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Le management d’une organisation et le contexte dans lequel celle-ci évolue sont reconnus comme deux aspects importants dans toute organisation. Peu d’études ont pourtant été réalisées sur la fonction managériale dans la situation particulière des entreprises sociales, ces structures qui combinent objectifs sociaux et impératifs économiques (Darbus, Lazuech, 2010). Le secteur de celles-ci vit actuellement d’importantes évolutions, ce qui accroît l’intérêt pour les thématiques du management d’entreprises sociales. Quelles sont les compétences nécessaires pour gérer une organisation de ce type ? Sont-elles différentes de celles observées dans le secteur privé classique ? Comment les déterminer pour ensuite les qualifier ? Etant donnée l’attention grandissante portée à la gestion des compétences dans toute entreprise, aborder ces questions par un tel angle paraît tout à fait approprié (Colin, Grasser, 2007 ; Jarnias, 2003).

L’objet de cet article est donc de déterminer les compétences managériales nécessaires à la gestion d’une entreprise sociale, en proposant in fine un référentiel les synthétisant. Notre hypothèse sous-jacente soutient que certaines compétences mobilisées par les managers d’entreprises sociales sont spécifiques à ce secteur. Nous commencerons par une brève description de celui-ci, des tensions au coeur de son fonctionnement et de ses récentes évolutions. Nous apporterons ensuite quelques éclaircissements quant aux notions de compétences et de référentiel. La méthodologie employée pour cette recherche sera décrite, pour, finalement, aboutir au développement des sept compétences spécifiques au management des entreprises sociales. Ce travail n’a pas vocation à être exhaustif à l’ensemble des compétences nécessaires à un manager en économie sociale (ES).

L’évolution des besoins du secteur

En Europe [1], les chercheurs définissent de manière consensuelle les entreprises sociales comme des organisations actives dans la sphère économique (production de biens et de services) qui relèvent d’une initiative citoyenne, qui ont un objectif explicite de bénéfice à la communauté et dans lesquelles les intérêts matériels des apporteurs de capitaux sont limités (Defourny, Nyssens, 2006). Ce sont donc des entreprises qui mettent en oeuvre une manière de procéder différente de celle traditionnellement observée dans les entreprises privées classiques : elles poursuivent une finalité sociale plutôt qu’un objectif de rentabilité du capital (principe d’a-capitalisme [Parodi, 2009]) et le pouvoir de décision n’y est pas exclusivement basé sur la contribution au capital (principe de gouvernance démocratique). Elles existent dans un large éventail de secteurs (recyclage des déchets, production d’énergie renouvelable, services aux personnes, insertion et formation, coopération au développement, commerce équitable, finance alternative, etc.) et présentent dans certains cas un profil très marchand (l’essentiel de leur production est financé sur le marché), tandis que dans d’autres elles apparaissent plutôt comme relevant du secteur non marchand (leurs ressources proviennent alors majoritairement de subventions ou de dons privés).

Tension et diversité

En combinant finalité sociale et activité économique, les entreprises sociales inscrivent au coeur même de leur fonctionnement une tension importante entre les objectifs sociaux (ou sociétaux) qu’elles poursuivent et leurs impératifs économiques (multiplicité d’objectifs) [Alter, 2006]. Celle-ci s’observe dans les différentes dimensions de leur gestion (Doherty et al., 2009). En outre, le processus politique de prise de décision doit chercher à engager et à impliquer les différentes parties prenantes pour légitimer l’objet sociétal de la structure. Or ces entreprises font appel à des parties prenantes bien plus diversifiées que les entreprises privées classiques (multiplicité de parties prenantes) [Defourny, Nyssens, 2006]. L’incarnation d’un projet partagé passe par la définition commune de modalités opérationnelles, alors que les enjeux des parties prenantes sont souvent divergents. Finalement, les entreprises sociales ont la capacité à mobiliser différents types de ressources au regard de la nature de leurs engagements sociétaux. Elles échangent des biens et des services sur le marché, mais le financement public soutient généralement leur mission d’intérêt général. Elles peuvent également s’appuyer sur des ressources bénévoles (Defourny, Nyssens, 2006). Elles sont ainsi appelées à une gestion managériale différenciée et plus large que dans les entreprises privées classiques.

