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Le paysage de la coopération agricole française a fortement évolué depuis les années 90. Afin d’en saisir les principales mutations, le système statistique français (Insee et service de la statistique et de la prospective [SSP]) mène différentes enquêtes nationales. L’analyse conduite sur les données recueillies a soulevé certaines difficultés méthodologiques relatives à la mesure des groupes (liens financiers) et à l’analyse du contrôle des entreprises (renforcée par la spécificité des entreprises de droit coopératif, tout particulièrement dans le cas du contrôle joint). Cela nous a amenés à définir une méthodologie liée à l’appréciation du « périmètre coopératif », c’est-à-dire « l’ensemble des entreprises à statut coopératif et des entreprises à statut non coopératif qu’elles contrôlent, seules ou à plusieurs » (Agreste, 2009b). Cette appréciation de la complexité organisationnelle des entreprises coopératives a permis de révéler une partie importante de l’iceberg. En conséquence, les difficultés méthodologiques ont conduit à soulever une série d’interrogations sur la réalité de la coopération agricole française. Or, même au niveau européen, il n’existe pas aujourd’hui un appareil statistique satisfaisant permettant de saisir les évolutions en cours, qui impactent non seulement les filières, mais également les territoires (DG Agri, 2011). Cette absence est d’autant plus regrettable que, selon Coop de France, trois agriculteurs sur quatre sont en coopérative, et le chiffre d’affaires cumulé de la coopération agricole française s’élève à 82,8 milliards d’euros en 2011 (Coop de France, 2011). Aussi, la coopération agricole fait montre d’une présence dynamique et structurante, tant pour les filières que pour les territoires.

L’objet de cette communication est d’analyser les mutations majeures des coopératives agricoles éclairées par les statistiques françaises, afin d’en comprendre les motivations et de voir en quoi la course à la taille les conduira à poursuivre leurs évolutions organisationnelles. Ces dernières font état d’évolutions différenciées en fonction du type de produit concerné, distinguant nettement le secteur de la transformation de celui du commerce de produits. Au cours des cinq dernières années, les partenariats se sont diversifiés dans le cas des alliances stratégiques, notamment entre les coopératives et les entreprises non coopératives. L’analyse des partenariats entre les coopératives et les sociétés de droit commercial montre qu’ils tendent à déboucher sur des alliances complémentaires, les coopératives agricoles apportant leurs ressources et leurs compétences liées à la maîtrise de l’amont et le partenaire industriel fournissant sa compétence sur l’outil de transformation, mais également sur les circuits de commercialisation. Cette diversification des partenaires incite à poursuivre la réflexion sur l’exercice du pouvoir des sociétés et des frontières actionnariales des groupes. Aussi les travaux engagés au niveau européen avec le statut de coopérative européenne (SCE) de 2006 ou au niveau américain avec une typologie des familles coopératives (Cook, Chaddad, 2004 ; Cook, Chambers, 2008) soulignent-ils le besoin de développement de nouvelles formes sociétales, qui concilient une propriété du capital aux mains des adhérents-propriétaires avec la recherche de fonds propres et de moyens financiers suffisants, les alliances n’étant en fait que des réponses partielles aux pressions concurrentielles. Autrement dit, les contraintes institutionnelles et de marché encouragent l’apparition de nouveaux modèles organisationnels. Comment les statistiques rendent-elles compte ou non de ces mutations ?

Dans un premier temps, nous étudierons les évolutions des coopératives agricoles à partir des bases de données, puis nous verrons que les coopératives agricoles ont développé des alliances entre elles afin de faire face aux transformations de leur environnement économique. Enfin, nous présenterons les nouveaux partenariats mis en place par les coopératives agricoles pour répondre à la volatilité des prix des matières premières et à la pression concurrentielle, ainsi que les moyens utilisés pour attirer les investisseurs extérieurs. Ces évolutions interrogent ainsi la possibilité du système statistique à les saisir et à en rendre compte.

