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Introduit au niveau mondial dans les années 70, mais lancé médiatiquement par la conférence de Rio en 1992, le développement soutenable est omniprésent dans les débats contemporains. Sa dimension locale a été déclinée dès 1992 dans les Agendas 21, qui appellent les collectivités territoriales à élaborer, selon des modalités participatives, en s’appuyant sur la capacité des acteurs du territoire à induire, une dynamique de développement soutenable endogène. Parallèlement, des initiatives citoyennes cherchent à apporter des éléments de réponse aux problématiques du développement soutenable, par des transformations économiques et sociales au niveau local. C’est dans ces initiatives territoriales émergentes que s’inscrivent les monnaies sociales, qui se multiplient depuis les années 2000. Les termes « monnaies complémentaires », « monnaies locales », « monnaies communautaires » sont aussi usités [1], mais par commodité nous désignerons ces dispositifs par le terme générique de « monnaies sociales ». Les monnaies sociales qualifient des dispositifs locaux qui fournissent le cadre nécessaire au développement d’échanges de services, de biens ou de savoirs, organisés par et pour des communautés, au moyen d’une organisation monétaire ad hoc, et qu’une monnaie interne permet de comptabiliser et de régler (Blanc, 2006a). On observe généralement des convergences, que ce soit au niveau des valeurs ou des pratiques, entre les monnaies sociales et le développement soutenable. C’est la raison pour laquelle il semble pertinent d’identifier ces objectifs communs et d’évaluer les monnaies sociales à leur aune. Cela n’exclut pas la nécessité de multiples changements institutionnels, afin de favoriser un développement soutenable, ce qui invalide la vision d’une organisation monétaire qui serait tout à la fois cause de tous les maux et solution à tous les maux. Il n’en demeure pas moins que les monnaies sociales pourraient devenir le moteur de ces changements, en impulsant une synergie dans les actions réalisées sur le territoire.

Nous analyserons comment les monnaies sociales, et ici plus particulièrement les dispositifs de l’Accorderie et du SOL alpin, peuvent être des outils au service du développement local soutenable. Nous poserons tout d’abord notre cadre d’analyse et la méthodologie associée, puis nous présenterons successivement les enseignements du SOL et de l’Accorderie au regard de trois dimensions du développement local soutenable : la territorialisation des activités, la dynamisation des échanges et la transformation des pratiques et des représentations sociales.

Cadre d’analyse et méthodologie

Une approche socioéconomique

Bien que le terme francophone consensuel soit celui de « développement durable », nous lui préférerons, à la suite de Harribey (1998), Faucheux et Noël (1995) et Vivien (2005), celui de « soutenable », qui permet de souligner les transformations sociétales et les changements radicaux rendus nécessaires par ce type de développement. Le développement soutenable se définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Cmed, 2005 [1987], p. 51). Cette définition ne peut que rencontrer l’assentiment d’une multitude de parties, mais elle n’est pas normative. Le développement soutenable revêt ainsi une quadruple dimension : économique, sociale, environnementale et politique. Généralement occultée, la dimension politique constitue le socle de base de l’appropriation des enjeux du développement soutenable. Par la mise en exergue des interactions entre ces différentes dimensions apparaît un double enchâssement, de l’économie dans le social et du social dans l’environnement (Boidin, Zuindeau, 2006).

Notre approche théorique s’insère dans la lignée de travaux institutionnalistes sur la monnaie, initiés en France par Aglietta et Orléan (1982) au début des années 80, puis prolongés autour d’une équipe pluridisciplinaire dans les années 90 et 2000 (Aglietta, Orléan, 1995, 1998 ; Théret, 2007). Cette approche permet de dépasser une conception instrumentale, voire neutraliste, de la monnaie, qui la réduit à un simple instrument d’échange créé pour dépasser la contrainte de la double coïncidence des besoins. En outre, elle présente l’avantage d’être plus proche de l’action supposée de la monnaie dans les projets de monnaies sociales. La monnaie est ainsi comprise comme une institution sociale fondamentale de toute société, qu’elle soit marchande ou non, permettant de régler des dettes à travers des pratiques de compte et de paiement (Blanc, 2000). L’approche institutionnaliste de la monnaie croise le courant de la socioéconomie, qui prend en compte le contexte social et politique dans lequel l’économie est inscrite et refuse son autonomisation. Dans ce cadre d’analyse, il s’agit de mieux appréhender les pratiques concrètes des acteurs en mettant au jour les logiques d’action. Le corpus empirique (tableau 1) est constitué d’observations pratiques, d’une étude documentaire, des entretiens qualitatifs semi-directifs réalisés avec les acteurs et des résultats de l’enquête par questionnaire dans le cadre de deux dispositifs : le SOL alpin (France) et l’Accorderie (Québec).