Evolution des interactions managériales-organisationnelles

Leur secteur connaît actuellement des évolutions importantes : croissance de l’activité, diversification des demandes sociales, complexification du cadre législatif et institutionnel, transformation des modes de financement public (contractualisation, mise en concurrence des prestataires sur des quasi-marchés) [Dees, Elias, 1998 ; Mertens, 2010]. Ces changements impactent fortement leur environnement, amenant dès lors des défis spécifiques en termes d’opportunités, de risques et de contraintes auxquels le management doit faire face.

En parallèle, une professionnalisation des entreprises sociales est à l’oeuvre (Bode et al., 2006 ; Comeau, Davister, 2008 ; Davister, 2010 ; Petrella, Richez-Battesti, 2010). Ce mouvement s’observe particulièrement à travers l’évolution des pratiques de management (Davister, 2010). Il interpelle quant à la capacité à organiser, à planifier et à coordonner les relations humaines dans le respect des valeurs fondatrices de ces organisations. L’un des points cruciaux pour ces entreprises est de développer des structures capables de s’adapter face à un environnement en mutation (Laville, Sainseaulieu, 1997). Ces évolutions questionnent donc le rôle et la position des managers d’entreprises sociales. Le rôle capital joué par cette catégorie d’acteur est reconnu par de nombreux auteurs. Selon Mintzberg (1989), il n’existe pas d’approche complète du phénomène organisationnel sans avoir rigoureusement pris en compte les procédures de management. Le style de ce dernier et les types de leadership constituent un aspect déterminant dans la capacité d’une organisation à innover (Jaskyte, 2004).

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Le manager d’une entreprise sociale est la personne rémunérée pour gérer une organisation ; il ou elle n’est pas élu. Son rôle est de maintenir, voire de développer l’activité (Mintzberg, 2006) « pour créer des environnements favorables qui permettront à l’organisation d’atteindre ses objectifs » (Schmid, 2006). Ce rôle peut cependant être rempli par un groupe de personnes plutôt qu’un individu unique. La vision individualiste doit ainsi être nuancée par une approche plus collective, le changement étant le résultat de l’action d’un groupe d’individus (Steinberg, 2006). Nous parlerons donc de compétences managériales, en référence aux compétences de l’équipe de management, plutôt que de compétences d’un unique manager.

Notion de compétence

La notion de compétence est devenue incontournable aujourd’hui en gestion des ressources humaines (GRH), malgré un manque de clarté quant à sa définition (Colin, Grasser, 2007 ; Jarnias, 2003). La gestion des compétences est omniprésente dans les entreprises, à un point tel qu’elle est parfois assimilée purement et simplement à la GRH. Pourtant, il n’existe pas de cadre théorique précis de cette notion, et trouver un consensus sur le sujet semble très complexe (Finch-Lees et al., 2005). Voici toutefois un aperçu de différentes définitions possibles : « un savoir-faire opérationnel validé » (Pichault, Deprez, 2008), « composé de dimensions personnelles des connaissances techniques et managériales » (Cadin et al. 2002) ; « ensemble des comportements et des besoins en place pour apporter une position afin de s’acquitter de ses tâches et de ses fonctions avec compétence » (Woodruffe, 1993 [cité dans Finch-Lees et al., 2005]). La compétence se distingue clairement de la qualification, car elle doit être appréhendée dans un contexte professionnel au sens large. Pour exécuter un travail avec succès, des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être spécifiques sont nécessaires (Gomez-Mejia et al., 2004). Un élément essentiel dissipe légèrement le flou qui entoure la notion, à savoir que la compétence est éminemment contextuelle. Elle est construite socialement et ne prend sens que par rapport à une situation de travail. Au lieu de tenter d’identifier les caractéristiques des personnes, l’accent sera d’abord mis sur les compétences nécessaires à l’accomplissement d’une fonction. Celles-ci peuvent donc être simplement définies comme « les caractéristiques manifestes d’une personne, y compris les connaissances, les compétences et les comportements, qui permettent la performance » (Dessler, 2005) ou comme « l’ensemble des savoirs, des savoir-faire et des comportements structurés en fonction de l’objectif et du contexte » (Segrestin, 2004). Cette approche est in fine alignée sur les principes d’Ecvet [2] qui définissent la compétence comme « la capacité avérée d’utiliser des savoirs et des aptitudes et des compétences personnelles sociales et méthodologiques dans des situations de travail ou d’étude pour le développement professionnel et personnel » (Aribaut, 2009).