Faits stylisés : des recompositions au sein du périmètre coopératif

Les statistiques françaises révèlent que le périmètre coopératif s’est considérablement transformé depuis les années 90 (Agreste, 2009b). Elles permettent d’établir certains faits stylisés [2], tout en soulevant des limites liées à la difficulté de prise en compte par les bases de données des entreprises de droit coopératif. Dès lors, des sources de données complémentaires s’avèrent indispensables pour mieux appréhender la coopération agricole.

D’une part, l’approche du périmètre coopératif mobilise les enquêtes statistiques d’entreprises classiques : « Enquête annuelle d’entreprise » (EAE), « Liaisons financières » (Lifi), auxquelles s’ajoute l’enquête « Petites coopératives agricoles et forestières ». Les données qui en ressortent sont nettoyées pour former la base constituée par le SSP sur les coopératives agricoles pour 1995, 2000 et 2005. L’intérêt de cette base est de dénombrer de manière exhaustive, quelle que soit leur taille, les coopératives agricoles des industries agroalimentaires et du commerce de gros de produits agricoles et agroalimentaires, en s’appuyant sur l’ensemble des enquêtes recensant les coopératives agricoles tous les cinq ans (Agreste, 2009a). Les coopératives agricoles relevant d’autres secteurs d’activité (autre commerce de gros, services, industrie, agriculture…) sont également ajoutées, via l’EAE ou l’enquête Lifi. En 2005, cela correspond à 192 coopératives et à 3 223 salariés.

D’autre part, une approche complémentaire se révèle nécessaire pour étudier les différents mouvements de fusion-acquisition incluant des coopératives agricoles, avec pour chaque opération une évaluation du chiffre d’affaires acquis ou cédé. Cette nécessité est liée au développement de bases de données privées de type Coop de France, qui permet d’avoir des statistiques récentes sur les mouvements en cours.

Enfin, le top 100 des coopératives agricoles françaises est analysé, à partir des rapports annuels et de la base de données Diane (Eurostaf, 2010). Ces différentes sources permettent d’établir certains faits stylisés que nous rappelons ci-après. Elles s’avèrent complémentaires pour rendre compte d’une réalité économique fortement évolutive.

Les évolutions des entreprises coopératives agricoles

Suivant la tendance observée dans l’agriculture française, qui a vu le nombre d’exploitations agricoles passer de 2,3 millions en 1955 à 507 000 à la fin de l’année 2007 (Agreste, 2008), le nombre de coopératives agricoles décroît de façon constante depuis les années 60 (tableau 1, en page suivante). Or cette décroissance masque en réalité une concentration du pouvoir économique.

Tableau 1

Evolution des coopératives agricoles, 1965-2011

Evolution des coopératives agricoles, 1965-2011
Sources : (1) Service central des enquêtes et études statistiques (Scees) ; (2) Coop de France

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Le développement des coopératives sous forme de groupes d’entreprises

La filialisation des groupes coopératifs s’est amorcée de manière significative à la suite des lois de modernisation de 1991 et de 1992, qui ont entraîné des reconfigurations importantes, notamment avec la transformation de nombreuses sociétés d’intérêt collectif agricoles (Sica) [3] en filiales de droit commercial. Parallèlement, au sein du périmètre coopératif, le nombre de groupes coopératifs a fortement augmenté, s’élevant de 68 en 1990 à 392 en 2005. L’ampleur du phénomène est clairement visible dans les statistiques nationales, lorsque l’on mobilise la notion de périmètre coopératif (Agreste, 2009b).

Sur la même période, la place de la coopération agricole dans l’économie française s’est accentuée, avec une croissance d’environ 50 % de l’effectif salarié total, passant de 109 686 salariés en 1995 à 152 443 en 2005, et avec un chiffre d’affaires cumulé qui a augmenté de façon constante. Cependant, le fait le plus remarquable est le basculement de l’activité menée par les coopératives dans les filiales de droit commercial (figure 1, en page suivante). Alors que les salariés des filiales de coopératives représentaient 33 % des effectifs totaux en 1995, ils représentaient 54 % en 2005. Par ailleurs, 84 % des effectifs salariés de la coopération agricole en 2005 étaient dans les groupes coopératifs.