Tableau 1

Synthèse des données d’enquête

Synthèse des données d’enquête

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Brève présentation de l’Accorderie et du SOL alpin

A la fin des années 90, au Québec, deux organismes, la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation Saint-Roch de Québec, engagèrent une réflexion sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, menant à la création de l’Accorderie [2] à l’automne 2001. Celle-ci combine un système d’échange de services basé sur le temps, un dispositif de crédit solidaire et un groupement d’achat. Elle a pour vocation de tisser des liens dans la communauté et de permettre aux personnes à faible revenu d’améliorer leur condition socioéconomique en favorisant l’organisation de nouvelles formes de solidarité. Elle a opté pour une monnaie scripturale de crédit mutuel. Chaque accordeur dispose ainsi d’un « compte temps » qui inscrit au débit les dépenses (services reçus) et au crédit les revenus (services rendus). Le solde global des comptes est toujours nul. La monnaie ne préexiste donc pas à l’échange, mais elle lui est consubstantielle.

Le SOL a été expérimenté à partir de 2005, d’abord dans trois régions (l’Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais et la Bretagne) déclinées en territoires d’expérimentation, puis dans cinq régions (les précédentes, auxquelles s’ajoutent l’Alsace et Rhône-Alpes). Depuis peu, de nouveaux territoires se sont associés au projet, notamment la ville de Toulouse [3]. Le SOL comporte trois volets : le SOL éco, le SOL temps et le SOL affecté. Le SOL éco se rapproche fortement des systèmes ordinaires de cartes de fidélité, mais il s’adresse à des structures qui partagent des valeurs écologiques et sociales, orientées vers le développement soutenable. En effet, les « consom’acteurs » collectent des SOL sur leur carte à puce, lors de leurs achats dans les structures ayant adhéré au circuit SOL ou lorsqu’ils ont un comportement solidaire ou responsable. Ces points sont ensuite utilisés pour des achats futurs dans ces mêmes structures, qui acceptent des SOL en paiement de tout ou partie de leurs produits ou services. Les deux autres volets du SOL, temps [4] et affecté [5], restent relativement peu développés sur les territoires d’expérimentation, dont celui du SOL alpin.

La territorialisation des activités

Notre hypothèse repose sur le fait que les dispositifs de monnaies sociales, en créant une communauté autour de l’usage de la monnaie, activent des proximités (Pecqueur, Zimmermann, 2004 ; Bouba-Olga, Grossetti, 2008) qui génèrent des processus de coopération. La mise en réseau des acteurs dans une logique bottom-up favorise l’émergence d’une communauté solidaire apte à générer un processus de développement local soutenable. Ensuite, le quatrième pilier du développement soutenable étant la gouvernance, les monnaies sociales, parce qu’elles encouragent l’inclusion sociale et la mise en oeuvre de pratiques participatives, poussent à une gouvernance collective et territoriale. Par effet d’apprentissage et renforcement de la citoyenneté, elles deviendraient facteur d’appropriation du territoire et favoriseraient, par externalités positives, la gouvernance territoriale autour d’un projet commun, le développement local soutenable. Les dispositifs de monnaies sociales poseraient ainsi les jalons d’une gouvernance locale ou territoriale, renouvelée par l’existence d’un « effet de débordement » (Colletis et al., 2005) des dispositifs vers les territoires, par le biais de leurs contributions aux dynamiques territoriales. Enfin, puisque leur usage est contraint dans un espace de circulation, les monnaies sociales favorisent la territorialisation des activités économiques, politiques et sociales, et donc le développement local soutenable.

L’Accorderie, une communauté solidaire fondée sur la réciprocité

A l’Accorderie, le principe de réciprocité se concrétise dans l’endettement multilatéral, qui repose sur le principe du don (donner, recevoir et rendre), et cela non à l’égard d’un individu, mais à l’égard de la communauté que représente l’Accorderie. Elle développe des échanges de services qui ne prennent sens que dans la volonté d’établir un lien social entre les personnes. La réciprocité repose sur l’appartenance à une même communauté, et cette appartenance au groupe constitue la condition de base à l’établissement des échanges. La dette existe au nom du groupe et ces dettes réciproques vont permettre de renforcer ce groupe et le fonctionnement du système.

Ce lien de dette s’appuie sur la confiance, qui est elle-même ancrée dans l’appartenance à une communauté reposant aussi sur la proximité. Celle-ci peut prendre deux formes non exclusives, spatiale et socioéconomique. Par exemple, 73,9 % des personnes interrogées estiment que, grâce à l’Accorderie, elles passent du temps avec des personnes qui partagent les mêmes valeurs politiques, sociales ou environnementales, et 88,4 % d’entre elles ont adhéré à l’Accorderie pour participer à la construction de la communauté locale. « L’entraide, c’est sûr, l’entraide, le fait d’être dans quelque chose d’alternatif, de construire ou de participer à quelque chose qui se distancie un peu de l’idéologie capitaliste » (K).

Ces relations de proximité tendent ensuite à renforcer la confiance nécessaire à l’adoption de la monnaie. Ce lien de dette permet d’étirer la relation dans le temps et la durée et donc de créer du lien social. La monnaie est ainsi instrumentalisée pour faciliter la réciprocité (Servet, 1999). Elle joue alors son rôle de médiation sociale, comme outil d’appartenance à la totalité sociale que constitue l’Accorderie. C’est l’émergence d’une communauté de don (Spreafico, 2005).

