BibliographieBibliography

Charles Gide au xxe siècle, Luc Marco (dir.). Comité pour l’édition des oeuvres de Charles Gide, L’Harmattan, Paris, 2011, 254 p.[Record]

  • Michel Dreyfus

Ce livre se décline autour de deux grandes parties. La première est consacrée à l’examen des conceptions de Charles Gide. Sa pensée reste très actuelle, bien que, comme nous le rappelle Denis Clerc, la « république gidienne », qui reposait sur la primauté des coopératives de consommation, ne s’est jamais concrétisée ; dans la perspective de Charles Gide, la coopération de production ne jouait qu’un rôle subalterne. La prédominance de la coopération de production commença à être remise en question, au lendemain de la mort de Charles Gide, par Georges Fauquet, qui dans son Secteur coopératif (1935) appelait les deux grandes composantes de la coopération à mieux collaborer entre elles. Cet appel, il faut le dire, resta longtemps sans grands résultats. Puis, à partir des années 60, Henri Desroche et Claude Vienney posèrent les bases de ce qui allait devenir, à partir de 1977, l’économie sociale. Une nouvelle inflexion apparut deux décennies plus tard avec l’émergence de l’économie sociale et solidaire (ESS) : on ne peut discuter ici des rapports entre cette dernière et l’économie sociale. Pourtant, on le vérifie chaque jour, le libéralisme montre ses effets nocifs sur le plan économique et social. Ce constat rend la pensée de Charles Gide plus vivante que jamais et il est donc justifié de la mettre en perspective, de voir ce qu’elle fut et ce qu’elle peut nous apprendre aujourd’hui. D’abord, que fut-elle du vivant de Charles Gide, se demandent Albert Broder, Annie Cot et Yves Breton ? Tous trois cherchent à définir la place de cet économiste humaniste « au temps de la première mondialisation » que furent les années 1880-1930. Sa tentative de synthèse entre protectionnisme et libre-échange, sa critique de l’école libérale, puis ses interrogations, incessantes durant ce demi-siècle, sur la notion de progrès dans le champ économique sont autant de questions qui se posent de nos jours. Le contexte est évidemment très différent : le rôle de l’Etat dans l’économique et le social a notamment beaucoup changé. Son intervention a considérablement progressé dans l’entre-deux-guerres, puis à la Libération. Cette tendance a semblé s’approfondir encore en 1981, mais quelques années plus tard, une inflexion s’est produite et l’on se demande aujourd’hui jusqu’où ira le désengagement de l’Etat dans l’économique et le social. En un sens, cette tendance est peut-être une chance pour l’économie sociale, dans la mesure où cette inflexion du rôle de l’Etat lui laisse une plus grande place. Mais cette situation ne lui confie-t-elle pas aussi des responsabilités qui excèdent ses forces ? La question s’est déjà posée dans le passé, comme le montre notamment l’histoire de la protection sociale : il fallut attendre l’avènement de la Sécurité sociale, à la Libération, pour que soit mis en place un système destiné à l’ensemble de la population du pays. Enfin, comme nous le rappelle Danièle Demoustier, Charles Gide publia lors de l’Exposition universelle de 1900 un ouvrage consacré à l’économie sociale. Lorsque Henri Desroche remit cette notion à l’ordre du jour en 1977 pour définir un principe commun aux coopératives, aux mutuelles et aux associations gestionnaires, il le fit en référence explicite à l’ouvrage de Charles Gide. La notion d’organisme à but non lucratif ne lui semblait en effet pas pertinente pour englober dans un même ensemble des organismes non marchands (associations et mutuelles) et les entreprises marchandes que sont les coopératives. C’est dire combien il faut partir de Charles Gide pour comprendre ce qu’est aujourd’hui l’économie sociale, et peut-être aussi l’ESS. Cela est d’autant plus nécessaire que, comme le souligne Danièle Demoustier, la question sociale, que l’on croyait avoir résolue dans le cadre de la croissance fordiste …

Appendices