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Plus d’une trentaine d’années après la conférence internationale d’Alma-Ata (ex-URSS, 1978), les soins de santé primaires restent un élément central de la politique de santé des pays d’Afrique subsaharienne. Depuis l’initiative de Bamako en 1987 [1], de nombreux pays africains ont instauré le principe du paiement direct des médicaments et des soins par les usagers, excluant des soins une grande partie de la population. Bien que la mise en place des systèmes de financement soit limitée par une économie essentiellement informelle, certaines communautés et quelques prestataires de soins ont initié, avec l’appui de partenaires, des mécanismes de partage de risques et de prépaiement des dépenses de santé. A partir des résultats de ces expériences, des politiques de protection contre le risque maladie se sont multipliées en Afrique en vue de l’extension de la couverture maladie (Soglohoun, 2012). Les mutuelles de santé (MS) [2] ont été retenues comme l’un des outils de ce développement, car elles peuvent offrir des solutions alternatives de financement et d’accès aux soins de santé pour les populations à faible revenu. Les principes de l’économie sociale se retrouvent dans les MS : association volontaire, fonctionnement démocratique, autonomie de gestion, finalité du service aux membres ou à la collectivité plutôt que recherche du profit (Defourny, Sarambe, 2006). D’un point de vue théorique, les MS relèvent du modèle coopératif : les membres sont à la fois usagers et sociétaires de l’organisation.

Au Cameroun, les taux de mortalités maternelle et infantile, de malnutrition, etc., restent élevés (INS, 2011). Le profil épidémiologique est dominé par la propagation de maladies infectieuses et parasitaires. Le poids des maladies comme le paludisme, le VIH-sida et la tuberculose dans la morbidité générale est particulièrement élevé. Près de 60 % des individus éprouvent des difficultés à faire face aux dépenses de santé, et environ 40 % n’ont pas accès aux soins de qualité (INS, 2011). Par ailleurs, la protection sociale publique est insuffisante : moins de 10 % de la population camerounaise (des fonctionnaires et des salariés du secteur privé formel) bénéficie d’une protection sociale partielle (Motazé, 2008). De même, des sociétés à but lucratif (régies par la Conférence interafricaine des marchés d’assurance, Cima) proposent une forme de couverture maladie privée à des individus ou à des groupes. Bien que non connue avec exactitude, la proportion de la population camerounaise couverte par l’assurance privée est estimée à seulement 3 % [3] (Desjardins, 2011). La grande majorité de la population rurale et du secteur urbain informel en est complètement exclue. Afin d’y remédier, les décideurs publics souhaiteraient atteindre un taux de couverture d’au moins 40 % de la population à travers la création d’une MS par district de santé au minimum (Minsanté, 2009 et 2006). Ces MS connaissent une croissance considérable : leur nombre est passé de 20 en 2000 à 101 en 2006, puis à 158 en 2010 (Minsanté, 2010 ; GTZ, 2006 ; BIT-Step, 2001). Plusieurs personnes ont bénéficié de l’assistance des fonds des MS.

Toutefois, la demande de couverture des pathologies (chroniques, comme le VIH-sida) qui ne sont généralement pas prises en charge s’est accrue. Malheureusement, la faiblesse des moyens mobilisés par lesdites mutuelles ne permet pas de satisfaire ce besoin.

L’objectif de cet article est d’étudier l’émergence de la mutualité camerounaise comme initiative relevant du domaine de l’économie sociale, afin d’établir le lien entre l’adhésion aux MS et l’utilisation des soins par les populations exclues du système formel de sécurité sociale. Le débat sur la réforme du financement de la santé au Cameroun met en effet en évidence la nécessité de créer des MS pour faciliter l’accès des populations à des soins de qualité (Minsanté, 2009). La mise en place des MS représente un coût majoré par les comportements d’aléa moral [4] et d’antisélection [5]. On présentera une revue de la littérature dans la première partie, la méthodologie utilisée dans la deuxième, puis l’émergence de la mutualité au Cameroun dans la troisième et les analyses des résultats dans la quatrième section.

