Abstracts
Résumé
Tout travail engage des émotions de différentes natures. Cet article s’efforce d’apporter une contribution épistémologique à la réflexion des émotions dans le travail d’enquête, une enquête menée sur les carrières professionnelles des réfugiés dans deux sociétés européennes, la France et la Bulgarie. C’est au prisme de la relation d’enquête comme travail spécifique – faisant partie du métier des chercheurs en sciences humaines et sociales – qu’est interrogée la place des émotions. Les émotions y sont envisagées en tant qu’effets, outils et supports de l’action, en tant qu’agissant sur la relation enquêtrice-enquêtés et en tant qu’agies par cette relation, en adoptant une approche deweyenne. Les émotions exprimées ou dissimulées peuvent signaler des désajustements de l’interaction entre chercheurs et enquêtés et peuvent inviter la relation d’enquête à s’engager dans de nouvelles directions. Le travail d’enquête engage ainsi un « travail émotionnel » que cet article propose d’analyser, en mettant l’accent sur deux dimensions des émotions : leur caractère situé et leur structure dramaturgique. Ces deux dimensions renvoient à deux perspectives du travail émotionnel. La première pointe rôle du contrôle de l’information sociale dans les interactions. La seconde, quant à elle souligne le fait que le travail émotionnel est lié aux rapports de domination de classe, de sexe et de racialisation.
Mots-clés :
- Enquête,
- émotions,
- travail émotionnel,
- réfugiés,
- relation chercheur-enquêtés
Abstract
Any sort of work will engage emotions of various natures. This article aims to contribute to epistemological reflecting emotions during investigational work involving career efforts among professional refugees in two European societies, France and Bulgaria. I studied the space taken up by emotions in an investigation through the prism of the investigational relationship as a specific type of work, which is part of the profession of researcher in the humanities and social sciences. Emotions are considered in investigational work as effects, tools and supports for action, as acting on the researcher-research subject relationship and as being acted upon by this relationship, adopting a Deweyan approach. Emotions, whether expressed or concealed, may signal maladjustments in the interaction between researchers and participants and may invite the investigative relationship to proceed in new directions. Investigative work thus engages in an « emotional work » which this article proposes to analyze, focusing on two dimensions of emotions : their situated character and their dramaturgical structure. These two dimensions refer to two perspectives of emotional work. The first one points to the role of the control of social information in interactions. The second emphasizes the fact that emotional work is related to relations of class dominance, gender and racialization.
Keywords:
- Investigation,
- emotions,
- emotional work,
- refugees,
- researcher and participants relation
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