrie et d’un sujet aussi sensible que l’IC. En effet, aborder ce sujet peut faire resurgir des émotions négatives tant pour les patients que pour les intervenants (Hallett, Huber, & Dickens, 2014). Beaucoup de sensibilité a donc été requise de la part de l’étudiante-chercheuse dans la présentation du projet, la tenue des entretiens individuels et l’interprétation des résultats.
Limites de l’étude
En lien avec le choix méthodologique de l’étude de cas, il faut souligner que l’implantation, le développement et l’évaluation du REPI ont été étudiés dans un contexte où le milieu est en constante transformation. Ainsi, l’interprétation des résultats réfère au temps précis de la collecte de données, et le contexte peut avoir changé au moment de la présentation des résultats. De plus, l’étude de cas ne vise pas la généralisation, mais la transférabilité. Dans ce contexte, elle possède un rôle de soutien pour comprendre un phénomène; il y a donc un intérêt pour l’étude en soi, mais aussi pour ses possibilités (Stake, 2008).
Du côté de l’intervention, les chances sont élevées de trouver de la variation dans son déploiement (Sidani & Braden, 2011). L’entretien individuel de la phase évaluative a été l’occasion d’explorer la variabilité des REPI selon la perspective des patients et des intervenants. Le fait que l’étudiante-chercheuse ait assuré à la fois la formation sur le REPI aux intervenants et son évaluation constitue une autre limite. Il est envisageable qu’il y ait eu un biais de désirabilité sociale lors des entretiens individuels.
En ce qui a trait à la population étudiée, le nombre restreint de patients recrutés a déséquilibré le ratio des perspectives des intervenants et des patients dans l’interprétation des données. Il est aussi possible que les patients qui ont accepté de participer représentent un profil de patients spécifique, soit ceux qui sont plus passifs ou coopératifs (pour lesquels il y a intégration du discours des intervenants sans questionnement), ou au contraire ceux qui utilisent cette participation comme tribune pour manifester leur mécontentement par rapport aux soins reçus.
Enfin, un élément de contexte à considérer dans l’interprétation des résultats a été la formation des intervenants à une nouvelle version du protocole IC quelques mois après celle du REPI. Soulignons que le volet du REPI avec le patient avait été intégré au nouveau protocole, ce qui n’était pas le cas pour le volet en équipe. Bien qu’il soit difficile d’attribuer les retombées du REPI ou une réduction de l’IC sur l’unité spécifiquement à cette étude, il n’en demeure pas moins que le REPI et la formation sont deux composantes centrales des programmes de réduction des IC (Goulet et al., 2017). Il est donc plausible de croire que la diminution de la durée d’isolement et du nombre de patients en isolement est attribuable à une interaction des deux changements apportés au milieu durant l’étude.
Implications de l’étude
Malgré les limites évoquées, le respect des critères de scientificité est garant de la rigueur de l’étude et il est possible d’y attribuer des implications entre autres pour le domaine de la recherche.
L’une d’elles découle de la synthèse des connaissances par une revue systématique sur les programmes de réduction des IC et un examen de la portée sur le REPI qui ont été réalisés. La définition et une typologie du REPI qui y ont été proposées pourraient ainsi guider la recherche et la pratique sur la prévention tertiaire des comportements à risque d’agression.
Par ailleurs, étant donné l’état des connaissances sur le REPI et la nature exploratoire de cette étude, celle-ci n’avait pas pour visée de démontrer l’efficacité de l’intervention. Il serait ainsi pertinent d’étendre l’implantation du REPI à différents milieux et de comprendre les enjeux spécifiques à chaque contexte. En effet, plusieurs questionnements subsistent quant aux modalités de l’intervention, telles que le moment adéquat pour l’effectuer et la meilleure personne pour le faire. D’autres recherches pourraient donc explorer la possibilité que le REPI soit entrepris par une personne extérieure à l’événement selon la préférence du patient, par exemple par un pair aidant. De plus, il serait pertinent de mieux comprendre les résistances pour le REPI en équipe en précisant entre autres quels en sont les enjeux interdisciplinaires. D’un point de vue méthodologique, compte tenu des difficultés de recrutement des patients de cette étude, il serait judicieux de mieux explorer la perspective des patients sur le REPI, notamment en les intégrant davantage au processus de recherche, par exemple lors du recrutement.
Conclusion
Par cette thèse, l’étudiante-chercheuse espère avoir contribué à la compréhension de l’intervention du REPI et de ses retombées. Cette étude de cas participative a permis d’aller au-delà du malaise perçu par les intervenants et les patients en systématisant le REPI avec le patient et avec l’équipe tout en favorisant la réduction de l’IC. Il est dès lors impératif que les protocoles IC qui encadrent la pratique balisent les modalités du REPI avec le patient et en équipe et que les intervenants soient formés à cet effet.
Avec la valorisation accordée à l’implication des patients dans l’organisation des soins, de la formation et de la recherche, un changement paradigmatique important est amorcé dans le système de soins de santé. Cette volonté se heurte toutefois à un contexte de changements organisationnels majeurs. Il est donc d’autant plus important de partager le leadership des gestionnaires et des cliniciens en travaillant de concert avec tous les partenaires du réseau de la santé. Ainsi, c’est en tenant compte de l’interaction entre la structure et les personnes qui la compose qu’il sera possible de penser à un changement de pratique qui assure la sécurité physique et psychologique de tous, tant patients qu’intervenants.
Appendices
Note biographique
Marie-Hélène Goulet, inf. Ph. D., est stagiaire postdoctorale boursière des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) à la Faculté de droit de l’Université McGill et à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. Elle a obtenu son doctorat à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal sous la direction de Caroline Larue, où elle sera professeure adjointe. Ses travaux portent sur la prévention de la coercition en santé mentale en prônant une approche participative.
Notes
-
[1]
Dans cet article, l’emploi du féminin « infirmière » a été choisi afin de faciliter la lecture, mais son emploi se veut inclusif du genre masculin.
-
[2]
Selon Cara et al. (2016, p. 23), « le “P” majuscule signifie que le terme Personne correspond à l’individu, la famille et les proches, la communauté ou la population ».
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