L’appariement des bases de données Lifi et EAE, combiné avec l’enquête « Petites coopératives agricoles et forestières », permet ainsi de caractériser le périmètre coopératif de manière précise. Cependant, cela n’est possible que tous les cinq ans, étant donné que « Petites coopératives » est une enquête exhaustive, mais quinquennale. Cette enquête a été rééditée par le SSP en 2010, mais, malheureusement, les données qui seront communiquées ne seront plus exhaustives, car un cinquième des petites coopératives aura été effectivement enquêté dans le cadre de l’enquête « Elaboration des statistiques annuelles d’entreprise » (Esane) ([4]). Il ne sera donc pas possible de réaliser les mêmes traitements que pour les années 1995, 2000 et 2005.

Figure 1

Une forte extension du périmètre coopératif entre 1995 et 2005

Une forte extension du périmètre coopératif entre 1995 et 2005
Souce : enquête Insee-Lifi et Insee-Sessi-SSP-EAE 1995, 2000, 2005

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La concentration des coopératives agricoles depuis 2000

Pour compléter le dispositif mis en place à partir des bases de données Lifi et EAE, nous pouvons étudier les mouvements de fusion-acquisition qui impliquent des coopératives agricoles en mobilisant la source d’information de Coop de France. Ainsi, depuis 2000, d’après les éléments recueillis, nous pouvons voir que la concentration des coopératives agricoles s’est accélérée, en partie à travers des mouvements de fusion-acquisition. Comme le montrent les chiffres de Coop de France (Coop de France, 2010), il y a eu 957 opérations de fusion-acquisition impliquant des coopératives agricoles entre 2000 et 2010, dont 45 % ont été réalisées avec des entreprises privées (figure 2, en page suivante).

En 2000, 2001 et 2002, les coopératives ont réalisé certaines opérations majeures, comme la reprise de Béghin Say par SDA (devenu plus tard Tereos) et des Grands Moulins de Paris. Entre 2003 et 2007, il n’y a pas eu d’acquisitions majeures. En 2007 et 2008, le nombre d’opérations et la valeur des transactions ont augmenté, notamment avec la reprise d’Evialis par InVivo. Au total, entre 2000 et 2010, la balance est largement positive pour les coopératives, avec un gain de chiffre d’affaires de 9,4 milliards d’euros (figure 3, en page suivante). Compte tenu de ces mouvements considérables, le besoin de combiner différentes sources de données statistiques s’impose pour avoir une vision plus précise de la réalité.

Les enseignements à partir des rapports annuels et de Diane

Afin d’avoir des informations récentes sur les coopératives agricoles, la réalisation du top 100 des coopératives agricoles nécessite de recourir à des rapports annuels des coopératives et de la base de données Diane (Eurostaf, 2010 ; voir annexe 1). Pour construire ce palmarès, il a été décidé de ne prendre que les coopératives, unions et Sica dans leur ensemble (comptes consolidés ou combinés pour les unions). Nous avons également choisi de laisser de côté les centrales d’achat, d’approvisionnement et les unions de commercialisation de céréales (hormis InVivo), afin d’éviter le risque de double comptage. Le top 100 est réalisé à partir des chiffres d’affaires consolidés (ou combinés pour les unions), qui permettent d’appréhender à la fois l’activité de la coopérative mère et celle de ses filiales. Le développement des groupes coopératifs est tel qu’il faut désormais travailler sur les chiffres consolidés, afin de ne pas minimiser le poids important qu’ont pris les filiales au cours des deux dernières décennies (tableau 2).

Figure 2

Nombre d’opérations de fusion-acquisition réalisées par les coopératives agricoles entre 2000 et 2010

Nombre d’opérations de fusion-acquisition réalisées par les coopératives agricoles entre 2000 et 2010
Source : Coop de France, 2010

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Figure 3

Volume de chiffre d’affaires (en millions d’euros)

Volume de chiffre d’affaires (en millions d’euros)
Source : Coop de France, 2010

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L’étude du top 100 nous permet de rendre compte du mouvement de concentration opéré au sein des groupes coopératifs leaders de la coopération agricole française. La concentration en chiffre d’affaires (CA) est assez forte, puisque les cent premiers groupes coopératifs génèrent plus de 68 % du CA total de la coopération en 2009. Comparativement, en 2006, ils en représentaient seulement 57 %. Par ailleurs, le poids économique des groupes faisant plus de 1 milliard d’euros a augmenté de près de 48 % par rapport à 2006, traduisant le net mouvement de concentration qui s’opère depuis quelques années dans la coopération agricole.