Revue de la littérature

Les résultats empiriques sur le lien entre les MS et l’utilisation des soins de santé sont divergents. Certains auteurs trouvent qu’il existe une corrélation positive entre assurance et consommation de soins des individus, justifiant cela par les phénomènes d’asymétrie d’information que sont l’aléa moral et l’antisélection. Gustafsson-Wright et al. (2013) constatent que le programme Hygeia Community Health Care (HCHC) au Nigeria a augmenté l’utilisation des soins de santé de plus de 15 % en moyenne. Mahal et al. (2013), dans une étude randomisée en Inde, suggèrent que le fait d’adhérer à un groupe d’assurance ambulatoire subventionné a augmenté le nombre total de visites médicales. De même, Fitzpatrick et al. (2011) ont constaté que les consultations auprès des prestataires de santé concernant les enfants d’assurés au régime d’assurance santé de l’Institut nicaraguayen de la sécurité sociale ont augmenté globalement de 1,3 visite par an.

D’autres études infirment la thèse d’une surconsommation de soins des mutualistes. Binagwaho et al. (2012) trouvent que les MS ont amélioré l’accès aux soins préventifs et curatifs des enfants au Rwanda. Radermacher et al. (2012) soulignent que la MS réduit les dépenses de santé et accroît le recours aux services de santé des individus sans aléa moral en Inde. De même, Alatinga et Fielmua (2011), à partir d’une enquête auprès des individus et de discussions de groupes au Ghana, montrent que les MS améliorent l’accès aux soins des pauvres et que l’utilisation des services de santé des mutualistes est trois fois supérieure à celle des non-mutualistes. L’étude de Chee et al. (2002) dans le district de Hanang en Tanzanie révèle que 5 % des mutualistes représentent 53 % de l’utilisation des soins. Les réponses des participants aux interviews et aux discussions de groupes focalisées sont semblables à celles de la Guinée (Waelkens, Criel, 2002) : tant les responsables des centres de santé que les utilisateurs croient que les mutualistes viennent plus souvent au centre de santé quand ils sont vraiment malades et qu’il n’y a pas d’augmentation des consultations « inutiles ».

D’autres études récentes aboutissent en revanche à des résultats mitigés. C’est le cas de celle de Levine et Polimeni (2012), qui envisage des mesures différentes pour le recours aux soins dans leur évaluation du programme d’assurance SKY Micro-Health au Cambodge. Bien que celui-ci ait augmenté de 18 % l’usage des centres de santé publics comme première source de soins et réduit de 11 % le recours à des prestataires privés et à des vendeurs informels de médicaments, il n’a pas été en mesure d’encourager les assurés à se faire soigner tout de suite après un incident de santé grave. Les résultats montrent que ce programme n’a pas eu d’effet significatif sur la proportion d’enfants dont les vaccinations sont à jour ni sur celle des femmes enceintes assurées de recevoir des soins prénatals. Dercon et al. (2012) ne constatent aucune amélioration significative du recours aux services de santé ni du bien-être subjectif chez les assurés par rapport aux non-assurés au Kenya. D’après une étude menée au Ghana, au Mali et au Sénégal par Chankova et al. (2008), il ressort qu’au Ghana (où les soins ambulatoires n’étaient pas couverts) et au Mali l’adhésion à la MS est positivement corrélée à l’utilisation des soins de santé modernes, mais ce résultat n’a pas été confirmé au Sénégal.

Pour résumer, ces études empiriques montrent que, dans la plupart des cas, une augmentation de l’utilisation des soins de santé est observée pour les mutualistes. Cependant, nombre d’entre elles ont omis d’établir le lien entre ces initiatives et l’économie sociale.