Si l’une des formes de proximité vient à manquer, ce manque se traduit par une baisse de l’implication et du niveau d’échange, voire par l’exclusion d’un accordeur qui ne respecterait pas les règles établies (soit une proximité de médiation). Il en va de même des personnes ayant une conception trop utilitariste de l’Accorderie : « C’est très important, les valeurs, parce que sinon, l’échange, il ne fonctionne pas » (W). Pour ceux résidant trop loin de l’Accorderie, le temps passé en transport ainsi que les coûts peuvent devenir des facteurs de limitation et justifier une moindre implication. A contrario, la proximité spatiale favorise la rencontre des membres, y compris en dehors de l’Accorderie, encourageant l’établissement de relations de confiance au sein de la communauté.

Les règles de fonctionnement du groupe (charte, code de courtoisie) permettent de réguler les échanges. Les comportements individuels doivent rester conformes aux principes directeurs établis, avec une soumission de l’économique à la réciprocité. Ainsi, le don ne se traduit pas forcément par une absence d’intérêt, à la condition que celui-ci ne s’oppose pas au collectif, à la communauté (Mauss, 1993). D’ailleurs, 93,5 % des personnes interrogées estiment que l’Accorderie est une alternative à la notion de profit et le développement de la solidarité représente le premier motif d’adhésion pour 94,8 % d’entre elles. L’Accorderie permettrait donc de renforcer les solidarités locales, en créant un réseau socioéconomique solidaire.

De l’association à l’entreprise coopérative

Jusqu’en juin 2011, l’Accorderie était un organisme à but non lucratif. Les résultats de l’enquête menée en juillet 2010 montraient que les accordeurs participaient encore peu aux organes décisionnels de l’organisation, tout en y étant très présents. Avec le changement de statut en coopérative, en juin 2011, les accordeurs ont vu leur représentation augmenter et les « fondateurs » se retirent progressivement des instances décisionnelles.

Un noyau dur d’accordeurs, fortement impliqués, organisent et animent les activités de l’Accorderie. En échange de cette participation, ils reçoivent une rémunération en heures, payée par l’ensemble des accordeurs qui bénéficient du service collectif, selon une répartition égale pour chacun. Deux comités de travail existent : le comité de vie associative, qui a pour but de susciter les rencontres entre les accordeurs afin de favoriser la création de liens et les échanges de services, et le comité de prêt, qui s’occupe des crédits solidaires. Dans le comité de prêt, les membres de l’Accorderie examinent eux-mêmes les demandes de prêt en rencontrant la personne demandeuse. Ils délibèrent ensuite sur l’octroi ou non du crédit. Ce fonctionnement contribue fondamentalement à donner le pouvoir de gestion aux accordeurs. Ainsi, l’équipe de travail doit agir comme un guide, sans se substituer aux accordeurs dans l’organisation des activités. Les personnes interrogées estiment aussi à 87,7 % que l’Accorderie constitue un espace d’échange suscitant une liberté de parole et d’action, un « espace public de proximité » (Dacheux, 2003, 2008).

Du point de vue de la territorialisation des activités économiques, 76 % des accordeurs interrogés ont adhéré à l’Accorderie afin de favoriser la consommation de produits et services locaux, et 75,5 % estiment participer grâce à elle à la relocalisation de l’économie.

Le SOL alpin, un réseau marchand

L’objectif du SOL consiste à créer une communauté locale composée d’une multitude d’acteurs partageant des valeurs communes. Néanmoins, les fondements de cette communauté sont à distinguer en fonction des différents types de SOL [6]. En effet, le SOL éco s’insère dans le lien marchand, puisque l’objectif est précisément de rester dans ce cadre, mais d’en modifier les règles du jeu en engageant d’autres types de relations entre consommateurs et producteurs, et notamment des « liens de clientèle » (Servet, 1999 ; Blanc, 2000). Le SOL éco vise à créer un réseau de producteurs et de consommateurs responsables, qui partagent des représentations collectives communes ancrées dans le développement soutenable et l’économie sociale et solidaire (ESS). Il s’agit d’établir une relation de partenariat et de collaboration entre les différents acteurs, par la création d’un réseau fondé autour de l’usage d’une monnaie interne. Cette relation a pour objet d’intégrer des valeurs environnementales et sociales dans le lien marchand et la production, en créant une communauté de paiement. Ce réseau, en effet, repose non seulement sur une proximité spatiale, délimitée non formellement par le territoire de la communauté de communes de Grenoble, la Métro, mais aussi sur une proximité cognitive. Il est formalisé par une proximité de médiation constituée par la monnaie SOL. Cette proximité cognitive s’inscrit dans les valeurs de l’ESS, de la consommation dite responsable et du développement soutenable, ainsi que dans la volonté de favoriser le territoire local : « Le SOL permettait de récréer une petite dynamique, à petite échelle locale, selon certaines valeurs et, du coup, c’est vraiment ce côté citoyen et critique qui m’a donné envie d’adhérer » (B).

