Introduction

Récits de vie et savoirs : enjeux des enquêtes narratives[Record]

  • Marie-Claude Bernard,
  • Hervé Breton and
  • Emmanuelle Jouet

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Si les premiers usages reconnus des récits de vie dans le domaine de la recherche en sociologie, employant des méthodes qualitatives, sont souvent associés aux travaux de recherche de William I. Thomas et Florian Znaniecki à l’Université de Chicago et la parution en 1918 de l’oeuvre monumentale intitulée dans sa version française Le paysan polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie d’un migrant, l’introduction des récits de vie dans le champ de la recherche en sciences sociales et humaines dans le monde francophone est plus récente. Le passage de la narration biographique comme modalité de recherche et d’enquête date en effet d’une quarantaine d’années. À la suite de la parution du rapport C.O.R.D.E.S. de Bertaux (1976) (dans lequel l’auteur retrace notamment l’histoire de l’« approche biographique » en sociologie en langue française), un pan s’est ouvert qui allait vigorifier non seulement la sociologie, mais aussi d’autres champs disciplinaires. Ainsi en est-il, par exemple, des sciences de l’éducation et de la formation où la parution de l’ouvrage de Gaston Pineau et Marie-Michèle (1983/2012) a initié un puissant mouvement qui s’est développé et dont l’épicentre de la dynamique articule la recherche et la formation. Dans la littérature anglophone, le tournant narratif a été mentionné notamment par Denzin en 1989, par Kreiswirth en 1994, et par Goodson et Gill en 2011. C’est en 2000 que Clandinin et Connely font paraître leur ouvrage intitulé Narrative inquiry. Experience and story in qualitative research dont l’enjeu est de situer l’usage et l’apport des récits au sein des méthodes d’enquête dans le domaine de la recherche en sciences sociales. Parallèlement, les approches narratives ont également intéressé les sciences médicales, la santé publique et l’accompagnement dans le contexte du soin (Dominicé, 2008; Kleinman, 2000). En médecine, la mise en récit est une ressource classique des formes d’accompagnement et de soins (Frank, 1995; Hydén, 1997; Niewiadomski, 2017; White & Epston, 1990). Le renouveau que vont connaître les récits de maladies au 20e siècle les fait accéder au statut de pratiques de saisie par les médecins et les soignants de la réalité multiple du patient, ainsi que du processus de construction de l’identité et de socialisation par les auteurs faisant l’expérience de la maladie (Jouet, 2020). Ainsi, autant en éducation que dans le domaine de la santé et plus largement dans l’accompagnement, les formations mobilisant des formes de récits de vie se sont multipliées. La diffusion de ces différents usages se réalise de manière intersectorielle, si l’on considère les initiatives locales (notamment en Europe comme en Amérique) qui ont permis de construire et d’intégrer dans des universités des cursus dédiés aux histoires de vie en formation et aux recueils des récits de vie en formation et recherche (Breton, 2019). Cette large diffusion des usages et des pratiques qui intègrent le récit de vie comme mode d’intervention, comme pratique d’accompagnement pour l’éducation et la santé, et comme modalité de formation et d’orientation des adultes, interroge les fondements épistémologiques des enquêtes narratives et le rapport au terrain. Quelles pratiques d’enquête sont employées dans les approches qui mobilisent le récit? Quel statut accorder aux savoirs générés par les récits de vie? Si les méthodes biographiques permettent d’appréhender des points de vue et des vécus singuliers, quelles dynamiques interactionnelles mobilisent-elles? Et comment tenir compte de ces dynamiques interactionnelles dans la construction des savoirs? L’enjeu de ce dossier est de définir la singularité d’une visée de connaissance fondée sur une démarche qui procède d’un travail d’appréhension et d’exploration du vécu et dont les modes de compréhension supposent la narration. Selon Foucault (1971-1972), l’enquête constitue un « moyen de constater ou …

Appendices