Méthodologie

Les données utilisées dans cette étude ont été collectées au cours d’une enquête que l’on a effectuée dans le courant de l’année 2011 sur un échantillon de 827 individus, mutualistes et non mutualistes, dans la région du Centre. Celle-ci couvre une population de 3 525 664 habitants et représente 18,2 % de la population totale du pays, avec une densité de 51,1 habitants au kilomètre carré (Minepat, 2010). De plus, elle dispose de 628 formations sanitaires (398 publiques et 230 privées), de 30 districts de santé (9 ayant une MS) et 291 aires de santé (18 ayant une MS). La région du Centre est parmi les mieux couvertes, avec 42 MS, dont 9 ont une couverture rurale, 15 une couverture urbaine et 18 une couverture à la fois rurale et urbaine. Le nombre d’adhérents est évalué à 458 336 (Minsanté, 2010).

Un questionnaire a été adressé directement aux individus. La première partie recueille des informations générales (milieu de résidence, région d’origine, âge, sexe, niveau d’étude, statut familial, statut professionnel). La deuxième est relative aux soins effectués en cas de maladie (ou antécédents médicaux) [6], aux préférences en matière de traitement et aux dépenses de soins. La période de référence porte sur les quinze derniers jours précédant l’enquête. La troisième partie aborde l’assurance maladie et collecte des informations sur l’adhésion de l’individu à la MS, le montant de la cotisation, les modalités de versement de celle-ci, etc. La quatrième partie traite de la prise en charge de l’individu par la MS.

Le test du « khi carré » de Pearson a été appliqué pour comparer les distributions des différentes variables retenues entre mutualistes et non-mutualistes. Le seuil de signification des résultats retenu est de 0,05.

Emergence de la mutualité face aux faiblesses du système de sécurité sociale

Approche des MS à partir des notions d’économie sociale

La situation sociale et économique en Afrique subsaharienne en général et au Cameroun en particulier est caractérisée par une exclusion sociale aiguisée et quasi généralisée. Cette pauvreté a été accentuée par les crises structurelles multiformes qu’ont connues les pays africains au cours des années 80 et 90. Ainsi, moins de 10 % de la population camerounaise bénéficie d’une protection sociale partielle (Motazé, 2008). De plus, 55 % de la population n’a pas accès à l’eau potable et 40 % aux soins de santé (INS, 2011). L’exclusion de la population rurale et du secteur urbain informel est un problème majeur. L’Etat camerounais ne parvient pas toujours à assurer de façon continue et pérenne une politique de satisfaction des besoins sociaux. Cette situation a favorisé le développement de systèmes de solidarité chez les salariés du secteur formel de l’économie, mais également chez les non-salariés de l’économie informelle, rurale et urbaine. Beaucoup de ces initiatives relèvent du domaine de l’économie sociale, à l’instar des MS, des micro-assurances santé, etc. Les principes de l’économie sociale se retrouvent en effet dans les MS : association volontaire, fonctionnement démocratique, autonomie de gestion, finalité du service aux membres ou à la collectivité plutôt que recherche du profit (Defourny, Sarambe, 2006). Jusqu’à ce jour, ces initiatives restent très fragiles et sous-financées.

Evolution des MS depuis la fin des années 90 jusqu’à nos jours

Au Cameroun, les premières MS sont apparues à la fin des années 90 et leur expansion est favorisée par le développement d’un réseau qui permet une bonne articulation entre les MS, les services de santé et les autorités locales. Leur objectif initial et principal était la couverture des risques liés à la santé, selon les principes de prévoyance et d’assurance. Les MS mises en place ont suscité un engouement auprès des populations. En 2000, le premier inventaire de la Concertation [7] dénombrait 20 MS. En 2003, un deuxième recensement, organisé par le service d’appui aux initiatives locales de développement (Saild) avec le soutien de la Concertation, avait relevé 37 MS en activité. Un autre recensement a été mené par la coopération technique allemande GTZ (Deutsche Gesellschaft für Techniche Zusammenarbeit) en 2006. Au total, 101 MS ont été répertoriées, parmi lesquelles 73 dans le secteur informel, 26 dans le secteur formel et 2 couvrant exclusivement les religieux. Ainsi, 62 % des MS inventoriées étaient fonctionnelles, 33 % en projet et 5 % en redressement. Les régions les plus couvertes étaient le Littoral (28), le Centre (25) et l’Ouest (23). Environ 78 % des MS étaient communautaires, 11 % d’entreprise et 11 % d’assurances (GTZ, 2006).