« Production de la confiance »

Une charte formalise ces représentations communes et vient renforcer ce sentiment de confiance (Chantelat, 2002). Le SOL, tel un label, est une « technique de production de la confiance » ; on cherche à sortir de l’incertitude par l’instauration de « liens de clientèle » dans la transaction : « Les critères, ça renforce cette idée de confiance, on sait que toutes les structures SOL sont absolument fiables » (F). Cependant, le manque de densité et de diversité des prestataires constitue un frein au développement du SOL. De plus, l’étirement dans le temps des relations est limité par le manque de dynamisme du SOL et par la perception, pour les solistes, que le SOL est un outil individuel de consommation plutôt que de construction communautaire. Cette perception est renforcée par l’absence d’un espace physique réunissant les solistes. Il reste à fabriquer la communauté en tant que construction sociale. La mise en oeuvre du SOL temps pourrait combler ce manque de proximité de médiation en favorisant les interactions sociales.

L’assemblée constitutive du 6 juillet 2010 a créée l’association SOL alpin, régie par la loi du 1er juillet 1901. Les structures partenaires du SOL, les prestataires, sont agréées par décision du CA selon des modalités définies dans la charte nationale et déclinées dans une grille de critère adoptée par l’association SOL alpin. Cette décision devra être ratifiée par l’assemblée générale. Afin d’être agréées, et donc d’adhérer au réseau SOL, les structures doivent remplir un dossier d’agrément. La rédaction de cette grille constitue un exemple pertinent d’exercice délibératif et participatif, dans la mesure où elle a été élaborée collectivement par les membres de l’association. Le CA détient une partie du pouvoir décisionnel, et notamment le pouvoir de donner ou non l’agrément. Ainsi, 31,4 % des solistes considèrent avoir un pouvoir de décision au sein du réseau SOL local. Cela semble relativement faible et peut résulter des modalités de gestion antérieures à la création de l’association SOL alpin en juillet 2010. Les solistes vont potentiellement pouvoir s’impliquer plus fortement au sein de l’association SOL alpin, et plus particulièrement au sein du CA. La participation au moment de la réalisation de l’enquête est néanmoins très faible. Cela peut paraître contradictoire avec le fait que seulement 60,2 % des solistes interrogés ne sont pas satisfaits de leur niveau de participation, mais s’explique parfaitement par le fait que le SOL, du moins dans sa dimension SOL éco, est un outil individuel de fidélisation : l’acte d’achat matérialise leur implication. Ainsi, être soliste, « c’est être un consom’acteur » pour 89,9 % d’entre eux. Ils ne se perçoivent pas nécessairement comme des partenaires dans la construction du réseau SOL, leur engagement s’inscrivant essentiellement dans l’acte de consommation : « Pour expliquer le “manque d’intérêt” : si la consommation doit devenir un acte engagé exigeant la participation à des événements collectifs, alors non… A mon avis, l’intérêt du SOL serait, si cela fonctionnait bien, d’engager d’abord dans la vie quotidienne, et non sur des moments particuliers » (X).

Du point de vue de la territorialisation des activités économiques, l’objectif du SOL consiste à favoriser les structures appartenant au réseau SOL. D’une part, ces structures sont forcément localisées sur le territoire d’échange et sont généralement de petite taille ; d’autre part, elles doivent privilégier un certain type de production, notamment, mais pas seulement, des produits locaux. Pour beaucoup de solistes (51,8 %), le SOL n’a pas orienté leurs pratiques de consommation vers le local, soit parce qu’ils consommaient déjà beaucoup de produits locaux (47 %), soit parce qu’ils n’ont pas changé leurs habitudes de consommation (4,8 %). Cependant, 97,8 % des personnes interrogées ont adhéré au SOL afin de favoriser la consommation de produits et services locaux. De plus, 60,8 % d’entre elles estiment que leurs échanges dans le réseau SOL remplacent un achat à une entreprise nationale ou internationale. Il y aurait donc bien un effet de réorientation vers le local : 92,5 % estiment qu’ils participent à la relocalisation de l’économie avec le SOL et 92,3 % que le SOL favorise les circuits courts. Si ces effets en termes de perception semblent significatifs pour la localisation des échanges, la faiblesse des échanges en SOL vient limiter leur portée, du fait notamment du manque de structures partenaires.

La dynamisation des échanges

La dynamisation des échanges locaux est le deuxième objectif des monnaies sociales au regard du développement local soutenable. La territorialisation des activités doit mécaniquement conduire à une dynamisation des échanges au sein du dispositif de monnaie sociale, dans la mesure où, en restreignant l’usage de la monnaie interne au niveau local, les échanges internes devraient connaître une augmentation de leur volume et générer ainsi une augmentation de l’activité interne par effet multiplicateur. Cependant, il n’en résulte pas nécessairement une augmentation globale des échanges, puisqu’il peut s’agir seulement d’une substitution des échanges externes par des échanges internes. On peut identifier différents facteurs qui permettent de dynamiser les échanges. Tout d’abord, la dynamisation sera fonction de l’ampleur du dispositif, qui dépend de la diversité de ses parties prenantes, mais aussi de la diversité des échanges. En effet, plus les acteurs seront nombreux et divers, plus la probabilité pour que les échanges soient élevés est forte. Il existe des effets (minimal et maximal) de taille et de diversité des acteurs, qui sont fonction du type de dispositif.