Dans notre objectif de recensement des compétences spécifiques au management des entreprises sociales, nous nous appuierons sur un outil emblématique, le référentiel de compétences (Colin, Grasser, 2007 ; Oiry, Sulzer, 2002 ; Retour, Rapiaux, 2006). Celui-ci peut être décrit comme une typologie des compétences pertinentes dans une situation donnée (Segrestin, 2004). Il doit être compris comme un « idéal-type », au sens wébérien du terme, reposant sur une construction intellectuelle obtenue par l’accentuation de certains traits de l’objet considéré (Coenen-Huther, 2003). Etant donnée les réalités diverses et multiples que couvrent les notions d’entreprise sociale et de son management, il est essentiel d’être prudent dans l’utilisation d’un tel outil appliqué à une catégorie si large.

Une approche pragmatique du référentiel de compétences

Quatre étapes ont été nécessaires pour mener cette recherche. Nous nous sommes concentrés sur l’article faisant référence, « The leadership skills strataplex: Leadership skill requirements across organizational levels », de Mumford, Campion et Morgeson (2007). Leur modèle a en effet été largement développé dans la littérature et se base sur de nombreux travaux scientifiques. Il est composé de quatre grandes catégories de compétences : les stratégiques (capacité de prévision et de perception du système et d’identification des conséquences et des problèmes), les opérationnelles (management des ressources matérielles, analyse des opérations-actions à mener), les interpersonnelles (aptitudes sociales et interpersonnelles permettant l’interaction et l’influence d’autrui) et, enfin, les cognitives (relatives à la collecte, au traitement, à la dissémination de l’information et à l’apprentissage continu). Au cours de cette phase exploratoire, nous avons réuni dix experts du secteur des entreprises sociales. Ils ont apporté de précieuses informations complémentaires aux éléments obtenus lors de la revue de littérature. Nous avons également rencontré deux managers du secteur. Les entretiens avec ces derniers ont été menés de manière semi-directive : des questions larges et ouvertes abordant de vastes thèmes. Les données récoltées ont été analysées en résumant, en catégorisant, puis en structurant celles-ci par catégories de sens (Saunders et al., 2009).

Cela a permis de construire un référentiel propre au management des entreprises sociales. Nous nous sommes concentrés sur les compétences spécifiques aux entreprises sociales, qui ne sont pas communes au management des entreprises privées classiques. Bien sûr, des besoins basiques tels que la connaissance de l’environnement, la capacité à analyser des problème et à trouver des solutions ou encore la faculté à travailler en équipe et à écouter sont nécessaires pour gérer une entreprise. Mais afin d’être le plus clair et le plus succinct possible, nous avons décidé de mettre l’accent sur les compétences suffisamment spécifiques au secteur. Plusieurs réunions avec les partenaires académiques européens du projet Ariadne [3] ont été organisées pour valider collégialement cette approche.

L’étape suivante a été la conduite d’entretiens de groupe avec des managers d’entreprises sociales : des interviews non standardisées réalisées avec au minimum deux personnes (Saunders et al., 2009). Ce type spécifique de collecte de données présente plusieurs avantages. En raison de la présence de plusieurs participants, l’interaction entre les différents membres permet en effet de stimuler leur réflexion sur la thématique abordée (Thietart, 2007). Le groupe peut générer un certain nombre d’idées, permettant ainsi aux chercheurs d’expliquer ou d’explorer des concepts. Vue la dimension européenne de ce projet, au moins deux entretiens similaires ont été menés dans chacun des pays partenaires, représentant un total de quatre-vingt-dix-sept managers anglais, belges, français, italiens, hongrois et suisses d’entreprises sociales. Afin de rendre compte de la diversité du secteur, différents critères ont été pris en considération pour choisir ces derniers : la taille de l’entreprise, sa forme légale, le fait qu’elle soit fortement subsidiée ou non et l’aspect rural-urbain.