En 2008, le Saild a dénombré au Cameroun 137 MS en majorité communautaires rurales, contre 142 au Bénin en 2006 et 392 au Rwanda la même année (Health Systems 2020, 2010). L’évaluation en 2010 de la stratégie nationale de promotion des MS constate une couverture de l’ordre de 1,5 % au lieu des 40 % escomptés au lancement en 2005 (Minsanté, 2010). Par ailleurs, l’étude diagnostique et cartographique des MS conduite par le cabinet Epos-Saild recensait, en 2010, 158 MS et 6 017 organisations de MS en projet.

Le mode de paiement des cotisations est variable en fonction de la MS. Il peut être mensuel, trimestriel ou annuel. Les cotisations des MS communautaires rurales sont collectées après la commercialisation des cultures de rente. Le montant moyen de la prime individuelle mensuelle est de 336 francs CFA, soit un total annuel de 20 160 francs CFA pour un ménage moyen de cinq personnes, avec des écarts allant de 100 francs CFA à plus de 2 000 francs CFA. L’adhésion familiale est la formule la plus répandue, et le tiers payant (88 %) représente le mode de prise en charge par excellence. Le nombre moyen des bénéficiaires varie de 746 pour les MS gérées par des bénévoles à 7 783 pour celles qui sont gérées par du personnel salarié (Minsanté, 2010).

La prise en charge des membres et les promoteurs des MS au Cameroun

La prise en charge comprend les consultations, les examens médicaux, les hospitalisations, les chirurgies, les accouchements (simples) et les actes de radiologie. Toutefois, les mutualistes paient un ticket modérateur de 25 % pour les soins ambulatoires et de 50 % pour la chirurgie dans certaines MS. Le niveau de prise en charge le plus bas concerne les soins hospitaliers et spécialisés. Cela est certes lié à la taille des MS et au montant des ressources mobilisées, mais également à l’accessibilité géographique de ces services. Cette situation est similaire à celle qui est observable dans certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le Ghana, le Mali et le Sénégal (Chankova et al., 2008). En Afrique subsaharienne, la performance du Cameroun en matière de couverture du risque maladie est l’une des plus faibles : le Gabon et le Cap-Vert couvrent plus de la moitié de leur population et des pays avec une dépense totale de santé inférieure à celle du Cameroun (Sénégal, Tanzanie, Côte d’Ivoire, Centrafrique) ont des taux de couverture entre 50 et 145 fois plus élevés (Nkoa, Ongolo-Zogo, 2012).

Les MS retrouvées dans l’ensemble des régions du Cameroun sont accompagnées techniquement ou financièrement par les institutions suivantes : Minsanté, GTZ, Unicef, Banque africaine de développement (BAD), OMS, Coopération française, Coopération belge, Saild, Assoal, Bepha, Promuscam, etc. La GTZ intervient essentiellement dans les régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et du Littoral. La Coopération belge est présente dans la région de l’Extrême-Nord et le Saild dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et de l’Ouest. La BAD a initié en 2006 des études pour mettre en place des MS dans onze districts de santé des régions du Sud et du Centre. Les principales MS fonctionnelles sont celles qui sont établies sur une base professionnelle et celles qui sont soutenues par les municipalités. La survie des MS au Cameroun n’est pas garantie, particulièrement pour les mutuelles territoriales, qui ont tendance à s’éteindre après une très courte période (un à trois ans pour la plupart), du fait du cycle court des projets d’appui, de la très faible adhésion et du retrait progressif des adhérents.

Les raisons de la faible adhésion aux MS sont multiples. Elles sont d’ordre individuel (pauvreté, qualité de soins peu attractive), communautaire, organisationnel (insuffisance de compétences techniques, absence de structure de coordination et de pilotage des initiatives en cours) et fonctionnel (faiblesse de l’appui technique et financier, environnement institutionnel peu favorable, relations contractuelles difficiles avec les prestataires de soins).