Le nombre de coopératives agricoles ayant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros a augmenté par rapport à 2006 (16 groupes en 2009, contre 13 en 2006), ce qui traduit de forts mouvements de concentration parmi les leaders. Or ces évolutions révèlent une trajectoire orientée vers la recherche d’une taille critique, tout en soulignant la constance des mutations en cours. Le besoin de données permettant de mesurer ces évolutions pose la question de la prise en compte des relations financières au sein de ces entreprises de droit coopératif.

Tableau 2

Structure industrielle du top 100 en 2009 et comparaison avec 2006

Structure industrielle du top 100 en 2009 et comparaison avec 2006
Source : Eurostaf, 2010

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Des difficultés dans la prise en compte des alliances et des liens minoritaires pour les années 2003 et 2005

Si les coopératives agricoles s’organisent sous forme de groupes coopératifs en se filialisant de plus en plus dans des sociétés de droit commercial, elles développent également de manière importante des liens capitalistiques minoritaires ou en contrôle partagé. Les statistiques nationales révèlent deux caractéristiques, à savoir l’effet de la taille et l’influence de la proximité géographique. Cela conduit à renforcer le développement de l’hybridation des statuts juridiques. Or ce phénomène pose certaines difficultés, dans le cadre du droit coopératif, pour les statistiques traditionnellement disponibles et nécessite dès lors de combiner différentes sources de données.

La taille influence le développement des alliances

Les liens de contrôle partagé et minoritaire présentent la particularité d’être le plus souvent dirigés vers des entreprises faisant partie du périmètre de la coopération agricole. Les motivations à nouer des alliances pour les coopératives sont le plus souvent liées à la recherche de taille critique dans un contexte de capacités financières limitées (Perrot et al., 2001). Le but d’une coopérative étant de valoriser la production de ses adhérents, l’engagement sur activité apparaît donc comme une motivation première dans les alliances entre coopératives. Les partenariats entre coopératives se sont également accrus, tous secteurs d’activité et toutes zones géographiques confondus (Filippi et al., 2006). En couplant Lifi et EAE, on obtient des données sur les regroupements sous forme d’alliances.

En 2003, sur 204 groupes coopératifs recensés, 112 nouent des alliances entre eux, soit environ 55 %. Ces 112 groupes établissent 670 liens d’alliance, soit une moyenne d’environ six liens par groupe, qu’il s’agisse de groupes des IAA ou de groupes de commerce de gros. Cependant, il existe une forte hétérogénéité dans le nombre d’alliances nouées par groupe, le maximum étant de 48 (Filippi, Triboulet, 2011).

Ce sont les plus gros groupes qui nouent des alliances, avec 84 % des effectifs salariés et 79 % des entreprises contrôlées des groupes. Par conséquent, la taille du groupe tant sur le plan économique qu’organisationnel influence la capacité à en nouer. Cependant, l’absence de données sur les partenariats entre coopératives et sociétés de droit commercial fait actuellement défaut. Pour aller plus loin, il serait nécessaire de compléter cette dimension avec d’autres sources comme Diane ou une base mobilisant la presse, ce qui se fait pour d’autres types d’entreprise (entreprises du CAC 40, par exemple). Mais la principale difficulté est liée à la mise à disposition tardive (un, voire deux ans), ce qui rend difficile l’analyse des phénomènes. Seule une combinaison avec des données factuelles collectées dans la presse ou auprès des entreprises peut pallier cet écart.