Le référentiel de compétences a finalement été adapté, suite aux résultats de ces entretiens de groupe, et validé par les partenaires européens.

Référentiel de compétences spécifique au management des entreprises sociales

Ces quatre étapes ont permis de mener à bien la construction d’un référentiel européen de compétences spécifique au management des entreprises sociales (revue de littérature et enrichissement par la rencontre d’experts du secteur, première construction du référentiel, entretiens de groupe avec des managers d’entreprises sociales dans différents pays européens, validation finale du référentiel avec les partenaires européens). Le processus a abouti à un référentiel basé sur sept compétences spécifiques au management des entreprises sociales. Des extraits des entretiens illustrent cet outil.

Soutenir les objectifs multiples des entreprises sociales

Il est indispensable de développer une stratégie permettant d’appuyer les objectifs multiples des entreprises sociales. « Les tensions entre, d’un côté, les valeurs, les motivations idéologiques et, de l’autre, le pragmatisme, la simple couverture des coûts, le fait que nous voulons libérer nos organisations des subventions publiques doivent être gérées tout le temps » (extrait de l’un des managers). Le management doit ainsi être capable d’analyser, de comprendre et même d’anticiper les besoins sociaux exprimés, notamment, par les consommateurs, les bénéficiaires, l’Etat. « Nous devons inventer de nouvelles façons de travailler pour adapter les attentes de la communauté aux réalités économiques et, inversement, pour adapter les outils aux réalités économiques des entreprises sociales » (extrait de l’un des managers). L’identité et la portée des activités de l’entreprise doivent être définies, en tenant compte des missions, des objectifs et des ressources de l’organisation, ainsi que des tensions entre objectif social et exigences économiques. Pour ce faire, cohérence, proactivité et une forme d’idéalisme sont des comportements nécessaires. Les managers doivent communiquer efficacement afin de développer un discours adapté aux différents publics. Des capacités d’innovation et d’adaptation sont également des atouts pour gérer au mieux le changement.

Connaître, comprendre et mobiliser le système de gouvernance interne

Le système de gouvernance d’une entreprise sociale est tout à fait spécifique et constitue un impératif catégorique pour le management. Les décisions prises par la gouvernance vont orienter fortement les modalités organisationnelles de ce dernier, justifiant une articulation étroite entre décisions stratégiques et applications managériales. Les caractéristiques de la gouvernance des entreprises sociales supposent de les comprendre pour gagner en cohérence. Le principe de gestion démocratique prévaut, soit parce que le principe « Une personne, une voix » est appliqué, soit parce que le pouvoir de décision associé à la détention du capital est limité. Cela rend nécessaire pour le management de connaître, de comprendre et de mobiliser au mieux le système de gouvernance interne. « La prise de décision participative et la démocratie directe sont des défis » (extrait de l’un des managers). La maîtrise de ce système est d’autant plus importante que les parties prenantes sont beaucoup plus diversifiées que dans les entreprises privées classiques. L’évaluation et le contrôle qui peut être exercé par les parties prenantes sont bien plus complexes et doivent absolument être pensés. Les tâches et les responsabilités de chaque organe décisionnel (AG, CA, etc.) doivent être clairement définies et connues de chacun. Le management doit interagir de façon permanente avec ces différents organes. L’assertivité, la diplomatie et la sincérité sont nécessaires pour atteindre, au mieux, ces objectifs. « Il y a beaucoup à faire avec la démocratie et la gouvernance dans nos organisations, parce que les travailleurs ne comprennent pas toujours là où nous voulons en venir » (extrait de l’un des managers).