Résultats

Caractéristiques des membres et des non-membres de la MS

La répartition selon l’âge, le sexe, le milieu de résidence, la région d’origine, la religion, le niveau d’éducation et le statut professionnel ne diffère pas significativement entre adhérents et non-adhérents (tableau 1). Cependant, parmi les mutualistes, les proportions d’individus mariés (53,4 %) et veufs (10,2 %) sont supérieures à celles qui sont observées chez les non-mutualistes, à savoir respectivement 45,5 % et 9,3 %. De la même manière, parmi les membres des MS, les proportions d’individus aux revenus mensuels élevés (40,7 % entre 60 000 et 100 000 francs CFA et 19,8 % à plus de 100 000 francs CFA) sont supérieures à celles qui sont observées chez les non-membres (respectivement 29,6 % et 10,2 %). Cela montre que disposer d’un revenu assez important facilite l’accès à la MS, car ces individus sont capables de payer régulièrement leur cotisation. Cette idée est renforcée par l’étude de Gnawali et al. (2009), qui indique qu’une faible capacité contributive des ménages constitue un frein majeur à l’affiliation à une MS. Le manque de ressources financières est en effet souvent la première raison invoquée tant par les mutualistes que par les non-mutualistes pour expliquer la faible participation à la MS.

Tableau 1

Distribution des variables socioéconomiques, démographiques et de morbidité en fonction de l’adhésion à la mutuelle (%)

Distribution des variables socioéconomiques, démographiques et de morbidité en fonction de l’adhésion à la mutuelle (%)
Source : enquête de l’auteur en 2011

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Adhésion à la MS, état de santé perçu et morbidité

Sur la base de l’échantillon, on observe une différence statistiquement significative entre l’état de santé perçu des mutualistes et l’état de santé perçu des non-mutualistes (P = 0,00). Parmi les mutualistes, les proportions d’individus déclarant avoir un état de santé « moyen » (52,2 %) ou « bon » (29 %) sont en effet supérieures à celles qui sont observées chez les non-mutualistes (respectivement 50,1 % et 22,5 %). De plus, ils se déclarent moins en mauvaise santé (18,8 %) que les non-mutualistes (27,4 %). Cela peut s’expliquer par la facilité d’accès aux soins de santé, qui permet aux mutualistes de recourir directement et dans de meilleurs délais aux services de santé, avant que la maladie ne s’aggrave (Musango et al., 2004).

On observe également des différences statistiquement significatives quant à certains antécédents médicaux (paludisme et maladies diarrhéiques) entre les membres de la MS et les non-membres : la proportion des individus déclarant avoir souffert du paludisme parmi les membres (63,3 %) est inférieure à celle qui est observée chez les non-membres (75,9 % ; P = 0,00). Il en est de même pour les antécédents de maladies diarrhéiques (19,4 %, contre 25 %, P = 0,03). En revanche, on n’observe pas de différence statistiquement significative entre les antécédents d’infections respiratoires chez les mutualistes et chez les non-mutualistes. La proportion de ces antécédents est de 13,6 % chez les premiers, contre 18,3 % chez les seconds (P = 0,09).