L’influence avérée de la proximité géographique sur les partenariats

Les groupes coopératifs privilégient la proximité géographique quand ils cherchent à mettre en commun des moyens. Cela s’observe tant au niveau de la localisation de la société codétenue que de celle de la coopérative mère impliquée dans l’alliance. Les données statistiques des organismes nationaux permettent, par leur exhaustivité, de rendre lisibles cette influence de la proximité géographique et le jeu des alliances. Les sociétés codétenues sont dans plus de trois quarts des cas localisées dans la région d’au moins une des coopératives têtes de groupe qui contrôle, et dans plus de 60 % des cas dans le même département. Les groupes coopératifs qui nouent des alliances sont localisés pour 35 % dans la même région [5] et pour 37 % dans des régions contiguës. La proximité géographique apparaît ainsi comme une dimension importante, qui influence positivement la création de sociétés jointes. Les groupes coopératifs privilégient en effet les alliances entre voisins et localisent de manière préférentielle les sociétés jointes à proximité de leur siège respectif. Outre le rôle de la proximité, les traitements statistiques sur les données nationales ont permis de dégager deux autres traits marquants des alliances entre coopératives. Associée à l’influence positive de la taille du groupe (dimension économique et organisationnelle) sur sa capacité à nouer des alliances, on observe, surtout dans les IAA, la présence majoritaire de sociétés codétenues de droit commercial et du contrôle exclusif au détriment des unions et des formes de contrôle partagé (Filippi, Triboulet, 2011).

Un phénomène complexe : l’hybridation des statuts juridiques

Traditionnellement, en effet, les sociétés codétenues par les coopératives étaient des unions dans lesquelles le contrôle était partagé entre les coopératives (Koulytchizky, Mauget, 2003). Or cette forme devient largement minoritaire dans les alliances nouées entre les groupes coopératifs. Les sociétés codétenues sont, d’une part, pour trois quarts des entreprises de droit commercial et, d’autre part, majoritairement (65 % des cas) sous contrôle exclusif. Les alliances en contrôle partagé dans des unions de coopératives ou en contrôle exclusif via une Sica traditionnellement observées dans la littérature (Filippi et al., 2006) font place de plus en plus souvent aux alliances dans des sociétés de droit commercial, avec une prédominance des formes de contrôle exclusif par une des coopératives.

L’activité principale des sociétés codétenues présente une grande diversité : si environ la moitié des entreprises a une activité en IAA ou en commerce de produits agricoles ou alimentaires, l’autre moitié exerce des activités de services aux entreprises (administration, recherche et développement [6], services annexes à la production) ou d’autres activités (agriculture, produits chimiques, transport, immobilier, finance…). Cependant, les entreprises codétenues du secteur des IAA représentent 68 % de l’ensemble des salariés des sociétés codétenues (Agreste, 2009b). Inversement, le poids en effectif salarié des entreprises des secteurs des services aux entreprises et des autres activités est très faible. Ainsi, les moyens mobilisés par les coopératives sont majoritairement engagés pour favoriser leur insertion vers l’aval, dans une logique d’intégration des filières.

Les alliances entre coopératives couvrent des domaines variés, mais restent marquées par le poids dominant des activités de transformation orientées vers le développement à l’aval des filières. Par contre, les formes de contrôle des sociétés codétenues semblent relativement homogènes, quel que soit le secteur d’activité.

Course à la taille dans les nouvelles formes d’alliance depuis 2005

Suite aux lois de 1991 et de 1992, les coopératives ont peu à peu muté sous forme de groupes coopératifs. Accompagnant ce phénomène, le recours à des sociétés holdings s’est accentué. A l’aval des filières, la concentration des coopératives agricoles s’exprime avec la création de sociétés holdings « mutualisées » et l’ouverture du capital des holdings à des investisseurs extérieurs. Mais l’amont est aujourd’hui également concerné. Dès lors, les liens financiers et de contrôle restent toujours aussi difficiles à appréhender, ce qui nécessite de développer les collaborations entre organismes pour mieux saisir les phénomènes en émergence, y compris les mouvements à l’international. Certaines informations sont en effet révélées par des données économiques et financières uniquement disponibles dans la presse.