Connaître, comprendre et mobiliser les différentes parties prenantes externes

Dans les entreprises sociales, les activités et les objectifs de l’organisation constituent souvent un enjeu pour de nombreuses personnes ou institutions (clients-bénéficiaires, autorités publiques, communautés locales, donateurs privés, d’autres entreprises sociales et éventuellement des entreprises privées classiques, etc.). Ainsi, ces parties prenantes externes peuvent être amenées à jouer un rôle dans le management, et ce de façon directe ou indirecte. Même si ces échanges sont source de richesse et de diversité, la relation de l’entreprise sociale à son environnement doit être pensée et les parties prenantes externes gérées. « Le réseautage, l’identification des groupes à connaître et [la capacité à y] positionner son organisation est nécessaire à la mobilisation dans son environnement » (extrait de l’un des managers). La direction se doit d’identifier les parties prenantes externes et leur degré d’implication dans le but d’être en mesure de coopérer et de collaborer efficacement avec elles. « Il faut articuler les relations internes et externes, une de mes tâches [en tant que manager] étant les contacts avec les partenaires privilégiés » (extrait de l’un des managers). Le management doit être garant de l’interface entre les attentes des différentes parties prenantes. « Il faut communiquer avec des publics très différents, adapter votre discours et être très cohérent » (extrait de l’un des managers). Cela peut même aller jusqu’à la défense des intérêts de l’organisation pour tenter d’influencer les décideurs.

Gérer le personnel rémunéré ou bénévole

Une entreprise sociale a besoin de compétences managériales spécifiques en termes de GRH, au regard de la diversité du personnel rémunéré ou bénévole. « La gestion des ressources humaines est un domaine central où un grand nombre d’enjeux sont vécus, tel que la démocratie, les tensions “social vs économique”, la nécessité de répondre aux besoins des travailleurs, le fait de garder les individus engagés, etc. » (extrait de l’un des managers). Le management permanent et efficace du personnel des entreprises sociales constitue un défi. Le concept même de « personnel » désigne en effet une réalité plus variée, vu que celui-ci est composé d’employés-ouvriers, de bénévoles, de personnes en réinsertion socioprofessionnelle, de coopérants, etc. Le management doit être en mesure de faire face à cette diversité. Il doit connaître les spécificités de chaque public et être sensible à leurs besoins particuliers. La cohérence entre les objectifs affichés de l’organisation et la façon dont elle se comporte quotidiennement envers ses propres employés est cruciale. « La cohérence entre les discours et les pratiques doit être plus forte dans l’économie sociale » (extrait de l’un des managers).

Equilibrer les multiples aspects financiers

Malgré les potentielles difficultés d’accès aux ressources, les entreprises sociales (principalement associatives) peuvent bénéficier de diverses sources de financement. Dans la mesure où il conditionne le développement de leurs activités, il est crucial pour le management de soigner la question du financement. Le management doit dès lors connaître les possibilités d’obtenir des fonds auprès du gouvernement, de fondations, de parrainage privé… Il doit ainsi être en mesure de fournir des données financières pour les « business plans » sociaux et de répondre à divers appels d’offres. Les entreprises sociales ont souvent des difficulté à pérenniser les financements dans le temps. « Nous multiplions nos sources de financement, mais rien n’est jamais garanti » (extrait de l’un des managers). La direction se doit donc d’élaborer différents scénarios en fonction de l’obtention ou non de subvention. La question de l’évaluation de la performance, qu’elle soit financière ou sociale, reste entière dans ces entreprises, vu la difficulté d’évaluer des activités, des objectifs et des bénéfices à un tel point multidimensionnels. « Il est difficile de trouver des indicateurs d’efficacité qui vont au-delà des indicateurs financiers. Quelle valeur sociale crée-t-on ? » (extrait de l’un des managers). Le management devra faire preuve de rigueur, de créativité, mais aussi d’une certaine forme d’opportunisme.