Ensuite, la mise en oeuvre de mécanismes encourageant la circulation monétaire (accès au crédit automatique et gratuit ou microcrédit solidaire) ou décourageant la détention monétaire (fonte monétaire) a pour objet de favoriser la dynamisation des échanges locaux. Des crédits octroyés pour la création d’activités au niveau local permettent de créer des circuits locaux. Renforcer l’inclusion sociale permet aussi de dynamiser les échanges, en proposant des moyens de solvabilisation supplémentaires aux particuliers, par le microcrédit ou par le crédit mutuel.

L’Accorderie, un accès au crédit privilégié

L’Accorderie a atteint une taille suffisante (en nombre de membres), même si les échanges pourraient être plus dynamiques, compte tenu de la diversité de ses offres (Fare, 2009-2010). Elle recense ainsi plus de 1 000 accordeurs et 700 offres de services. La majorité des accordeurs interrogées (54,3 %) réalisent au moins un échange par mois – en moyenne 1,22 échange par mois et par accordeur – et 20,5 % réalisent plus de 20 échanges par an. La moyenne se situe à 27 heures par accordeur et par an. Les caractéristiques socioéconomiques (âge, catégorie socioprofessionnelle…) de ses membres sont extrêmement diverses, diversité qui favorise les échanges de services, grâce à deux modalités d’accès au crédit. D’une part, de façon intrinsèque, dans la mesure où il s’agit d’un système de crédit automatique, gratuit et mutuel. Ce crédit en temps peut être obtenu à travers les trois types d’échange : individuel, collectif, associatif. Les volets collectif  [7] et associatif [8] permettent ainsi d’injecter un supplément de monnaie en circulation, ce qui a pour objectif de favoriser et de renforcer les échanges entre les membres. L’Accorderie permet à ses membres non seulement un accès au crédit, mais aussi une certaine substitution des échanges. La monnaie étant créée dans l’échange, par le crédit et le débit simultanés des comptes des personnes l’ayant réalisé, il n’est pas nécessaire que la personne demandeuse dispose préalablement de monnaie. Les individus peuvent ainsi épargner de l’argent pour couvrir d’autres besoins ou pour améliorer leur quotidien : « Moi, j’ai trouvé là quelque chose qui me convient et qui améliore énormément ma vie, mes conditions de vie. J’irais pas chercher ces services-là parce que j’aurais pas moyen de les avoir » (X). En effet, 41,8 % des personnes interrogées payaient quelqu’un pour obtenir le service quand elles n’étaient pas accordeurs. Grâce à l’Accorderie, elles font des économies (pour 81,1 % d’entre elles) et gagnent donc en pouvoir d’achat : 69,5 % obtiennent des services qu’elles ne pouvaient pas se permettre d’acheter.

D’autre part, l’Accorderie accorde des crédits solidaires, essentiellement pour la consommation, à un taux préférentiel de 4,5 % et pour un montant maximum de 1 200 dollars, les établissements bancaires québécois n’accordant des crédits qu’à partir de 5 000 dollars, car en dessous de cette somme les individus utilisent d’ordinaire leur carte de crédit… sauf s’ils n’en possèdent pas. Les prêts ne sont pas octroyés en monnaie interne, mais en monnaie nationale, donc l’effet en termes de dynamisation des échanges à l’intérieur du réseau Accorderie est nul. L’objectif de ces prêts est de pallier un défaut d’accès aux crédits bancaires pour les exclus et de répondre ainsi à un besoin non satisfait par le marché ou l’Etat (solvabilisation).

La participation au groupe d’achat permet par ailleurs aux accordeurs d’obtenir des produits de qualité (parfois biologiques, équitables ou locaux), qui deviennent accessibles grâce à un coût plus faible (de 10 à  50 %) obtenu par l’achat groupé auprès de grossistes ou de producteurs.

Partant des théories sur les réseaux sociaux, l’Accorderie semble plutôt créatrice de « liens faibles » (Granovetter, 1973) ou de liens ouverts, c’est-à-dire ceux qui apportent le plus de bénéfices en termes d’intégration, de ponts, d’information, etc. Cela peut d’ailleurs s’illustrer par l’obtention d’informations diverses (« bons plans », etc.), voire l’insertion dans de nouveaux réseaux, comme en témoigne l’implication des accordeurs dans d’autres actions locales, ou encore par l’acquisition de compétences, utiles ou non à l’insertion professionnelle (50,3 % des accordeurs interrogés considèrent qu’ils ont acquis des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être favorables à leur insertion professionnelle et 70,4 % qu’ils ont acquis des compétences) : « C’est un genre de contact, dans le sens où ça m’a permis d’avoir une autre offre d’emploi dans une autre organisation parce que j’étais impliqué ici. Ça apporte une validation sociale » (Q).