La recherche de fonds propres : une motivation puissante

C’est la recherche de fonds propres qui a conduit les groupes coopératifs à modifier de façon importante leur organisation à l’aval. Avec les structures holdings, une séparation se fait entre l’amont, dédié aux activités avec les adhérents, et l’aval, tourné vers la valorisation des produits. Le recours aux holdings permet de favoriser le développement de partenariats financiers, mais aussi avec des entreprises de droit commercial. La coopérative mère a besoin de fonds propres, mais les contraintes statutaires peuvent rebuter pour un financeur extérieur, et ses moyens s’en trouvent donc limités. La holding permet de mobiliser toutes les formes de capitaux extérieurs possibles, afin de financer les investissements ou encore le développement des filiales. Les holdings « rassurent » les investisseurs extérieurs, comme les banques, tout en laissant un pouvoir de décision à la coopérative mère. Or de nombreux groupes coopératifs composant le top 100 ont une ou plusieurs sociétés holdings. Dans certains cas, une seule holding détient toutes les participations dans les filiales ; dans d’autres, il y a une holding par filière. Champagne Céréales et Tereos ont poussé le système encore plus loin en s’associant à d’autres coopératives dans une holding détenant toutes les participations dans les outils de transformation (Siclae pour Champagne Céréales, Tereos international pour Tereos). Ces informations proviennent de Diane ou de la presse et confirment le besoin de bases de données.

L’information sur les entreprises est souvent nominative et pose la question de sa collecte et de son traitement. Par exemple, afin d’impliquer davantage leurs adhérents, Agrial, Epis-Centre et les coopératives actionnaires de Siclae ont décidé d’ouvrir le capital de leur holding à leurs adhérents et à leurs salariés. L’ouverture du capital des filiales via une prise de participation dans une société holding présente certains avantages : en renforçant l’intérêt porté par les adhérents au développement des activités agroalimentaires, il devient possible de les associer plus directement à la création de valeur. De plus, cela permet une distinction entre un engagement sur activité par la prise de capital dans la coopérative, la prise de capital s’assimilant à une prise d’action pour ce qui concerne la filiale. Cette formule offre une opportunité de récupérer des dividendes et d’éventuelles plus-values lors de la vente.

Plusieurs grands groupes coopératifs ont fait appel à des fonds d’investissement publics ou privés depuis une dizaine d’années. Que ce soit suite à des difficultés de trésorerie (pour Sodiaal) ou pour accélérer leur croissance externe et le financement de l’innovation, les coopératives agricoles n’hésitent plus, désormais, à faire appel à des financements de ce type. Les fonds, qu’ils soient publics ou privés, interviennent toujours dans le capital d’une filiale. Les deux interventions récentes du Fonds stratégique d’investissement (FSI) dans les holdings de coopératives agricoles démontrent l’importance des besoins financiers de ces entreprises, mais permettent également de cautionner leurs politiques de développement. Or cette course à la taille est plus difficile à mettre en évidence dans les statistiques nationales.

Depuis quelques années, chez les coopératives agricoles, celle-ci ne s’illustre plus seulement à l’aval des filières, mais concerne également l’amont agricole. Cela requiert la mise en place d’un service d’information, voire d’une veille stratégique.

La course à la taille est également visible à l’amont

En réponse à la concentration croissante des fournisseurs d’intrants (en France, seuls deux industriels, Yara et GPN, dominent le marché des engrais azotés et un seul acteur, le groupe Roullier, contrôle largement le marché des engrais composés), nombre de centrales d’achat et d’approvisionnement ont vu le jour depuis 2006. Ces rapprochements entre coopératives ont pour objectif de regrouper les volumes d’achat de phytosanitaires, d’engrais et de semences en améliorant leur logistique, et ce pour en faire diminuer les coûts. Ces centrales d’achat sont donc destinées à optimiser les frais de fonctionnement de chaque coopérative, à renforcer les performances économiques des différentes structures, afin de travailler à l’accroissement de la rentabilité des exploitations agricoles. L’effet massification des volumes d’achat permet non seulement une meilleure négociation des prix, mais également un accès aux produits et à l’innovation, voire dans certains cas à des exclusivités, comme sur des produits permettant de réduire l’indice de fréquence de traitement. Au-delà du prix, les unions d’approvisionnement servent aussi à optimiser les moyens logistiques, avec parfois la fermeture ou la spécialisation en engrais ou en produits phytosanitaires de certains sites. Par ailleurs, on peut également noter une mutualisation au niveau des services, notamment l’agronomie, l’informatique, le bilan carbone ou encore la traçabilité. L’activité conseil a considérablement évolué, entraînant parallèlement la mutualisation de nombreux services entre coopératives.