Connaître, comprendre et être capable de positionner l’entreprise sociale

L’une des principales compétences managériales en entreprise sociale est la capacité de connaître, de comprendre et de positionner le secteur de l’entreprise dans son contexte général (en relation avec le marché, avec le secteur public, avec ses concurrents, etc.). « Comprendre le système économique ainsi que le modèle de l’entreprise sociale est crucial » (extrait de l’un des managers). Divers concepts, propres à ces entreprises, doivent être compris et maîtrisés. Il est également important d’avoir des connaissances sur l’histoire et les évolutions récentes du secteur. Il semble nécessaire aussi de comprendre l’environnement juridique et les avantages stratégiques des différentes formes légales d’entreprise sociale. Ces remarques doivent s’appliquer tant à des membres de la direction qu’à des managers intermédiaires. Ces entreprises souhaitent se définir par un projet sociétal, mais celui-ci ne peut gagner en crédibilité si les modalités managériales ne prennent pas en considération les valeurs même défendues par l’institution. Si le manager ne doit pas nécessairement être militant, il devrait néanmoins être sensible à l’intérêt général, à la citoyenneté, à la justice sociale, à la solidarité… et être capable de positionner stratégiquement son organisation au regard du contexte.

Développer un sentiment d’appartenance et de fierté

L’économie sociale tente de porter des valeurs différentes des structures à but lucratif et des organismes publics. Les acteurs qui la composent ont défini un projet social justifiant leur attachement à ce secteur. Le management a souvent pour responsabilité sa mise en oeuvre au quotidien. Mais les tensions tant internes qu’externes du secteur font augmenter le risque de perte de sens auprès des collaborateurs. In fine, la raison d’être de l’organisation peut tendre à disparaître. L’alternative, garante a minima dans les pratiques managériales propres à l’organisation, doit passer par un sentiment d’appartenance et de fierté de participer à l’ES. Ce sentiment permet de fédérer l’ensemble des parties prenantes dans les moyens sollicités à la réalisation de l’objet social. « L’un des défis auxquels nous sommes confrontés est de défendre un modèle d’organisation, tout un secteur, au-delà de sa propre entreprise » (extrait de l’un des managers). Le rôle et les enjeux propres aux entreprises sociales poussent le management à positionner son organisation dans le cadre d’un mouvement social plus large et de mobiliser son environnement autour de ces enjeux. « Nous devons développer des compétences pédagogiques pour notre propre public-cible » (extrait de l’un des managers). Le management se doit d’incarner un sentiment d’appartenance et de fierté pour motiver et impulser une dynamique favorable. Mais pour ce faire, il devra gagner en crédibilité, notamment dans ses pratiques managériales.

Conclusion

Le référentiel européen déclinant sept compétences spécifiques au management d’entreprise sociale va permettre d’implémenter les formations des partenaires du projet Ariadne. La démarche s’est voulue pragmatique au regard des limites existantes, mais elle a pu reposer sur une phase exploratoire de la revue de la littérature, un processus d’enrichissement lors de la confrontation avec des experts, puis d’une validation de terrain lors d’entretiens par des managers européens. Vu la diversité des entreprises sociales, cet outil doit néanmoins rester flexible et être adapté à chaque situation. Ce référentiel peut permettre aux entreprises sociales d’identifier et de formaliser les compétences nécessaires à leur management, les lacunes à combler et les éléments à clarifier. Ce travail in fine vient enrichir la réflexion sur les besoins grandissants de l’entreprise sociale au regard d’un environnement sous pression. Les mutations de la société poussent à nouveau les entreprises sociales à innover et à s’adapter, pour répondre aux besoins sociétaux du moment. L’adaptation qu’elle doit réaliser peut passer par une professionnalisation de son organisation. La reconnaissance de spécificités managériales va en ce sens. Mais ces compétences relationnelles et humaines apparaissent plus faciles à développer par l’expérience et la formation. D’autres expériences dans le domaine existent [4]. Ainsi, une démarche complémentaire doit être réalisée, afin de mener à terme ce travail de réflexion vis-à-vis des spécificités managériales en économie sociale : la mise en place de formations pour parfaire l’appropriation de compétences propres au secteur.