Le SOL, une ampleur insuffisante et des outils de dynamisation à développer

Dans le SOL, le volume des échanges semble relativement plus faible. D’un point de vue quantitatif, on constate que pratiquement la moitié des solistes interrogés (45,6 %) n’utilisent leur carte SOL que quelquefois dans l’année, et 27,8 % jamais. Deux explications semblent motiver cette faible utilisation. D’une part, certaines personnes vont adhérer au SOL par proximité cognitive, mais ensuite, pour différentes raisons qui peuvent être liées à un éloignement géographique par rapport aux prestataires du réseau SOL ou à un manque de communication, elles ne vont que peu ou pas du tout utiliser leur carte. D’autre part, le manque d’offres au sein du réseau semble expliquer, dans une large mesure, la faiblesse des échanges. Le SOL alpin recense en effet 620 solistes actifs (c’est-à-dire détenant une carte active) pour 1 000 cartes distribuées et 22 prestataires. Ainsi, pour 91,7 % des personnes répondantes, la gamme de biens et services disponibles en SOL est trop limitée, et ils sont 98,9 % à souhaiter que le réseau SOL se développe. Cela se confirme par le montant des échanges en SOL, avec pour 76,6 % des solistes moins de 100 euros échangés par an et pour 58,5 % moins de 30. Au regard des dépenses totales, celles effectuées en SOL semblent donc non significatives.

Du point de vue du développement d’outils monétaires de dynamisation, la mise en oeuvre concrète de la fonte du SOL alpin est prévue dans les objectifs 2011-2013 : il est donc actuellement impossible d’évaluer les effets de dynamisation par la fonte. Les volets SOL affecté et SOL temps constituent les deux leviers mobilisables pour lutter contre la pauvreté et appuyer socialement les grandes politiques environnementales qui s’annoncent. Ils permettraient de développer le volet redistributif du SOL et lui donneraient un nouveau souffle, susceptible d’accroître son nombre d’acteurs et sa diversité.

La transformation des pratiques, des modes de vie et des représentations sociales

La troisième potentialité des monnaies sociales en termes de développement soutenable porte sur le changement des pratiques, des modes de vie et des représentations sociales. La mise en place d’une monnaie sociale induirait en effet de nouvelles pratiques, en transformant les valeurs et les représentations et en orientant les modes de vie, de consommation et de production dans un sens plus soutenable. Elles seraient, dans ce cadre, des vecteurs de transformation, voire de rupture, vis-à-vis du modèle de croissance. Le développement soutenable nécessite des changements, à la fois dans les pratiques quotidiennes et dans les représentations sociales. Le rapport Brundtland souligne ainsi le besoin de « changements dans les attitudes, les valeurs sociales et les aspirations » (Cmed, 1987).

En déconstruisant les représentations sociales, en sensibilisant aux enjeux du développement soutenable, en instaurant de nouveaux rapports socioéconomiques et de nouvelles pratiques de consommation, les monnaies sociales pourraient avoir un impact direct sur l’apparition d’une forme de citoyenneté écologique. On s’interrogera ici sur leur capacité à favoriser l’émergence d’un nouveau paradigme, celui du développement soutenable, et donc à conduire à des changements plus globaux par l’apport de solutions novatrices.

A l’Accorderie : développer des pratiques plus soutenables

L’apport de l’Accorderie est essentiellement relatif à la sensibilisation des accordeurs aux enjeux sociaux et environnementaux. Elle promeut en effet un mode de consommation plus soutenable en favorisant le partage des biens (co-voiturage, location d’équipement, etc.) et leur réparation par l’échange de services entre les membres. Ainsi, 88 % des personnes interrogées considèrent que l’Accorderie favorise le recyclage et le partage des biens et 87,9 % estiment qu’elle oriente les modes de consommation et de production dans un sens plus soutenable. Si 86,7 % d’entre elles pensent que l’Accorderie contribue à une société plus respectueuse de l’environnement, c’est aussi parce qu’elle met en place des événements sensibilisant les accordeurs sur des sujets sociaux ou environnementaux (projection de films sur les OGM, l’environnement, l’alimentation, la monnaie, etc. ; ateliers sur la consommation responsable, le recyclage, le compost, la fabrication de semences, etc.).

L’un des effets les plus significatifs semble l’accès à des produits de qualité par le biais du groupe d’achat. De très nombreux produits sont disponibles, dont certains sont biologiques ou locaux, et le café est systématiquement équitable : « Moi, personnellement, quand j’ai commencé à participer au groupe d’achat, moi, la préoccupation du bio, puis tout ça, je l’avais pas, je me suis sensibilisé à la nourriture biologique, puis maintenant j’en achète là. […] Moi, ça m’a conscientisé, j’avais pas une très très grande préoccupation par rapport à ça, mais […] ça m’a amené à avoir […] une consommation plus bio, plus écolo, que j’avais pas avant » (S). Les accordeurs sont 62,1 % à considérer que l’Accorderie leur a permis d’accéder à une meilleure qualité de vie alimentaire ; 74,2 % d’entre eux estiment qu’ils consomment de manière plus respectueuse de l’environnement et 56,6 % qu’ils consomment moins : « Il faut arrêter de surconsommer et tout ça, c’est un peu comme ça que je vois ça, acheter usagé, réparé, ici, c’est possible, c’est bien » (T).