Adhésion à la MS, utilisation des services de santé et dépenses de santé

Sur une période de quinze jours précédant l’enquête, concernant le premier choix pour les soins, on observe une différence statistiquement significative entre les adhérents à la MS et les non-adhérents (P < 0,01). Le recours aux formations sanitaires publiques est le choix par excellence des mutualistes (hôpital public 45,1 % et centre de santé 20,7 %) par rapport aux non-mutualistes (hôpital public 31,2 % et centre de santé 13,9 %). Cela peut s’expliquer par le fait qu’au Cameroun, les formations sanitaires publiques mettent gracieusement leurs locaux à la disposition des MS et offrent les prestations suivant les conventions signées avec elles. En revanche, on peut constater un faible recours des mutualistes aux autres types de soins, comme la médecine traditionnelle (3,7 %), l’automédication (8,6 %), les auxiliaires (2,8 %) ou l’absence totale de soins (8 %). La raison en est, d’une part, que les mutualistes accordent davantage d’importance à la santé et, d’autre part, qu’ils ont une perception plus négative des soins traditionnels, de l’automédication et des auxiliaires, les jugeant souvent médiocres ou inefficaces (De Allegri et al., 2006). Si l’on considère les dépenses de santé sur cette même période de quinze jours précédant l’enquête, les non-membres dépensent en moyenne plus d’argent que les membres : 2 817 francs CFA, contre 1 610 francs CFA. Ainsi, l’adhésion à la MS doit solvabiliser une demande latente de soins et peut se traduire par des phénomènes d’aléa moral ex post (Pauly, 1968 ; Arrow, 1963). Dans tous les cas, elle va permettre aux personnes couvertes de consommer davantage de soins en vue de rétablir tout ou partie de leur capital santé. En revanche, le reste à charge final va être réduit du fait de la prise en charge partielle (ou totale) des soins par la MS. Nyman (2003) estime que la variation de consommation générée par une hausse du niveau d’assurance renvoie à deux effets. La baisse du coût des soins supporté par le patient augmente leur attractivité par rapport aux consommations non médicales (à coûts constants pour ces dernières) par un effet de substitution et accroît la richesse disponible pour des consommations médicales et non médicales.

Conclusion

La situation sociale et économique en Afrique subsaharienne en général et au Cameroun en particulier est caractérisée par une exclusion sociale qui se manifeste par la pauvreté, mais aussi par les insuffisances et les limites des systèmes de protection sociale. Dans ce contexte, un important segment de la population se tourne vers des initiatives d’économie sociale afin de soutenir leurs activités professionnelles et leur protection sociale. L’objectif de cet article était d’étudier l’émergence de la mutualité camerounaise afin d’établir le lien entre l’adhésion aux MS et l’utilisation des soins de santé par les populations. L’analyse descriptive des données montre que les mutualistes fréquentent davantage en premier recours les hôpitaux publics et les centres de santé, mais qu’ils dépensent moins pour les soins. Les non-mutualistes dépensent plus, fréquentent plus les tradi-praticiens et pratiquent plus l’automédication. La facilité d’accès aux soins permet aux mutualistes de recourir directement et dans de meilleurs délais à ces services, bien avant que la maladie ne s’aggrave ; cela minimise les dépenses des mutualistes. Le système d’assurance maladie a donc un impact positif sur les dépenses de soins des mutualistes, sur leur santé et peut-être même sur l’économie du ménage (Musango et al., 2004). Par ailleurs, ils disposent d’un certain revenu, alors que les non-mutualistes sont les plus pauvres, ce qui explique le faible taux d’adhésion. De plus, les individus en bonne santé adhèrent peu à la MS par rapport à ceux qui sont en mauvaise santé. Cela peut être une menace pour la viabilité financière des mutuelles de santé, car leur survie au Cameroun n’est pas garantie, particulièrement pour les structures territoriales, qui ont tendance à s’éteindre après une très courte période.

Il ressort de l’étude que ces initiatives d’économie sociale contribuent à l’amélioration de l’accès aux services de santé, mais ne peuvent être durables qu’au prix d’améliorations d’autres dimensions (par exemple, un accroissement de la qualité, de la quantité, de l’accessibilité de l’offre de soins et des médicaments). Ainsi, il faut renforcer les capacités du système national de santé pour qu’il soit en mesure d’améliorer continuellement et de façon pérenne les conditions réelles d’exercice des MS. Plus précisément, le gouvernement, les municipalités et les partenaires du développement sanitaire et social devraient créer un cadre légal et réglementaire pour permettre le fonctionnement réel de ces MS et développer un partenariat (public-privé) dans le secteur de la santé, car certains prestataires de soins considèrent les MS comme trop informelles pour collaborer avec elles. Ainsi, une politique d’appui aux MS permettant le paiement de leurs dettes vis-à-vis des prestataires de soins est nécessaire. Les possibilités d’aide aux cotisations des pauvres (comme les subventions) et le potentiel de certaines expériences locales, telles que les systèmes traditionnels d’entraide et le crédit bancaire, apparaissent comme des stratégies susceptibles d’accroître les taux d’adhésion.