Ces nouveaux types de partenariat, impliquant surtout des coopératives céréalières, sont difficiles à appréhender au niveau statistique. Il n’est pas vraiment cohérent de les intégrer dans le périmètre coopératif à cause des doubles comptes. Ces entreprises ne sont en effet généralement pas consolidées, car nombre de coopératives sont parties prenantes et aucune n’a la majorité des parts. Cette particularité montre l’intérêt que les organismes producteurs de données statistiques et les professionnels auraient à collaborer pour améliorer la prise en compte d’une information plus juste et pertinente.

En amont ou en aval, l’internationalisation croissante des coopératives agricoles risque également de poser des problèmes dans la collecte de données. Les liens financiers vers les pays étrangers sont en effet généralement mal pris en compte dans les bases de données nationales, notamment dans Lifi. Comme l’affirment Fontagné et Toubal (2010), Lifi « nous informe sur la détention de filiales à l’étranger (de premier rang seulement) » et « on ne dispose pas […] d’informations sur l’emploi à l’étranger, le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée, l’excédent brut d’exploitation, etc., des entreprises non résidentes […] contrôlées. Le “Lifi élargi”, combinant les informations de la Banque de France, de la Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE) et de l’Insee, avec des données Diane pour les groupes de petite taille, apporte des informations complémentaires ». Or si ce défaut d’information dépassait le seul cas des coopératives agricoles, pour ce type d’entreprise la mutualisation des outils de commercialisation via des filiales de deuxième ou de troisième rang accroît encore la difficulté de repérage. Ainsi, la nécessité d’harmoniser le recueil des données au niveau européen s’impose pour envisager la possibilité de réaliser des comparaisons entre pays.

En conclusion, pour une meilleure information économique sur la coopération agricole

L’activité des coopératives agricoles se situe dans un contexte très concurrentiel avec des entreprises de statut commercial. Cette évidence renforce le besoin de les comparer aux autres entreprises du secteur, pour mieux percevoir les performances et les spécificités. Pour les bilans des entreprises, la statistique recourt aux sources fiscales, qui ne sont pas disponibles pour de nombreuses coopératives. Cette disparité est préjudiciable : les acteurs de la coopération peuvent difficilement se comparer au secteur privé, et les tiers n’obtiennent pas une connaissance précise du secteur coopératif. Au moment où le système statistique des entreprises se réforme pour s’appuyer essentiellement sur les sources fiscales, il ne faudrait pas que l’information disponible sur les coopératives régresse. La poursuite de la course à la taille impose de continuer l’effort sur l’établissement de données statistiques permettant d’analyser les phénomènes à l’oeuvre et de rendre possibles les comparaisons entre les entreprises de droit coopératif et celles qui ne le sont pas. Le recours aux différentes sources de données statistiques permet de mettre en lumière l’importance des mutations des coopératives agricoles françaises. Si certains faits, comme la filialisation, sont avérés, le besoin de données fiables et récentes impose que les informations soient validées par un organisme centralisateur. En l’absence de données statistiques officielles ou d’un observatoire de la coopération agricole française, les différents producteurs de données devraient s’obliger à collaborer, pour compléter, valider ou invalider les chiffres disponibles sur la coopération agricole. L’année 2012 étant déclarée Année internationale de la coopération par l’ONU, espérons que cette publicité mette l’accent sur la nécessité à éclairer les spécificités du modèle économique coopératif par le recours à une information statistique reconnue et indiscutable.