Le SOL : développer la consommation soutenable

Concernant le changement des pratiques des particuliers, le SOL éco tend à promouvoir la consommation responsable. Il s’agit d’un outil individuel de fidélisation (Seyfang, 2006), qui cherche plutôt à orienter les pratiques de consommation en promouvant un certain type de production et de consommation dit plus responsable, comme le commerce équitable, l’agriculture biologique et les énergies renouvelables. Les SOL récompensent donc un comportement d’achat responsable (Fare, 2011a).

Le SOL est ainsi une forme positive de consumérisme politique (Friedman, 1996), puisqu’il vise à valoriser positivement l’acte de consommation en soutenant et en favorisant des entreprises qui respectent des critères sociaux et environnementaux. Pour la majorité des solistes, l’acte de consommer constitue en soi un acte de citoyenneté ou un acte politique : « Un acte de consommateur, c’est un acte politique, faut toujours avoir un projet politique, une conscience politique derrière quand on a un acte de consommateur. On a une force en tant que consommateur qui est assez énorme, […] on peut peser très lourd, quand collectivement on mène des actions » (D). Ainsi, 93,6 % des solistes soulignent que le SOL favorise une consommation plus éthique ou plus respectueuse de l’environnement. Plus globalement, en termes de « citoyenneté écologique » (Seyfang, 2009), 84,8 % estiment que le SOL permet d’avoir un mode de vie plus respectueux de l’environnement.

Plusieurs avantages résultent de la mise en place du SOL pour les divers acteurs, puisque la monnaie, en tant que lien entre producteurs et consommateurs, permet l’instauration d’un rapport de confiance limitant l’incertitude. Le « consom’acteur » peut réduire ses coûts de collecte de l’information, car en consommant dans ces structures, il a la garantie qu’elles respectent un certain nombre de critères. En ce sens, le SOL peut représenter un label, c’est-à-dire un dispositif cognitif permettant de déléguer et de faciliter les choix des consommateurs dans l’offre disponible (Cochoy, 2004). Ainsi, selon 89,7 % des solistes interrogés, le SOL est un label pour l’ESS et le développement soutenable : cela devrait permettre aux structures de fidéliser leur clientèle. Cet effet de fidélisation demeure néanmoins marginal, compte tenu de la faiblesse du nombre de structures et de solistes, mais aussi du manque de lisibilité du SOL.

Déconstruction des représentations sociales

A l’Accorderie, tout d’abord, la comptabilisation en temps permet d’instaurer de nouvelles pratiques, en modifiant les règles de l’économie conventionnelle. Cela permet de développer des valeurs telles que l’égalité et la solidarité et de reconsidérer la valeur travail et les richesses. L’Accorderie donne une visibilité aux activités et aux compétences non comptabilisées par l’économie conventionnelle, comme les activités domestiques ou le travail bénévole. Elle pose aussi un strict principe d’égalité, c’est-à-dire qu’une heure est égale à une heure quels que soient l’activité fournie et le statut social de la personne. Il s’agit d’une valeur fondamentale pour l’Accorderie, qui a une position totalement inflexible sur la négociation de la valeur de la monnaie. Ce principe visant à reconnaître les capacités et la contribution sociale de chacun est généralement bien perçu par les accordeurs. Ainsi, 96,4 % des personnes interrogées considèrent que l’Accorderie reconnaît les capacités de chacun, 91,9 % qu’elle promeut d’autres valeurs, telles que l’égalité et la solidarité, et 79,6 % qu’elle valorise des compétences ou des savoir-faire non reconnus par l’économie réelle.

Qu’il s’agisse des motivations d’adhésion, des effets ou de la vision de l’Accorderie, les personnes interrogées ont placé cette dimension au premier rang. Par exemple, la deuxième motivation d’adhésion consiste à « mettre en avant un système économique alternatif » et la troisième à « promouvoir d’autres valeurs, telles que la solidarité et l’égalité ». Leur motivation d’adhésion se trouve confortée par leur vision de l’Accorderie, puisque selon 96,4 % des accordeurs elle développe effectivement un système économique alternatif et que pour 95,8 % d’entre eux elle favorise une autre conception du développement. De plus, 87,1 % estiment qu’être accordeur, c’est réfléchir à la construction d’une autre société. Nous sommes donc en présence d’un réseau socioéconomique d’entraide qui partage des valeurs solidaires ancrées dans le développement soutenable (tant du point de vue de la solidarité que de l’environnement) : « Il faut des alternatives pour briser les structures préétablies. Ici c’est pour comprendre quelque chose, que le système capitaliste est stérile. C’est une prise de conscience qu’un autre monde est possible » (U).

Pour le SOL, la déconstruction des représentations s’ancre d’abord dans une meilleure visibilité des pratiques de l’ESS et du développement soutenable. Les résultats, tant du point de vue des motivations d’adhésion et des retombées que de la vision que les solistes ont du SOL, attestent de la prégnance de cette dimension. En effet, les items s’inscrivant dans la transformation des représentations et, plus globalement, dans la transformation sociétale sont ceux qui ont obtenu le plus d’adhésion : 92,5 % des solistes interrogés estiment que le SOL favorise une autre vision du développement, 90,9 % considèrent qu’il permet de mettre en pratique un idéal fondé sur des valeurs différentes de celles de l’économie capitaliste et 81,8 % qu’il permet de réfléchir à la construction d’une autre société.

Néanmoins, si le potentiel du SOL en tant qu’outil de transformation des représentations sociales est important, cela doit aussi mener à une transformation des pratiques, c’est-à-dire, in fine, à traduire les idées dans les faits. Or, ce n’est pas réellement le cas. De plus, le SOL n’est pas parvenu à sensibiliser un public plus large. Il apparaît, enfin, un manque de dimension collective, pourtant indispensable pour créer un réseau actif et développer les solidarités entre les différents acteurs.

Conclusion

Territorialisation des activités, dynamisation des échanges, transformation des pratiques et des représentations sociales : ces trois dimensions portent en germe un projet de transformation sociale. Les monnaies sociales contribuent à mettre en relation les acteurs du territoire et invitent à une appropriation des enjeux économiques, sociaux, politiques et environnementaux. Nos enquêtes révèlent que l’Accorderie a créé une communauté locale solidaire, fondée sur la réciprocité et le don et médiatisée par l’usage d’une monnaie commune. Cette communauté lutte contre l’exclusion et la pauvreté en offrant des moyens de solvabilisation supplémentaires à ses membres, non seulement par l’accès au crédit mutuel et gratuit, mais aussi par le biais des crédits solidaires. Elle constitue un lieu d’intégration et de socialisation, mais aussi de valorisation personnelle. L’Accorderie promeut également une « citoyenneté écologique », en favorisant le partage des biens et la consommation soutenable. Enfin, elle transforme les représentations sociales en valorisant les compétences de chacun par la mise en place de principes égalitaires, ce qui permet de mieux appréhender le principe d’équité intra et intergénérationnelle au coeur du développement soutenable.

Le SOL alpin présente des potentialités au regard de la territorialisation des activités, de la dynamisation des échanges et de la transformation des pratiques, mais sa petite taille le pénalise fortement. S’il promeut la consommation soutenable en récompensant les actes de consommation auprès de structures respectant des critères de soutenabilité, il ne parvient pas à s’étendre au-delà d’une niche d’acteurs déjà sensibilisés aux enjeux du développement soutenable et à l’ESS, ni à accroître les échanges en son sein. Il n’est pas encore parvenu à susciter une dynamique d’appropriation collective ni une communauté véritablement solidaire. La consommation individuelle domine. L'une des possibilités pour renforcer son impact serait de développer les volets SOL affecté et SOL temps, afin de faciliter les relations entre les membres, d’inclure une plus forte diversité de parties prenantes et de développer ses dimensions collectives (gouvernance, communauté, etc.). Le SOL a sans doute souffert d’un manque d’appropriation local, lié à une gouvernance centralisée dans la phase d’expérimentation, et l’absence de diversité des structures n’a pas conduit à créer des habitudes d’utilisation de la carte. Néanmoins, il met en exergue des fonctionnements économiques alternatifs et, par ce biais, il impacte positivement les représentations sociales. Les nouvelles perspectives ouvertes par la mise en place de la fonte, le développement d’un SOL papier (billet), l’intégration de nouveaux prestataires, le développement du SOL affecté et du SOL temps ainsi que la gouvernance associative locale du SOL augurent une dynamique nouvelle, qui gagnerait à être évaluée dans les prochaines années.

Généralement, les monnaies sociales constituent des dispositifs jeunes, par comparaison avec le temps long de l’appropriation monétaire. Des études d’évaluation doivent encore être réalisées, notamment sur des dispositifs de monnaie locale qui tendent à atteindre une taille pertinente et des impacts économiques plus visibles, comme le Chiemgauer, en Allemagne, ou la monnaie palma de Fortaleza, au Brésil. Si les monnaies sociales peuvent être des outils au service du développement local soutenable, l’enjeu consiste à déterminer les conditions pertinentes de leur implantation, de leur acceptabilité et de leur échelle d’action. Un seul type de monnaie ne peut répondre à tous les enjeux du développement local soutenable, ce qui constitue un argument solide en faveur de la mise en oeuvre du principe de subsidiarité monétaire (Fare, 2011b). Cependant, nous ne saurions prétendre que la mise en oeuvre des monnaies sociales constitue le remède exclusif, ni d’ailleurs suffisant, pour mener au développement local soutenable, mais plutôt qu’elles pourraient s’inscrire dans des programmes de transition de réformes structurelles et globales, au sens où elles s’intègrent parfaitement dans des programmes de planification et d’aménagement des territoires. Mais cela ne peut être déconnecté d’une réflexion plus globale sur la taille pertinente des territoires, sur leur autonomie et sur leur fonctionnement démocratique.